Homélie du 17 février 2013

Prédicateur : Père Bernard Bonvin
Date : 17 février 2013
Lieu : Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac
Type : radio

« Allez-vous prêcher sur le diable », me demanda un jour un paroissien : et sans attendre ma réponse, il ajouta, gentiment goguenard, « j’adore me faire peur ! » On ne prêche pas sur le diable, il est par définition diviseur, tentateur, mais sur Jésus, fils d’Adam et fils de Dieu qui par sa désobéissance au diable, nous apprend à devenir homme vrai et vrai fils de Dieu.

À quels signes pouvons-nous repérer l’action du tentateur ? Aux forces de mort qui nous habitent — égoïsme, injustice, haine, peur et mensonge de toutes sortes, dont nous sommes obscurément complices. Le diable aime ces duretés qui nous divisent intérieurement et nous coupent des autres. Mais Jésus pouvait-il vraiment être tenté ? Au fait, pour être tenté, il faut d’abord qu’on soit libre : être libre, ce n’est pas faire n’importe quoi, mais choisir le meilleur pour nous et les autres. Précisément, le tentateur essaie de brouiller ces choix.

Pour l’évangéliste, c’est l’Esprit qui pousse Jésus au désert ; la solitude qu’offre le désert confronte la personne à sa vocation profonde : le silence en favorise l’écoute. Le tentateur fait tout pour parasiter cette écoute. Les tentations de Jésus se sont déroulées sans témoin : nous ne saurons donc jamais quel masque a revêtu le diviseur. L’évangéliste Luc montre qu’il s’est attaqué simultanément au Fils d’Adam et au Fils de Dieu : il a joué sur la fascination si humaine de l’avoir et du pouvoir, et sur la difficulté à nous remettre à Dieu dans la nudité de la foi. Par sa résistance, Jésus révèle ce qu’est un fils ou une fille de Dieu.

S’il a des astuces, le diable manque d’imagination : il reprend, avec Jésus, comme avec nous aujourd’hui, la stratégie qui trompa Adam et Ève. Au jardin d’Eden, pour le premier couple, un peu de confiance et de reconnaissance, accepter d’être créature, et c’était le paradis…

La première tentation a trait au pain, symbole de ce dont nous avons besoin et que nous recevons de la terre, le seigle et le froment, et du travail des hommes et des femmes qui permettent la venue du bon pain sur la table familiale, paysan, boulanger, commerçant, mère et père de famille ; et Dieu bien sûr : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour… » Cette chaîne de solidarité, le diviseur l’attaque. « Si tu es Fils de Dieu, change la pierre en pain… », libère-toi des limites des fils d’Adam, donne-toi à manger ! Mais l’homme n’est pas que l’être repu qui n’a besoin de personne. « Qui cherche à conserver sa vie la perd », dira plus tard Jésus. « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre » : Jésus se reçoit filialement de Dieu son Père. Et nous, gardons-nous désirants de la source de toute vie.

La deuxième tentation a trait à l’idole du pouvoir. Sa fascination engendre les compromissions et les corruptions. Si le diable s’arroge ce pouvoir, c’est que Dieu le lui a laissé et c’est mystérieux. L’apocalypse le représente sous l’image d’un dragon : « Il lui fut donné le pouvoir sur toute tribu, peuple, langue et nation. Ils l’adoreront, tous ceux qui habitent la terre » (Ap 13, 4. 6-8).

Luc, dans l’évangile, ne méprise nullement la dimension politique de toute vie : si en Jésus nous sommes adoptés fils et filles de Dieu c’est pour vivre ensemble, en frères et sœurs. L’idolâtrie du pouvoir, le magnificat de Marie l’exorcise : « Dieu jette les puissants à bas de leurs trônes, il élève les humbles » (Luc 1, 51-53). Le tentateur au contraire exploite un mirage : pactise avec moi, et le monde sera à tes pieds (Luc 4, 18). La fascination du pouvoir et des paillettes, quelle illusion ! « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. »

Du phantasme de la toute-puissance, ce temps n’est pas indemne. Certes l’homme a vocation de gérer la terre (Genèse 1, 22-28), mais en accueillant ce pouvoir comme un don. Hors de l’économie du don, la puissance devient tyrannique. Jésus avertit ses disciples : « Les Rois des nations agissent avec elles en seigneurs […] moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert. » (Luc 22, 24-27). Dans la vie de ce Fils, rien ne fera jamais obstacle au Dieu Père.

Dès lors, pas étonnant qu’il ait méprisé la troisième offre du tentateur : se servir du miracle pour contraindre ses contemporains à accepter son message. « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu », répond Jésus. A la croix, les grands-prêtres reprendront le défi : « Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Elu » (Luc 23, 35). Un journaliste formule ce savoureux commentaire : « Dieu, le Dieu de Jésus aime au point de refuser la puissance. Car sa puissance s’opposerait à notre liberté, valeur suprême à ses yeux, puisqu’il nous aime. Descends de là, si tu es si puissant, disaient les imbéciles à Jésus crucifié. Avouons-le, s’il l’eût fait, quel pied de nez, dont nous ririons encore après vingt siècles ! Mais quelle offense à la liberté de l’homme, quel affront donc, pour chacun de nous » (J. Duquesne). « Entre tes mains, Père, je remets mon Esprit. » Cette dernière parole de Jésus à la croix est le plus beau des actes de foi !

Qu’en retirer pour notre carême 2013 ? Aujourd’hui, à l’aridité des déserts, le tentateur préfère les espaces de grand confort : il cherche à nous manipuler, sans que nous nous en apercevions trop, à travers la publicité : le clinquant et le bénéfice immédiat deviennent à la mode. L’obéissance filiale de Jésus manifeste sa liberté par rapport à l’avoir et au pouvoir. Dans son Sermon sur la montagne, il nous propose trois piliers ou trois points d’appui pour nous aider à résister à nos tentations. L’Eglise en fait un chemin de carême.

La prière d’abord : dans le silence indispensable à l’écoute de la présence de Dieu, nous découvrons l’axe de notre vie qui nous empêche de ballotter au gré du conformisme et de la pensée toute faite. La prière nous relie à la Source éternelle.

Le jeûne ensuite : il nous allège en suscitant en nous la faim de la Parole de Dieu.

L’aumône enfin rappelle que chacun/chacune doit avoir part à la vie. Rien ne remet mieux à sa place la fascination de l’argent que la gratuité du don. L’aumône nous libère ainsi nous-mêmes avant de soulager les nécessités d’autrui.

Il ne s’agit plus de multiplier les pénitences comme des performances pour obtenir de Dieu ce que nous voulons. Offrons à Dieu ce que nous recevons de lui de plus précieux : notre filiation divine. Jésus nous a rappelé qu’être fils, c’est se laisser conduire par la parole de Dieu, en nous remettant à lui sans exiger de miracles. Fils et filles de Dieu, de Jésus notre frère et notre sauveur implorons la libre obéissance filiale et le refus l’esclavage des idoles.

Ce sera un très joyeux combat du carême !»

Lectures bibliques : Deutéronome 26, 4-10; Romains 10, 8-13; Luc 4, 1-13

Homélie du 17 février 2013

Prédicateur : Abbé Stephan Guggenbühl, avec des confirmands
Date : 17 février 2013
Lieu : Eglise St-Maurice, Appenzell
Type : tv

Les trois jeunes qui se préparent à la confirmation viennent de nous indiquer les tentations diaboliques auxquelles Jésus a été soumis en son temps. Je vous demande maintenant : connaissez-vous des tentations semblables dans votre entourage?

Confirmand : Oui, bien sûr. Nous voyons la publicité souvent accrocheuse pour acheter pratiquement tout : « Tu dois absolument avoir ce qui est tendance, à la mode, car sans ça tu te coupes des gens, tu n’es quand même pas stupide, le shopping est cool…  » Et soit dit en passant : l’argent facile promet une vie insouciante et plein de luxe.

