Homélie du 07 avril 2013

Prédicateur : Chanoine Alexandre Ineichen
Date : 07 avril 2013
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

Selon l’Evangile que nous venons d’entendre, saint Thomas, l’un des Douze, manque son rendez-vous avec l’histoire. En effet, chers frères et sœurs, chers auditeurs, le soir du premier jour de la semaine, dimanche de Pâques passé, Jésus, après sa mort scandaleuse sur une croix, se tenait là au milieu de ses disciples, mais Thomas n’y était pas. Son absence à l’une des premières manifestations de Jésus ressuscité lui permet de manifester son impatience et son doute. Thomas ne croira que lorsqu’il aura vu et touché les plaies de son maître, de ses mains comme de son côté. Puis, quelques temps plus tard, huit jours exactement comme le précise l’évangéliste saint Jean dont nous savons combien il affectionne les nombres et leur signification cachée, Jésus était là bien que tout fût verrouillé. Cette seconde manifestation du Christ à tous ses disciples réunis, avec Thomas cette fois, non seulement donne la foi en notre Seigneur et notre Dieu à Thomas l’incrédule en lui demandant d’avancer son doigt sur son côté et de voir la marque des clous dans ses mains, mais aussi elle dit que le bonheur est accordé à ceux qui croient sans avoir vu.

Ainsi ces deux apparitions, l’une sans Thomas, l’autre avec, l’une au dimanche de Pâques, l’autre huit jours plus tard c’est-à-dire aujourd’hui, fondent le témoignage des apôtres, inaugurent l’Eglise appelée justement apostolique car c’est par l’affirmation des apôtre en la résurrection du Christ, vainqueur de la mort, que notre foi se nourrit, s’épanouit et s’accomplit enfin. Je pense même que cette double manifestation n’en est qu’une seule et explicite deux conséquences du mystère pascal. D’ailleurs, à l’évocation de Thomas, saint Jean ne se prive pas de donner la signification de son nom : jumeau. A ces huit jours qui en réalité n’en compte qu’un contemplons cette Pâques éternelle du Fils dont le Père nous partage les fruits.

Premièrement, le don de l’Esprit est la poursuite par les apôtres, par l’Eglise de la mission du Verbe de Dieu. « Recevez l’Esprit-Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme a qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » La foi des apôtres dans la résurrection du Christ, leur réception de l’Esprit et leur envoi en mission fondent l’Eglise qui est une continuation ici et maintenant de l’action du Père par le Fils dans l’Esprit. A cette première apparition, Thomas est absent comme nous le sommes, et le furent les chrétiens des siècles passés et le seront ceux des siècles à venir. Nous ne pouvons que recevoir le témoignage des apôtres et de l’Eglise après eux. Mais, nous le savons aussi, c’est en participant au don de l’Esprit dans l’Eglise que peut se propager cette foi qui nous sauve, vivre cette espérance qui nous engage, se réaliser cette charité qui nous appelle à aimer et à être aimé.

A cette première apparition, saint Jean en propose une seconde où Thomas est présent, malgré ses doutes et son impatience. Là, Jésus répond, il est vrai, à ses demandes, à sa mise à l’épreuve de Dieu même. Mais, il est un apôtre. Comme les autres, il a touché le Verbe fait chair, mort sur une croix, ressuscité le troisième jour. Ce que Thomas a vécu avec les Douze n’est donc pas une illusion. Il est normal que son témoignage s’édifie sur le partage qu’il a vécu en Galilée avec Jésus de Nazareth. Il doit donc comme les autres comprendre que ce Jésus, ce prédicateur aussi fameux soit-il, est aussi vainqueur de la mort car il est le Fils de Dieu. Mais, après avoir rejoint les Douze dans leur témoignage, après son rendez-vous réussi cette fois avec l’histoire du salut et être passé de l’incrédulité à la foi, Thomas, comme s’il était l’un d’entre nous, peut entendre ce que Jésus lui dit, et nous dit : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

En effet, nous ne sommes pas des apôtres, des témoins de la vie de Jésus et de sa résurrection. Notre bonheur n’est pas là. Il l’est plutôt dans le témoignage des apôtres, de l’Eglise, et de ceux qui ont cru sans avoir vu et, qui, à la suite des apôtres, construisent le corps du Christ. Huit jours sépare la première manifestation de la seconde que l’Evangile d’aujourd’hui nous relate. Et comme je le disais, ces huit jours n’en forme qu’un, non pas comme un éternel recommencement, mais comme le jaillissement dans notre temps de l’éternité de Dieu. Nous n’avons pas été témoin direct, ni oculaire de la résurrection du Christ. Nous le serons seulement dans l’éternité que Dieu veut nous partager si nous le voulons et si nous nous associons par notre baptême, c’est-à-dire par la mort et la résurrection du Verbe de Dieu.

Alors, comme le Christ le dit à Thomas l’incrédule, trouvons notre bonheur à croire sans avoir vu, osons dans le temps qui nous dure et nous pèse laisser la place à cette éternité que le Père nous offre dans son Fils par l’Esprit.»

2e dimanche de Pâques – dimanche de la miséricorde

Lectures bibliques : Actes 5, 12-16; Apocalypse 1, 9-11a.12-13.17-19; Jean 20, 19-31

Homélie du 31 mars 2013

Prédicateur : Claude Ducarroz, Prévôt
Date : 31 mars 2013
Lieu : Eglise d’Arconciel
Type : radio

« Vous êtes des ressuscités ».

Avait-il toute sa tête, celui qui écrivait cela à de simples citoyens de Colosses, une ville de la province de Phrygie, dans la Turquie actuelle ? Et vous qui m’entendez maintenant, qu’est-ce que ça vous fait quand on vous redit la même chose aujourd’hui: « Vous êtes des ressuscités. » ?

En effet tout semble contredire cette pieuse affirmation trop euphorique pour être vraie. Ne sommes-nous pas tous mortels ? La maladie, le handicap ou tout simplement le grand âge nous le rappellent. Et puis il y a la situation de notre monde. Tant de forces de mort, tant de violences assassines semblent vouer notre humanité, de plus en plus, aux démons de la haine, de l’exclusion, de la destruction. Où voyez-vous de la résurrection ? me direz-vous.

C’est qu’il nous faut aller jusqu’au bout de la phrase de l’apôtre Paul : « Vous êtes ressuscités… avec le Christ ».

Car finalement, c’est lui qui a tout changé : le sort de chaque être humain, le but de la vie ici-bas, le cours de notre tragique histoire et même la destinée de l’univers. La fête de ce jour – même si vous la prenez dans un premier temps comme une célébration du printemps ou une occasion de rencontre au goût de vacance -, cette fête nous concerne tous. Car rien n’est plus comme avant, malgré les apparences contraires. Il est arrivé quelque chose d’extraordinaire à quelqu’un de nous, un évènement inouï certes, mais – heureusement pour nous – un évènement qui nous est aussi offert en cadeau, dans une espérance formidable.

