Alojzije Stepinac, archevêque de Zagreb de 1937 à 1960 (Photo;  domaine public)
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Mise en garde contre la canonisation du cardinal Stepinac

La canonisation envisagée du cardinal croate Alojzije Stepinac est critiquée par l’historienne allemande Marie-Janine Calic, spécialiste de l’Europe du Sud-Est. Le prélat porterait une responsabilité morale face aux crimes commis par le régime oustachi allié aux Nazis, pendant la Deuxième guerre mondiale, notamment envers les Serbes.

Le cardinal Stepinac est largement détesté en Serbie, rappelle Marie-Janine Calic dans une interview à l’agence de presse catholique allemande KNA. Né en 1898, celui qui est devenu archevêque de Zagreb en 1937, a été accusé après la Deuxième guerre mondiale d’avoir collaboré avec le régime antisémite et antiserbe des Oustachis, dirigé par Ante Pavelic. Ce dernier, allié d’Hitler, avait décrété que les Serbes, les juifs et les Tziganes étaient des «races inférieures», les juifs devant porter l’étoile jaune et les orthodoxes, le brassard bleu. Les Oustachis ont assassiné des dizaines de milliers de Serbes, de juifs et de Tziganes dans divers camps de concentration croates, notamment à Jasenovac.

Héros ou collabo?

Quelle attitude a eu l’ancien archevêque de Zagreb face à ces crimes? La question suscite depuis des décennies une virulente controverse entre ses détracteurs et ses partisans. Le pape Jean Paul II avait pris son parti, en le béatifiant, en octobre 1998, au sanctuaire de Marija Bistrica, au nord de la Croatie.

Lors de sa visite pastorale en Croatie en juin 2011, Benoît XVI avait évoqué la vie «héroïque» du cardinal Stepinac. Le 5 juin 2011, dans la cathédrale de Zagreb, le pape allemand avait assuré que le bienheureux avait su, au contraire, «résister à tout totalitarisme», devenant le défenseur des juifs, des orthodoxes et de tous les persécutés» sous la dictature fasciste, et un «martyr» sous le régime communiste.

Tombeau du cardinal croate Alojzije Stepinac dans la cathédrale de Zagreb | © Jacques Berset

Les évêques croates n’ont, pour leur part, cessé de demander la canonisation du cardinal, qualifié de «trésor non seulement pour l’Eglise catholique mais, plus largement, pour toute la Croatie et pour le monde».

Pour Marie-Janine Calic, le cardinal n’était certes pas un fasciste ni un partisan convaincu du régime oustachi. Elle souligne cependant qu’il n’existe pas de preuve qu’il ait élevé la voix contre l’extermination planifiée des juifs et d’autres groupes ethniques. Il est établi, quoiqu’il en soit, qu’il ne s’est jamais distancié publiquement du régime oustachi. L’historienne munichoise qualifie le silence du prélat de «particulièrement grave», notamment au vu de la conversion forcée d’environ 250’000 Serbes orthodoxes au catholicisme, pendant la guerre. «Il était au courant de tout cela, mais il s’est complètement dérobé à sa responsabilité», affirme Marie-Janine Calic.

Une affaire toujours en cours

Le pape François s’est révélé plus prudent que ses prédécesseurs face aux demandes de canonisation. En 2015, suspendant la procédure, il a lancé une commission scientifique internationale mixte catholique-orthodoxe pour établir la vérité historique sur le comportement d’Alojzije Stepinac. En juillet 2017 au Vatican, la commission soulignait que divers événements, interventions, écrits, silences et prises de positions «font toujours l’objet d’interprétations diverses» et que les positions des deux côtés restent divergentes.

L’affaire n’est aujourd’hui toujours pas réglée. Fin septembre 2020, le cardinal secrétaire d’État du Vatican Pietro Parolin a lancé un appel à la patience. Il a insisté sur le fait que, malgré toute la compréhension pour le souhait justifié de l’Eglise croate, il était important pour le pape qu’une telle étape de canonisation soit un «moment d’unité de toute l’Eglise» et ne conduise pas à de nouveaux conflits et disputes.

Un avis partagé par Marie-Janine Calic, qui considère qu’une canonisation «pourrait causer une grande frustration pour ceux qui tentent d’apaiser les relations entre Serbes et Croates». (cath.ch/kna/arch/rz)

Alojzije Stepinac, archevêque de Zagreb de 1937 à 1960 (Photo; domaine public)
7 décembre 2020 | 14:58
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 2 min.
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