Confirmand : Aujourd’hui, on cherche partout la superstar, le super talent, le top modèle. Tout doit cool, méga, hit et être au top. Partout et toujours on doit être au sommet, montrer sa puissance et sa force, on veut dominer et briller, et même parfois bluffer – et enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, rire et se moquer des perdants, des faibles et des mauviettes.

Confirmand : Nous entendons aussi les slogans séduisants des grands de la société, de la politique et de l’économie. Nous connaissons les potins souvent cools des stars de cinéma, des médias, de la scène musicale, du sport. Et beaucoup se laissent convaincre par les radotages au bistrot, là où l’alcool, la nicotine et le tabagisme favorisent encore davantage les tentations.

Curé : Lorsque les tentations sont détectées de manière claire et sans ambiguïté, comme vous venez de le faire, vous devez supposer que personne n’est assez stupide pour y succomber.

Le perfide est justement que beaucoup d’arguments du séducteur sont tout à fait compréhensibles et semblent raisonnables. Pourquoi je devrais renoncer à une vie plus confortable, pourquoi ne pas croire aux promesses, puisqu’elles proviennent toutes de gens qui ont réussi… Je ne pourrai pas lâcher ma tête et les suivre sans hésiter ?

Même le diable, dans l’évangile d’aujourd’hui, plaide de façon tout à fait raisonnable, ce qu’il dit semble sensé… Pourquoi Jésus ne serait-il pas d’accord et ne lui montrerait pas sa grandeur ?…

Et le point culminant de l’effronterie du diable, c’est d’utiliser le verset d’un psaume et de s’en moquer en disant: «Il donnera à ses anges l’ordre de te garder. Ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre.»

A y regarder de plus près, cependant, on se rend vite compte que beaucoup de tentations sont finalement liées à nous-mêmes; par exemple, quand on emploie des arguments séduisants comme: «Ça m’est donc égal, ça ne fait rien, je m’en fiche, les autres le font aussi, ça ira de toute façon…»

Une des plus grandes tentations est bien la fuite dans l’indifférence et la paresse, aussi longtemps que tout va bien pour moi, je peux me laisser aller. Détourner le regard, hausser les épaules avec indifférence, simplement ne pas vouloir voir et tout banaliser, tout cela ouvre la voie aux séductions. Ainsi je peux projeter le mal loin de moi, à l’extérieur, et je peux m’en distancier avec élégance.

Tout d’abord, ça fait du bien de constater que Jésus se tient sur le même terrain que nous, les humains.

De toute évidence, il connaît aussi les besoins physiques et matériels des humains. Il doit faire face aux mêmes tentations venant du monde.

Il est surprenant de constater, cependant, que Jésus affronte le tentateur très calmement, il ne le chasse pas de sa route. Jésus ne le diabolise pas et ne le maudit pas.

Il réagit de manière factuelle et lucide, il ne veut pas faire une démonstration de puissance ou résoudre les problèmes avec des trucs divins… Son désir ne le tire pas vers la richesse matérielle, la puissance économique, politique, religieuse ou un besoin de protection divine. Les réponses de Jésus sont courtes, simples et claires, il ne cite que l’Ecriture: «Tu ne serviras que Dieu seul».

Jésus applique ce que le séjour au désert lui a appris. Les trois attaques mesquines du diable ne le touchent quasiment pas et ne le provoquent presque pas. La vraie tentation, Jésus l’a éprouvée bien davantage dans les situations extrêmes vécues durant ses 40 jours.

Là, dans l’éloignement du monde, dehors dans la solitude, dans un lieu – comme on dit parfois – abandonné de Dieu – il a eu faim durant 40 jours. Qu’a-t-il vécu vraiment ? Un éloignement de Dieu ? Un profond désir de Dieu, une aspiration au divin, la certitude de Dieu ? comme nous le connaissons par d’autres figures religieuses et mystiques ? Nous ne le savons pas.

Parce que lorsque l’homme est entièrement tourné en lui-même, alors se produit souvent la rupture, la transformation, là, il retourne à son Dieu. Dans le désert, nous apprenons à connaître Jésus dans son humanité la plus profonde, mais aussi dans la retenue et l’élan vers Dieu. Peut-être est-ce ce que les Arabes disent dans un proverbe : «Le désert est le jardin, où Dieu va en promenade».

Les 40 jours doivent être compris, bien sûr, comme un symbole. Cette période est citée 82 fois dans la Bible. Ces jours ont valeur de test, d’étape de développement, de préparation d’un nouveau départ. Le déluge dura 40 jours, le peuple hébreu a passé 40 ans dans le désert… 40 représente simplement une période suffisamment longue, mais nécessaire pour qu’une personne vivre un éclaircissement, un processus de mise en vérité de sa propre existence.

Sur ce chemin, Jésus, rempli du Saint Esprit, est conduit, dans l’évangile de Marc on dit même qu’il a été poussé par l’Esprit.

Jésus ne prend ce chemin comme un héros combattant ou comme un marginal au souffle ésotérique. Il y va en confiance dans les pas de Dieu. Après avoir passé ce temps, il se passe des choses importantes. Pour Jésus, cela a été la préparation ultime pour tout ce qui a suivi dans les années de sa vie publique.

Si nous voulons résister aux tentations quotidiennes, nous devons, ou mieux dit, nous pouvons prendre le même chemin que Jésus.

Notre traversée du désert commence lorsque nous commençons à regarder notre propre vie, à prendre du temps pour considérer nos activités. C’est alors que commencent le questionnement et la recherche… Avec une loupe je peux examiner ma propre vie et mon propre monde avec leurs forces et leurs faiblesses, ses déceptions, mais je vois enfin plus clair. Alors surgissent aussi les doutes, les peurs et les contradictions, la lutte interne entre mes arguments et les émotions commence et dans un tel tumulte chaotique du séducteur s’installe en moi souvent un jeu facile qui dit : à quoi servent tous tes efforts, ça ne mène à rien, pourquoi tu te démènes ainsi ? Mais, comme Jésus faisant confiance à l’Esprit de Dieu, il faudra considérer ces formules creuses et ces excuses boiteuses. En sortant du désert, la personne revient dans la vie quotidienne renforcée et mûrie.

Concrètement cela peut signifier : j’enlève la saleté de mes yeux, de mes oreilles, je ne suis pas naïf, pas stupide, je considère tout mon quotidien à travers ce filtre du désert.

Alors j’entends ma voix intérieure et je me confronte à des arguments souvent contradictoires. J’essaie de surmonter les craintes et les sentiments de découragement et je veux puiser la force de résister aux séductions de ce monde séduisant, ce qui me conduit à une vie pleine de sens et qui a le goût de l’Esprit.

Peut-être que je vais faire durant ce temps de Carême, de manière consciente, quelques pas vers la liberté, je regarde autour de moi attentivement, je prends une profonde respiration et je laisse mon esprit vagabonder. Ou alors, je me prends un temps de silence, de méditation, et peut-être aussi de prière.

40 jours de carême sont devant nous. Faisons-en des jours de désert!

Lectures bibliques : Deutéronome 26, 4-10; Romains 10, 8-13; Luc 4, 1-13

Homélie du 10 février 2013

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 10 février 2013
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

Nous sommes façonnés par notre environnement, en particulier par le cadre géographique où nous évoluons le plus souvent. Ainsi ce n’est pas la même chose que d’habiter au bord d’un lac ou au bord de la mer et d’habiter dans un site rigoureusement délimité par un horizon restreint. La différence est évidente quand vous comparez les localités situées au bord du lac Léman et celles qui se trouvent dans les étroites vallées alpines – St-Maurice par exemple. C’est encore bien plus évident quand vous comparez cette dernière localité avec les Sables d’Olonne (Vendée) ! Il y a des sites qui favorisent l’enracinement et la tradition, qui inspirent la confiance et la sécurité, et d’autres qui invitent à la découverte, à foncer vers l’inconnu et l’aventure. L’être humain a besoin des deux : nous trouvons notre équilibre en naviguant sans cesse de l’un à l’autre.

