Les apparitions mariales, entre piété populaire et prudence des autorités ecclésiales | © Bernard Hallet
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Les apparitions mariales, berceau de spiritualité populaire

Spécialiste des phénomènes mystiques, l’historien des religions Joachim Bouflet vient de publier en juillet 2020 un Dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie (Cerf). Son livre offre un vaste panorama géographique et historique des apparitions mariales. Interview à la veille de l’Assomption.

Sa rencontre avec Padre Pio, à l’âge de 20 ans, l’a conduit à enquêter sur le mysticisme, en particulier les apparitions mariales (Garabandal ou Medjugorje) et les mystiques (Anne-Catherine Emmerick, Thérèse Neuman, Padre Pio). Joachim Bouflet poursuit son travail d’enquête à travers son Dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie (Cerf). Pour cath.ch, l’historien français, par ailleurs membre du tiers ordre carmélite, évoque la longue histoire des apparitions, berceau de spiritualité populaire, parfois difficile à canaliser pour les autorités ecclésiales.

Qu’avez-vous voulu apporter avec ce Dictionnaire?
Joachim Bouflet: Ce livre est un panorama sur les apparitions de Marie. J’ai voulu montrer d’abord que les apparitions de la Vierge sont un phénomène récurrent depuis les origines du christianisme, compte tenu des légendes hagiographiques connues. Ensuite, ce phénomène s’inscrit dans une histoire. Il a été à l’origine de mouvements de population, de construction de sanctuaires, voire de localités, de communautés humaines.

«La Salette est la première apparition, en 1846, avec un procès canonique en bonne et due forme»

Vous faites la distinction entre les apparitions reconnues et les apparitions fondées sur des témoignages plus ou moins crédibles.
La Salette est la première apparition, en 1846, qui a donné lieu à un procès canonique en bonne et due forme. Ceci est dû au fait que l’Eglise a pris davantage en compte la piété populaire et qu’on cherchait à la fois à la canaliser et surtout à lui donner un statut, à la «canoniser» en quelque sorte.

L’aspect populaire des mariophanies est important…
Absolument. Les apparitions mariales rappellent à l’institution qu’elle doit prendre en compte la piété populaire comme partie prenante de l’histoire de l’Eglise et comme composante de son pèlerinage terrestre.

Mais il existe une tension entre la publicité des apparitions et la discrétion dont les voyants veulent s’entourer…
C’est le reflet de la tension entre l’institution et le charisme. L’institution – l’Eglise – a toujours pour but de canaliser et de maîtriser le charisme, afin qu’il ne parte pas dans toutes les directions, avec des dérives populaires malsaines ou sectaires.

On peut aussi mesurer, par l’histoire des apparitions, combien la théologie mariale a évolué…
Le grand tournant de la théologie mariale est le Concile d’Ephèse, en 431, qui reconnaît la maternité divine de Marie. A partir de là, la théologie s’infléchit de plus en plus de la royauté de Marie à sa maternité.

Représentation du concile d’Ephèse de 431 à Notre-Dame de Fourvière à Lyon. Marie, au centre, est proclamée Mère de Dieu | © CC BY-SA 3.0

Marie, au fil des apparitions, peut être douce, mais aussi sévère…
Elle parle en fonction des situations. A La Salette, par exemple, elle apparaît dans une région où on jure et où on boit… A partir de ce fait, propre au Dauphiné, elle délivre un message plus universel. L’apparition s’inscrit toujours dans une époque et un lieu donnés.

Un des critères d’appréciation d’une ‘mariophanie’ par l’Eglise, c’est aussi la vie des voyants et leur évolution. Que peut-on en dire?
A partir du moment où le voyant est témoin d’une apparition et la rend publique, il devient témoin auprès du public. Donc sa vie doit porter témoignage. Pratiquement tous les voyants des apparitions reconnues – Lourdes ou Fatima – sont entrés dans la discrétion.

