En Amérique latine notamment, les vocations religieuses féminines sont en baisse Deux religieuses de la Congrégation de Jésus Verbe et Victime, au Paraguay ! © Jacques Berset
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Les femmes dans l’Église, une force oubliée?

L’Église serait-elle en train de perdre les femmes? Oui, d’une certaine façon, si on considère la baisse des vocations féminines, assure Véronique Lecaros, théologienne et chercheuse à l’Université catholique pontificale du Pérou (PUCP). A l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, le 8 mars, cath.ch reprend un article publié dans la revue jésuite choisir en février 2022.

Véronique Lecaros/adaptation: Raphaël Zbinden

Entre 2005 et 2014, le nombre de prêtres dans le monde est resté stationnaire, tandis que celui des religieuses a diminué de plus de 10%. Paradoxalement, une enquête du Pew Research Center montrait en 2016 que les femmes en milieu chrétien sont partout plus croyantes et plus pratiquantes que les hommes, ce qui n’est pas le cas en contexte musulman, hindou ou bouddhiste.

En Amérique latine -avec des différences d’un pays à l’autre- ces tendances générales sont encore plus marquées qu’ailleurs. On y observe effectivement une baisse du nombre des religieuses alors que celui des prêtres se maintient ou même augmente.

Manque de reconnaissance

Comment comprendre ces données contradictoires? Côté catholique, on pointe du doigt le manque de reconnaissance des femmes de la part de l’Église. En 2018, Lucetta Scaraffia, responsable du supplément Femmes, Église, Monde de l’Osservatore Romano, dénonçait l’exploitation des femmes dans l’Église. L’article citait de nombreuses anecdotes de religieuses, même très instruites, réduites à des tâches domestiques, voire serviles, pour pourvoir aux bons soins de prélats ou de membres du clergé. Cette situation, avec des nuances selon les latitudes et les mentalités, se retrouve d’un pays à l’autre.

«L’Église a offert aux femmes une voie alternative, où elles ont pu se réaliser en tant qu’individus»

La crise des vocations a également conduit l’Église à prioriser les vocations masculines sacerdotales. Étant donné que seuls les prêtres peuvent célébrer la plupart des sacrements, la chute des vocations masculines signifie le regroupement de paroisses et le quasi abandon de nombreuses d’entre elles. Implicitement, pour beaucoup, l’équation se résume à «pas de curé, pas d’Église».

Ce parti pris est tellement ancré que même les spécialistes en sciences religieuses, oubliant la chute des vocations féminines et ne prenant en compte que le nombre de séminaristes, considèrent que l’Église d’Amérique latine fait montre d’un grand dynamisme. De ce point de vue aussi donc, les femmes sont invisibles dans l’Église et leur rôle ignoré.

Le christianisme a promu la femme

Il n’en a pas toujours été ainsi. L’Église et le christianisme en général ont joué un rôle essentiel dans la promotion de la femme. Pendant presque deux millénaires, la société patriarcale occidentale a considéré la femme comme une éternelle mineure et a limité, sauf exception, son rôle à celui d’épouse et de mère et, socialement, à celui de subalterne peu éduquée. En contraste, l’Église a offert aux femmes une voie alternative, où elles ont pu se réaliser en tant qu’individus et assumer d’autres fonctions. Grâce à l’enseignement et à la formation qu’elles ont prodigués aux fillettes et aux jeunes filles, elles ont participé activement à la promotion de la femme et contribué au changement d’attitude qui domine à présent.

Alternatives à la vie consacrée

L’Église aujourd’hui continue officiellement à s’engager en faveur de la promotion de la condition féminine, s’érigeant contre la traite, la violence machiste et tous les cas d’injustices subies par les femmes. Cependant, à l’interne, malgré les pressantes demandes du pape François qui ne cesse de réclamer une «présence féminine plus incisive dans l’Église», la position des religieuses et des laïques a peu changé ces dernières décennies, contrairement à l’évolution sociétale. La consécration religieuse, qui était autrefois une voie de réalisation et de reconnaissance, semble n’être aujourd’hui qu’une position subalterne et de peu de prestige. C’est aussi le cas depuis peu en Amérique latine.

Les religieuses sont au deuxième rang dans l’Eglise mais au premier dans les périphéries | © filles-de-la-charite.org

Au Pérou, depuis une dizaine d’années, il devient de plus en plus difficile d’attirer des jeunes filles vers la vie religieuse. Les possibilités séculières actuelles concurrencent ces offres. Grâce aux études universitaires et aux bourses de l’État, de nombreuses femmes accèdent à une carrière professionnelle valorisante. Par ailleurs, les catholiques croyantes désireuses de se consacrer à des œuvres de justice ou de bienfaisance trouvent de multiples autres alternatives, bien plus abordables et moins contraignantes (ONG, organismes internationaux, responsabilités sociales en entreprises…).

Vœu de pauvreté problématique

Mais la principale difficulté est liée au vœu de pauvreté. En Amérique latine, la solidarité familiale exige que les aînés prennent en charge les plus jeunes. Une religieuse, l’aînée d’une famille nombreuse, s’est trouvée ainsi confrontée à cette situation paradoxale de devoir expliquer aux membres de sa famille qu’elle ne pouvait pas les aider à cause de son vœu de pauvreté alors qu’ils vivaient une grande détresse due à la maladie et au chômage.

«Une Église où les femmes ne se sentent pas accueillies est une Église à laquelle les mères ne confieront pas leurs fils pour qu’ils deviennent des prêtres»

À ce niveau-là, encore une fois, la disparité entre hommes et femmes se révèle clairement. Les prêtres séculiers, qui ne sont pas liés par des vœux de pauvreté, disposent d’un petit salaire. De nombreux curés hébergent leur mère âgée, ne contrevenant pas ainsi à la solidarité familiale ni à la charité. Quant aux prêtres religieux, ils ont en général plus de liberté financière que leurs consœurs, ce qui facilite non seulement leurs relations avec leurs familles mais aussi leur quotidien.

L’Eglise perdante

La chute des vocations a un effet de cercle vicieux. Les jeunes filles sont peu attirées par une communauté de personnes âgées à leur charge ou qui le deviendront. Par ailleurs, les missions confiées aux congrégations doivent être assumées par moins de personnel, ce qui implique souvent une surcharge de travail rebutante pour les postulantes. Des décisions de restructuration et de fermeture de couvents sont donc prises.

Or les religieuses, «au dernier rang de l’Église», sont souvent en revanche au premier rang dans les périphéries. Travail silencieux mais ô combien efficace! Leur disparition mettra en péril ces activités sociales.

Les congrégations sont les grandes perdantes de cette situation, mais à travers elles c’est toute l’Église qui est affectée. Même si la hiérarchie, souvent obnubilée par les vocations sacerdotales, ne prend pas encore conscience de la mesure du phénomène. Une Église où les femmes ne se sentent pas accueillies est une Église à laquelle les mères ne confieront pas leurs fils pour qu’ils deviennent des prêtres… (cath.ch/choisir/vl/rz)

A revoir sur cath.ch: la série L’Eglise et le pouvoir des femmes

En Amérique latine notamment, les vocations religieuses féminines sont en baisse Deux religieuses de la Congrégation de Jésus Verbe et Victime, au Paraguay ! © Jacques Berset
7 mars 2023 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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