Dans les évangiles il y a des lieux clos – par exemple la synagogue de Nazareth (voir l’évangile du 3ème dimanche) d’où Jésus est expulsé car « aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie » (Lc 4, 24) – et des lieux ouverts comme celui où nous nous trouvons avec l’évangile d’aujourd’hui. Les récits de vocation se passent le plus souvent dans de tels endroits : nous voici au bord d’un lac, Génésareth. Les évangiles de Matthieu et de Marc parlent d’une mer, la mer de Galilée, élargissant ainsi le cadre du récit.

Nous voici donc face à la mer et en compagnie de navigateurs, des pêcheurs en l’occurrence. Remarquez cependant que les pays de montagnes et de vallée ont aussi leurs navigateurs : ce sont les alpinistes qui escaladent les sommets. Avec ceux-ci nous tenons l’image de la montée qui est une figure d’ouverture. Toute vie humaine, qu’elle se passe dans une cellule ou au fond d’une vallée ou bien sur un littoral, est appelée à s’ouvrir. Le déclic d’une vocation est donné par la vision de l’immense (littéralement « ce qui n’a pas de limite »), d’un horizon qu’on ne peut pas mesurer, qui nous dépasse. Ce à quoi chacun d’entre nous est appelé – qu’il s’agisse de l’enfant ou de l’adolescent qui se trouvent face à l’inconnu de la vie ou qu’il s’agisse du vieillard qui lui se trouve face à l’inconnu de la mort – c’est un horizon infini, lequel nous apparaît à la fois beau, séduisant, exaltant, et angoissant, terrifiant même. La vie est belle mais elle nous fait peur aussi.

C’est devant l’infini de Dieu, sa sainteté – Dieu est le Tout Autre et l’homme n’est rien – que le prophète Isaïe découvre sa vocation. L’immense comme un appel. C’est devant la quantité terrifiante de poissons que Pierre se découvre appelé. « L’effroi l’avait saisi » dit l’évangile. Les difficultés qui assaillent nos vies nous paraissent souvent immenses. Est-ce que j’y arriverai ? Est-ce que je parviendrai à reconstruire ma vie, à repartir après un choc, après un échec ? Est-ce que cela en vaut la peine ? Vais-je m’engager à nouveau ou bien vais-je rester tranquille dans mon coin ? Autant de questions que nous nous posons les uns et les autres. Et, au cœur même de ces questions, l’évangile de ce dimanche nous murmure : « Avance au large » (Luc 5, 4).

« Avance au large », parole qui est un appel. Le disciple du Christ est appelé à vivre la situation qui est la sienne dans une perspective vocationnelle. Qu’il s’agisse de la profession que j’exerce, des rencontres de ce jour, de mes activités quotidiennes. L’Esprit de Dieu saisit l’homme là où il se trouve. Les disciples de notre évangile exercent un métier ordinaire ; ils sont des pêcheurs. C’est dans ce cadre ordinaire que retentit la parole qui appelle à vivre mieux, bien plus à vivre autre chose, plus grand, plus exaltant. « Désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Luc 5, 10). L’horizon change du tout au tout.

Au Musée d’art et d’histoire de Genève, il y a un tableau bien connu : « La pêche miraculeuse » du peintre Konrad Witz (XVe s.). A la fin du Moyen Age, Witz est déjà un peintre moderne, un artiste de l’art nouveau : il situe l’évangile dans un décor réaliste, soit Genève avec le Salève et le Môle. Il peint pour le retable de la Cathédrale Saint-Pierre, mais il peint la vie. Quand l’Évangile du Christ nous demande d’avancer au large, de suivre Jésus, il ne nous demande pas nécessairement de quitter notre cadre de vie ; mais d’y vivre autrement, de manière ouverte. Dans le moment que je suis en train de vivre, quelle possibilité d’ouverture y a-t-il ? Dans ce qui m’arrive, dans ce que je fais, dans ce qui vient à moi, quelle ouverture puis-je pratiquer ? Or l’ouverture qui accomplit notre vocation d’homme et de femme, c’est fondamentalement l’ouverture aux autres. L’horizon de ma vie fraternelle, de mes liens conjugaux, de mes relations professionnelles, de ma vie en Eglise. Le disciple de Jésus est un pêcheur d’hommes : il a pour vocation de rassembler, de créer des liens, de travailler à la proximité entre les êtres, de les arracher à leur mauvaise solitude. La tâche est immense comme la mer. Nous savons pourtant que celui qui nous appelle a déjà franchi la mer et qu’il nous attend sur l’autre rive – comme le Christ dans le tableau de Konrad Witz.»

Lectures bibliques : Isaïe 6, 1-20.3-8; 1 Corinthiens 15, 1-11; Luc 5, 1-11

Homélie du 03 février 2013

Prédicateur : Abbé Olivier Humbert
Date : 03 février 2013
Lieu : Eglie de la Visitation, Meyrin
Type : radio

DIMANCHE DE L’APOSTOLAT DES LAICS

Il y a quelques années maintenant, je me trouvais dans un kiosque à journaux, tout près de Genève. J’étais en train de regarder distraitement les titres des magazines. A côté de moi, il y avait un jeune garçon, qui pouvait avoir environ 10 ans, qui feuilletait une revue qui parlait de Jésus. C’est alors qu’une vendeuse qui semblait le connaître, l’interpelle et lui dit tout de go : « Pourquoi regardes-tu çà ? De toute façon, Jésus, c’est périmé ».

Eh bien, il me semble que cette vendeuse, par ailleurs sympathique, posait ce jour-là sans le savoir une question absolument fondamentale : « Peut-on encore suivre le Christ aujourd’hui, ou bien le Christ est-il d’une certaine manière, périmé ? ». On appelle périmé, je le rappelle, ce qui n’est plus valable, désuet, dépassé. Avec les acquis, parfois considérables, de la science, de la médecine, de la psychologie, de la pensée positive, de l’aide humanitaire, ou que sais-je encore, qu’avons-nous encore à dire, qu’avons-nous encore à proposer ? C’est une question que le monde a bien le droit de nous poser, et nous devons nous aussi nous la poser pour pouvoir y répondre. Quel sens ça a, à quoi ça rime de suivre le Christ aujourd’hui ? Nous sommes dans un monde où tout va très vite, ce qui semble vrai un jour ne l’est plus forcément le lendemain. La vie est difficile pour beaucoup, on ne peut pas se payer de mots. Avons-nous encore une bonne nouvelle à annoncer, ou devrions-nous faire nos valises et laisser la place à d’autres prophètes plus performants, plus modernes que nous ? Comment apprendre à reconnaître la présence du Christ dans notre monde ?

Pour y répondre, il me semble que le mieux est d’observer Jésus. Ce qui me frappe dans l’attitude de Jésus, c’est qu’il n’entre jamais en concurrence avec les autres, il ne cherche pas à les empêcher de vivre, mais il suit son chemin, sans dévier de sa route. Il est venu, comme Luc nous le rappelle, accomplir une parole, une promesse de vie pour tous, et spécialement pour ceux qui souffrent. Et il le fait de manière fulgurante. J’aime bien cette remarque de ce merveilleux poète qu’est Christian Bobin dans son ouvrage : « Le Christ aux coquelicots » : « Quand la vérité entre dans un cœur, elle est comme une petite fille qui, entrant dans une pièce, fait aussitôt paraître vieux tout ce qui s’y trouve ! ». C’est bien ce qui se passe à la synagogue de Nazareth lors de la venue de Jésus, j’allais dire dans sa paroisse. Tout le monde est sous le charme, le miel coule de ses lèvres, c’est un délice de l’entendre, un vrai bonheur, quoi ! On pourrait l’écouter pendant des heures, et d’ailleurs on l’écoute pendant des heures ! Et on se demande comment c’est possible, d’où ça lui vient, alors qu’on le connaît depuis si longtemps, trente ans déjà, on sait très bien qui il est, il est le fils du Joseph.

