Grand-Saint-Bernard: bénévolat et silence
Homélie du 17 septembre 2017 (Mt 18, 21-35)
Abbé Léonardo Kamalebo – Église de St-Blaise, (NE)
Bien-aimés (e)s de Dieu et vous auditeurs et auditrices de l’Espace 2
Lors des massacres à grande échelle et les tueries en République démocratique du Congo, j’avais rencontré un Monsieur qui avait perdu toute sa famille. Sa femme, ses 5 enfants avaient été sauvagement abattus, torturés et égorgés devant ses yeux. Je lui parlais du Pardon. Il me disait : »Je n’ai pas de choix, mon Père. Je pardonne, mais je garde mon agenda. » Mais pourquoi, lui dis-je ? « Tu sais que j’ai une mémoire courte. Je pardonne, mais je n’oublierai jamais. »
Le vrai pardon
Voilà une expression que nous avons souvent entendue ou que nous avons dite nous-mêmes. C’est une caricature du pardon, un pardon humain, superficiel, qui n’a rien à voir avec le vrai pardon divin. Cela montre « qu’il n’est pas humain de pardonner, c’est divin. » Il est plus grave de mal pardonner que de ne pas pardonner du tout. Pardonner c’est dépasser tout ce qui est de l’homme, tout ce qui est de l’instinct, de race, de langue… et monter au-dessus de soi, se libérer.
La condition essentielle pour que la communauté chrétienne soit une réussite c’est que le pardon ne connaisse pas de limites. La mesure de pardonner, c’est de pardonner sans mesure.
Le moine Anselm Grün nous fait remarquer que l’Apôtre Pierre se considère comme déjà fort généreux lorsque, en réponse à sa propre question sur le nombre de fois où il convient de pardonner, il répond lui-même : » Seigneur, combien de fois dois-je fermer les yeux sur le manquement de mon frère ? Sept fois ? » (Mt 18,21) La coutume juive voulait que l’on pardonne deux ou trois fois un offenseur : Pierre est prêt à renchérir sur les pharisiens. Jésus lui enseigne que le pardon doit être illimité, parfait. 7 étant le nombre de perfection. » Ce n’est pas sept fois que je te dis de le faire, mais soixante dix fois sept fois. » Ce qui signifierait que Pierre, selon le mot du théologien Luz, doit accorder un pardon constant « parfaitement parfait, infini, sans limites, répété d’innombrables fois. »
La grâce de Dieu nous accompagne
Pour Jésus, il faut pardonner du fond du coeur. Mais la démarche n’est pas simple en soi, ni pour moi ni pour vous qui vivez, par exemple, un divorce difficile, un abandon par les enfants, un licenciement abusif, une exclusion pour la couleur de peau ou pour sa confession religieuse autre. La démarche n’est pas impossible non plus parce que Dieu et sa grâce nous accompagnent.
La parabole du serviteur impitoyable, appelé par Luther « Le Serviteur du Malin », illustre magnifiquement la difficulté de pardonner. Matthieu parle de l’argent, de dettes, de factures, de remise quand il parle du pardon comme pour nous dire que le pardon est une nécessité vitale, elle s’inscrit dans notre existence quotidienne. Matthieu parle d’un homme qui a été acquitté d’une énorme dette, 60 millions de pièces d’argent, et refuse de remettre une somme modique, 100 pièces d’argent, à qui l’en supplie. L’énorme somme représente la dette infiniment grande de l’homme par rapport à Dieu. La somme minime représente la dette infiniment petite entre l’homme et son prochain. Le premier débiteur n’aura jamais la moindre chance de s’acquitter de sa dette, même par la prison comme le voulait l’usage des Romains et des Perses. C’est à ce débiteur que Jésus nous compare. Dieu a pitié de nous. Il nous remet notre dette tout entière.
Nous, en revanche, sommes impitoyables et mesquins dès qu’un de nos frères nommé « compagnon » (5 fois dans le texte) c’est-à-dire notre « prochain » au service du même roi que nous, a contracté une petite dette envers nous.
