Un journaliste et défenseur des droits de l’homme respecté

Rwanda: Décès de Mgr André Sibomana, personnalité indépendante sous tous les régimes

Kigali, 9 mars 1998 (APIC) Journaliste rwandais respecté et courageux défenseur des droits de l’homme connu au plan international, Mgr André Sibomana est mort lundi matin à l’âge de 43 ans. Il est décédé des suites d’une grave maladie de la peau, à l’aube, au presbytère de Gitarama, où il était soigné. Il était dans l’attente d’un passeport pour pouvoir se faire hospitaliser en Europe. L’abbé Sibomana était secrétaire de la Commission des moyens de communication sociale de la Conférence des évêques du Rwanda, à Kigali.

Mgr André Sibomana doit être enterré mardi 10 mars à Kabgayi, dans son diocèse, en présence des membres de la Conférence épiscopale rwandaise. Une délégation gouvernementale devrait aussi participer aux funérailles de cet ancien directeur du journal catholique «Kinyamateka», qui ne fermait pas les yeux sur les dérapages des nouvelles autorités de Kigali. Parce qu’il ne voulait pas être «un propagandiste de ce système» et que son journal «ne prodiguait pas des caresses envers le régime en place», les autorités de Kigali l’avaient dans le collimateur.

En tant que président de l’Association Rwandaise pour la défense des droits de la personne et des libertés publiques (ADL) – qui dénonçait tant les massacres commis par les opposants hutus infiltrés que par l’Armée patriotique rwandaise (APR) à majorité tutsie, l’abbé Sibomana était devenu une cible de choix pour des éléments de l’APR, les services de sécurité et les autorités. Le lieutenant-colonel Rwahama, l’un des principaux responsables du «Departement of Military Intelligence» (DMI) à Kigali, il y a quelques années, avait exigé l’arrestation de quatre prêtres, dont André Sibomana, sinon «la montagne s’abattra sur eux et personne ne saura ce qui s’est passé».

«Une grande perte pour l’Eglise et le Rwanda»

«C’est une grande perte pour le Rwanda et pour l’Eglise, car Mgr Sibomana était une personnalité très forte, de celles dont on a besoin dans les circonstances difficiles que nous vivons», a déclaré lundi à l’agence APIC un porte-parole de la Conférence épiscopale du Rwanda à Kigali. A la Conférence des évêques, on souligne notamment son engagement décidé pour le respect des droits de l’homme, sous tous les gouvernements. Après l’assassinat de sang froid par des soldats du FPR, en juin 1994, de trois évêques et de dix prêtres qu’ils étaient censés garder, le pape Jean Paul II l’avait nommé temporairement administrateur apostolique de Kabgayi.

La Direction du développement et de la coopération (DDC), au Département des Affaires étrangères, à Berne, salue elle aussi la «force morale» et l’intégrité d’un homme qui a su défendre les droits de l’homme tant sous le régime Habyarimana que sous le gouvernement actuel. Depuis des années, la DDC maintenait des contacts réguliers et amicaux avec André Sibomana, même si elle n’avait aucun lien formel avec l’abbé-journaliste. «Nous maintenons des contacts avec toutes les personnes de tous les bords éprises de liberté et engagées pour la défense des droits de l’homme. La disparition de Mgr Sibomana est une perte», a déclaré lundi à l’APIC un responsable de la DDC.

«Je me considère comme déjà mort»

Il y a un plus d’un an, l’abbé Sibomana, se sentait de plus en plus menacé; il recevait toujours davantage de menaces de mort et avait déjà échappé à des attentats. Il se confiait en ces termes à l’agence APIC: «Je me considère comme déjà mort; je suis toujours prêt, car au Rwanda tout le monde peut arrêter tout le monde. Les services qui devraient être officiellement chargés de la détention des suspects ne sont apparemment pas en mesure de tout contrôler… Personne n’est ici en sécurité».

A l’agence APIC qui l’interrogeait sur le fait que la revue française «Golias» l’avait mis sur une liste de «prêtres génocidaires», Mgr Sibomana répondait: «On connaît les méthodes de certains journaux rwandais dans le temps; les gens étaient affichés et quelques temps après ils étaient morts! Cette pratique n’a pas disparu du Rwanda…Me mettre à l’étranger sur une telle liste, c’est me désigner clairement comme cible.»

L’abbé Sibomana est finalement mort des suites de la maladie qui l’avait déjà gravement atteint en 1976, alors que lui-même s’attendait tous les jours à ce que «la montagne lui tombe sur la tête», c’est-à-dire qu’il tombe sous les balles de tireurs embusqués. Parce qu’il dérangeait tous ceux qui, à Kigali, dans le maquis ou en exil, ne croyaient pas à son combat pour la réconciliation et la liberté de la presse. Un combat qui avait été récompensé en 1994 par le Prix «Reporters sans Frontières» décerné par un jury de 36 journalistes français et étrangers.

Une formation de journaliste en France

Avant de prendre en 1988 la direction du plus ancien journal rwandais, «Kyniamateka» – qu’il avait quittée l’an dernier – , l’abbé Sibomana fut nommé par son évêque d’alors, le Valaisan André Perraudin, curé dans sa paroisse d’origine Muyunzwe (diocèse de Kabgayi), charge qu’il occupa de 1981 à 1986. Ses talents de journaliste, il les affûtera à la «Catho» de Lyon, où l’enverra Mgr Perraudin pour suivre durant deux ans des cours de communication sociale, et lors d’un stage dans l’hebdomadaire diocésain «La Vie Nouvelle» à Chambéry (Savoie). (apic/be)

19 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 4 min.
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