Pédophilie: La police à l'archevêché de Lyon

Une perquisition a eu lieu le 30 mars 2016 dans les locaux de l’archevêché à Lyon, dans le cadre d’une plainte pour «non dénonciation» de faits de pédophilie contre le cardinal Barbarin, à la tête du diocèse.

L’intervention de police survient suite à une enquête ouverte parallèlement à la mise en examen, fin janvier, du Père Bernard Preynat, pour des abus sexuels commis entre 1981 et 1991 sur de jeunes scouts, note la presse française. Cette seconde enquête préliminaire a été ouverte après le signalement au parquet, en février, de faits de pédophilie anciens d’un autre prêtre du diocèse. Le signalement émanerait d’une ancienne victime, exerçant aujourd’hui une fonction importante au ministère de l’Intérieur.

Faits déclarés non-prescrits

Les faits de pédophilie reprochés au Père Preynat ont été déclarés non-prescrits par le juge d’instruction, permettant à la procédure judiciaire de se poursuivre, ont indiqué le 28 mars des sources proches du dossier.

La défense du Père Preynat avait saisi le magistrat en arguant qu’à l’époque des cas retenus par la justice, de 1986 à 1991, le délai de prescription était de trois ans pour les faits d’agressions sexuelles sur mineur reprochés au religieux. Il aurait donc fallu que les victimes portent plainte au plus tard avant fin 1994. Mais la législation a été modifiée depuis pour rallonger le délai de prescription: elle permet aujourd’hui aux victimes d’agir en justice jusqu’à l’âge de 38 ans. D’où un débat juridique ces dernières semaines sur la validité des quatre plaintes retenues contre le prêtre lors de sa mise en examen.

Le diocèse prêt à coopérer

Le diocèse confirme, sur son site internet, avoir remis des documents aux enquêteurs. «Le cardinal Philippe Barbarin a exprimé à de nombreuses reprises sa volonté de coopérer en toute transparence avec la justice: il se tient à sa disposition avec confiance», assure également le diocèse, suite à la perquisition. Le primat des Gaules «renouvelle le vœu que la Justice puisse agir dans la sérénité indispensable à la manifestation de la vérité et à l’apaisement de la souffrance des victimes».

Lors de la messe chrismale du 23 mars, le cardinal Barbarin avait demandé pardon aux victimes des actes pédophiles. Il a également reçu plusieurs familles de victimes.


Que s’est-il réellement passé?

Certaines des victimes ont porté plainte contre des responsables religieux du diocèse, dont l’archevêque de Lyon, accusant la hiérarchie de ne pas avoir informé la justice des agissements passés du Père Preynat.

Dans son blog Koztoujours, l’avocat Erwan Le Mordehec fait un retour sur les faits reprochés à Mgr Barbarin et analyse soigneusement ce qui lui est reproché:

Le dernier fait de pédophilie connu, commis par le Père Preynat, est intervenu en 1991. Mgr Barbarin est nommé archevêque de Lyon onze ans plus tard, en 2002. Informé par la rumeur publique en 2007/2008, il s’entretient avec le Père Preynat, soit 16 à 17 ans après les faits. Au cours de cet entretien, le Père Preynat reconnaît une nouvelle fois son passé et assure qu’aucun autre acte n’a plus été commis depuis.

Mgr Barbarin est contacté en juillet 2014, soit 23 ans après les faits, par une victime ayant constaté que le prêtre était toujours en fonction alors qu’elle pensait qu’il avait été mis à l’écart. La décision est prise en 2015 de retirer le Père Preynat de sa paroisse. Elle est effective à l’été 2015.

Au regard de ces faits, Mgr Barbarin n’a pas «couvert des cas de pédophilie», ni déplacé un prêtre d’une paroisse à une autre, remarque Erwan Le Mordehec.

Lorsque Mgr Barbarin arrive à Lyon, cela fait 11 ans que le Père Preynat a été déplacé. Lorsqu’il est informé de sa réputation, cela fait 16 ans qu’il est de nouveau en paroisse. Aucun acte nouveau n’a été signalé.

Des faits largement connus dans la population

L’avocat français doute ainsi que la plainte lancée contre l’archevêque pour non-dénonciation soit promise à un quelconque avenir judiciaire, «pour des raisons proches de celles évoquées ici et, accessoirement, parce qu’au final on reprocherait au cardinal de ne pas avoir dénoncé des actes qui ne pouvaient déjà plus être poursuivis quand il les a appris, puisque vraisemblablement prescrits, au moins pour la plupart d’entre eux. Sans compter l’argument avancé par certains, selon lequel ces faits étaient très largement et mieux connus par la population lyonnaise (que par le cardinal, ndlr.) depuis 1991, sans que quiconque n’ait songé à les dénoncer».

La question qui demeure est celle du maintien en paroisse du Père Preynat à partir de 2007, note Erwan Le Mordehec. «Mais ce n’est pas pour cela qu’il est poursuivi», souligne-t-il. L’avocat révèle ainsi un certain nombre d’éléments plaidant en faveur du cardinal, issus d’informations qui lui ont été communiquées. Lorsque Mgr Barbarin laisse le Père Preynat en paroisse, alors qu’il n’existe aucune plainte contre lui, en 2007/2008, le primat des Gaules consulte néanmoins un spécialiste pour évaluer le risque de récidive, s’assurant qu’aucun fait nouveau n’ait surgi durant les 16 dernières années. Il arrange en outre la supervision d’un autre prêtre dans la même paroisse pour éviter que le Père Preynat soit au contact d’enfants.

Fausse journaliste

Le blogueur rappelle en outre que le cardinal a personnellement donné l’impulsion «d’une politique de vérité et de transparence» dans plusieurs communautés religieuses.

Il relève également qu’en 2010, une journaliste, se faisant passer pour une victime d’abus sexuels, a rencontré le prélat à la basilique de Fourvière. Ce dernier lui a immédiatement conseillé de porter plainte, ne serait-ce que pour sa propre reconstruction. A la question de savoir si elle devait «se taire pour ne pas faire de mal à l’Eglise», Mgr Barbarin a répondu par la négative à la fausse victime, en ajoutant: «tant pis si c’est une honte supplémentaire pour l’Eglise!» Le portrait d’un prélat qui négligerait ces affaires, anxieux de la réputation de l’institution, ne tient pas, note Erwan Le Mordehec.

Et l’avocat de conclure: «Mgr Barbarin a pris un risque. On peut répondre que le plus infime risque ne peut être couru. On peut répondre aussi qu’en près de 20 ans, un homme peut changer et qu’à ce jour, aucun nouvel acte n’a été révélé malgré la publicité de cette affaire et plusieurs mois d’enquête. Dans le cas contraire, son appréciation en serait évidemment bouleversée. En tout état de cause, cette affaire est suffisamment sérieuse pour que son périmètre ne soit pas abusivement étendu». (cath.ch-apic/ag/rz)

 

31 mars 2016 | 10:31
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!