Karine Viard incarne Charlotte, la chancelière d'un diocèse dans "Magnificat" | © Agorafilms
Suisse

'Magnificat': et si le curé était une femme?

Dans un diocèse français, la révélation qu’un prêtre venant de décéder était en fait une femme provoque un grand trouble et une profonde remise en question. Tel est le fil directeur du long-métrage Magnificat, qui sort sur les écrans le 21 juin 2023. cath.ch s’est entretenu avec la réalisatrice, Virginie Sauveur.

Charlotte (Karine Viard) est une chancelière de diocèse intelligente et déterminée, qui élève seule son fils adolescent. Lorsqu’elle découvre que le bien aimé Père Foucher, récemment décédé, avait réussi à cacher toute sa vie son sexe féminin, elle se heurte à des autorités ecclésiastiques résolues à étouffer l’affaire. Charlotte se lance alors dans la recherche de la véritable identité du prêtre. L’enquête fera remonter à la surface de lourds secrets, également sur le propre passé de la chancelière. Elle posera en outre de brûlantes interrogations sur la place des femmes dans l’Eglise.

D’où vous est venu l’idée de faire ce film?
Virginie Sauveur: J’ai reçu un jour le livre Les femmes en noir, d’Anne-Isabelle Lacassagne (2017). Elle a travaillé avec l’évêque de Nantes. Le livre m’a intéressée, surtout le personnage de Charlotte. Mais je me suis réellement décidée à  porter le livre au cinéma lorsque m’est apparu un aspect essentiel: en Occident, la prêtrise est encore le dernier secteur de la société auquel les femmes n’ont pas du tout accès.

Virginie Sauveur, réalisatrice de Magnificat | © Agorafilms

Avec Karin Viard, nous avons encore réécrit le rôle de Charlotte, afin de coller au mieux au personnage. Il a été finalement important pour nous qu’en cherchant la vérité sur le Père Foucher, elle découvre ses propres secrets et blessures. C’est toujours passionnant de raconter des héroïnes ou héros qui sont capables de transgresser des règles qui leur semblent injustes ou régressives, de revendiquer leur liberté.

Ensuite, avec mon co-auteur Nicolas Silhol, nous avons réalisé, avec l’accord de l’autrice, une adaptation très libre de l’ouvrage, surtout pour en faire quelque chose de plus cinématographique.

Que vouliez-vous dire à travers cette histoire?
Pour moi, cette idée de la découverte de la féminité d’un prêtre, cétait tout d’abord l’occasion de raconter une histoire intéressante et forte. En particulier dans le contexte actuel, où le pape François fait souffler un vent de modernité sur l’Eglise et semble entrouvrir la porte aux femmes. C’est déjà significatif qu’il leur ait permis de voter au prochain Synode des évêques.

A dire vrai, j’ai aussi eu beaucoup de plaisir à mettre en scène la panique, la sidération de l’évêque qui découvre que le Père Foucher était une femme. C’était aussi très jouissif pour François Berléand (l’acteur qui incarne Mgr Mével). 

Est-ce donc une pointe contre l’Eglise?
Absolument pas. Le but de ce film n’est pas du tout de critiquer l’Eglise. Je ne me considère comme le porte-drapeau de rien du tout. Au départ, c’est surtout le principe dramatique du récit qui m’a intéressée, comme je l’ai dit.

A quel point connaissez-vous le milieu de l’Eglise?
Je suis née dans une famille catholique. J’ai été baptisée, j’ai fait ma première communion. J’ai même donné des cours de catéchisme, quand j’étais étudiante, pour payer ma chambre. Alors, j’ai une certaine connaissance intérieure de ce monde, bien que tout de même limitée. Pour le film, nous avons dû nous documenter, nous faire conseiller par différents types d’experts. Par exemple Mgr Jacques Turck nous a beaucoup aidés. Il nous a notamment indiqué les bons gestes à faire, les bonnes paroles à prononcer de la part d’un prêtre.

En me documentant, j’ai aussi rencontré largement la frustration des femmes qui travaillent énormément au sein de l’Eglise, et qui ont l’impression que leur voix n’est que peu entendue.

Quelle est votre position face à l’Eglise, à la foi chrétienne?
Je dirais simplement que je possède une très grande sensibilité chrétienne. J’ai une immense curiosité et admiration pour le Christ et sa parole, à laquelle je suis très attachée. Jésus, pour moi, c’était un homme incroyable, et un grand féministe, qui a essayé de mettre la femme au centre, dans une société extrêmement misogyne.

