Homélie du 12 janvier 2020 (Mt 3,13-17)

Fr. Marc de Pothuau, cistercien, Abbaye d’Hauterive, Posieux

« Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. » Alors Jean le laisse faire.

« Laisser faire », cela sonne un peu comme le « lâcher prise », heureusement à la mode. Mais ici laisse faire signifie : « Vas-y. Baptise-moi ! » Avec Pierre, va comme se rejouer la même scène, mais à l’envers le soir du jeudi saint. Toi, me laver les pieds ? Jamais ! (Jn 13,6) Pierre devra bien se laisser faire, lui, alors qu’ici Jean doit plonger Jésus dans l’eau du Jourdain. Mais comme Pierre, Jean a l’impression que Jésus inverse les rôles. Et effectivement Jésus aime brouiller les cartes : que les premiers deviennent derniers, que le maître se fasse serviteur et que le serviteur soit servi, le puissant abaissé et l’humble élevé, et finalement Dieu humanisé et l’homme divinisé. Jean-Baptiste doit devancer Jésus et Pierre le suivre, mais tous deux ont avant tout à le rencontrer, c’est-à-dire à vivre avec lui une relation bouleversant jusqu’à leur identité profonde. Tu me devances et me poursuis, tu m’enserres, tu as mis la main sur moi. Savoir prodigieux qui me dépasse (Ps 138, 5-6) , s’exclame le psalmiste.

Jésus nous libère de nos masques

Jean et Jésus sont perpétuellement confondus : on prend Jean pour le Messie et Jésus pour le Baptiste. Quant à Simon, Jésus le nommera Pierre pour l’unir à lui-même qui est le roc et lui confier ses propres brebis. Jésus aime brouiller les cartes parce qu’il vient d’au-delà de nos repères pour nous libérer de nos masques. Quand il apparaît, devient visible notre être profond : le JE SUIS éternel révélé dans le buisson ardent ; le JE SUIS descendu dans notre chair pour nous faire naître à Dieu.

Laisse faire : « Vas-y. Plonge-moi ! » Cette immersion est un geste plein de significations. Rappel de la pâque d’Israël que Moïse fait passer par la mer rouge. Immersion : c’est-à-dire plongée puis remontée de profondeurs inaccessibles. Concrètement, l’homme baptisé disparait dans l’eau qui se referme sur lui. Puis l’eau s’ouvre et l’homme en surgit. Il reprend souffle profondément. Naissance, délivrance, résurrection ! Avec sa bouche, ses poumons s’ouvrent et ici, les cieux aussi. Il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie. »

Jésus : point de rencontre


Jésus respire, et l’Esprit descend sur lui – l’Esprit, entendez : le Souffle saint. Jésus respire et au ciel le Père avec lui. Le Souffle circule enfin entre ciel et terre, un Souffle d’amour et de joie. Jésus est le point de rencontre, le lieu où les frontières tombent et où les liens se nouent. Les profondeurs inaccessibles et le plus haut des cieux, l’homme et Dieu, le péché et la sainteté. Par son baptême Jésus pénètre le destin de son peuple et annonce déjà sa Pâque : sa vie va trouer la mort de part en part, sa sainteté va engloutir le péché. Il est l’alliance, comme l’annonçait le prophète Isaïe. Je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations : tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et, de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres.
Quand Jésus respire : les cieux sont ouverts, ouverts les yeux des aveugles, ouvertes les prisons des captifs. Tout change par le seul fait qu’il est là. Mais pour cela il avait besoin que Jean laisse faire, c’est-à-dire qu’il remplisse sa mission. Il existe une manière d’agir qui consiste à manifester Celui qui est là, le JE SUIS qui respire dans un ciel ouvert.

Laisser faire…


Quant à notre baptême à nous, il est l’immersion réciproque dans la Pâque de Jésus. Jésus s’immerge dans nos vies et morts par son baptême. Par le nôtre, nous nous immergeons en lui, dans sa Pâque. Vivre, c’est le Christ (Ph 1,21), dira saint Paul pour exprimer ce mystère qui est bien plus qu’un jeu de rôles, mais bien la libération de notre identité.
Remplir notre mission de baptisé consiste alors à laisser faire comme Jean. C’est bel et bien un agir mais qui n’a rien à voir avec notre agitation habituelle, avec cette anxiété de devoir remplacer un absent. Nous ne devons pas remplacer Dieu ni même le rendre présent, mais permettre sa présence d’apparaître au monde. Le JE SUIS éternel révélé à Moïse, n’a pas à être rendu présent mais visible, pour que les hommes lui soient présents ; tangible, pour que les hommes lui soient reconnaissants. Il est en effet tendresse, amour infini éternellement offert.