La dette de l’Amour
Bien aimés de Dieu, nous sommes débiteurs de Dieu et codébiteurs les uns des autres dans notre commune humanité, de la dette de l’Amour qui ne s’éteint jamais, celle de nous aimer les uns les autres (Rm 13,8). Et notre vécu du pardon conditionnera le regard même posé sur Dieu, comme nous le prions dans le Notre Père : « Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs »( Mt 6-12)
Nous sommes les débiteurs de Dieu, personnellement et communautairement. Nous lui sommes redevables de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous avons. Il nous a préservés de la famine et de la guerre. Comme le disait si bien le Général Guisan « … Si jusqu’à ce jour la Suisse est presque le seul des États européens à avoir été préservé des horreurs d’une invasion, nous le devons avant tout à la protection de Dieu. » Par son serviteur, le saint frère Nicolas de Flue, il a épargné la Suisse de la guerre civile entre cantons. Désormais, « malgré les luttes religieuses, les soldats catholiques et protestants, autour du feu, pouvaient partager la Soupe à Cappel. On se rappellera de la diète de Stans de 1481 et de la main du Frère Nicolas sur la Suisse en mai 1940 pour l’épargner de la guerre.
C’est pourquoi en 1832 la Diète fédérale, sur la proposition de la députation du Grand Conseil d’Argovie, a décrété la célébration du jour de jeûne, de prière et d’actions de grâces pour tous les États de la Confédération le 3ème dimanche de septembre ( Henri Vuilleumier) pour consolider la paix et le lien fédéral , la solidarité entre les Suisses.
Seigneur, faites que je sois tout à vous
Vivons donc ce jour sous le signe de « Merci et de Pardon », mots chers au théologien neuchâtelois Maurice Zundel. Merci pour les bienfaits visibles et invisibles reçus du Seigneur et Pardon parce que notre conduite n’est pas toujours ce que la bonté de Dieu à notre égard est en droit d’attendre de nous. »Prions avec le Frère Nicolas, le protecteur de notre Patrie, le médiateur et réconciliateur :
« Oh! Seigneur, ôtez de moi ce qui m’éloigne de vous
Oh! Seigneur, donnez-moi ce qui m’approche de vous.
Oh! Seigneur, prenez-moi moi -même et faites que je sois tout à vous. »
« Oui, tout à Dieu, ici-bas dans la foi, la prière, l’amour vrai du pays, pour être tout à Lui dans le ciel notre définitive Patrie. »
AMEN
24e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – Année A
Lectures bibliques : Siracide 27, 30 –28, 7; Psaume 102, 1-2, 3-4, 9-10, 11-12; Romains 14, 7-9; Matthieu 18, 21-35
L’initiative anti-burqa symbolise la peur de l’islam
Les ultra-orthodoxes devront servir dans l’armée en Israël
Accueillir et accompagner
7 heureux gagnants au grand concours de l’été!
La Chine veut lutter contre la menace de l’infiltration religieuse
A Ground Zero, reconstruction d’une église orthodoxe
Message du 10 septembre 2017 (Schubertiade)
Abbé Philippe Baudet – Temple d’Yverdon, dans le cadre de la Schubertiade d’Espace 2
Avec frère Nicolas, aller au cœur, avoir du cœur“
On est tous sur-occupés, ou trop préoccupés. Comme mon ami François : tellement sous pression et overbooké, qu’il a oublié de s’inscrire pour le pèlerinage à Flüeli-Ranft auquel il voulait participer avec sa famille. Dommage, car il aurait pu apprendre quelque chose de frère Nicolas de Flüe, afin de se reconnecter à sa source, et parvenir à unifier aspirations profondes et contraintes extérieures.
Car je perçois en lui un guide du cœur, pour revenir au cœur, ce qui nous donnera d’avoir du cœur. Je le vois comme une lampe sur la route pour tous les hommes de bonne volonté et tous les croyants.
Il peut nous être d’autant plus précieux que les conditions actuelles de vie et de travail nous fragilisent. Et quand la souffrance et les épreuves nous touchent, nous sommes écrasés et déchirés. Quand l’existence nous emporte dans son tourbillon, comment retrouver la paix en soi-même et avec les créatures qui nous entourent ?