François Berléand incarne, dans Magnificat, l’évêque Mével | © Agorafilms

Mais je ne me considère pas comme catholique, dans le sens où l’autorité de l’Eglise me semble très éloignée de ma sensibilité. Dans ce qui est ma vérité propre, je trouve que l’Eglise manque parfois de tolérance, d’ouverture, qu’il y a beaucoup de condamnations, de restrictions. De manière générale, j’ai une vie spirituelle qui m’aide beaucoup, même si je ne suis pas vraiment une religion.

Cette ambivalence entre perplexité et respect se reflète dans le film…
Effectivement. Je ne veux pas faire des films manichéens, qui séparent distinctement le noir du blanc, ou qui impose des leçons. Mon objectif n’est pas de donner des réponses, mais de soulever des questions. Ainsi, les personnages du film possèdent tous une certaine complexité. Il n’y a pas de «méchants» au sens premier. Je crois que nous sommes tous faits d’ombre et de lumière. L’évêque Mével, qui fait tout pour étouffer l’affaire, n’est pas un «méchant», il est désolé, il est perdu, il a été élevé dans certaines règles, qu’il veut respecter.

Le Père Lataste, qui cohabitait avec le Père Foucher, représente certainement le côté ouvert de l’Eglise…
Oui. En fait, je voulais absolument que dans le film un prêtre ait le discours qu’aurait pu, selon moi, avoir Jésus. Une parole d’amour et de respect. J’aime beaucoup le personnage du Père Lataste. C’est pour moi le prêtre idéal, qui tient le discours idéal du christianisme. En même temps, je mets en scène un autre prêtre, qui est aussi très positif, qui est ‘rachaï’ (prêtre en langue manouche) et qui suit les Gens du voyage. Il est extrêmement dévoué à sa communauté, mais pour lui, un prêtre c’est un garçon, parce qu’il représente le Christ, qui était un garçon. C’est aussi une façon de répondre à la question, qui doit être écoutée.

Je me rends compte qu’une grande diversité de sensibilités coexistent au sein de l’Eglise. J’ai rencontré des prêtres avec une ouverture, une tolérance et un amour magnifiques. Dans son accompagnement sur le tournage, Mgr Turck a par exemple tout le temps été dans la bienveillance et le non-jugement.

Le film semble plaider tout de même clairement en faveur de la prêtrise pour les femmes…
Encore une fois, je ne veux pas donner de réponses, il y a certes une espérance, une volonté d’ouvrir la réflexion, sans diviser ou provoquer. Au-delà, je pense que Magnificat peut résonner chez toutes les femmes qui sont en demande de participer plus pleinement dans leur communauté d’Eglise. Ce n’est pas mon combat principal, mais ma petite pierre à l’édifice pour aider ces femmes.

J’ai également fait ce film en pensant aux personnes qui ont peur, peur d’être bouleversées par le changement. Mais ce n’est pas grave, parce que le monde change continuellement. La vie est courte et je pense que pour être heureux, il faut vraiment aller vers le courage d’être soi-même et de mener la vie que l’on a envie de mener. (cath.ch/rz)

COMMENTAIRE
Pas de «Church bashing»
On peut certainement trouver de nos jours pléthore d’œuvres d’art, culturelles ou intellectuelles s’étant clairement donné pour mission de «démolir» l’Eglise catholique, voire le christianisme, perçus comme des reliquats nuisibles d’un passé réactionnaire. Ces productions le font très souvent avec mauvaise foi, en oubliant notamment que les valeurs avec lesquelles elles jugent le christianisme émanent justement de ce dernier.
Magnificat n’est certainement pas de cette eau-là. Le film reflète effectivement, comme sa réalisatrice le confirme, un immense respect pour la foi chrétienne. L’héroïne, Charlotte, aime par dessous tout son Eglise, et son combat a pour unique but de la rendre plus fidèle à la parole d’amour qui la soutient.
Ainsi, même si on ne souscrit pas à la thèse qui sous-tend le long-métrage, on ne peut que constater la subtilité et la sensibilité avec laquelle il pose des questions délicates. L’ensemble est servi par un exceptionnel jeu d’acteurs, et une mise en scène remarquable. RZ

Karine Viard incarne Charlotte, la chancelière d'un diocèse dans «Magnificat» | © Agorafilms
19 juin 2023 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 6 min.
cinéma (118), Culture (106), Femmes en Eglise (40), femmes prêtres (19), film (49)
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