Mgr Patrick Valdrini, ancien recteur de l'Institut catholique de Paris | I.MEDIA
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Mgr Patrick Valdrini:»'Fidem servare' veut dire garder la foi intacte»

Mgr Patrick Valdrini, chanoine du Latran et ancien recteur de l’Institut catholique de Paris, livre son regard sur le Motu proprio  ‘Fidem servare’ rendu public le 14 février 2022, formalisant l’existence de deux sections distinctes au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi : une section doctrinale, et une section disciplinaire, chargée notamment de traiter les dossiers d’abus sexuels sur mineurs.

Ce canoniste voit dans ce décret du pape un signe de l’esprit de la future Constitution apostolique sur la Curie.

Quelles sont les transformations apportées par le Motu proprio Fidem Servare ?
Mgr Patrick Valdrini: Le Motu proprio ne change pas le périmètre de compétences de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). C’est plutôt une restructuration, une mise en forme qui correspond à une réalité déjà mise en œuvre.
En effet, il y avait déjà, auprès du préfet, un secrétaire et des sous-secrétaires ou des assistants qui travaillaient sur chacun des domaines, avec autrefois quatre bureaux : doctrinal, matrimonial, disciplinaire, et l’Ecclesia Dei, [pour les communautés traditionalistes NDLR] dont les compétences ont été finalement réparties entre la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, et la Congrégation pour le Culte divin, comme cela a été rappelé dans Traditionis Custodes.

«Il y a une volonté de remettre en valeur la partie doctrinale, la plus traditionnelle de cette Congrégation»

Compte tenu de l’augmentation des dossiers concernant les agressions sexuelles et les autres «délits réservés» que les évêques ne peuvent pas traiter eux-mêmes, le bureau disciplinaire a connu une augmentation de son activité. Par conséquent, il y a une volonté de remettre en valeur la partie doctrinale, la plus traditionnelle de cette Congrégation créée en 1542, avant même que le pape Sixte V ne crée la Curie en 1588.
Longtemps appelé la «Congrégation de l’Inquisition», cet organisme a eu le pape en personne comme préfet pendant des siècles, en raison de l’importance des questions doctrinales. Dans l’histoire récente, il y a eu une petite baisse d’activité, mais aujourd’hui le pape François veut certainement relancer la partie doctrinale, en établissant cet équilibre entre les deux sections.

Le pape François veut donc redonner une identité propre à l’activité doctrinale et théologique de la CDF ?
Oui, et j’ai trouvé le vocabulaire employé par le pape extrêmement positif en ce sens. Cela va s’inscrire dans le sillage de Predicate Evangelium [la future Constitution apostolique sur la Curie romaine, encore en préparation, NDLR]. Ce changement de vocabulaire sur la question doctrinale est important. Il y a une volonté d’aide à l’unité. Ce Motu proprio est donc une anticipation de ce que l’on verra après.
On retrouve un esprit positif dans le nom même de ce Motu proprio. «Fidem servare«, cela peut se traduire par «garder intacte la foi» ou «conserver la foi». C’est un peu différent de «défendre la foi». Les apôtres dans les premiers siècles ont essayé de «conserver» la foi, de garder intacte la mémoire du Christ. La foi ne doit pas partir dans tous les sens, il faut «conserver» l’unité. Il y a donc ici une volonté de promotion, plus que d’apologétique.

«La section disciplinaire de la CDF dispose d’un personnel très compétent, mais la charge de travail est énorme»

Le Motu proprio précise que la section doctrinale doit accompagner «la compréhension et la transmission de la foi au service de l’évangélisation » et veiller à «l’examen des documents à publier par d’autres dicastères de la Curie romaine». La CDF est donc ainsi mise plus explicitement au service des autres dicastères ?
En fait cela a toujours été le cas, tout passe par elle. Mais là, le pape va plus loin, en demandant à la section doctrinale de soutenir des études sur des sujets éthiques contemporains. C’est très intéressant, cela n’existait pas auparavant.
Le Motu proprio correspond à la fois à une nécessité de restructuration institutionnelle, et à une transformation de l’esprit de ce travail doctrinal, qui peut ainsi devenir compréhensible y compris pour des personnes qui n’ont pas de formation juridique.

Concernant la section disciplinaire, est-ce que la décentralisation des dossiers serait une option nécessaire pour limiter la surcharge de travail à Rome ?
La section disciplinaire de la CDF dispose d’un personnel très compétent, mais la charge de travail est énorme. Alors en effet, je crois qu’ils veulent répartir le suivi des dossiers.
Il y aura une adaptation selon les pays et leurs structures. En France, on verra ce que les statuts du Tribunal pénal canonique national [qui doit être institué le 1er avril 2022, NDLR] prévoient quant au lien avec la CDF.
Mais certaines Églises locales, notamment dans des situations de persécution, n’ont pas les structures administratives ou judiciaires pour traiter ces dossiers, qui doivent donc être transférés vers d’autres destinations. 
Le recours à la CDF pour les délits réservés n’est en tout cas pas voué à spolier les diocèses de leurs compétences juridictionnelles pour tout centraliser à Rome. Il a surtout pour objectif de pallier le manque de structures dans certains pays, ou l’impossibilité pour certains évêques d’avoir suffisamment de recul pour des dossiers impliquant des personnes dont ils seraient trop proches. (cath.ch/imedia/cv/mp)

Mgr Patrick Valdrini, ancien recteur de l'Institut catholique de Paris | I.MEDIA
15 février 2022 | 14:33
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 4 min.
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