Et là, assez curieusement, alors que rien ne semblait l’annoncer, au contraire, ça va tourner au vinaigre. Pourquoi ? Parce que Jésus sent bien que derrière leur admiration il y a une ambiguïté, un quiproquo, et il va les lever. Quelle sorte de quiproquo ? C’est qu’il n’est pas celui qu’on attend ! On attend de lui qu’il fasse ses preuves, alors que lui n’a rien à prouver, il n’est pas venu pour être populaire, ni pour flatter les habitants de son village, de son pays ou même de sa religion. Et pour bien le souligner, Jésus, dans son intervention, va faire mention de quatre personnes, deux prophètes et deux païens ! Deux contestataires, Elie et Elisée, et deux misérables, le mot n’est pas trop fort, une veuve cananéenne et un lépreux syrien. Pas un seul homme de l’establishment, quel scandale ! Mais deux personnes qui ont énormément souffert : de la faim pour l’une, de la maladie pour l’autre, de l’isolement pour les deux. Ces deux païens n’avaient même pas la consolation de la foi. La veuve sera nourrie par Elie. Le lépreux sera libéré de son mal par Elisée. Mais surtout, tous deux, à travers la visite des prophètes, reçoivent une visite du ciel. Ils ont été secourus, pris en charge par un Dieu d’amour. C’est dans cette ligne que Jésus s’inscrit : celle d’un Dieu qui nous surprend toujours, d’un Dieu qui ne cesse de faire du neuf là où on attendrait qu’il vienne confirmer nos idées toutes faites, d’un Dieu qui nous précède et nous invite à sortir de nos ornières. D’un Dieu surtout, qui va à la rencontre du plus démuni et du plus faible parce que c’est de ce côté là que son cœur penche.

Alors pourquoi la colère de ces braves gens de Nazareth ? Parce que sans doute, ils pensaient, de bonne foi, avoir un droit prioritaire, ils s’étaient quand même déplacés pour lui ! Ils avaient bien droit, pensaient-ils, à un signe particulier de préférence! Déjà qu’il était allé à Capharnaüm avant de venir chez eux ! Et là Jésus leur rappelle que l’accueil du prophète ne peut pas être conditionnel. Alors bien sûr, ça dérange ! Et ils vont sortir de leurs gonds, jusqu’à vouloir le tuer. Sont-ils plus méchants que d’autres ? Mais non ! Christian Bobin, encore lui, affirme : « Aujourd’hui, les gens sont occupés à tuer Dieu. C’est une occupation à plein temps ».

Alors demandons-nous si nous ne sommes pas un peu comme eux. Quand voulons-nous tuer Dieu, tuer la Bonne nouvelle ? Chaque fois que nous préférons écouter les sirènes mortifères du succès, de la facilité, de l’illusion, de la partialité, de l’exclusion, plutôt que de recevoir la parole exigeante de vie, cette parole qui nous réveille, qui nous lave le cœur, qui nous fait vibrer, qui nous rend heureux, tout simplement parce qu’elle est vraie.

« Mais Jésus, passant au milieu d’eux, allait son chemin ». Rien ni personne ne peut l’arrêter. Jésus a la force en lui. De même, lorsque Dieu envoie le prophète Jérémie, il commence par le rendre fort, inébranlable : « Je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze pour faire face à tout le pays ». Cette force que Dieu donne et qui permet de témoigner en vérité, la demandons-nous suffisamment, la puisons-nous assez dans sa Parole ? C’est cette même force qui a permis à Jésus de tenir bon dans l’épreuve, et d’aller son chemin jusqu’à la Croix et surtout jusqu’à la Résurrection.

Alors, la Bonne nouvelle est-elle périmée ? A nous de répondre à cette question, pas tellement par des paroles, c’est facile de parler, et on est dans un monde où il y a déjà tellement de paroles inutiles. Souvent, aujourd’hui il est préférable de se taire, de ne pas trop la ramener comme on dit. Répondre pas tellement par des paroles donc, mais plutôt en choisissant de suivre le Christ sur ce chemin d’humilité, en partageant comme lui les souffrances, les incertitudes et les obscurités de notre monde, mais aussi ses richesses et ses valeurs authentiques, jusqu’à faire l’expérience de la Résurrection. Vous me permettrez de citer une dernière fois Christian Bobin : « Ressuscité par ton souffle, mon cœur connait une fièvre à rendre jaloux les feuillages des arbres, comme si le temps n’était qu’une brûlure de l’âme ».

En cette année qui est aussi ne l’oublions pas, l’année de la foi, 50 ans après le Concile Vatican II, laissons-nous saisir par cette même fièvre, soyons témoins ensemble de l’amour infini du Christ, cet amour qui trouve sa joie dans ce qui est vrai, comme le dit saint Paul. Et rendons-le vivant pour notre monde en suivant son chemin de résurrection et de vie. Amen.»

4e dimanche du temps ordinaire et dimanche de l’Apostolat des laïcs

Lectures bibliques : Jérémie 1, 4-5, 17-19;1 Corinthiens 12, 31 – 13,13; Luc 4, 21-30

Homélie du 27 janvier 2013

Prédicateur : Père Jean-Philippe Halluin
Date : 27 janvier 2013
Lieu : Eglise de la Visitation, Meyrin
Type : radio

Chers frères et sœurs, chers amis,

Permettez-moi de vous poser une question : Que s’est-il réellement passé dans la petite Synagogue de Nazareth, le jour du Sabbat, un samedi matin, lorsque Jésus avait décidé de revenir dans le petit village où il avait grandit. ?

Ce jour-là, on peut s’imaginer que le Rabbin de Nazareth ne trouve personne pour faire la lecture.

Cela arrive aussi en paroisse de temps en temps. Alors, Jésus fait signe qu’il accepte volontiers de rendre ce service.

On lui présente le livre du Prophète Isaïe, et non les rouleaux de la Torah.

En principe, c’est le Rabbin lui-même qui se charge de psalmodier le passage de la Torah qui est prévu pour ce jour-là, selon la tradition.

Pour Jésus, Isaïe représente d’avantage le souffle nouveau de l’Esprit.

Il tombe, sans doute par hasard, sur les premiers versets du chapitre 61 du livre d’Isaïe qui dit textuellement : « l’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération, aux opprimés la liberté. »

Juste après cette lecture, courte mais très dense, bizarrement, Jésus va se rassoir. A mon avis, Il a dû éprouver une émotion très forte.

Il est stupéfait de constater que cette parole tirée du livre d’Isaïe s’applique exactement à lui : en effet par le baptême que Jésus vient de recevoir, le Père L’a consacré par l’Onction, puisque l’Esprit Saint est descendu sur Lui sous l’apparence d’une colombe et a profondement transfiguré son être intérieur.

En même temps, sa mission lui est précisée : il s’agit pour Lui d’annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, et la libération aux opprimés.

Cette mission, reçue de son Père, Jésus va effectivement l’accomplir.

Pendant sa vie de prédicateur itinérant, Jésus, habité intérieurement par la force de l’Esprit Saint, a eu le courage d’annoncer à tous, mais surtout aux pauvres, un extraordinaire message d’espérance.