Pourquoi la résurrection serait-elle incroyable parce qu’elle nous dépasse infiniment ? Qui d’entre nous, alors même qu’il sait ne pas pouvoir l’offrir, ni à lui-même ni aux autres, n’a pas souhaité un jour conjuguer amour avec toujours, rêvé d’une vie qui serait éternelle, imaginé des relations qui soient à la fois heureuses et sans fin ?

Eh ! bien, ce qui n’est pas possible aux hommes est possible pour Dieu, le maître de la vie et le Seigneur de l’Amour. Et il a commencé par le réaliser en un homme justement, Jésus de Nazareth, le crucifié ressuscité. C’est ça, le cadeau de Pâques, à la démesure d’un Dieu qui n’est que Amour, tellement plus fort que nos plus folles espérances.

Dans ce Jésus, sur le témoignage certain de ceux qui l’avaient vu mourir sur une croix et qui l’ont retrouvé vivant après sa mort, Dieu n’accomplit pas un exploit pour se donner une belle figure ni pour assurer sa bonne réputation. Il invente le vrai sens de la vie humaine : vivre, y compris avec notre dimension physique transfigurée, au-delà de la mort, pour nous retrouver tous dans l’océan sans limites de son amour enfin vainqueur de tout mal.

Oui, en démarrant par Jésus, mais surtout pas pour le laisser tout seul jouir d’un privilège en divin égoïste, là haut, dans son ciel. Non. C’est tout le contraire : ce super généreux qu’est Jésus peut nous dire en vérité, preuve à l’appui : « Là où je suis, vous serez aussi avec moi. » Il va même jusqu’à cette promesse extraordinaire : « Je vais vous préparer une place dans la maison de mon Père », là où il y a aussi de l’espace pour toi, car le cœur de Dieu est assez vaste pour que chacun se sente à l’aise dans le firmament de sa tendresse.

Je le sais : beaucoup pensent qu’il s’agit là d’une utopie, bien qu’ils y aspirent secrètement, sans oser se l’avouer. Pourquoi refuses-tu la bonne surprise de Pâques ? Pourquoi estimer qu’il vaut mieux faire confiance à la mort qu’à la vie, au malheur qu’au bonheur, à la haine qu’à l’amour ? Or, avec ce Christ sortant du tombeau, vivant et transfiguré par la gloire, c’est ta vie qui devient éternelle, c’est ton vrai bonheur qui t’est promis, c’est de l’amour, en réserve infinie, qui t’est offert gratuitement.

Et puis, n’oublie pas cela : ce qui t’adviendra dans l’éternité après la mort, t’aide déjà à vivre mieux dès maintenant. Et ce n’est pas négligeable, avoue-le. Quand on est des promis à la résurrection, on ne vit plus comme des morts vivants, on confère à son existence un souffle de grand large, on choisit de miser sur la bonté dans nos relations, on cherche à procurer du bonheur aux autres, on est soi-même heureux de faire des heureux. Car notre vie, désormais cachée avec celle du Ressuscité, produit des fruits révolutionnaires qui s’appellent paix, solidarité, pardon, partage. Est-ce que ça ne vaut pas la peine de construire notre société à partir du présupposé pascal au lieu de continuer à la lancer dans le mur fatal de la haine, de l’exclusion, de l’injustice et de toutes les violences meurtrières ?

La résurrection elle-même, c’est vrai, elle nous touchera pleinement après l’épreuve de la mort. Il nous faut accepter cela avec courage. Mais vivre en ressuscités, c’est déjà possible aujourd’hui, avec le souffle de l’Esprit Saint en nous. Ainsi, nous donnerons au monde un avant-goût bienfaisant de ce qui nous attend : être heureux du bonheur même de Dieu, être vivant de sa vie, être aimé par l’Amour majuscule. Car, comme l’écrivait encore ce même Paul de Tarse à ces mêmes Colossiens : « Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. »

C’est tout le bien que Dieu lui-même nous souhaite aujourd’hui parce que, en même temps, il nous le donne.»

Dimanche de Pâques

Lectures bibliques : Actes 10, 34a.37-43; Colossiens 3, 1-4; Jean 20, 1-9

Homélie du 31 mars 2013

Prédicateur : Mgr Slawomir Kawecki
Date : 31 mars 2013
Lieu : Eglise Notre-Dame, Vevey
Type : tv

«Qu’éclate dans le Ciel la joie des anges, Qu’éclate de partout la joie du monde. Qu’éclate dans l’Eglise la joie des fils de Dieu!»

C’est Pâques… (un mot qui signifie passage). Le Christ, en surgissant du tombeau, est passé de la mort à la vie. Ces paroles de l’office de la Vigile pascale nous invitent aujourd’hui à découvrir que Pâques est la plus grande fête de l’année…

Et non seulement pour les chrétiens, mais pour tous les hommes! En effet, comme le disait l’écrivain Noël Quesson, il faut que nous nous rendions compte que dans le monde coexistent deux forces : celle de la mort, qui gagne toujours si le Christ n’est pas ressuscité, et celle qui vient de Jésus ressuscité, qui veut dire : la force de Vie qui ne se termine jamais. Mais comment pourrons-nous croire à la résurrection…? Surtout quand nous vivons des moments difficiles: de tristesse, d’angoisse, de deuil ou de maladie, des moments où nous cherchons le sens de la vie…

Pour trouver une réponse, regardons les disciples qui entouraient Jésus: il est difficile d’imaginer l’effet que la rencontre avec le Ressuscité a pu produire sur les premiers chrétiens. Ils avaient cru en Jésus, ils l’avaient suivi, certains avaient tout laissé pour devenir ses disciples. Pendant trois ans, ils l’avaient vu opérer des prodiges. Ils avaient assimilé ses paroles qui avaient la saveur d’une vie nouvelle, éternelle. Et puis, le Vendredi Saint, Jésus avait été soumis à une mort des plus cruelles.

Les disciples étaient au comble de la tristesse, terrifiés, en un mot désemparés. Ils allaient vivre reclus, ils venaient de verrouiller les portes, jusqu’à ce que Jésus lui-même leur apparaisse… Il était vivant, Il avait vaincu la mort. Ils ne pouvaient pas le croire. C’était trop beau, trop grand, trop riche de conséquences… Mais ils devaient se rendre à l’évidence parce que c’était vraiment Lui, leur Maître. Voilà que, franchissant les verrous, il leur donnait la force, la paix, et ils n’avaient plus peur! Il était de nouveau là, au milieu d’eux. Il était vraiment ressuscité… Cette évidence les transperce et les transforme. Ils ne peuvent pas ne pas crier sur tous les toits cette extraordinaire nouvelle, qui est le point de départ de la foi chrétienne.

Souvent ils le paieront cher, de leur vie, en mourant martyrs. En ce dimanche, comment ne pas évoquer la tradition de nos frères et sœurs orthodoxes qui, en ce jour qu’ils nomment le «très saint, grand et lumineux jour de Pâques», se saluent par un magnifique: «Christ est ressuscité!» et chacun répond: «Oui, Il est vraiment ressuscité!».