M. Nicolas de Flüe avait beaucoup à faire : une entreprise agricole florissante et une grande famille, des charges importantes dans la justice et la politique.
Pourtant il réussit à prendre du temps pour se retirer, se relevant la nuit et se cachant dans la forêt en journée, tout discrètement. À l’écart, il prie. Comment ? On ne le sait pas. Il devait penser à ce qu’il avait vécu et réfléchir aux enseignements reçus, luttant contre les tentations et cherchant Dieu.
Le dessin de la roue de saint Nicolas de Flüe
Dieu que frère Nicolas visualise sous la forme d’un cercle, comme le puits au fond duquel il y a l’eau vive. De cette roue sortent trois rayons, expression d’un être divin ouvert qui se donne : dans le Père source de vie et créateur, dans le Fils le « je t’aime » de Dieu qui prend corps dans notre humanité, et dans le souffle de l’Esprit qui rend le Seigneur présent et agissant dans notre vie quotidienne. Avec trois autres rayons dirigés vers le centre, qui expriment la réponse humaine à la suite de Jésus dans le choix d’accueillir sa venue, de se fier à sa Parole et de se donner par amour.
Nicolas, un homme bon
Tout cela fait de Nicolas un homme particulièrement bon, juste et honnête : il est très sensible aux injustices, il voit les dangers du gain facile et des richesses, il est conscient des risques liés au désir d’expansion et de pouvoir. Ce qui l’amènera à des comportements qui le démarqueront de ses contemporains, avant qu’il ne refuse l’invitation à entrer dans le gouvernement de son canton et abandonne sa tâche de juge.
Un tel comportement ne ressemble-t-il pas à celui de Jésus qui passe en faisant le bien avant de se retirer dans un lieu désert pour prier. Ce qui va lui donner discernement et force pour résister à la tentation du succès, et pour choisir d’aller plus loin accomplir cette Bonne Nouvelle pour laquelle il est sorti de Dieu (cf. Marc 1,32-39).
Se retirer pour donner sens
Alors pourquoi ne pas prendre exemple sur frère Nicolas : sur les 24h de notre journée, nous pourrions trouver quelques minutes ou un peu plus, pour nous retirer, retrouver le calme, faire une relecture, se ressourcer et se laisser enseigner, afin de se trouver soi-même et chercher un Tout-Autre, afin de donner sens …
Sans vouloir faire comme saint Nicolas de Flüe, mais à notre manière et selon nos possibilités, avec un espace d’isolement quotidien capable de transfigurer notre vie quotidienne !
En tout cas Nicolas de Flüe a certainement vu son existence illuminée par ces temps de prière réguliers. Mais il a aussi connu la tempête du doute et des questionnements : quelle est sa voie ? comment répondre à l’appel qu’il ressent ? Au point de connaître une profonde crise existentielle, avec des phases dépressives.
Quitter tout
Il s’en est ouvert à un ami prêtre à qui il a demandé conseil. Ce dernier l’a encouragé à s’abandonner avec confiance à la volonté de Dieu et l’a invité à méditer la Passion de notre Seigneur Jésus Christ.
La contemplation de ce Jésus tout homme et tout Dieu totalement donné par amour pour la vie et le bonheur de l’humanité, voilà qui va l’amener à désirer tout quitter et à se donner tout entier. Ce qui prendra la forme d’un projet de pèlerinage : se détacher de tout ce qui lui appartient et partir loin de tout ce qui offre assurance et bien-être.
Avec son épouse Dorothée Wyss
De là il entame de longues discussions avec son épouse Dorothée Wyss. Toute la famille devait être bien consciente que leur Nicolas était engagé dans une expérience spirituelle qui le prenait tout entier et à laquelle il ne pouvait se soustraire.
Ayant assuré la sécurité économique de sa famille, avec l’accord de son épouse que Nicolas considérera comme la première des grâces que lui donnera le Seigneur, il s’en va vers l’Allemagne, bien décidé à ne jamais revenir.