A tous ceux qui avaient cédé à la tentation du découragement ou du fatalisme, et dont, à l’époque, personne ne s’occupait, Il annonce :

« Reprenez courage, restez dans l’espérance, Dieu agit dans le monde et dans votre vie. »

Peu de temps après, Il dira pratiquement la même chose dans le sermon sur la montagne lorsqu’il a proclamé avec force : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. »

Ou bien« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés »

Deux mille après, posons- nous la question : où en sommes- nous en matière de pauvreté et d’oppression ?

On est bien obligé de reconnaitre que les pauvres sont très nombreux dans notre monde. Il y a aussi beaucoup de gens qui connaissent l’oppression, ou des formes modernes d’esclavage. Le travail forcé des enfants en est un exemple parmi d’autres.

Est-ce que rien n’est changé dans notre monde depuis la venue de Jésus, il y a 2000 ans ?

Il y a, certes, encore énormément de souffrance dans le monde mais en même temps, jamais il n’y a eu autant de motifs d’espérance.

En effet, on constate un peu partout, de très belles prises de conscience face à ces grands problèmes de notre monde d’aujourd’hui. C’est connu et tout le monde en parle.

De plus , on n’en finirait pas de citer des exemples de personnes qui s’engagent au service des autres pour faire reculer la pauvreté, et les divers esclavages ou oppressions. Très nombreux sont aujourd’hui les humanitaires qui donnent leur vie pour les pauvres.

Oui, frères et sœurs, soyons convaincus que le monde ne va pas vers sa perdition, comme un bateau qui va à la dérive sans gouvernail au milieu d’une mer déchainée. Non, Dieu veille sur ce monde et sur chacun d’entre nous car chaque jour se lèvent des authentiques artisans de Paix. Et à travers ces artisans de Paix , C’est Dieu qui est à l’œuvre.

Croyez- moi, ils n’ont jamais été aussi nombreux depuis que l’humanité existe. C’est là un très grand motif d’espérance qui devrait nous réjouir le cœur.

Jésus a donc eu pleinement raison de dire à Nazareth : « Aujourd’hui, cette parole est accomplie ». L’accomplissement ne concerne pas seulement la venue de Jésus, mais il se réalise aujourd’hui parmi nous.

Alors surgit certainement parmi vous une objection :

Là où je suis, je ne peux rien faire. Je n’ai pas de responsabilités particulières dans la société. Je ne suis ni homme politique ni humanitaire engagé à fond dans une ONG.

Ou bien, vous allez me dire, je me sens inutile depuis que j’ai été licencié, ou que je suis au chomage ou retraité. Tout seul dans ma maison, dans ma chambre d’EMS, ou couché sur mon lit d’hopital, que voulez-vous que je fasse pour améliorer la situation du monde d’aujourd’hui.

A chacun d’entre vous, J’aimerais vous dire que vous pouvez déjà faire beaucoup en apportant votre soutien positif aux nombreux artisans de paix répandus un peu partout sur notre planète.

On peut aussi prier pour eux et c’est bien plus important que vous ne l’imaginez.

Mais quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve, on peut toujours regarder lucidement sa vie à la lumière de l’Evangile de ce jour.

Jésus est allé dans la synagogue de son petit village, le jour du Sabbat, pour participer à un modeste rassemblement de juifs croyants qui souhaitaient écouter la parole de Dieu.

A nous de prendre un peu de temps pour s’interroger : Ou est ma petite synagogue dans laquelle je me retire quelques instant dans la journée pour me mettre à l’écoute du Seigneur qui souhaite me parler ?

Quand est-ce que je trouve le moyen de faire shabbat c’est-à-dire de m’arréter, de suspendre un court instant le sur-activisme dont nous sommes tous plus ou moins atteints.

En faisant « shabbat », nous donnons au Seigneur l’occasion de venir nous régénérer le cœur de son amour, de nous libérer de nos oppressions, de nos manques de libertés intérieures.

Dans les précieux instants que j’accorde au Seigneur, Il me redonne courage et joie de vivre. De plus, Il me permet de poser sur le monde d’aujourd’hui un regard plus juste et plus équilibré.

Enfin, est-ce-que j’accepte de rejoindre un petit groupe de chrétiens qui a le souci de se ressourcer au contact la parole de Dieu, une parole qui nous rassemble et qui nous unit sur l’ essentiel de la FOI. Le projet du diocèse qui s’appelle « L’Evangile à la maison » peut nous aider dans ce domaine. L’objectif de cette année étant de lire, en petites communautés, l’Evangile de LUC.

En conclusion, il me semble qu’il serait bon de nous souvenir qu’en me changeant en profondeur dans mon être tout entier, Dieu change le monde.

Il poursuit sans cesse son œuvre de libération, en moi et autour de moi. Soyons profondément habités par cette certitude.

Merci Seigneur, d’être allé un moment dans la synagogue de ton petit village,
Pour partager avec d’autres la Parole,
viens maintenant visiter mon cœur par ta Parole et par ton Eucharistie,
je pourrais ainsi rayonner plus librement le feu de ton Amour.

AMEN.

3e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Néhémie 8, 1-10; 1 Corinthiens 12, 12-30; Luc 1, 1-4; 4, 14-21

Homélie du 20 janvier 2013

Prédicateur : Père Mihai Mesesan, représentant de la communauté orthodoxe de la Suisse italienne.
Date : 20 janvier 2013
Lieu : Paroisse de St-Christophe de Cureglia (TI)
Type : tv

Nous sommes réunis aujourd’hui pour prier ensemble. L’œcuménisme, nous en sommes convaincus, on ne peut le décréter, ni l’ordonner, il ne naît pas des hiérarchies, mais de la base des organisations chrétiennes qui entendent le dernier message de notre unique Seigneur Dieu Jésus-Christ: “Soyez tous un afin que le monde croie”, qui s’unissent dans la prière avec la conscience que c’est l’Esprit Saint qui nous affermit, nous appelle à l’unité et à un témoignage durable. Malgré l’arrêt dont on parle peut-être trop souvent, la voie œcuménique a porté beaucoup de fruits ces dernières années. L’un des plus importants est la conscience de chrétiens de toutes les confessions et toujours plus nombreux que l’unité présuppose la pluralité. La pluralité n’est jamais sans l’autre, jamais sans l’autre frère, jamais sans l’autre Église, jamais sans la reconnaissance du statut théologique de l’autre. Aujourd’hui la coopération entre les Eglises, les paroisses, les communautés chrétiennes orthodoxes, catholiques et protestantes dans la préparation et la célébration de la Semaine de prière est devenue un usage commun. Il rend évident l’efficacité de la prière et nous légitime à parler de l’histoire de la Semaine comme d’un succès et d’une source de joie et gratitude.

Cette année le Student Christian Movement en Inde a été chargé, à l’occasion de son centième anniversaire, de préparer le matériel pour la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Durant la phase préparatoire, pendant qu’on réfléchissait sur la signification de la Semaine de prière, on a considéré le contexte de grave injustice qui touche en Inde les Dalits, qu’on appelle les “parias” ou “intouchables”, aussi à l’intérieur de l’Église. Il a été décidé que la recherche de l’unité visible devait être unie à l’effort d’éliminer le système des castes et qu’elle devait mettre en évidence la contribution à l’unité que donnent les plus pauvres des pauvres. Dans le système des castes, il y a une hiérarchie des classes sociales, et, puisque les Dalits sont tenus pour une communauté “hors caste”, ils sont vraiment les derniers des derniers dans la société indiennes: socialement mis à la marge, politiquement sous-représentés, exploités économiquement et soumis culturellement. Presque le 80% des chrétiens indiens sont d’origine dalit, et puisqu’ils sont souvent discriminés par leurs propres frères qui appartiennent à une caste, le système des castes constitue une raison de division entre les Eglises, ainsi qu’un grave problème doctrinal. Dans ce contexte, cette année, la Semaine de prière pour l’unité nous invite à réfléchir sur les versets 6 à 8 du sixième chapitre du prophète Michée, qui discute de ce que le Seigneur nous demande.