Si Jésus est vraiment ressuscité, ça veut dire que notre vie ne finit pas sur cette terre mais qu’elle a un sens parce qu’il existe un au-delà. Cet «après» sera infiniment plus beau, aimable et désirable parce qu’il est voulu et pensé par ce Père qui a ressuscité Jésus d’entre les morts. La mort n’a plus aucun pouvoir sur Lui. Le Christ a vaincu; Il est, Il était et Il sera pour toujours au-delà des limites du temps et de l’espace.

Comment ne pas être interpellé par saint Paul qui, après sa conversion, a écrit : «Si le Christ n’est pas ressuscité d’entre les morts, vaine est notre foi»… Lui, Paul, qui a persécuté l’Eglise, puis a donné sa vie pour cette vérité. Jésus est ressuscité! C’est vraiment la bonne nouvelle annoncée à chaque eucharistie. La résurrection est l’accomplissement de l’Evangile annoncé par Jésus. Quand on a la grâce de croire en ce message, on ne peut pas ne pas le communiquer, parce qu’il est la réponse que les hommes et les femmes de toutes les générations peuvent attendre.

Cherchons-nous à vivre en ressuscités? Avec Jésus, passons des ténèbres à la lumière, de nos démissions à l’espérance, de la mort du péché à la vie de la grâce… Ayons le visage du Ressuscité – surtout après avoir participé à l’eucharistie qui actualise la Pâques de Jésus.

Que monte de nos cœurs l’Alléluia pour toutes ses merveilles! Réjouissons-nous donc d’être les témoins du Christ, vivons la Pâques de Jésus chaque jour car Il est vraiment ressuscité!

Et que cette joie franchisse les murs de cette église! De simple commémoration, qu’elle redevienne une grande aventure qui commence aujourd’hui!

Amen. Alléluia.

Messe de PÂQUES

Lectures bibliques : Actes des Apôtres 10,34.a 37-43; Colossiens 3, 1-4; Jean 20, 1-9

Homélie du 29 mars 2013

Prédicateur : Claude Ducarroz, Prévôt
Date : 29 mars 2013
Lieu : Eglise d’Arconciel
Type : radio

Cette fois, c’est la fin. Encore un mince filet de force, comme les dernières gouttes d’eau qui glissent sur le sable brûlant de l’aridité et de la douleur.

C’est là qu’il va puiser un extrême élan de courage pour exprimer ses dernières paroles encore audibles, avant le râle, avant l’étouffement, avant le silence.

Seulement quelques mots arrachés au fond de sa gorge sèche, pour nous délivrer son message final, son suprême testament.

C’est d’abord l’Eglise qui est visée, et donc nous. C’est qu’elle est là, tout près de lui, au pied de la croix, l’Eglise dans sa concentration la plus fragile et la plus intense à la fois. Ils sont seulement quelques-uns, surtout des femmes, le minimum communautaire. Entre autres un homme et une femme, la mère courage et l’ami rescapé de la peur, la toute sainte laïque et l’apôtre en ministère : la quintessence de l’Eglise au Golgotha du monde.

Et que dit Jésus ? Il les donne l’un à l’autre, il les rend définitivement solidaires, il en fait une communauté fraternelle. Femme, voici ton fils ! Marie reçoit l’Eglise en cadeau d’alliance. Voici ta mère ! L’Eglise devient mariale dans les noces de sa naissance.

Et désormais, c’est la cohabitation – plus encore, c’est la communion – qui fera l’Eglise : les vrais disciples prennent Marie chez eux. C’est dans nos maisons qu’elle se sentira à la maison. Nous serons bien avec elle, tout en étant chez nous, dans cette demeure ecclésiale, sous le regard de Jésus, avec la variété des charismes et des services tout ruisselants d’évangile pascal.

Il a soif. La soif banale de l’agonisant. Mais une autre aussi, profonde et vaste comme l’océan. Dans le miroir de son Père, Jésus contemple toute l’histoire, l’immense horizon du salut. Ses yeux de fièvre embrassent toute l’humanité. Le temps s’estompe, les siècles défilent. De la création à la parousie, c’est un seul battement de son cœur, un seul baiser d’amour pour la multitude.

Il a soif de nous, et son souffle ramène à lui et en lui tous les enfants de Dieu dispersés, dans une divine respiration. Oui, le souffle, l’Esprit, jusqu’à ce qu’il le remette dans la confiance entre les mains de son Père et le transmette à nous dans l’espérance d’un improbable accueil.

Il regarde encore. L’humanité de beautés et d’horreurs, de lumière et de ténèbres, le monde tel qu’il est – ou plutôt tel que nous l’avons fait – dans le creuset de nos merveilles et de nos tragédies mélangées. Il est là, notre monde, dans ceux qui regardent de loin, ceux qui rient, ceux qui hochent la tête, chez ces soldats qui s’amusent, chez ces autorités qui écrasent sous toutes les violences, aujourd’hui comme hier. Mais aussi, là, dans ces femmes qui pleurent et qui prient, dans toutes les Madeleine de toutes les conversions, dans les Simon de Cyrène de toutes les compassions, dans les centurions de toutes les confessions de foi – Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu – . Et jusque dans le contraste de ces deux larrons, les deux faces de la liberté humaine, que seul un amour infini peut encore rattraper au bord du dernier souffle pour un premier partage : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis. Et l’autre avec, espérons-le.

Il fallait une divine soif pour que coule d’un cœur ouvert par l’amour, sur eux et sur nous, tant d’eau baptismale et tant de sang rédempteur.

Maintenant c’est la fin. Tout est accompli. Aux yeux de ceux qui ont mis en scène le cruel spectacle de la croix, c’est terminé, tout simplement. Ils sont soulagés. Jésus de Nazareth est mort, bien mort. Même pas besoin de lui briser les jambes pour achever cette œuvre d’extermination.

Mais pour Jésus, c’est tout autre chose. Tout est accompli parce qu’il a mené jusqu’au bout sa mission de salut, celle que le Père lui avait confiée dès son entrée dans le monde. Maintenant, il a terminé sa tâche, en laissant s’échapper les dernières gouttes d’une tendresse jusqu’au boutiste. Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux et celles qu’on aime. Et c’était nous. Et c’est encore nous.

Tout est accompli, et pourtant il accomplit encore. Oui, dans les paroles qu’il nous adresse encore par son évangile de feu, dans ses sacrements qu’il célèbre encore pour la gloire de Dieu et le salut du monde, dans cette eucharistie qu’il nous demande de refaire en mémoire vive de lui.

Et dans toutes les rencontres aux couleurs variées de l’amour, dans les couples, dans les familles, dans les engagements sociaux, entre les Eglises, les religions, les peuples et les cultures, chaque fois que brille au firmament du monde l’arc-en-ciel de la paix, ou ne serait-ce qu’une seule étoile illuminée par le soleil de Pâques, un dernier soupir qui sorte de son corps livré.

