A Dbayeh (Liban), les Petites Soeurs de Jésus de Nazareth soutiennent une population très pauvre | © Luc Balbont
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Liban: la grande famille des petites sœurs du camp de Dbayeh

A quelques kilomètres au nord de Beyrouth, perché sur une colline, se trouve le camp palestinien de Dbayeh: cinq rues, des ruelles et une église où flotte chaque dimanche un parfum d’œcuménisme, qui rassemble catholiques et orthodoxes dans une foi commune.

Luc Balbont, à Dbayeh, pour cath.ch

Un camp pareil aux treize autres répartis sur l’ensemble du territoire Libanais (*1)? Pas tout à fait, car Dbayeh est le seul camp de réfugiés palestiniens chrétiens.

De là-haut, la mer a beau être proche, on ne la voit pas, cachée derrière les villas, les immeubles bourgeois, et par le très chic hôtel Royal. Les hommes d’affaires et responsables influents, habitués de cet établissement grand standing, savent-ils qu’en sortant à gauche, en remontant la route, se trouve à 500 mètres, une petite agglomération de maisons serrées les unes contre les autres, habitées par des hommes, des femmes et des enfants sans avenir? Des réfugiés éternels, frappés d’une double peine, celle d’être palestiniens pour les Libanais, et donc responsable du conflit (1975-1990) qui ensanglanta le pays (2), et chrétiens pour les Palestiniens, musulmans à 98%, qui leur reprochent d’être une minorité peu concernée par la question nationale.

Un exil éternel?

Les premières familles se sont installées sur ce terrain en 1951, dès la fin de la première guerre israélo-palestinienne perdue par les Arabes. Wael, 60 ans, explique ainsi que «son père fuyant l’armée juive, avait quitté son village natal près de Nazareth, pour se réfugier au Liban, persuadé que son exil serait temporaire. C’est dans ce camp, dit-il, qu’il est né et qu’il mourra.» 

Une rue du camp palestinien de Dbayeh, au nord de Beyrouth | © Luc Balbont

Le terrain de Dbayeh fut loué par l’UNRWA (*3) à l’Ordre des moines maronites libanais. «Aujourd’hui, la quatrième génération l’occupe toujours. 500 familles chrétiennes en tout», confie Martine, des Petites sœurs de Nazareth. Fondée à Gand, en Belgique, en 1966, les Petites sœurs de Nazareth sont l’une des familles rattachées à la spiritualité de Charles de Foucauld. 41 religieuses réparties en France, en Belgique, au Liban, et pour quelque temps encore, en Colombie.

Les sœurs se sont fixées à Dbayeh dès 1987, avec pour mission de vivre parmi et avec ces exclus. 35 ans de présence aimante pour apporter et partager écoute, soins, aides et réconfort à ces chrétiens palestiniens. «Nous pouvons raconter en détails l’histoire de chacun d’eux», assure Sœur Magda, 77ans, intime de ces «parias» dont elle parle parfaitement la langue. «Ces réfugiés sont notre famille», assure-t-elle.

Des religieuses actives

Pour assister Magda, Sœur Martine, 65 ans, est venue à Dbayeh en 2007. C’est une solide Belge de Mouscron (Hainaut), pleine d’humour. La Hollandaise Sœur Cecilia, la plus jeune (57 ans), infirmière de formation et vibrante d’enthousiasme, complète l’équipe. La communauté loge à l’entrée du camp, dans une petite maison, située derrière le bureau de l’UNRWA.

«La jeune génération ne croit plus à la naissance d’un Etat indépendant»

Chaque jour à partir de 9 heures, la maison ne désemplit pas. C’est un défilé non-stop de visiteurs, qui se succèdent à rythme régulier. Sœur Magda est à l’écoute. Assise à ses côtés sur le canapé, Myriam explique qu’elle ne plus payer ses notes d’électricité, le salaire de son mari est inférieur au montant demandé. Magda la rassure, et lui donne la somme de son parrainage mensuel, 71 euros. Hoda vient demander du lait pour son nourrisson. En pleine crise économique, les salaires ont été divisés par dix au Liban, et l’inflation atteint des records (80%). Juste derrière elle, Ahlam attend à la porte. Elle a besoin de médicaments pour sa fille. Martine ira les puiser dans la réserve de la communauté.

