


Homélie du 7 juillet 2019 (Lc 10,1-12.17-29)
Abbé François-Xavier Amherdt – Communauté des Sœurs de St-Maurice, La Pelouse, Bex
Femmes et hommes égaux pour la mission
Dieu est une femme
Parmi les slogans qui ont fleuri le 14 juin dernier, lors de la tonitruante grève des femmes de notre pays, les manifestantes auraient pu ajouter celui-ci : « Dieu est femme, Dieu est mère, toutes et tous missionnaires ! »
L’Association biblique catholique de Suisse romande, l’ABC, qui vivait cette semaine sa session sur la colline de la Pelouse, ne pratique normalement pas la grève, même pour de légitimes revendications. Mais ses membres, animatrices et animateurs, dont la majorité sont des femmes, apprécient les flashes et images bibliques féminines fortes, comme celle issue de la vision du 3e Isaïe : « Vous serez choyés sur les genoux de Jérusalem. Comme une mère je vous consolerai. »
Nombreuses sont les représentations de Dieu en tant que femme et mère, dès l’Ancien Testament. Non seulement le Seigneur a des entrailles de miséricorde, l’hébreu dit rahamin, des matrices de miséricorde où s’enfantent la vie et la tendresse dont il nous comble toutes et tous. Mais il a des hanches hospitalières, des genoux consolateurs et des seins généreux. Comme des enfants, promet le prophète, vous serez nourris du lait de Dieu, portés sur sa hanche, vous serez chouchoutés sur ses genoux, comme un petit que sa mère cajole.
Dieu est Mère autant que Père, les deux mains du tableau du père prodigue de Rembrandt, l’une masculine et virile, l’autre féminine et fine, nous le rappellent mieux que tout propos.
Le Christ épouse l’Église comme le bien-aimé aime sa bien-aimée, dans le Cantique. Les métaphores qui représentent le peuple de Dieu dans les deux Testaments sont éminemment féminines. Non seulement l’Église est unie au Christ son époux, mais Jérusalem, ville de la paix, lieu de rassemblement des peuples et gloire d’Israël, est présentée comme la femme du sein duquel s’écoulent la joie et la consolation.
Et c’est vrai que la lecture de la Parole nous pousse irrésistiblement vers la Jérusalem céleste de l’Apocalypse, tel un fleuve ou un torrent abondant, lorsque la splendeur du Seigneur débordera sur l’ensemble des peuples.
« Dieu est femme, Dieu est mère, toutes et tous missionnaires ! »
Toutes et tous disciples missionnaires
De cette joie de l’Écriture et de l’Évangile, nous sommes toutes et tous porteurs. Nous savons que les 12 apôtres étaient des hommes. Mais les 72 disciples envoyés deux par deux en avant du Seigneur ? N’y avait-il pas parmi eux des disciples femmes ? Les groupes de femmes entourant Jésus étaient en tous cas nombreux, notamment chez Luc, l’évangile le plus féministe des quatre, encore plus que le 4e que nous avons étudié durant la session de l’ABC.
Quoi qu’il en soit de la réalité historique de l’époque et de la théologie actuelle des ministères en Église catholique, réservant aux hommes mâles seuls l’ordination sacerdotale et diaconale (et donc épiscopale), ce qui ne peut être mis en cause par aucun clerc, même traditionaliste rétrograde et figé, c’est que d’une part, le pape actuel souhaite ardemment que davantage de postes à responsabilités dans la société et dans l’Église soient attribués à des femmes, il le dit dans Evangelii gaudium.
Mais plus profondément, ce qui est indéniable, c’est que nous sommes toutes et tous disciples du Ressuscité. Disciples, c’est-à-dire choisissant la meilleure part, celle de Marie, sœur de Marthe, assise aux pieds du Seigneur pour écouter sa Parole et recueillir d’en bas ses douces invitations et ses fermes encouragements, toutes et tous « obéissants » – puisque telle est l’étymologie du terme, du latin ob-audire, entendre depuis le bas.