Puis, inclinant la tête, il remit l’Esprit.»

Lectures bibliques : Isaïe 52, 13 – 53, 12; Hébreux 4, 14-16 ; 5, 7-9; Jean 18, 1 – 19, 42

Homélie du 24 mars 2013

Prédicateur : Claude Ducarroz, Prévôt
Date : 24 mars 2013
Lieu : Eglise d’Arconciel
Type : radio

La foule. Et dans cette foule, un homme. Très entouré mais seul : Jésus de Nazareth. Juché sur un âne, voici le roi. Du moins si l’on en croit les cris de cette foule : « Béni soit celui qui vient, notre roi. » A quoi pensent-ils, ces gens qui étendent leurs vêtements sur le chemin ? A une victoire politique ? A une libération sociale ? A une domination religieuse ? On peut les comprendre puisque leur pays est occupé par une puissance étrangère, et qui plus est, païenne.

Mais Jésus voit plus haut et plus loin. Il est venu pour sauver le monde, tout le monde, par les énergies de l’amour et non pas de la violence, par une dynamique qui conduit au Royaume de Dieu et non pas à l’impérialisme terrestre. Il est venu au nom du Seigneur de la vie, quitte à payer cette bonne nouvelle au prix de sa propre mort. Ainsi sera.

La foule, encore elle. Peut-être la même. Et Jésus devant elle, plus que jamais tout seul. Elle crie de plus belle, tout le contraire d’avant : « Crucifie-le ! Crucifie-le » ! « Et Pilate décida de satisfaire leur demande…Il livra Jésus à leur bon plaisir. » Le roi est là. Couronné d’épines, un roseau de dérision dans la main en guise de sceptre, le manteau pourpre sur ses plaies béantes.

Et soudain éclatent sa vraie royauté, l’autorité de sa miséricorde : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis ». Et aussi la puissance de sa confiance en Dieu : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » L’évangéliste ajoute : « Tous les gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle s’en retournèrent en se frappant la poitrine. » Peut-être la foule a-t-elle enfin compris.

Prochain épisode, toujours la foule, au matin de Pentecôte, quand la joyeuse nouvelle de la résurrection de Jésus commencera à bouleverser l’humanité par la communauté de l’Eglise apostolique. Et Pierre debout avec les Onze, devant la foule internationale.

Et nous y voici. La foule, encore elle. Sur le balcon, là-haut, un homme seul vêtu de blanc, humblement prosterné, qui demande le silence pour prier. A cause de ce Jésus de Nazareth, celui de la croix et celui de la pâque, il se présente en serviteur des serviteurs de Dieu. Pas dans le triomphe d’une Eglise qui serait au dessus de l’humanité, mais dans la modestie d’un homme qui veut imiter François d’Assise, le petit pauvre, ami des pauvres, pour mieux suivre Jésus et donner envie de le suivre.

Avec la croix, jusqu’à la pâque, dans les douces et fortes impulsions de l’Esprit.»

Dimanche des Rameaux et de la Passion

Lectures bibliques : Luc 19, 28-40 (Procession des Rameaux); Isaïe 50, 4-7; Philippiens 2, 6-11; Luc 22, 14 – 23-56

Homélie du 17 mars 2013

Prédicateur : Père Bernard Bonvin
Date : 17 mars 2013
Lieu : Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac
Type : radio

Un grand d’Espagne, pour s’épargner les contrariétés de la vie, se cloîtra dans son château à l’heure de sa retraite en exigeant de son majordome qu’il supprime les mauvaises nouvelles des journaux qu’il lirait. Au fil des jours, la matière à lecture s’amenuisait au point qu’il finit bientôt par réclamer : « Eusebio, apportez les catastrophes ! » Si nous ôtions des évangiles maladies et violence, controverses, conflits de tous ordres et péchés, ils s’aminciraient considérablement. Est-ce à dire que l’histoire de Jésus est déprimante ? Que les gens heureux n’auraient-ils pas d’histoire ?

L’évangile de ce jour se rapporte à événement critique : un rassemblement d’hommes autour d’une femme accusée d’adultère. Jésus est quasi sommé de se prononcer pour ou contre la lapidation. S’agit-il simplement d’une attristante nouvelle locale de plus ? Non, car l’intervention de Jésus transforme nos faits divers en Bonne Nouvelle. Par ses paroles et ses gestes, il accueille la vie là où elle vient à lui. Le jour où, dans une synagogue, il place un estropié au milieu de l’assemblée, il rappelle le sens de la loi du sabbat : faire vivre.

Ici, lorsque Scribes et Pharisiens placent au milieu d’eux une femme pécheresse et interpellent Jésus, ce n’est ni pour que la femme vive mieux, ni par respect pour l’autorité de Jésus : au contraire, ils cherchent à le pièger perfidement, car s’il s’associe à la condamnation prescrite par la Loi, il entre en rébellion contre le pouvoir romain qui s’est réservé la peine de mort ; s’il ne le fait pas, il s’oppose à Moïse, l’autorité suprême du judaïsme.

Ainsi sollicité, que fera Jésus, que dira-t-il ? Lui de condition divine… s’abaisse d’abord pour tracer du doigt des traits sur le sol. Temps de silence qui offre à chacun l’occasion de réfléchir. Celui qui incarne la miséricorde ne cherche pas plus à mettre dans l’embarras les scribes ou la femme accusée d’adultère que chacun/chacune de nous. Et en écrivant sur le sol, il symbolise la fragilité des écrits, voire des lois elles-mêmes.

L’évangile ne s’attache pas à ce qu’il écrit, mais à sa première parole : « Que celui qui d’entre vous n’a jamais péché lui jette la première pierre » (v. 7) : Il ne juge personne (Jean 8, 15), mais que les accusateurs se jugent eux-mêmes !

Selon la Loi (Deutéronome 13, 10-11, Dt 17, 5-7), seul le témoin de l’adultère qui est lui-même sans péché peut initier la lapidation : celle-ci n’exigeait pas que ce témoin lance la première pierre : en revanche, elle le lui prescrivait pour un adultère le plus grave (Dt 13, 9-10 ; Dt 17, 7), l’idolâtrie. La réponse de Jésus peut s’entendre comme une question : « Cette femme est peut-être coupable d’adultère ; vous-mêmes, ne risquez-vous pas de commettre un adultère spirituel plus grave, c’est-à-dire une infidélité au Dieu de miséricorde ? Pour vous, la loi elle-même ne serait-elle pas devenue votre idole ?

Sur sa parole, ils s’en vont « l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés ». C’est l’honneur des vieillards d’être lucide sur l’humaine condition.