Comment situer les apparitions de Marie par rapport à celles du Christ?
Ce sont deux phénomènes très différents. Les apparitions du Christ, plus individuelles, s’adressent davantage à une personne en lui conférant une mission spécifique. On le voit bien dans la vie des grands mystiques comme Sœur Faustine Kowalska ou Marthe Robin.

La figure de Marie n’a-t-elle pas parfois supplanté celle de Jésus?
C’est là que l’institution a son rôle régulateur. Le premier critère d’authenticité d’une apparition, c’est son christocentrisme. Si Marie ne tourne pas vers le Christ, l’apparition n’a pas de sens, pour moi.

«Beaucoup d’évêques sont allés à Medjugorje au mépris des règles canoniques.»

Que dire aujourd’hui des apparitions de Medjugorje pour lesquelles le Vatican n’a pas encore rendu son avis officiel?
Du côté de l’Eglise, on ne sait pas très bien où on va. Cela a donné lieu à un énorme mouvement de piété populaire, avec des grâces qu’il ne faut absolument pas nier. En même temps, le témoignage des visionnaires n’est pas convaincant et finalement, le message avec sa répétitivité et sa fréquence n’a plus de sens. Il y a aussi un problème canonique, car beaucoup d’évêques sont allés à Medjugorje au mépris des règles canoniques. Car lorsqu’un évêque se rend dans un autre diocèse, il prévient normalement le confrère du lieu. Ce n’est pratiquement jamais arrivé.

L’avis officiel du Vatican est attendu…
Les conclusions vont être simples, à mon avis. On va autoriser le pèlerinage et on ne va pas reconnaître les apparitions.

Rassemblement de louange à Medjugorje en 2017 | © Pierre Pistoletti

Souvent l’Eglise reconnaît les fruits pastoraux, mais doute sur la véracité des apparitions, non?
En général, quand un culte est reconnu, ça débouche sur une reconnaissance, mais il y a encore des cas en suspens pour diverses raisons. Cela dépend beaucoup de la situation locale. Par exemple, pour Medjugorje, il y a en Bosnie-Herzégovine une communauté catholique croate minoritaire, qu’il faut préserver d’une certaine façon. Leur donner un pèlerinage éclatant serait une façon de renforcer cette communauté. Il y a aussi d’énormes intérêts économiques, c’est incontestable. Ce qui est exaspérant de mon point de vue d’historien, c’est que tous ces éléments interviennent pour qualifier l’authenticité de l’apparition même si cela n’avait rien à voir. (cath.ch/bl)

Dernier ouvrage de Joachim Bouflet, sorti en juillet 2020 | DR

Un Dictionnaire aux vues larges
Le Dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie (Cerf, 964 pages), se feuillette allègrement, au gré des lieux répertoriés et d’une disposition qui facilite la lecture. A partir des 13 apparitions reconnues (La Salette, Lourdes, Fatima), à partir du milieu du 19e siècle, l’auteur redescend l’échelle du temps pour lister les apparitions «prétendument reconnues» (Guadalupe, la rue du Bac à Paris, etc.). Les apparitions de Marie – ou «mariophanies» – au premier millénaire sont ensuite explorées avec précision. Marie Reine de France, Marie qui guérit les malades et les handicapés, Marie messagère de la Parole de Dieu ou protectrice : les angles de vue de Joachim Bouflet sont illustrés par les différents types d’apparitions, aux quatre coins de la planète.

L’auteur pointe également les travers des apparitions, notamment lorsque les voyants dévient et créent des mouvements sectaires qui appellent des interventions de l’Eglise. Medjugorje, en particulier, fait l’objet d’un chapitre documenté. Et l’ouvrage, en guise de conclusion, revient sur les phénomènes les plus récents, attestant de leur permanence. BL

Les apparitions mariales, entre piété populaire et prudence des autorités ecclésiales | © Bernard Hallet
14 août 2020 | 17:00
par Bernard Litzler
Temps de lecture: env. 5 min.
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