Mieux, dit constamment le pape François dans son exhortation La joie de l’Évangile, en écho au chapitre 10 de Luc de ce jour, nous sommes toutes et tous disciples et missionnaires. C’est nous toutes et tous qu’avec les 72 il envoie pour apporter la paix, shalom-Jérusalem, disciples missionnaires dans toute maison, guérir les malades, discerner les esprits et écraser les tentations et le mal, pour instaurer son Règne en toute cité et tout pays.
C’est pour cette raison que le souverain pontife a souhaité un Mois missionnaire extraordinaire en octobre prochain, intitulé « Baptisés et envoyés ». Par notre baptême et notre confirmation, certaines et certains aussi, par notre mariage, notre consécration religieuse ou notre ordination, nous sommes toutes et tous prêtres, prophètes et rois, prophètes disciples témoins, rois-reines missionnaires rassembleurs, et prêtres-prêtresses consacrés dans la justice, l’amour et la vérité.
Prions, mangeons et luttons
Prions donc le Maître d’envoyer des ouvrières et des ouvriers dans le champ du monde, des moissonneuses et des moissonneurs dans la moisson de l’univers, des vigneronnes et des vignerons à la vigne du Royaume. C’est la meilleure revendication syndicaliste féministe et masculine qui soit. C’est la plus belle façon de vivre la fête des vigneronnes et vignerons 2019. Demandons des lectrices (et lecteurs) et des animatrices (et animateurs) de groupes bibliques, des visiteuses (et visiteurs) de malade et auxiliaires de l’eucharistie, des religieuses (et religieux), des diacres (peut-être un jour des diaconesses ?) et des prêtres.
Soyons ces vendangeuses et vendangeurs à la vigne du Seigneur, libres, légers, n’emportant comme tout bagage que la Parole, avec une Bible de poche et le pain de la rencontre. Partageons la vie des femmes et des hommes de ce temps, leurs grèves et leurs attentes, leurs fêtes et leurs allégresses, leurs soucis et leurs soifs spirituelles. Entrons chez elles et chez eux, laissons-nous inviter.
Oui, laissons-nous inviter, car c’est l’une des plus belles paroles de l’Évangile : « Restez dans cette maison de la paix, mangeant et buvant ce que l’on vous servira ». C’est une parole de Jésus que, personnellement, je m’applique toujours comme prêtre à mettre en pratique à la lettre. Et déjà cette semaine, dans cette belle maison de formation des Sœurs de Saint Maurice à la Pelouse ! Mangeons et buvons le pain et le vin de la Parole et de l’eucharistie. L’ouvrier et l’ouvrière mérite son salaire, son salaire égal quel que soit son sexe ou son genre, comme on dit aujourd’hui.
Cela ne va pas sans lutte, sans protestation, sans combat, sans combat spirituel. Jésus a donné sa vie sur la croix pour établir le Royaume. Paul, le 13e apôtre, lui aussi entouré de collaboratrices apostoliques, dans une équipe pastorale ou une EAP de l’époque, a tout donné pour la Bonne Nouvelle. Il en portait les stigmates, les marques d’amour des souffrances de Jésus dans son corps, dit-il aux Galates.
Mais pour la mission, pas de grève ! Tous égales et égaux. Tous envoyées et envoyés. Toutes et tous création nouvelle, dans la paix et la miséricorde du Seigneur.
Lisons, étudions, prions, allons, luttons, fêtons, ouvrières et ouvriers du Seigneur. Dieu est Mère et femme, toutes et tous missionnaires !
14e dimanche du temps ordinaire C
Lectures bibliques : Isaïe 66,10-14 ; Psaume 65(66) ; Galates 6,14-18 ; Luc 10,1-12.17-29
Cyrille Rieder, la bonté en partage (1/3)
A Brugg, une affiche du Christ crée la polémique