Et voici Jésus seul avec la femme : face à face, la misère et la miséricorde. Tel le serviteur d’Isaïe, Jésus « ne brise pas le roseau ployé… » (Isaïe 42, 3). Le dialogue qui se tisse est de l’évangile en barre, d’ailleurs non sans humour :

« Femme, où sont-ils donc ? Alors, personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

Le pardon ne règle pas tout : il offre une espérance pour reconstruire sa vie. La vraie pitié n’est en rien paternaliste : ce « Va et ne pèche plus » ne comporte aucun mépris. Jésus ne la maintient pas en sujétion, il lui restitue sa marge de responsabilité, donc de liberté. Il manifeste qu’elle existe pour elle-même. De manière analogue, il avait enjoint au paralysé guéri de porter son grabat (Mt 9, 6 ; Jn 5, 8). Il croit en nous ! Il ouvre un chemin nouveau. C’est pour cela que son joug est doux et son fardeau léger. Quand dans son mal-être une personne reçoit d’une autre de la compassion, la personne blessée perçoit en l’autre la même humanité profonde qu’en elle. C’est une vraie communion qui s’instaure.

Qu’en retirer pour nos rapports au prochain : instructive cette maxime de saint Jean de la Croix : « Croyez que si quelqu’un ne brille pas par les vertus que vous pensez, il peut être agréable à Dieu par les vertus que vous ne pensez pas » (Avis et maximes sur la vie spirituelle, Prière de l’âme embrasée d’amour, 58). Le sermon sur la montagne est plus radical encore : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. » C’est clair !

Et nous-mêmes, dans nos propres péchés ? Paul, dans la deuxième lecture de ce dimanche, témoigne : oubliant ce qui est en arrière, tendu vers l’avenir, je cours vers le but… pour me laisser saisir par le Christ … le Christ, en qui Dieu me reconnaîtra comme juste. Beau programme pour notre montée vers Pâques : connaître Jésus, non seulement avec la tête, mais expérimentalement : prendre pour nous et sur nous ses actes et ses paroles, aimer et pardonner comme il l’a fait… et nous libérer de l’égo culpabilisant. Ainsi nous changeons un peu la vie, coopérant à ce que proclamait Isaïe : « Voici que je fais un monde nouveau. » Et nous qu’accablent parfois de lourds fardeaux, souvenons-nous de ce qui est inaliénable : l’image de Dieu en nous, écrasée parfois sur nos chemin de calvaire, mais que le Ressuscité restaure.

En avant vers Pâques, Frères et soeurs bien-aimés !

5e dimanche de Carême

Lectures bilbiques : Isaïe 43, 16-21; Philippiens 3, 8-14; Jean 8, 1-11

Homélie du 10 mars 2013

Prédicateur : Père Bernard Bonvin
Date : 10 mars 2013
Lieu : Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac
Type : radio

Enfants, ce récit nous émouvait : depuis, il nous arrive de le mettre en cause à moins que ce ne soit lui qui nous conteste. Une évidence : il y a six acteurs ou groupe d’acteurs dans ce récit, Il serait surprenant que nous ne puissions nous identifier au moins à l’un des cinq personnages, car le Père, lui, paraît inimitable, étant la figure même de Dieu.

Partons du sauvageon de la famille. Le cadet a l’impression d’étouffer dans la maison. Il réclame sa part d’héritage du vivant même de son père, comme si, pour lui, il était déjà mort. Myopie qui n’est pas sans conséquence. Voulant tout tout de suite, il fuit en avant vers une plénitude imaginaire, car tout tout de suite, c’est le propre de l’éternité : inscrits dans le temps, nous n’y sommes pas encore. Coupé des siens, le cadet dérive bientôt dans la dèche, réduit à se nourrir de caroubes réservées aux porcs : une vie de cochon, dirions-nous familièrement ! Sa décision de revenir chez son père fait suite au constat qu’il ne s’en sortira pas seul : lucide, il entend assumer la conséquence de ses actes, s’accommodant du statut de domestique… Comment imaginerait-il cette prodigalité d’amour de la part de son père ?

Passons au groupe des publicains et des pécheurs : ils viennent à Jésus pour l’écouter. Surprenant pour nous qui, tant de fois, nous éloignons de la Parole du Seigneur parce que nous nous en estimons indignes. Les pécheurs de la parabole sont louables pour leur confiance en Jésus par-delà leur faiblesse. Pour ce fils cadet, il reste précisément ce chemin à parcourir pour s’envisager sans honte fils, et non plus domestique.

Troisième acteur, l’aîné, l’homme du quotidien, solide, sérieux, travailleur, obéissant, même à son âge : mais à l’expérience, sa vertu se révèle pesante, calculatrice et peu joyeuse. Homme du donnant-donnant, pour lui, les chants, la danse et la fête, ça se mérite. Buté, il refuse de demeurer de la famille. Pourtant, pour être fils, il lui reste à retrouver son frère.

Un quatrième intervenant, un domestique de la maison n’aide pas l’aîné à entrer dans la fête : c’est ton frère qui est de retour. Et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a vu revenir son fils en bonne santé.

Ce rapport provocant, est dans la ligne du cinquième groupe de personnages de ce récit : Les pharisiens et les scribes récriminent : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux » ! Ils sont prêts à donner raison au murmure et à l’amertume du fils : ce père est trop faible vis-à-vis de quelqu’un qui porte honte à la famille. Mais peut-on accueillir l’Evangile si l’on s’estime ainsi intègre et supérieur aux autres ?

Reste le dernier acteur, le Père de la parabole, qui n’est que père. Sa maison était vraisemblablement « propre en ordre » : l’initiative du jeune fils n’allait-elle pas tout perturber ? Il ne le retient pas malgré lui. D’abord un long silence qui est attente. « Quand on aime, c’est pas comme quand on aime pas ! », disait la vigneronne de mon enfance. Une histoire hassidique évoque le terreau du Premier Testament sur lequel fleurit ce récit :

Un fils de roi, séparé de son père par une longue distance ─ cent jours de marche ─ voudrait revenir ! Ses amis l’encouragent : « Retourne auprès ton père ! » Mais il répond : « Je n’aurai pas la force d’accomplir si long chemin ! » L’apprenant, le père lui adresse ce message : « Fais ce que tu peux, marche selon ta force, et moi je ferai le reste du chemin. » Nous percevons l’écho des paroles de Zacharie et d’autres prophètes : « Revenez à moi, et moi je reviendrai à vous » (Za 1, 3).

Ce père mesure l’exigence de la paternité. Le lien à l’enfant est vivant, et appelle ces pas qui permettent au fils de devenir/demeurer fils. Cela change tout. Celui qui a semé le désordre, revient en mendiant une place de domestique : c’est dans l’ordre des choses. Mais le père sème du désordre, celui de la compassion, en le couvrant de baisers, en lui passant au doigt l’anneau qui est le sceau de l’héritier, la sandale de l’homme libre, et en organisant une fête somptueuse avec veau gras, chants et danse. Le cadet avait d’abord calculé l’avantage du statut de domestique, il goûte la joie d’être fils : comment son cœur n’en serait-il pas retourné ? Ce pécheur de fils partage maintenant les sentiments des publicains et autres pécheurs qui venaient à Jésus pour l’écouter.