Être baptisé, c’est donc vivre le Christ pour les hommes. Se tenir là pour témoigner sur la scène du perceptible de ce qui surgit des profondeurs, pour correspondre à ce qui descend des cieux, témoigner de la joyeuse tendresse de Dieu qui nous devance et nous enserre. Être baptisé, c’est devenir soi-même alliance, cette ouverture mystérieuse, ce lieu où Dieu et l’homme se rencontrent et respirent ensemble, où ils jouent et s’amusent à inverser leurs rôles pour s’étreindre et ne faire plus qu’un.

Le baptême du Seigneur
Lectures bibliques : Isaïe 42, 1-4.6-7; Psaume 28, 1-2, 3ac-4, 3b.9c-10; Actes 10, 34-38; Matthieu 3, 13-17

Homélie du 5 janvier 2020 (Mt 2, 1-12)

Abbé Claude Pauli – Café du Col de Torrent, Villa, Evolène, VS

Mes frères et mes sœurs bien-aimés,
Même s’ils captivent l’imaginaire des enfants, ces mages venus d’orient,  viennent en ce jour solennel éclairer notre vie et notre foi d’une lumière nouvelle.
Après avoir fait un si long voyage, guidés par une étoile, les voilà tombant au pied de l’enfant Jésus et l’évangile de préciser qu’ils se réjouirent d’une très grande joie.

A l’instar de toutes les personnes présentes autour de Jésus, ils se sont mis en route non pas touchés par une révélation divine manifestée par un message angélique mais en suivant un astre qui les a guidés jusqu’à l’endroit où se trouvait l’enfant.

L’universalité du salut

La longue marche qu’ils ont accomplie à la lumière de la raison humaine et en s’appuyant sur leur connaissance du monde nous montre que l’acte de foi n’est pas opposé à la raison lorsqu’elle se passionne pour la vérité. Ils passent par Jérusalem parce qu’ils cherchent le roi des juifs. Ils ont recours à la connaissance des Écritures qu’ils n’ont pas eux-mêmes. Voilà ce que Dieu veut nous faire comprendre dans cette merveilleuse page d’évangile : l’homme de bonne volonté fidèle à sa conscience et guidé par son intelligence peut être conduit vers Dieu parce que, frères et soeurs, Dieu a créé l’homme à son image et cette image de Dieu qui repose en lui ne le rend pas seulement capable de rencontrer Dieu  mais désireux de le rencontrer. L’universalité du salut est manifestée en ce jour de l’épiphanie et confirmée par Paul dans la 2ème lecture : « Dans le Christ, les païens sont associés au même héritage,  au même corps et à la même promesse. » Cette universalité  nous invite à être solidaire d’une mondialisation divine !

Une joie qui met dans une béatitude indescriptible

L’évangile nous livre encore un autre secret qui doit être pour chacun de nous motivant. Lorsqu’ils ont trouvé l’Enfant Roi, les mages se réjouirent d’une grande joie. Ce pléonasme volontaire ne signifie pas simplement la joie de la fin de leur voyage.

C’est la joie de l’homme qui découvre Dieu en ayant pré-senti quelque chose au plus profond de son être. Vous savez ce genre d’état qui nous met dans une béatitude indescriptible.

C’est la joie du chrétien qui découvre la Parole de Dieu et qui comme Marie la médite dans son coeur.

Ils sont nombreux, frères et soeurs, nos contemporains qui ne se laissant pas envahir par une routine étouffante et à long terme guère épanouissante, comme les mages ont accepté que leur coeur soit provoqué par des questions qui en définitive cherchent une solution à une seule inquiétude profonde : Que dois-je devenir?  Mieux encore : Qui dois-je devenir ?

