Mgr Carlo Maria Vigano, nonce à Washington entre 2011 et 2016 | © flickr/bostoncatholic/cc
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Quel crédit accorder aux accusations de Mgr Viganò?

Le pape François a expliqué le 26 août 2018 qu’il ne dirait «pas un mot» au sujet des accusations formulées par Mgr Carlo Maria Viganò à son encontre. Il a invité les journalistes à formuler leur «propre jugement». L’archevêque conservateur reproche au pape d’avoir sciemment ignoré des avertissements sur le comportement sexuel prédateur du cardinal Theodore McCarrick.

Depuis cette déclaration dans l’avion de retour d’Irlande, plusieurs éléments d’explications sont apparus dans la presse. Petit tour d’horizon de ces accusations et des éléments venant les étayer ou les remettre en cause.

Un premier avertissement sous Jean Paul II

Selon Mgr Viganò, nonce aux Etats-Unis entre 2011 et 2016, la première accusation contre le cardinal Theodore McCarrick est arrivée au Vatican en 2000, juste après sa nomination à la tête de l’archidiocèse de Washington. Un prêtre aurait alors fait part de la rumeur affirmant que Mgr McCarrick «partageait son lit avec des séminaristes». En dépit de cette accusation, la nomination de Mgr McCarrick a été maintenue et il a reçu la barrette cardinalice en février 2001.

Dans son témoignage, Mgr Viganò accuse le cardinal Angelo Sodano, alors secrétaire d’Etat, d’avoir protégé le prélat américain. A l’époque, Jean Paul II était pourtant encore tout à fait lucide, ce qui n’a toutefois pas empêché de sérieuses erreurs de jugement – en particulier sur le Père Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ.

Mgr Viganò affirme avoir transmis en 2006 et 2008 deux notes d’avertissement au sujet du cardinal McCarrick, alors que lui-même était délégué pour les représentations pontificales au sein de la Secrétairerie d’Etat. Il s’agit alors d’accusations de sérieuse méconduite sexuelle avec des prêtres et des séminaristes, donc des personnes majeures mais sous son autorité.

Des sanctions secrètes

Quelques années plus tard, Mgr Viganò aurait appris que le pape Benoît XVI aurait pris des mesures en 2009 ou 2010 contre le cardinal McCarrick : quitter le séminaire où il vivait, ne plus célébrer la messe en public, ne plus participer à des événements publics, ne plus ni donner de conférence ni voyager et se dédier à une vie de prière et de pénitence. Le pape allemand aurait toutefois décidé de garder secrètes ces mesures contre un prélat déjà à la retraite et proche des 80 ans – et donc peu susceptible d’être électeur en cas de conclave.

En 2008, le cardinal McCarrick a effectivement quitté le séminaire où il résidait, pour se rendre dans un premier lieu au presbytère d’une paroisse. Selon l’agence Catholic News Agency, ce déménagement aurait été exigé par le nonce – alors Mgr Sambi – sur instruction du Souverain pontife. De même, l’archevêché de Washington a annulé en 2011 une rencontre entre le cardinal et les séminaristes, à la demande du nonce.

Des apparitions publiques du cardinal McCarrick à Rome et aux Etats-Unis

Toutefois, le cardinal McCarrick n’a pas cessé toutes ses activités. Selon le site Vatican insider, il a notamment participé à des cérémonies aux côtés de haut prélat de la Curie romaine. De même, il a au moins été reçu à trois reprises – certes pas en tête-à-tête – par Benoît XVI entre la date théorique des sanctions et la renonciation du pontife: le 16 janvier 2012, le 16 avril 2012 et le 28 février 2013. Il s’agit alors de la dernière rencontre entre Benoît XVI et les cardinaux. Le pape salue alors chacun avec un sourire – y compris le cardinal McCarrick.

Pourtant au courant des sanctions dont il affirme l’existence et censé faire appliquer les décisions du pape aux Etats-Unis, Mgr Viganò s’est notamment affiché auprès du cardinal McCarrick le 2 mai 2012, lors de la remise d’un prix à ce dernier. Nonce apostolique aux Etats-Unis, Mgr Viganò aurait pu demander une audience au chef de l’Eglise pour l’avertir de la non-application des sanctions. Toutefois, l’Eglise ne dispose pas de moyens coercitifs pour les mettre en pratique, et il est en effet plausible que le cardinal McCarrick soit passé outre.