« Quelle offrande devons-nous apporter lorsque nous venons adorer le Seigneur, le Dieu très-haut ? Faut-il lui offrir des veaux d’un an en sacrifices complets ? Le Seigneur désire-t-il des béliers innombrables, des flots intarissables d’huile ? Devons-nous lui donner nos enfants premiers-nés pour qu’il pardonne nos révoltes et nos infidélités ? » On vous a enseigné la conduite juste que le Seigneur exige des hommes : il vous demande seulement de pratiquer la justice, rechercher la bonté et vivre avec humilité devant notre Dieu. (Mi 6,6-8)

Le livre de Michée appartient à la tradition littéraire de la prophétie et, au centre de son message, il y a le jugement de Dieu vers l’injustice des Hommes. L’appel fort de Michée à la justice et à la paix se concentre en particulier aux chapitres 6 et 7. Il place la justice et la paix dans l’histoire de la relation entre Dieu et l’humanité, mais il insiste sur la nécessité d’un fort engagement éthique de la part des Hommes afin que la paix et la justice deviennent réalité. La vraie foi en Dieu est donc inséparable de la sainteté personnelle et de la recherche de la justice sociale. Afin que se réalise la libération par Dieu de l’esclavage et de l’humiliation quotidienne le culte, les sacrifices, les offrandes ne suffisent pas, mais il faut aussi que nous obéissions au commandement de « pratiquer la justice, rechercher la bonté et vivre avec humilité devant notre Dieu».

La situation que le peuple de Dieu devait affronter aux temps de Michée peut être comparée à plusieurs égards à la situation actuelle de la communauté dalit en Inde. Michée dénonce l’avidité de ceux qui exploitent les pauvres, auxquels il reproche : « Vous dévorez mon peuple. Vous l’écorchez, vous lui cassez les os. » (3,3). En refusant les rituels et les sacrifices hypocrites, il nous rappelle que Dieu veut que la justice soit au cœur de notre religion et de nos rituels. Dans un monde semblable, aujourd’hui, le système des castes, le racisme et le nationalisme posent des défis sévères à la paix des peuple et, dans beaucoup de pays, d’autres castes, même si elles sont appelées avec des noms différents, empêchent le dialogue et meurtrissent la liberté de parole et d’écoute. En tant que disciples du “Dieu de la vie et de la paix”, du “Soleil de la justice”, selon l’hymnologie de l’Orient orthodoxe, nous devons marcher sur le chemin de la justice, de la miséricorde et de l’humilité. La métaphore du “chemin” a été choisie pour relier thématiquement les huit jours de prière de cette semaine, parce que, si on entend par chemin un parcours intentionnel et continu, cette image véhicule aussi le sens de dynamisme qui caractérise la suivance chrétienne.

En Inde ce chemin est accompagné par le rythme du tambour dalit et par la joie qu’on lit sur le visage des chrétiens. J’ai eu la chance l’année passée de participer à un culte protestant dans une petite île indonésienne et j’ai été fasciné par le sourire, la joie et le bonheur de la communauté entière. À ce moment, je n’ai pas pu ne pas me demander pourquoi nous, chrétiens d’Occident, nous sommes trop souvent tristes et nous sourions peu. J’ai lu dans certains livres et j’ai entendu dire par des moines et des prêtres dans leurs prédications que le Seigneur, selon la Bible, n’a jamais souri. Il est vrai qu’il n’est pas dit explicitement qu’il l’ait fait, mais il est aussi vrai qu’il a prononcé les Béatitudes/le Sermon sur la montagne.

En revenant à la métaphore du chemin que la Semaine de prière nous propose, je crois que nous, chrétiens du vingt-et-unième siècle, nous sommes appelés à montrer avec notre vie des chemins de libération et de salut qui puissent être parcourus par tous les hommes. Maintenant, la manière la plus efficace pour découvrir et parcourir ces chemins consiste à pratiquer la recherche du sens, exercice qui, de nos jours, paraît toujours plus rare : il est devenu difficile, surtout pour les nouvelles générations, de donner du sens à la vie et aux réalités qui la constituent, à tel point que l’on dénonce de plusieurs côtés la “crise du sens”. Dans cette situation, nous les chrétiens devrions savoir montrer à tous les hommes, avec humilité et détermination, que la vie chrétienne n’est pas seulement bonne, c’est-à-dire marquée par la bonté et par l’amour, mais aussi belle et bienheureuse, c’est la voie de la beauté, de la béatitude, du bonheur. Mère Teresa de Calcutta et beaucoup d’autres chrétiens ont réalisé ce bonheur qui est une seule chose avec l’amour, en souriant pendant qu’ils soignaient les malades et aidaient les indigents. Suivons nous aussi, dans la limite du possible, leur exemple et abandonnons la tristesse, qui, pour un chrétien ne peut être justifiée que par l’oubli d’être les enfants de Dieu, qui nous a envoyé son Fils Unique pour nous amener la paix, l’amour, la joie.»

Lecture biblique : Michée 6, 6-8

Homélie du 20 janvier 2013

Prédicateur : Georgette Gribi et Alain Decorzant
Date : 20 janvier 2013
Lieu : Centre oecuménique de Meyrin
Type : radio

Dialogue entre Alain Decorzant et Georgette Gribi

A :       Mais enfin, qu’est-ce que tu fais ?

G :      Ben je marche, ça se voit pas ?

A :       Nous, on voit que tu marches… mais je te rappelle qu’on nous écoute à la radio… et les auditeurs ne peuvent pas voir ce que tu fais. Et puis, qu’est-ce que c’est ce bouquin sous ton bras ?

G :       C’est une Bible. Et je marche parce que je cherche Dieu. Et pour chercher Dieu, paraît-il que marcher est un bon truc.

A :       Quoi ? Marcher aiderait à trouver Dieu ? Oh ! Tout d’abord, arrête-toi, parce que tu nous donnes le tournis à t’agiter comme une hélice ! Approche-toi un moment et, s’il te plait, racontes-nous.

G :       Marcher est un bon truc lorsque l’on est en quête de Dieu. Voilà ce qui est marqué là, dans ce livre. Ecoute plutôt : « ce que le Seigneur attend de toi, c’est que tu marches humblement avec ton Dieu. » Alors je me dis qu’en marchant, je vais peut-être trouver ce que je cherche.

A :       « Ce que le Seigneur attend de toi, c’est que tu marches humblement avec ton Dieu » c’est une phrase du prophète Michée (je crois). Mais tu penses vraiment que tu vas trouver Dieu comme ça en marchant ? D’ailleurs, chercher Dieu, c’est un peu vague, ça, non ?

G :       Je cherche Dieu, parce que j’ai soif, j’ai faim… il y a quelque chose au fond de moi, comme un souffle, une aspiration, un manque… je ne sais pas…

A :       Et ben, vaste programme, ça. Et puis c’est marrant, parce qu’en t’entendant, je me dis que moi aussi, je cherche Dieu.

G :       Toi ? Laisse-moi rire Alain! Tu es un prêtre, et tu enseignes à l’AOT, à l’Atelier Œcuménique de Théologie ; ton travail, c’est d’expliquer aux autres qui est Dieu et comment on peut s’en approcher. Ne me dis pas que toi tu cherches Dieu, c’est pas possible ! Tiens, d’ailleurs ; tu pourrais peut-être me dire quel chemin prendre, pour trouver Dieu, ça me ferait gagner du temps ?

A :       Tu sais, j’ai bien lu quelques livres, j’ai réfléchi sur Dieu ; mais j’ai beau être prêtre, j’ai de plus en plus l’impression que « Dieu », ça me dépasse ; que plus je vais de l’avant, plus je m’interroge. Et puis, ce que nous sommes en train d’échanger me fait penser à un très beau récit qui se trouve dans l’évangile de Luc, au chapitre 24… écoute ça :

« Et voici que, ce même jour, deux des disciples de Jésus se rendaient à un village du nom d’Emmaüs… »

G :       Alors comme ça, cette histoire te fait penser à moi : et pourquoi donc ?

