Zoug: 100 ans de l'ACSP: quel avenir pour la presse catholique en Suisse?

A-t-on encore besoin d’une presse catholique aujourd’hui? Telle a été la question au cœur du jubilé du centenaire de l’Association catholique suisse pour la presse (ACSP) célébré le 9 septembre 2017 sur le lac de Zoug. La devise latine «fluctuat nec mergitur«- ballottée par les flots, elle ne sombre pas – rappelée par les orateurs du jour était une parfaite illustration de la situation actuelle.

La centaine d’invités présents sur le bateau Rigi n’a guère pu profiter des paysages enchanteurs du lac de Suisse centrale, tant le ciel était plombé et la pluie tenace. Mais l’ambiance à bord, autour des tables et en musique, était à la bonne humeur. En cent ans, la presse catholique suisse a connu des hauts et des bas. Le président de l’association, Markus Vögtlin, s’est plu à rappeler la fameuse devise latine de la ville de Paris «fluctuat nec mergitur» – battue par les flots, elle ne sombre pas – . Cet anniversaire a été l’occasion d’évoquer les glorieuses heures du passé, de rappeler quelques-unes des hautes figures de cette histoire, mais surtout de tourner son regard vers l’horizon.

Se concentrer sur l’essentiel

Pour Gerhard Pfister, président du Parti démocrate chrétien (PDC) Suisse et invité de la journée, les mots catholique et presse représentent deux réalités qui ne semblent pas avoir un grand avenir, en Suisse et en Europe au moins. L’Eglise doit faire face à une désaffection constante de ses fidèles et la presse n’a pas encore trouvé de modèle d’affaires stable face à la révolution numérique. G. Pfister prédit la disparition de la presse imprimée quotidienne d’ici une vingtaine d’années.

Pour dépasser cette double négativité, le conseiller national invite à se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire à développer une offre spécifique. Sur un marché concurrentiel, les catholiques doivent répondre à la quête de sens et de valeurs des contemporains. L’heure n’est plus à un moralisme, plutôt de droite, mais au rappel de la dimension transcendante de la vie.

D’autre part, le rôle du journaliste n’est probablement plus aujourd’hui de simplement relater, mais d’ordonner, de hiérarchiser, d’expliquer le pourquoi. En ce sens l’évolution du numérique doit être saisie comme une chance.

Pour le président du Parti démocrate-chrétien, le christianisme reste pertinent aussi dans le domaine politique, car le système social suisse se fonde sur ses valeurs et son histoire. La Bible n’offre pas de recettes toutes faites pour régler les problèmes de la migration ou les questions fiscales, mais elle représente un ancrage essentiel pour notre identité.

Martin Pfister, Conseiller d’Etat du canton de Zoug, a lui aussi souhaité une Eglise plus présente dans la société. «Votre travail à aussi une dimension politique», a-t-il lancé aux journalistes catholiques.  Il y a cent ans, le catholicisme et la religion imprégnaient fortement l’ensemble de la société. Aujourd’hui dans une société sécularisée, nous avons besoin d’espaces de débat et de discussion. C’est pourquoi le but de l’ACSP de rendre présente l’Eglise dans la société et les médias reste d’actualité.

Porter la Bonne Nouvelle aux pauvres

Le Père Willi Anderau, qui remplaçait l’évêque des médias, Mgr Alain de Raemy, malade, a repris dans une brève méditation, le passage de l’évangile de Luc où Jésus lit: «L’esprit du Seigneur … m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération … remettre en liberté les opprimés.» Cette parole d’il y a 2000 ans, comment résonne-t-elle aujourd’hui pour les journalistes catholiques? Justice, bienveillance, réconciliation pour rendre le monde plus humain et participer ainsi à l’avènement du Royaume de Dieu doivent être les valeurs qui sous-tendent leur travail, a souligné le capucin.

Le pape fait son métier

«Le pape fait son métier, nous faisons le nôtre», a relevé André Kolly, président de Cath-Info. Le journaliste catholique n’a pas pour fonction de prêcher. Ce qui ne l’empêche pas de dire les choses en profondeur, surtout à travers les témoignages de personnes qui vivent leur foi. Ce qui est de l’ordre du témoignage et de l’expression d’une conviction profonde touche beaucoup plus les gens que l’idéologie, ou la doctrine.

Mais aujourd’hui, le métier même de journaliste est menacé par le développement d’armées de communicants (très souvent d’anciens journalistes) qui mettent clairement en danger la diversité de la presse. «Mon souci est de protéger le métier de journaliste.»

Tolérance n’est pas indifférence

Pour Beatrix Ledergerber, rédactrice de Forum, le bulletin des paroisses du canton de Zurich, le danger est que la tolérance généralisée actuelle se confonde avec l’indifférence. L’interpellation doit être constante, non pas dans le sens de leçons de morale, mais dans celui d’un appel au dialogue pour chercher ensemble des solutions. La Bible et le christianisme peuvent nous apprendre comment et sur quelles bases mener le débat. Les jeunes n’ont pas forcément une mauvaise image de l’Eglise, mais le plus souvent pas d’image du tout. Le défi de l’ignorance, que l’on retrouve aussi chez les jeunes journalistes, est immense.

Un travail critique d’éducation aux médias est plus nécessaire que jamais, souligne André Kolly, président du comité de Cath-Info. Comment appréhender les algorithmes des géants d’internet et des réseaux sociaux qui déterminent quelles informations vous consommez? Pour lui, être à la merci de «20 minutes» est dramatique. Respect de la vérité, droits humains, œcuménisme, ouverture, doivent rester les valeurs fondamentales pour les médias catholiques.

100 ans d’histoire dans un livre commémoratif

Fondé il y a 100 ans le Schweizericher katholischer Presseverein (SKPV) ou Ligue catholique suisse pour la presse  avait pour but de faire entendre la voix catholique dans la société et les médias. Même si le secrétariat est basé à Fribourg, formellement Zoug est toujours le siège de l’association. Raison qui a justifié la balade nautique organisée sur le lac de Zoug pour marquer le centenaire. Cet anniversaire sera aussi marqué par la publication d’un livre commémoratif qui retrace cent ans d’histoire du Presseverein. Ce livre évoque également la naissance en 1917 à Olten de l’agence de presse KIPA-APIC dont sont aujourd’hui héritiers les centres catholiques des médias, le Katholisches Medienzentrum et Cath-Info. (cath.ch/mp)

Zoug 100 ans de l'Association catholique suisse pour la presse Markus Vögtlin, président de l'ACSP
10 septembre 2017 | 16:24
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!