Le père ignore le donnant-donnant. Au fils aîné ─ au vieux pratiquant un peu fatigué que je suis parfois comme à ceux qui sont indifférents ─ il rappelle ce message : « Tout ce qui est à moi est à toi. » Il parle comme le Dieu de l’alliance : « Je vous donnerai une terre, une descendance, un cœur nouveau, vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. »

« Ô Dieu, délivrez-nous des pères fondateurs, des pères protecteurs, des pères supérieurs, de tous les pères écrasants et moralisateurs », lisions-nous, il y a quelques années, dans une transcription féministe du Notre Père. La seule autorité dont se prévaut ce Père, Notre Père, c’est la tendresse compatissante. Bien sûr que cela nous dépasse. Cependant, l’amour ne s’épuise pas en se donnant.

Et nous-mêmes, à quel personnage allons-nous nous identifier ? Pécheur, pharisien, aîné, cadet, serviteur petit rapporteur ? À quelle conversion sommes-nous appelés ? J’ai dit d’abord que le Père était inimitable : pourtant, chacun et chacune de nous sommes peu ou prou père ou mère. Nous ne serons certes jamais tout-puissants ni créateurs, mais le Père de la parabole peut nous rendre vulnérables aux faiblesses, aux nôtres et à celles du prochain. Comment Dieu-Père prendrait-il plaisir à la mort de ses enfants ? En nous acheminant vers Pâques, pensons à ce pardon qui nous rend notre dignité avant de restaurer la fraternité.»

Josué 5, 9a.10-12; 2 Corinthiens 5, 17-21; Luc 15, 1-3.11-32

Homélie du 03 mars 2013

Prédicateur : Père Bernard Bonvin
Date : 03 mars 2013
Lieu : Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac
Type : radio

Dieu, dans la première lecture de ce dimanche, sollicitait Moïse pour une mission : « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte […] Je suis descendu pour le délivrer … Tu diras au peuple d’Israël : « Je suis » m’a envoyé …» À Moïse désemparé, il répond en quatre mots : « Je suis avec toi » Il est aussi avec chacun/chacune de nous, mais comment s’y prend-il ?

Généralement les malheurs du monde, à la une des médias, soulèvent autant de questions que d’indignation : s’agissant du tremblement de terre d’Haïti en janvier 2010, m’a frappé le propos d’un évêque, sans doute largement partagé, tant nous sidère une telle catastrophe :

« Toute personne qui croit en Dieu et qui essaye de vivre de cette foi ne peut pas ne pas être touchée au cœur par le malheur qui détruit et par la malédiction qui touche votre pays. Tous s’interrogent : « Où es-tu Seigneur ? Que fais-tu Seigneur ? « [1]»

Dans nos quotidiens, c’est la loi du donnant-donnant qui régit la plupart de nos relations : la rétribution immédiate semble aller de soi. Mais comment l’évangile de ce jour envisage-t-il nos rapports avec Dieu ? En scène, deux faits divers tragiques, et une petite parabole. Premier fait : alors que Jésus prêche, surviennent des gens qui évoquent l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu’ils offraient un sacrifice. Ces victimes étaient-elles punies en raison de leur faute, demande-t-on à Jésus ? Non, répond-il et il renchérit en évoquant un deuxième fait aussi dramatique : mais non plus dans la Galilée suspecte de contamination païenne, mais à Jérusalem, où la chute de la tour de Siloë a causé la mort de dix-huit personnes. Fallait-il que ces victimes aient été particulièrement coupables ? « Eh bien non, martèle Jésus, et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière. »

À la différence de ses disciples, Jésus n’appelle pas le feu du ciel sur les Samaritains qui l’accueillent mal. Il nie toute intervention de Dieu dans le processus qui va du péché à la mort. Le péché nous sclérose, tue en pactisant avec la mort de l’autre et avec notre propre mort mais ce n’est pas Dieu qui va nous faire périr ; c’est nous qui allons à notre perte.

Un autre évêque considère de toute autre manière la catastrophe d’Haïti : il réfute le lien entre les malheurs et malédiction divine. Je le cite :

« Comment croire en Dieu quand la poussière a le dernier mot ? […] Curieusement, c’est nous qui pensons cela. Nous, pour qui le drame reste à distance, […] pour qui le souci du lendemain n’est pas la première urgence. Au contraire, dans les ruines [de Port-au-Prince], les survivants incarcérés, les rescapés, les familles endeuillées, […] tous ou presque, prient, […] présentent à son regard les cadavres des êtres aimés. Quel philosophe athée, […] quel sceptique oserait se moquer de ces prières ? Chacun sait bien que s’il était sous ces ruines, il ne pourrait peut-être pas retenir ces appels, même si par une autre part de soi, il les jugerait absurdes. […] L’homme, sous la menace de la mort, n’a pas besoin de se justifier pour chercher la bouffée d’air frais qui lui manque. […] Où est Dieu dans les ruines d’Haïti ? […] Il est à Haïti comme sur le Golgotha, dans le silence et le mystère, dans le cri de l’homme qui refuse de laisser à la mort le dernier mot. »

Dans l’évangile Jésus nous prémunit de la tentation d’impliquer le bras de Dieu dans les malheurs humains, quels qu’ils soient. Croyants ou non, avec notre liberté si fragile, nous sommes égaux devant la vie et la mort qui peut survenir brusquement et sans avertir. Par la foi, nous nous remettons dans la main du Créateur notre Père, quoi qu’il advienne. Se convertir, en grec metanoien, c’est plus que faire demi-tour, c’est changer d’esprit : se retourner vers Dieu dans la vie telle qu’elle va.

« Convertissez-vous », répète Jésus, qui ne considère pas l’origine du malheur, mais l’avenir des vivants. Devant les drames qui déchirent le monde, ne demeurons ni simples spectateurs, ni dénonciateurs indignés. De quel droit dénoncer le mal du monde, si dans mon quotidien, je ne suis pas au service de la vie ; si elle s’étiole autour de moi, parfois même à cause de moi ? Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez, non pas nécessairement de mort physique, mais de cette mort qu’est l’éloignement de Dieu.

A juste titre, nous n’acceptons plus de voir partout péché et punition, et nous nous réjouissons de nous libérer de ce qui nous culpabilise de manière indue. Est-ce à dire que le péché n’a plus de consistance ? Un ami prêtre écrivait : « Je connais au moins deux malheurs dont je voudrais qu’on délivre notre monde : celui de croire que nous avons trop péché pour être encore pardonnés, et celui d’imaginer que le péché n’existe plus. Deux attitudes qui insinuent le même blasphème : le Christ est mort pour rien. »

C’est sagesse de nous accueillir dans nos faiblesses : c’est courageux de nous réjouir de l’exigeante et merveilleuse responsabilité d’une liberté qui fait notre dignité inaliénable, malgré ses fragilités.