A :       Et bien, parce que ces deux hommes sont comme toi : ils marchent. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’ils se sont mis à marcher : cela fait des mois qu’ils cheminent. Voilà des mois qu’ils se sont mis en route, parcourant les chemins de Galilée en compagnie de ce Jésus qui leur a tant apporté.

G :       Ok, moi aussi je marche ; mais je n’ai pas la chance de marcher en compagnie de Jésus ! Je suis toute seule, moi. Dieu doit avoir d’autres soucis à régler que de vouloir marcher avec moi. Et puis, ton histoire est étrange, avec ce Jésus qui semble jouer à cache-cache avec ses amis : on ne le reconnaît pas, il fait semblant de ne rien savoir sur ce qui s’est passé… il fait même mine de s’en aller… et ensuite il se fait prier pour rester ; et finalement quand enfin ils le reconnaissent, il disparaît ! C’est vraiment pas très fair-play, d’agir ainsi, comme pour troubler encore plus ces pauvres gens. D’ailleurs, ce doit être cela qu’il fait avec moi, Dieu : il joue à cache-cache ! et moi, je marche d’un coin à l’autre de la planète, et chaque fois que je pense l’avoir trouvé, c’est comme s’il m’appelait plus loin !

A :       Tiens, tu as raison, je n’avais jamais vu les choses comme ça : Dieu paraît jouer à cache-cache ! Mais regarde un peu ce qui se passe avec ces deux hommes : au début, ils sont sans entrain, sans vie. Imagine ce qu’ils viennent de vivre : c’était une belle histoire. Ce Jésus qui faisait le bien partout où il passait, cet homme qu’ils avaient suivi et aimé, lui en qui ils avaient mis toute leur espérance… c’était une belle histoire, mais maintenant cette histoire était terminée; leur maître a été crucifié. Plus jamais, il ne serait à leurs côtés sur la route ; ces deux marcheurs avaient de quoi avoir l’air sombre !

Au contraire, à la fin du récit, après avoir discuté avec le troisième homme, ils sont comme regonflés, revivifiés. Leur mémoire change de couleur, leurs ténèbres se dissipent, leur histoire s’éclaire, leur cœur se réchauffe. Le ressuscité partageait leurs pas et eux ne le savaient pas.

G :       Alors ça, il faut vraiment que tu m’expliques, parce que c’est du chinois pour moi : un homme qui revient à la vie, qui apparaît, disparaît, réapparaît, et on ne le reconnaît pas, et il devient invisible – ça, c’est sûrement la meilleure ! C’est comme la cape d’invisibilité dans Harry Potter : hop je mets la cape, je disparais ; j’enlève, je réapparais… !

A :       Je suis d’accord, c’est pas facile à comprendre tout ça.

G :       Ah bon, je vois que tu reviens à la raison !

A :       Mais toi, tu ne m’as pas bien écouté : je t’ai dis : regarde l’effet que la présence du Ressuscité a sur eux ; considère comment ils passent de l’abattement à la joie, et se remettent en route avec de nouvelles perspectives ; ils se lèvent, et c’est une résurrection.

G :       Ca je peux comprendre. Depuis le début, il y a un mot qui m’intrigue, dans cette histoire : quand ils disent à la fin que leur cœur brûlait alors qu’il leur parlait. Comme si Jésus répondait à quelque chose qui les touchait en plein cœur.

Et c’est le geste de rompre le pain qui leur fait prendre conscience de cela. Manger ensemble du pain, cela revient à partager le plus banal de nos existences, mais aussi le plus vital : la nourriture. On fait ça tous les jours, couper du pain ! Le matin, pour les tartines ; le soir, pour manger avec le fromage ! Couper du pain, et nous voilà en train de toucher à quelque chose qui ressemble fort à une rencontre avec Dieu ! Moi qui croyais être à des années-lumières de Dieu : il est peut-être bien plus près que ce que j’imaginais !

A :       C’est comme si Jésus déplaçait chaque fois ces deux hommes : Alors qu’ils quittaient Jérusalem pour fuir des mauvais souvenirs, il les questionne justement sur ce qui les attriste. – Quand les deux parlent de la visite des femmes au tombeau vide, le Christ leur met le nez dans les Ecritures et leur explique ce qu’ont annoncé les prophètes de l’Ancien Testament ; – Et lorsque les marcheurs s’arrêtent, lui fait mine d’aller plus loin pour provoquer une invitation…

G :       Là, je dois dire, présenté ainsi, ça me parle. Je pense à ces rencontres à l’improviste avec des gens que j’aime bien ; quand vient le moment de se dire au revoir, on n’a pas tellement envie de se séparer, et personne n’ose s’inviter à manger… pourtant nous sentons tous cette envie au fond de nous de rester encore un moment… ça donne de ces repas improvisés tellement délicieux… ! Mais c’est incroyable, encore une fois : nous étions en train de parler de cet évènement compliqué qu’est la résurrection – et nous voilà à discuter de choses toutes bêtes, de relations qui se tissent, d’envie, de désirs, de pain, de cœurs brûlants… Et Dieu serait là-dedans ?

A :       Mais il y a quand-même une chose qui chiffonne, moi : à peine les deux hommes ont reconnu Jésus, et celui-ci disparaît…

G :       Ah, toi aussi, il y a des choses que tu ne comprends pas ? Pourtant, ça me paraît clair à moi : en les laissant seuls, Jésus les a forcés à se remettre en route, à revenir sur leurs pas, pour parler à d’autres de tout ce qu’ils avaient vécu. C’est peut-être là l’ultime déplacement que Jésus a provoqué chez eux : il ne voulait pas un club de disciples fermés sur eux-mêmes. Depuis lors, c’est par une foule ininterrompue de témoins, que le récit de ces événements est parvenu jusqu’à nous. Grâce à ces témoins, nous pouvons nous aussi vivre de ce feu qui brûlait il y 2000 ans sur la route d’Emmaüs.

A :       Tu vois, je te l’avais dit : j’ai plus de questions que de réponses… et en parlant avec toi, depuis un moment, je perçois des choses que je n’avais jamais vues avant… et j’avance, moi aussi. C’est cela que nous faisons à l’Atelier Œcuménique de Théologie : partager nos questions, échanger nos doutes, questionner nos certitudes. Bref, nous nous enrichissons de nos expériences de vie et de foi.

G :       [pause] Je marchais pour chercher Dieu ; j’étais un peu en panne, et voilà que je suis tombée sur toi ! Parler avec toi, Alain, ça a comme apaisé ma soif, comme calmé ma faim. Après avoir pris le temps de m’arrêter un moment, je peux reprendre la route – humblement : je sais maintenant que je ne suis pas seule sur le chemin. D’autres cherchent aussi.

Est-ce que je peux t’offrir un verre, histoire qu’on discute encore un moment ?

A :       Oui, je veux bien… (G. disparaît) mais, qu’est-ce que tu fais… mais, mais je ne la vois plus ; où est-elle passée ? elle a disparu ! C’est incroyable ça. Elle m’invite à boire un verre, et… elle disparaît.

Mais c’est fou : elle disparaît comme Jésus dans le récit. Juste au moment où j’avais enfin le sentiment d’y voir un peu plus clair… Mais j’y pense : vivement que je croise au détour de mon chemin d’autres pèlerins.»

Lectures : Michée 6, 8; Luc 24, 13-35

Homélie du 13 janvier 2013

Prédicateur : Abbé Bernard Jordan
Date : 13 janvier 2013
Lieu : Monastère de Montorge, Fribourg
Type : radio

Chers amis,

C’est par deux témoignages que je vous propose d’entrer dans le dynamisme de la fête du baptême de Jésus.