L’UDC et l’écologie: rétropédalage dans le fossé?

Carola Rackete, l’honneur de l’Europe
Marguerite Bays: une canonisation attendue

L’humilité des dinosaures

Homélie du 30 juin 2019 (Lc 9, 51-62)
Chanoine Claude Ducarroz – Basilique Notre-Dame, Lausanne
« Je crois bien qu’il a la vocation. »
J’avais environ 10 ans. Je venais de dire, un peu naïvement, que je pourrais peut-être être prêtre, probablement pour faire comme mon curé qui était un homme sympathique et proche des gens. Et autour de moi, les commentaires commencèrent à courir : « Peut-être qu’il a la vocation ». En ce temps-là, dans mon village, avoir la vocation, pour un garçon, c’était être destiné à devenir prêtre.
Plein de vocations dans l’évangile de ce dimanche ! Deux noms sont connus : Jacques et Jean, pris parmi le groupe des 12 apôtres. Trois autres sont parfaitement anonymes. Deux – sans doute très généreusement- se présentent eux-mêmes à Jésus, tandis qu’un troisième est appelé selon la formule classique : « Suis-moi ». Des situations très différentes, mais toutes très compliquées.
Jacques et Jean avaient l’avantage d’avoir été appelés explicitement par Jésus. C’était à Capharnaum, au bord de la mer de Galilée, car ils étaient des pêcheurs.
Dans la traversée périlleuse de la Samarie pour aller à Jérusalem, le même Jésus les envoie en mission au devant de lui pour préparer sa propre venue.
Des surprises au menu de la mission
Les trois autres sont rencontrés au hasard du voyage, on pourrait dire n’importe où. Mais tous vont devoir corriger en profondeur le rêve de leur vocation, car suivre Jésus implique beaucoup de surprises au menu de la mission. Peur eux comme pour nous.
Puisqu’ils avaient été envoyés par Jésus le Christ, le porteur de l’Evangile, à savoir une bonne nouvelle, Jacques et Jean s’attendaient à jouir d’un certain succès apostolique. Or on refusa de les recevoir. Leur réaction spontanée ? La colère qui tourne en vengeance : « Qu’un feu tombe du ciel pour les détruire ». On connaît la réponse de Jésus : « Il les réprimanda et les envoya dans un autre village. »
Car l’Evangile ne doit jamais s’imposer par la force, mais toujours se proposer en respectant la liberté de conscience de ceux à qui il est adressé. Et en même temps, pour ceux qui veulent suivre le Christ – quelles que soient les circonstances de l’appel – répondre à une telle vocation engage sans doute davantage que ce que l’on imagine au départ.
Reliés à Jésus
La bonne surprise, c’est que nous sommes reliés à Jésus par une sorte de cordon ombilical de type pascal, une communion qui peut nous entraîner, dans une pleine liberté respectée, jusqu’au delà de la mort, après avoir irrigué notre vie, quoi qu’il nous arrive. Il suffit, comme le rappelle saint Paul – qui savait de quoi il parlait après l’évènement bouleversant du chemin de Damas – de marcher sous la conduite de l’Esprit.
Et justement, cet Esprit en nous, et par les circonstances de la vie, nous rappelle que suivre Jésus, c’est le placer en tête de notre existence, avant les conforts de la richesse et même – ça peut arriver- avant les liens de famille quand ceux-ci peuvent constituer un obstacle ou un handicap à la réalisation de la vocation chrétienne. Jamais par mépris certes, mais par fidélité à un appel à aimer plus largement, plus gratuitement, plus profondément.
Un appel à la foi
Chacun de nous, à partir du mystérieux appel à la vie – première vocation – est invité ensuite à découvrir un appel à la foi qui donne un sens plénier à cette vie humaine, même au-delà de la mort. Je crois que quelqu’un se présente à lui, de mille manières possibles, dans la nuit des recherches intérieures ou dans la clarté des décisions de croire. Et ce quelqu’un murmure délicatement à la conscience de tout homme. Il appelle toujours, y compris à travers les heurs, bonheurs et même malheurs de la vie.
Ferme les yeux pour l’écouter du dedans, peut-être jusqu’à la prière. Rouvre tes yeux, et regarde tant de frères et sœurs à aimer, qui eux t’attendent et t’appellent aussi pour des rencontres qui vous conduiront ensemble au-delà de vous-mêmes.
Car l’amour vrai est porteur de vie plus belle pour tous, et tantôt il cache par délicatesse, tantôt il révèle par illumination la présence même de Dieu. Car Dieu est Amour, et ceux qui aiment connaissent Dieu et plus encore, Dieu demeure en eux et eux en Dieu. Quelle meilleure communion ?
Que vas-tu faire à partir de cette révélation, et déjà à partir d’un pressentiment encore un peu vague ? Partager ce trésor, annoncer cette bonne nouvelle, inviter au repas de l’Amour majuscule, goûter avec d’autres, à commencer par les plus pauvres et les plus souffrants, le fragile et merveilleux bonheur de nous savoir tous aimés de Dieu, à la vie et à la mort, pour la vie éternelle.
Mais oui, toi aussi, qui que tu sois, sans conditions préalables, tu as la vocation, tu es appelé par le Dieu-Amour. Appelé à le connaître toujours mieux, à te laisser aimer par lui, à partager avec les autres – même pendant les vacances – le mystérieux bonheur de cette connaissance en forme de naissance ou de renaissance.
On y va ensemble, à la suite de Jésus.
13ème dimanche ordinaire
Lectures bibliques : 1 Rois 19, 16b.19-21; Psaume 15, 1.2a.5, 7-8, 9-10, 2b.11; Galates 5, 1.13-18; Luc 9, 51-62