Le cas du cardinal O’Brien

Il est cependant à noter que le 25 février 2013, soit trois jours avant son départ du pontificat, Benoît XVI a exigé la démission du cardinal Keith O’Brien, archevêque d’Edimbourg. Celui-ci avait été accusé de «comportements indécents» par trois prêtres et un ancien séminariste, des faits qui semblent similaires – voire moins graves – que ceux dont le pape aurait eu connaissance sur le cardinal McCarrick.

Le cardinal O’Brien, 74 ans, avait en outre décidé de ne pas participer au conclave. Cette possibilité de participation au conclave – ce que ne pouvait de toute façon pas le cardinal McCarrick, alors âgé de 82 ans – pourrait constituer une explication de cette différence de degrés de publicité des sanctions entre les deux prélats.

La nomination des évêques

Dans son témoignage, Mgr Viganò – alors toujours nonce aux Etats-Unis – affirme que le pape François l’a interrogé sur le cardinal McCarrick en juin 2013, peu après son élection. Le prélat diplomate lui aurait signifié l’existence d’un «épais» dossier à la Congrégation pour les évêques et aurait averti le pontife de l’existence de sanctions. Mgr Viganò ne précise néanmoins pas s’il a clairement détaillé au nouveau pontife les accusations portées contre l’ancien archevêque de Washington.

Au cours du même entretien de 2013, le pape argentin lui aurait dit que les évêques américains ne devaient pas être «idéologisés» mais être des «pasteurs». Selon Mgr Viganò, l’évêque de Rome aurait alors fait du cardinal McCarrick un «conseiller de confiance» pour les nominations épiscopales.

Selon Vatican insider, ces propos du pape François sur le profil des futurs évêques ne marquent toutefois pas une rupture. Le site vaticaniste rapporte en effet des propos de Miguel Diaz, ambassadeur des Etats-Unis près le Saint-Siège entre 2009 et 2012, c’est-à-dire sous le pontificat de Benoît XVI. Miguel Diaz affirme en effet que le nonce à Washington, alors Mgr Sambi, lui aurait déjà expliqué chercher des évêques «moins politiques et plus pastoraux».

La démission du Collège cardinalice

Les premières sanctions publiques contre le cardinal McCarrick ont été prises en juin dernier, avec la révélation d’une enquête sur un premier abus commis sur un jeune homme il y a plus de quarante ans. Un mois plus tard, d’autres accusations ont émergé et notamment celle d’un homme affirmant avoir été violé pendant plusieurs années par l’homme d’Eglise. Les faits auraient commencé alors qu’il était encore mineur. C’est la première fois que le nom du cardinal américain était lié à des abus commis sur une personne mineure.

Suite à ces nouvelles révélations, le Vatican a annoncé le 28 juillet que le pape François avait renforcé les sanctions contre le prêtre américain. Celui-ci avait alors remis sa démission du Collège cardinalice. (cath.ch/imedia/xln/bh)


Qui est Mgr Viganò?

Italien, né en 1941, Mgr Viganò était un membre du corps diplomatique du Saint-Siège jusqu’à son départ en retraite du Saint-Siège en 2016. Un temps délégué pour les représentations pontificales, il est nommé en 2009 secrétaire général du Gouvernorat de l’Etat de la Cité du Vatican. Fin 2011, il est nommé – contre son gré – nonce apostolique aux Etats-Unis.

Le nom de Mgr Viganò est lié au premier scandale Vatileaks, cette fuite dans la presse de documents officiels du Vatican. La toute première fuite – d’origine inconnue – intervient en janvier 2012 et concerne deux lettres de Mgr Viganò adressées à Benoît XVI. Le prélat y dénonce la gestion financière du Vatican, parle de corruption et affirme l’existence d’une cabale menée contre lui.

Quelques mois plus tard, en mai 2012, une troisième lettre figure dans les nouveaux documents révélés dans la presse. Mgr Viganò s’y plaint de sa nomination aux Etats-Unis alors qu’il veut, écrit-il, rester à Rome pour s’occuper de son frère gravement malade. Selon plusieurs sources, les deux frères étaient pourtant brouillés depuis plusieurs années.

Mgr Carlo Maria Vigano, nonce à Washington entre 2011 et 2016 | © flickr/bostoncatholic/cc
29 août 2018 | 11:01
par Bernard Hallet
Temps de lecture: env. 5 min.
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