La petite parabole du figuier nous rappelle la douce patience d’un vigneron. Celui de cet évangile, nous l’identifions aussitôt : « Je suis la vigne et mon Père est le vigneron… Je suis la vigne, et vous les sarments. » Le vigneron creuse, aère les racines, enrichit la terre, émonde les sarments. Il s’agit de soins et non de saccage. La taille n’affecte le cep que pour le rendre plus fécond.

C’est peut-être un figuier au beau feuillage mais sans fruit qui irrite ce Maître : il ne se satisfait pas de la seule belle apparence. Si nous lui appartenons, laissons-le œuvrer, à savoir approfondir notre vie intérieure, aérer notre cœur dans le silence : nous exposer ainsi au soleil de Dieu ne nous clôt pas sur nous, mais nous prépare à offrir des figues au passant assoiffé.

Le Dieu qui veut que nous portions du fruit est celui qui a dit un jour à Moïse et le répète aujourd’hui : « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte… » Porter du fruit pour la vie du monde, c’est l’appel que la Parole de Dieu nous adresse. Défi immense que je ne vais pas assumer, porter et gérer seul : ce n’est pas de moi seul que relève le devoir de vivre de vie, c’est de Lui-avec-moi, c’est de Moi-avec-Lui. « Je suis avec toi… Va ! »

[1] LA CROIX, 31 janvier 2010

3e dimanche de Carême

Lectures bibliques : Exode 3, 1-8a.13-15 ; 1 Corinthiens 10, 1-6.10-12 ; Luc 13, 1-9

Homélie du 03 mars 2013

Prédicateur : Don Marco Dania
Date : 03 mars 2013
Lieu : Eglise Saint-Nicolas de Flüe, Lugano-Besso
Type : tv

Je ne sais pas si vous aussi, quand vous étiez enfants, vous alliez vous balader dans la campagne avec vos amis, en quête de quelques aventures à vivre, de nouveaux endroits à explorer.

Je me rappelle qu’une des choses qui m’attirait particulièrement, c’étaient les arbres chargés de fruits. Ce que je préférais avant tout, c’étaient les cerises, les prunes, les abricots et quelquefois aussi les figues. C’était très difficile de résister à la tentation de cueillir quelques fruits. Parfois nous le faisions quand même. Nous montions sur l’arbre…..il y n’a rien de plus savoureux que manger un fruit mûr, cueilli à même l’arbre ou carrément assis dans l’arbre. Mais la déception était grande quand nous constations que le fruit n’était pas mûr. Et j’aime à penser que Jésus peut-être appréciait aussi beaucoup les figues et qu’il comprend que je sois déçu de ne pas en trouver !

Mais avec la parabole que nous venons de lire, Jésus ne veut pas seulement exprimer sa déception de n’avoir pas pu manger quelques bonnes figues : il veut certainement nous donner un enseignement plus profond.

Il veut nous faire comprendre qu’un arbre sans fruit est comme une auto sans moteur, comme une maison sans toit, comme un téléphone sans batterie : bref totalement inutile. Il en est ainsi pour nous aussi. Si nous ne portons pas de fruit, notre vie est insignifiante. Une vie stérile, est-ce une vie ?

Le Seigneur désire donc que nous portions du fruit. Et le fruit le plus beau qui peut jaillir en nous, c’est la joie qui naît quand on a un cœur en paix, parce qu’il s’est donné aux autres.

L’invitation qui nous est faite aujourd’hui, c’est de nous convertir, de changer vie…mais cela n’a rien à voir avec un impératif moral, une obligation. Jésus n’a jamais obligé personne, il nous a toujours dit: « si tu veux, si ça te convient, si tu as envie. » Il laisse libre chaque homme de décider seul ce qu’il fait de sa propre vie. Se convertir, cela signifie changer de chemin, revenir sur nos pas et prendre un autre chemin, parce que peut-être celui que nous avions pris n’est pas juste parce qu’il ne nous a pas apporté une joie totale. Le Seigneur veut pour nous la vie en abondance et une grande joie, mais souvent quand nous vivons en ne pensant qu’à nous-mêmes, incapables de voir les besoins des autres, nous ne trouvons pas la vraie joie.

Bien sûr, quelqu’un pourrait objecter que c’est facile de le dire quand on se porte bien, toutefois quand on est atteint par la maladie, c’est bien autre chose! Aujourd’hui nous célébrons la journée des malades, “mais dans ce que tu prêches, qu’est-ce qui peut nous soulager de nos souffrances?”

Chers amis, la souffrance rend parfois notre vie vraiment très lourde, cependant grâce à Dieu nous ne sommes pas seuls dans la souffrance. Beaucoup de gens sont à nos côtés pour soulager notre souffrance physique, morale et spirituelle. Non seulement les médecins, les infirmiers- infirmières et tous les autres professionnels qui travaillent dans notre clinique, comme partout ailleurs, mais il y a aussi des bénévoles.

Ils sont comme des anges gardiens qui nous accompagnent dans les moments de grandes douleurs pour nous aider à trouver un peu de soulagement. Nous remercions donc toutes ces personnes.

 

Avant de vous laisser, je voudrais encore vous raconter une histoire qui peut nous aider à trouver la vraie joie. C’est une petite suggestion que je voudrais donner à chaque souffrant. Découvrir le « secret » de la balance.

Je vais donc vous raconter l’histoire, pour que chacun de vous ici présent, mais aussi celles et ceux qui nous suivent à la télévision, puissent connaître ce secret et le mettre en pratique.

Un jour, un homme gravement malade fut accueilli dans un hôpital et introduit dans une grande chambre au milieu de beaucoup d’autres malades. Mais peu de temps après avoir été déposé sur un lit, il appela d’une voix forte l’infirmier.

« Quel est donc cet endroit où vous m’avez amené? », protesta-t-il. « Les gens qui sont autour de moi, rigolent et plaisantent comme des enfants! Ils ne sont certainement pas aussi malades que moi !

« A vrai dire, ils sont bien plus malades que toi! », répondit l’infirmier, « mais ils ont découvert un secret, qu’aujourd’hui peu de gens connaissent ou que, ceux qui le connaissaient, n’y croient plus.

« Quel secret? » demanda l’homme.

« Celui-ci! », répondit un homme âgé dans le lit d’à côté. Il avait sur sa table de nuit, une petite balance, il prit un poids et il le déposa sur un plateau; tout de suite l’autre se leva.

« Qu’es-tu es en train de faire? », demanda l’homme.

« Je suis en train de te montrer le secret! Cette balance représente le lien qui existe entre les hommes. Le poids que j’ai placé sur le plateau représente ta douleur qui, en ce moment, te déprime. Mais pendant qu’elle t’abat, elle soulève l’autre plateau de la balance en permettant à un autre de trouver la joie. Joie et douleur se tiennent toujours main dans la main. Mais il faut que la douleur soit offerte, qu’elle ne soit pas retenue pour soi; alors elle nous fait devenir comme des enfants et elle fait fleurir le sourire même au seuil de la mort. »

« Aucune science ne peut prouver ce que tu racontes-là! », critiqua l’homme.

