Au Yémen, 11 millions d'enfants dépendent encore de l'aide humanitaire | © UNICEF
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Loin des yeux, le Yémen continue de dépérir

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«Au Yémen, des millions d’enfants souffrent de la faim, dans l’angle mort de l’opinion publique mondiale», déplore Leonie Lüscher, responsable des programmes internationaux à l’UNICEF Suisse et Liechtenstein. Le pays de la Péninsule arabique est l’un des endroits du monde où l’insécurité alimentaire est la plus importante.

Ghoson, à deux ans, ne pesait que trois kilos. «Elle était en bonne santé et allait bien, mais elle a soudain eu de la fièvre et je l’ai emmenée au centre de santé», raconte la mère de la petite fille, habitant Al-Hudaydah, sur la côte ouest du Yémen.  Après qu’une sévère malnutrition lui ait été diagnostiquée, Ghoson a pu être hospitalisée assez rapidement et son état stabilisé. Le cas de la petite fille, relaté par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), qui soutient le centre d’Al-Hudaydah, est malheureusement banal dans cette partie du monde. Et l’issue n’est de loin pas toujours aussi positive. On estime qu’au Yémen, un enfant meurt encore toutes les dix minutes de causes évitables.

Huit ans de conflit

La nette diminution des violences au Yémen, depuis avril 2022, n’a pas sorti le pays de la déliquescence. La guerre, qui a fait en huit ans, selon les estimations, plus de 370’000 morts, a totalement dévasté le pays.

Le conflit civil oppose depuis 2014, principalement, les rebelles chiites Houthis au gouvernement central yéménite. En septembre 2014, les Houthis se sont emparés de la capitale, Sanaa, et ont évincé le gouvernement officiel. Une coalition dirigée par l’Arabie saoudite et soutenue par le Royaume-Uni et les États-Unis a réagi, avec l’objectif d’éliminer la rébellion des Houtis, soutenus par l’Iran. Mais malgré les milliers de frappes aériennes, les rebelles contrôlent toujours la capitale et de larges portions de territoire.

Le cyclone tropical Tej a causé de gros dégâts au Yémen | © UNICEF

La diminution de la violence est en partie due à une trêve de six mois (entre avril et octobre 2022) négociée par les Nations unies. Bien que celle-ci ait expiré depuis un an, les violences n’ont pas repris à large échelle.

Hausse des prix et cyclone

Le recul des combats n’a cependant pas beaucoup soulagé la souffrance des habitants. En plus de la destruction des infrastructures, les prix élevés des denrées alimentaires et du carburant font que les besoins d’aide humanitaire sont énormes, note Leonie Lüscher. 21,6 millions de personnes, soit un tiers de la population, dont 11 millions d’enfants, dépendent toujours de cette aide. Avec plus de 3,1 millions de déplacés internes depuis 2015, le Yémen connaît en outre l’une des plus grandes crises de réfugiés au monde.

En outre, le pays est de plus en plus touché par les changements climatiques. Le dernier coup dur a eu lieu fin octobre 2023, lorsque le cyclone tropical Tej a frappé la côte est du Yémen. Plus de 18’000 familles ont été affectées et les infrastructures publiques, y compris les services de santé et les réseaux d’approvisionnement en eau, ont été gravement endommagées.

Une grande partie de la population yéménite a un accès difficile à l’eau potable | © UNICEF

Les conditions météorologiques extrêmes, accompagnées de pluies abondantes et d’inondations, créent un environnement propice à l’apparition de maladies transmissibles. Le pays connaît ainsi des épidémies récurrentes de choléra, de rougeole, de diphtérie et d’autres maladies évitables par la vaccination. 21,3 millions de personnes n’ont pas un accès adéquat aux services de santé. Plus de 7,8 millions d’enfants n’ont simplement pas accès à l’eau potable.

Accès aux personnes limité

L’UNICEF s’attend à ce que la crise alimentaire s’aggrave encore, notamment à cause de l’inflation toujours galopante, en particulier sur les carburants. L’UNICEF et ses partenaires humanitaires aident en moyenne 9 millions de personnes par mois, note Leonie Lüscher. «Toutefois, le travail est de plus en plus difficile, puisqu’à ce jour, seul un cinquième environ des fonds nécessaires pour 2023 a été reçu», relève la coopérante, qui déplore la sous-médiatisation de la situation.