Suit Elias, qui n’arrive plus à assumer le prix de la scolarité de ses enfants, puis Racha qui vient chercher de la nourriture pour le repas du soir. «Chaque mois, nous recevons en moyenne plus de 1’100 personnes, précise Magda. Et si nous partons comme le mois dernier en Belgique pour le Chapitre de notre Congrégation, la famille se sent orpheline, et nous coupables de l’avoir abandonnée.» Les contacts sont sobres, plein de tendresse mais sans pathos. Les religieuses écoutent avec bienveillance sans surenchères émotionnelles, et les réfugiés exposent leurs soucis avec dignité, sans théâtralité.

Donateurs internationaux

Tandis que Magda et Martine reçoivent dans leur petit salon, Cécilia, sac sur le dos, s’en va rendre visite au docteur Elie, un des médecins du camp. Cardiologue libanais, le docteur Saker consulte bénévolement quatre après-midis par semaine. Son cabinet a été aménagé dans un local de l’ancienne école de l’UNRWA, fermée depuis la guerre de 1975, et qui n’a jamais reçu la permission de rouvrir. Une partie de la cour de récréation a été transformée en aire de jeu pour les enfants du camp. «Nous avons pu équiper ces deux cabinets de consultation avec l’aide financière du gouvernement slovaque,» détaille Sœur Cecilia.

Le docteur Saker et Soeur Cecilia | © Luc Balbont

La comptabilité est scrupuleusement tenue et toutes les dépenses sont justifiées. Outre le gouvernement et l’Université slovaques, l’Œuvre-d’Orient, la Mission pontificale des Etats-Unis et du Canada, la Belgique et des donateurs privés contribuent à soulager les souffrances de cette population.

Une population étranglée par les crises

Marqué par les guerres et les crises qui ont truffé son histoire, le Liban résiste tant bien que mal aux différentes tempêtes de son histoire: L’afflux de réfugiés palestiniens à partir de la fin des années 1940, la guerre civile en Syrie voisine en 2011, avec l’arrivée d’un surplus de familles Syriennes, et tout dernièrement, la crise économique de 2019 qui étrangle les Libanais. «Aujourd’hui, constate Sœur Magda, aux 500 familles chrétiennes se sont ajoutées 93 familles syriennes, toutes musulmanes, ce qui a posé des problèmes au début, et une centaine de familles libanaises visées de plein fouet par la pauvreté.»

A ces difficultés s’ajoute un autre souci: celui de l’exil des jeunes, frappés par l’indifférence des Européens et surtout par l’abandon des nations arabes pour la cause palestinienne. «La jeune génération ne croit plus à la naissance d’un Etat indépendant. Née au Liban, elle n’a jamais connu la Palestine. Comment s’y sentirait-elle en cas de retour?» se demande Sœur Martine. Wael, l’ancien natif de Dbayeh, veut quand même y croire. Il conclut sur une note d’espoir:«Un chrétien, dit-il, ne perd jamais l’espoir.» Y croit-il vraiment? (cath.ch/lba)

(*1) 13 ou 14 camps selon les sources, et en l’absence de statistiques officielles.

(*2) La guerre du Liban fut déclenchée en avril 1975, suite à des affrontements entre chrétiens Libanais et Palestiniens. Elle déchira le pays durant quinze ans.

(*3) UNRWA: «The United Nations Relief and Works Agency» – Agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, créée en 1949.

A Dbayeh (Liban), les Petites Soeurs de Jésus de Nazareth soutiennent une population très pauvre | © Luc Balbont
14 juillet 2022 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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