« Justement pour ce qui concerne la douleur vécue avec amertume. Ce n’est pas ici un problème de science mais de foi. Pourquoi n’entres-tu pas toi aussi dans la balance de l’amour? »

L’homme accepta la proposition étrange. Et lorsqu’il fut guéri et qu’il put revivre des instants de joie, il ne pouvait s’empêcher de penser à la souffrance des autres. Il se sentit ainsi être relié par un mince fil d’or avec les hommes du monde entier.

Pour beaucoup, cela ne restera qu’une jolie histoire !.

Mais si à l’avenir, vous avez à rencontrer un malade qui sait sourire, un malheureux capable de se réjouir, un handicapé qui fait confiance à la vie, rappelle-toi: tu as probablement rencontré quelqu’un qui connaît le secret de la balance…

Traduction : Evelyne Oberson, RTS-CCRT»

3e dimanche de Carême

Lectures bibliques : Exode 3, 1-8a.13-15 ; 1 Corinthiens 10, 1-6.10-12 ; Luc 13, 1-9

Homélie du 24 février 2013

Prédicateur : Père Bernard Bonvin
Date : 24 février 2013
Lieu : Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac
Type : radio

Peut-on sans mourir voir Dieu de face ?

Pierre, Jean et Jacques, ont-ils vraiment vu Jésus de Nazareth en gloire ? Ni Matthieu, ni Marc, ni Luc n’étaient au Thabor… Luc rapporte ce détail surprenant : « Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, se réveillant, ils virent la gloire de Jésus, et deux hommes à ses côtés […] qui s’en allaient… » Sans doute ne s’attendaient-ils pas à vivre une telle expérience pour se livrer ainsi au sommeil ?

L’Evangéliste Luc interprète pour nous leur expérience en recourant à de symboles empruntés au Premier Testament. D’abord une Voix venue d’une nuée. Dans l’écoute d’une voix, nous sommes récepteurs d’un message qui vient d’un autre ; et la nuée, dans la Bible, voile et manifeste simultanément Dieu. Ici donc, il apparaît que c’est Dieu, Père, qui parle : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le. » D’autre part, la présence au Thabor des grands personnages de l’histoire d’Israël entourant Jésus révèle ce qu’il est : nouveau Moïse et nouvel Élie. Il ne transcrit pas la Parole de Dieu, comme Moïse au Sinaï, mais il est lui-même cette Parole, le Verbe fait chair. Il n’est pas simple prophète de l’alliance comme Élie, il est lui-même alliance entre Dieu et l’humanité, Dieu est avec nous.

Au Thabor, Jésus rayonne Dieu. Le dedans et le dehors coïncident. Transfiguré, il est donc révélé pour ce qu’il est. La tradition orthodoxe, à juste titre, vénère particulièrement cette scène : en effet, si l’écriture de l’icône entend transfigurer le visible par l’invisible, il est normal que l’artisan-peintre s’attache à la beauté du transfiguré qui ne relève pas d’un artifice, un flash de projecteur par exemple, mais elle est le reflet du mystère, du secret intime de celui dont la parole et les actes respirent la relation filiale à Dieu. C’est d’ailleurs au cours d’un moment de prière que son corps est ainsi éclairé de l’intérieur. À juste titre, on dit parfois que la beauté de certains visages pourtant burinés par l’existence, c’est l’excès de leur âme. Alors ce n’est plus le personnage qui est présenté, mais la personne : l’image indélébile de Dieu en elle appelle notre respect inconditionnel.

Dieu se donne à qui il veut et comme il veut. Au Thabor, trois des douze apôtres sont témoins de la Transfiguration. Les trois s’assoupiront à Gethsémani, deux d’entre eux l’abandonneront au moment de sa Passion, et l’un même le reniera ! Étrange, la stratégie de Dieu ! Mais Pierre, Jacques et Jean, demeurent les témoins de la vérité du Verbe fait chair en Jésus de Nazareth.

Certains prétendent que pour le chrétien, la vie vraie commence après la mort. Ce ne fut certes pas le cas pour Jésus : il est transfiguré au moment même où il emprunte la route de Jérusalem, qui culminera à Golgotha. Signe que Dieu, par le Fils, habite le très quotidien : l’étable de Bethléem, l’atelier de Nazareth voire l’émeute de Jérusalem. Et pourtant, devant Jésus, c’est moins l’idolâtrie que l’incrédulité qui nous menace : « Si tu es le Fils de Dieu, change les pierres en pains… descends de la croix et nous croirons en toi… » Ce que Jésus ne fit point, nous l’avons entendu dimanche dernier. Ne serait-ce pas précisément ce mystère de la transfiguration qui conforte les témoins de la foi d’aujourd’hui, ces martyrs méprisés ou pourchassés ? Ils croient ferme que Dieu n’est pas moins dans la fournaise du désert que dans la fraîcheur du Thabor, qu’il y a en nous des germes de résurrection : notre vie ne saurait donc être cantonnée à une salle d’attente.

À chacun/chacune de vivre avec et de Jésus sur les sentiers quotidiens, avec leurs creux et leurs bosses. Comme Pierre, là où il fait si-bon-si-beau, nous voudrions camper : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; dressons trois tentes… » Il ne savait pas ce qu’il disait, précise Luc. Ce n’était déjà que la nostalgie du petit nuage loin des tracas quotidiens, des exigences des autres, des difficultés professionnelles, de la maladie ou de la vieillesse. S’installer où il semble que tout irait bien, que la foi et la vie chrétienne seraient facilitées ! « Il ne savait pas ce qu’il disait ! »

Le récit extraordinaire de la transfiguration nous ramène donc à l’ordinaire de la vie : le transfiguré sera le défiguré du calvaire avant d’être le ressuscité du jardin de Pâques. À nous de suivre Jésus dans la vie telle qu’elle va ! La vraie vie ne commence pas après le trépas. Ici même, il nous appartient d’épier l’empreinte du crucifié-défiguré devenu le ressuscité à la droite du Père : cette empreinte demeure aujourd’hui sur les visages creusés par la faim, ou marqués par le mal de vivre, la violence ou les soucis : « J’avais faim, soif, j’étais nu, malade ou prisonnier, et tu m’as, ou tu ne m’as pas visité. » Ces visages, un jour le Père fidèle les ressuscitera à l’image du Fils bien-aimé. La Parole de Dieu et l’Esprit Saint qui l’actualisent, si nous y recourons, peuvent transfigurer notre regard sur nos proches et nos lointains, et ainsi, ils transfigurent déjà la vie…

Un autre défi nous sollicite plus immédiatement : ici et maintenant, reconnaître le transfiguré sous l’humble signe du pain et du vin de notre eucharistie ? Que l’Esprit Saint nous le donne.»

Lectures bibliques : Genèse 15, 5-12.17-18; Philippiens 3, 17–4, ; Luc 9, 28b-36