Trouveront-ils en nous des êtres habités par cette joie, respectueux et  désireux de découvrir en eux le visage même de Dieu, capables de les aider dans leurs recherches en sachant d’abord ECOUTER leurs attentes avant de vouloir y répondre ?

L’étoile n’a rien dit, elle n’a fait que désigner le lieu de la rencontre….

Tirer les rois !

Permettez moi de poursuivre cette  méditation avec une touche d’humour.

Ces jours, pour la plus grande joie des commerçants qui jubilent devant ce massacre culinaire : nous allons tirer les rois !

Etrange expression qui heureusement n’a rien à voir avec la solennité de ce jour puisque les mages n’étaient en aucun cas des rois. A ce petit jeu païen la chance ou le hasard mais en aucun cas la providence veut que l’un des convives ayant la perle rare dans sa tranche de gâteau ou de frangipane soit couronné ! Quelle supercherie ! Pourtant je me plais à penser que l’on peut faire de cette dégustation une démarche spirituelle si nous revenons au message de l’évangile :

La couronne que nous recevrons

La couronne, nous la tirerons pas, nous la recevrons peut être un jour et cela par pure grâce divine.

Elle sera la récompense pour avoir, en étant humble dans notre quotidien, su nous mettre à genoux devant le Christ en l’ayant aimé et servi, nourris de ses sacrements.
Elle sera la récompense pour toutes les couronnes d’épines que nous aurons portées avec courage à sa suite.
En cette fête de l’Epiphanie elle sera la récompense pour notre charité universelle qui nous impose à voir en tout étranger venu chez nous, par choix ou par survie, un enfant de Dieu.

Oui cette récompense sera le fruit d’une vie nourrie par l’Écriture Sainte ouvrant nos yeux aux innombrables signes de la présence de Dieu

Frères et sœurs bien-aimés, toi mon ami à l’hôpital, au home, dans ta voiture, en voyage ou chez toi,  quelque soit ton orientation religieuse, ton origine, la couleur de ta peau : MERCI d’être là ! Ne te sens pas seul : ce qui est beau ce matin, c’est qu’à genou devant la crèche avec nous, quelque soit ton parcours de vie et de foi, Dieu seul peut en mesurer toute la valeur qui ne peut être à ses yeux qu’amplifiée, parce qu’Il t’aime.

Sois sûr de cela et repars toi aussi par un autre chemin, celui d’une confiance renouvelée qui te permettra d’éviter les Hérodes d’aujourd’hui, ceux là même qui veulent nous faire croire que Dieu est mort et donc que le visage de  l’Enfant Dieu qui est en chacun de nous  n’existe pas.

Face à ces tristes sires, en ce jour de fête, il n’est de plus bel hommage que celui de vouloir être un mage !  Mon frère, ma soeur en humanité de partout et pour toujours, puisses-tu désirer avec moi que Dieu couronne notre Foi dont la quête amoureuse, à l’instar de celle des mages, n’aura de fin qu’au jour de la rencontre avec le Christ Sauveur. AMEN.

SOLENNITÉ DE L’ÉPIPHANIE
Lectures bibliques :
Isaïe 60, 1-6; Psaume 71, 1-2, 7-8, 10-11, 12-13; Ephésiens 3, 2-3a.5-6; Matthieu 2, 1-12


Homélie du 29 décembre 2019 (Mt 2, 13 – 15.19 – 23)

Abbé Wolfgang Birrer – Basilique Notre-Dame, Lausanne

« Prends l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte » dit l’ange à saint Joseph. Aujourd’hui, c’est le descendant du roi David, saint Joseph, qui va nous aider à grandir dans notre lien à Jésus. 

Un adage dit : « Qui se ressemble, s’assemble ». Il pourrait être appliqué à saint Joseph : comme son épouse, c’est un silencieux et un écoutant. Saint Joseph est le modèle de celui qui, silencieux, écoute Dieu par ses messagers les anges. La sainte Vierge est elle aussi d’abord une femme du silence et d’écoute : écoute notamment de l’ange Gabriel et des bergers lors de la Nativité, écoute aussi de son Fils Jésus. De même pour Jésus : lui aussi, les évangiles nous Le montreront comme se retirant très régulièrement seul, dans le silence, en étant sans cesse à l’écoute du Père.