Mais avant de passer la frontière, les conseils d’un habitant ainsi qu’un songe le conduisent à revenir et à s’installer dans la forêt près de chez lui.
Quelque soit l’endroit où frère Nicolas a fini par se poser, il a laissé les êtres et les biens qui lui assuraient affection et sécurité, pour être tout donné.
Aller au coeur de soi et de la vie
Ce qui ressemble fort au mouvement opéré par l’envoyé de Dieu Sauveur : ne gardant rien pour lui, il est sorti de Dieu pour descendre sur terre et nous rejoindre au plus bas de notre condition humaine, dans le service du prochain et le don de sa vie.
Une telle désappropriation en vue d’un don de soi par amour, ne nous invite-t-elle pas à un esprit de détachement par rapport à tout ce qui est extérieur à nous, afin d’être libres pour aller au cœur de soi et de la vie, afin d’avoir du cœur envers les autres et vis-à-vis de Dieu ?
Nicolas de Flüe mène donc une vie d’ermite à quelques pas de son village et de sa famille : retiré de la vie économique et sociale, il n’a plus rien et ne joue plus aucun rôle dans la société, il vit à l’écart en dehors du monde.
Mais le monde vient à lui : de près et de loin, gens du peuple comme dirigeants, on vient le trouver pour se confier et lui demander conseil. Et tous trouvent en frère Nicolas un accueil cordial, une oreille attentive, de la compassion, des paroles qui ne disent pas ce qu’il faut faire mais qui encouragent et donnent confiance, et un message qui indique le chemin de la paix.
le Christ Parole de Dieu, pain partagé pour la vie du monde
Et voilà qu’un jour se répand la rumeur : Nicolas ne mange rien, ne se nourrissant que du pain partagé Corps du Christ qu’il reçoit dans l’eucharistie. Après vérification, il s’avère qu’effectivement aucune nourriture ne parvient à l’ermitage. Interrogé sur ce phénomène inexplicable, celui que tous considèrent comme un saint ne dira rien de plus que ceci : Dieu le veut ainsi … Dieu seul sait !
Ainsi le Seigneur Jésus suffisait-il à nourrir frère Nicolas : le Christ Parole de Dieu, pain partagé pour la vie du monde, présence de Dieu dans le service du prochain et en quiconque se trouve dans le besoin.
Un peu comme Jésus qui, assis au bord du puits, déclare à ses disciples : Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé, et d’accomplir son œuvre (Jean 4,34).
Si frère Nicolas a été nourrissant pour les gens et a partagé à tout le pays le pain qui fait grandir la paix, c’est parce qu’il s’est nourri dans les profondeurs de son être, c’est parce que le Christ l’a totalement nourri.
Alors, sans vouloir l’imiter par des jeûnes interminables, n’aurions-nous pas à entendre là un appel à aller nous alimenter à ce qui est capable de nourrir véritablement notre existence : aller au cœur et au Christ pour y trouver la force et la paix qui nous permettront de tenir bon dans une existence qui nous épuise et nous éclate. À chacun à trouver ce qui peut nourrir son être profond, ses liens avec les autres et sa vie spirituelle.
Aller à la source
À ce moment-là, sans partir à l’autre bout du monde pour sauver l’humanité mais en menant une existence différente là où nous nous trouvons, je suis certain que nous serons nourrissants pour nos proches et que notre manière d’être sera facteur de paix.
Etant allés à la source, nous deviendrons nous-mêmes un peu source de vie pour les autres. Ainsi, à travers nous, les rayons lumineux de l’amour d’un Dieu Père, Fils et Esprit, pourront atteindre les hommes d’aujourd’hui.
J’espère que mon ami François, qui n’a pas pu aller en pèlerinage à Flüeli-Ranft, nous écoute ce matin. En tout cas je souhaite qu’il puisse découvrir notre frère Nicolas et les chemins que ce saint helvétique nous ouvre pour que nous puissions mener une existence heureuse et paisible alors que nous sommes sous pression et overbookés.
Laissons Nicolas nous conduire au cœur, y découvrir le cœur de Dieu, et avoir du cœur pour les autres.