L’accès des ONG aux différentes zones dans le pays demeure l’un des obstacles majeurs à la fourniture d’une aide humanitaire globale, remarque Leonie Lüscher. Malgré le ralentissement des violences, le Yémen est en effet toujours pratiquement en état de guerre. Les déplacements doivent être constamment négociés entre les diverses factions contrôlant les parties du pays. L’infrastructure routière, dans un état déplorable, complique l’acheminement de l’aide. Et il arrive même souvent que les humanitaires ne sachent simplement pas dans quelles zones des personnes ont besoin de cette aide. (cath.ch/com/ag/arch/rz)

Les causes d’une guerre fratricide
L’État yéménite est faible de longue date, note le journal Le Monde dans une analyse des causes du conflit. Le pays est historiquement divisé entre le nord et le sud, deux régions qui ne se sont unifiées qu’en 1990. De la chute de l’Empire ottoman à 1962, le nord a été dominé par une dynastie zaïdiste (environ 40% de la population), la confession des houthistes, une branche minoritaire du chiisme. En 1962, la proclamation d’une république est suivie d’une guerre civile qui oppose les monarchistes, aidés par l’Arabie saoudite voisine, aux républicains, soutenus par l’Égypte de Nasser.
Ces derniers finirent par l’emporter. C’est alors que naît, dans les montagnes du nord, le mouvement Ansar Allah, dit «houthiste», autour de Hussein Badreddine Al-Houthi, un ancien parlementaire entré en dissidence.

Dans le Sud, le port d’Aden et son arrière-pays sont demeurés sous protectorat britannique jusqu’en 1967. Aden est alors devenue une république d’inspiration communiste, sous influence soviétique. La guerre froide a maintenu la division entre nord et sud.
Depuis l’unification, en 1990, le président Saleh avait su se maintenir en jouant de la corruption, des rivalités tribales et du radicalisme religieux. Jusqu’à ce qu’il soit chassé par une révolution en 2011, dans la foulée du «printemps arabe». Son successeur, Abd Rabbu Mansour Hadi, essayera de négocier un accord qui ne satisfera pas les factions opposées, en premier lieu les Houthis. Ces derniers gagneront progressivement du terrain, jusqu’à ce qu’en 2015, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ne lancent une campagne de raids aériens pour neutraliser la rébellion.

Des violences qui ont détruit une grande partie du pays sans faire reculer décisivement les Houthis. Des négociations ont été tentées entre les parties belligérantes depuis 2018, sans que la paix ne puisse être installée. Suite à un dernier cessez-le-feu décrété en avril 2022, le conflit a nettement baissé d’intensité. Mais les pourparlers seraient au point mort et aucune perspective de paix n’est à l’horizon.
La guerre s’est dirigée depuis un certain temps vers l’extérieur. Dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas, déclenché le 7 octobre 2023, les Houthis mènent des actions en soutien au groupe palestinien auquel ils sont alliés. Ils ont notamment tiré des missiles de longue portée sur Israël, qui auraient été interceptés. Le 19 novembre, les rebelles houthis ont affirmé s’être emparés en mer Rouge d’un navire commercial prétendument israélien. Ce que les autorités de Jérusalem ont démenti. RZ

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Au Yémen, 11 millions d'enfants dépendent encore de l'aide humanitaire | © UNICEF
17 décembre 2023 | 17:00
par Raphaël Zbinden

Alors que la guerre en Ukraine mobilise les regards, de nombreuses autres tragédies se déroulent dans le monde, plus loin de l’attention médiatique. Le pape François a appelé à plusieurs reprises les journalistes à ne pas oublier les conflits qui suscitent moins d’intérêt en Occident. C’est ce à quoi cath.ch veut en partie remédier avec la série «Conflits oubliés», qui relatera des situations dans plusieurs endroits du monde, où l’humanité est en détresse.

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