Un climat de silence habité

Saint Joseph comme Notre-Dame sont pour nous des modèles de croyants qui d’abord écoutent Dieu, dans un climat de silence, un silence habité. Puis ils agissent en fonction de la Parole de Dieu qu’ils ont reçue. Dans notre évangile, l’écoute de saint Joseph le conduit à poser des actions courageuses. Il faut du courage pour fuir et s’installer pour une période prolongée dans un pays étranger. Il faut aussi du courage pour revenir et recommencer à neuf, une deuxième fois en relativement peu de temps, par sa réinstallation dans sa région d’origine.

La persévérance de Joseph : un exemple

Aujourd’hui, à notre tour, dans notre vie à la suite de Jésus, nous pouvons nous inspirer de l’exemple de saint Joseph et de la Sainte Famille. En écoutant d’abord la Parole de Dieu de ce dimanche, nous sommes encouragés à agir : dans la 1ère lecture, c’est honorer nos parents, ce qui est l’œuvre – dans la mesure du possible – de toute notre vie. Quant à la 2ème lecture, notre écoute nous conduit à agir à la manière du Christ dans nos relations les uns avec les autres, au sein de nos familles humaines et dans nos liens entre chrétiens – ce qui est aussi l’œuvre de toute une vie. Être persévérants et endurants dans cette dynamique demande parfois beaucoup de courage, selon la diversité des réalités et situations vécues. L’exemple de persévérance de saint Joseph peut nous inspirer et nous soutenir.

Un plus de vie

Être à l’écoute, dans un climat d’un silence habité, à l’exemple de saint Joseph, cela engendre un « plus » de vie. Pour la Sainte Famille, cela a été la vie sauve en exil ainsi que sa subsistance au quotidien, tant durant l’exil en Egypte qu’à son retour pour de nombreuses années à Nazareth.

Pour nous, le silence et l’écoute peuvent aussi servir à un « plus » de vie à plus d’un titre. C’était la conviction du pape saint Paul VI, dans son homélie si actuelle donnée à Nazareth le 5 janvier 1964 : « Que renaisse en nous l’estime du silence, cette admirable et indispensable condition de l’esprit, en nous qui sommes assaillis par tant de clameurs, de fracas et de cris dans notre vie moderne, bruyante et hypersensibilisée. O silence de Nazareth, enseigne-nous le recueillement, l’intériorité, la disposition à écouter les bonnes inspirations et les paroles des vrais maîtres ; enseigne-nous le besoin et la valeur des préparations, de l’étude, de la méditation, de la vie personnelle et intérieure, de la prière que Dieu seul voit dans le secret ».

C’est dans un climat d’un silence habité et actif que la Sainte Famille a vécu. Cette réalité peut nous inspirer encore aujourd’hui.

Humilité et vulnérabilité de Dieu

Enfin, cette fête liturgique nous ouvre aussi une fenêtre sur l’humilité de Dieu. C’est saint Joseph, un simple homme, qui « sauve » Dieu, le Christ, en mettant l’Enfant-Jésus à l’abri. Dieu accepte de se remettre en ses mains pour être mis à l’abri. Nous croyons en un Dieu infiniment humble : humble et vulnérable dans sa naissance, dans son exil, dans sa dépendance envers Joseph et Marie. Aujourd’hui encore, le Christ se remet en nos mains en laissant à l’Eglise le don extraordinaire de la sainte Eucharistie. Il est là, présent, avec la même dépendance, humilité et vulnérabilité que jadis, confié aux soins de Joseph et Marie.

Que le Christ, dans le don de la sainte Communion, nous donne de vivre quelque chose de l’intériorité active de saint Joseph : nous Lui redisons ce qui nous tient à cœur et nous nous laissons combler par le Christ présent, vivant et agissant dans sa sainte Eucharistie. Aujourd’hui encore, le Christ se remet en nos mains. Dans sa sainte Communion, Il se fait lui-même notre nourriture et notre soutien.

Merci Seigneur, de rester proche de nous et présent à nous, comme tu le fus jadis avec Joseph et Marie. Amen.

FÊTE DE LA SAINTE FAMILLE
Lectures bibliques :
Siracide 3, 2 – 6.12 – 14 ; Psaume 127 ; Colossiens 3, 12 – 21 ; Matthieu 2, 13 – 15.19 – 23