Frank, un jeune que je visite à la prison, a écrit une lettre d’excuse à la personne qu’il avait lésée. A sa grande surprise, il reçoit une réponse. La personne l’encourage à s’efforcer de tout mettre en œuvre pour mieux réaliser sa vie, elle lui souhaite même une bonne fête de Noël et une nouvelle année pleine de promesses .

Quel beau geste de cette personne qui aurait pu s’enfermer dans sa haine, envers ce jeune !

Frank, tout ému, me dit que c’est l’un des plus beaux cadeaux reçus dans sa vie.

Cette personne lésée s’est plongée dans l’univers de ce jeune pour l’aider à s’en sortir.

J’ajoute encore un exemple car les témoignages nous encouragent parfois plus que de la théorie.

Karim, un jeune musulman éducateur dans une maisonnée d’adultes handicapés, se propose de passer la veillée de Noël avec deux résidents qui n’ont pas pu rejoindre leur famille. Remarquant de la tristesse dans leurs yeux, Karim leur dit:  » je vais vous gâter ce soir », le sourire revient et les deux personnes lui racontent les beaux Noël qu’ils ont passés quand tout allait bien.

Le soir venu, rien ne manquait dans la salle à manger, sapin, crèche, étoiles, fleurs, foie gras, un CD a aidé nos trois compères à chanter les chants de Noël devant la crèche.

Une fois de plus Karim s’est plongé dans l’univers de ces deux personnes pour les sortir de leur nostalgie et les ramener sur le rivage de la joie de Noël.

Dieu a besoin de nous pour rendre ce monde plus beau.

Il ne peut pas et ne veut pas nous laisser paumés et sans secours dans ce monde où le mal, la souffrance, la peur sous toutes ses formes, le doute, la solitude nous harponnent souvent.

Paul Valéry le dit bien  » un homme seul est un homme en mauvaise compagnie »

Jésus va nous montrer comment, avec Lui, il faut nous y prendre.

Après 30 ans de silence, où sa divinité s’est imprégnée d’humanité ou le contraire, Jésus inaugure sa mission de sauveur, par un geste hautement symbolique ; mais toujours dans une discrétion désarmante, c’est le langage de Dieu auquel nous devons nous habituer tout au long de notre vie.

Il descend, il se plonge dans l’eau purifiante du Jourdain, lui le tout pur, en solidarité avec cette humanité souffrante pour nous libérer de ce qui nous colle à la peau et nous ramener sur les rives pour respirer les parfums du bonheur. Et on dit qu’à ce moment là les cieux se sont ouverts. Ouf ! Nous ne sommes pas abandonnés !

Alors, pendant 3 ans, Jésus va se plonger dans la vie de ceux qu’Il rencontre :

– il mange avec les pécheurs

– il accepte Marie Madeleine parmi ses disciples

– il engage la conversation avec la samaritaine

– il permet à une prostituée de lui parfumer les pieds

– il défend la femme adultère et empêche qu’on la lapide.

– il va discuter avec les financiers de son époque, l’un devient même l’apôtre Matthieu

– il privilégie les malades, il les guérit, même le jour du sabbat,

– Il touche même les lépreux pour les guérir

– il nous apprend à prier : Quand vous priez, dites : Notre Père. Vous réalisez les conséquences !

Tout cela ne plait pas aux bienpensants de la religion de son époque. Ils le mettent à mort mais sa résurrection nous introduit dans un bonheur durable  » aujourd’hui, tu seras avec moi dans mon royaume  »

Ainsi, par notre baptême nous reconnaissons que Dieu nous communique sa force de sauveur : « vous ferez cela en mémoire de moi »

De sauvés nous devenons aussi des sauveurs. Nous sommes invités par Jésus à nous « mouiller » pour que le bonheur, la paix, la tolérance, la solidarité puissent être des réalités qui nous font vivre et mieux vivre.

Nous rejoignons ainsi tous les hommes de bonne volonté du monde entier, baptisés ou pas car tout être humain est enfant de Dieu, saint Paul nous le rappelle aujourd’hui :

 » Dieu ne fait pas différence entre les hommes  » Merveilleuse justice !

Vivre en frères, se mouiller pour les autres, parler à Dieu, c’est beau à entendre mais dans le quotidien, il faut s’y cramponner.

Certains nous disent : si on est dans la religion chrétienne, on ne se sent pas libre, on est toujours confronté à des interdictions, on rentre dans des zones trop sérieuses, trop austères, on se sent trop étriqué, il semble qu’on n’ose pas apprécier la vie, on nous culpabilise.

Ce sont leurs mots.

Et dire que c’est tout le contraire, tout le contraire, je le répète.

Nous l’avons vu dans le témoignage de Jésus, comme il respecte les personnes, comme il aime la vie. Mais aimer est parfois et souvent exigeant. C’est là, peut-être, une pierre d’achoppement, on rechigne souvent devant l’effort. Il faut savoir ce que l’on veut.

Je me pose tout de même la question : est ce que les chrétiens ont tendance  » à stériliser » le message du Charpentier de Nazareth ? Question que se posait, dans la presse, il y a quelques mois, avant de mourir, le cardinal Martini de Milan, que se pose aussi l’abbé d’Einsideln et bien d’autres encore. La question reste ouverte.

Mais rassurons nous, il y aura toujours des François d’Assise, des abbés Pierre, des Mères Teresa, des sœurs Emmanuelle, des Jean XXIII, il y aura toujours des personnes lésées qui pardonnent, il y aura toujours des Karim.

Justement, je termine avec l’humour de sœur Emmanuelle, on en a besoin de l’humour :

Voici ses paroles :

« Je dis en riant que j’ai besoin qu’on m’embrasse, ce que je ressentais beaucoup moins quand j’étais jeune. Dans la vieillesse, les signes d’affection me font du bien. J’aime que, de temps en temps, on m’embrasse sur les deux joues. C’est bon. C’est humain. C’est vrai. C’est Dieu qui vient à moi. »

Amen

Dimanche du baptême du Seigneur

Lectures bibliques : Isaïe 40, 1-5. 9-11;Tite 2, 11-14 ; 3, 4-7; Luc 3, 15-22

Homélie du 06 janvier 2013

Prédicateur : Abbé Bernard Jordan
Date : 06 janvier 2013
Lieu : Monastère de Montorge, Fribourg
Type : radio

Chers amis,

J’ose le dire, les sages d’0rient que nous fêtons aujourd’hui sont nos modèles. Ce sont des gens motivés. Ils ont cherché, ils ont trouvé.

Leur métier les passionne si bien qu’ils découvrent un astre nouveau qui indique la naissance de quelqu’un qui doit apporter un plus pour l’humanité. Aussitôt, ils partent à sa recherche.

Pensant trouver cet être exceptionnel dans un palais, ils doivent se rendre à l’évidence, c ‘est dans une étable qu’ils acceptent de s’agenouiller. Ils auraient pu reconnaitre qu’ils se sont trompés, non, ils offrent leurs précieux cadeaux. Car, ils ne cherchaient pas l’avenir dans les astres, mais des traces de Dieu dans l’univers, ils cherchaient des chemins de bonheur ( puisque nous sommes faits pour être heureux.) Ils les ont trouvés dans l’inattendu.

Une grande partie de notre vie se passe à chercher et surtout à vouloir chercher, c’est enthousiasmant, car les « bofs » et les « à quoi bon » ne mènent à rien.

Nous pouvons nous poser la question : est-ce que nous sommes encore des chercheurs de bonheur, des chercheurs d’étoiles qui conduisent à découvrir ce qui nous fait du bien, ce qui nous épanouit dans la durée ? Spontanément, nous consommons souvent des plaisirs qui disparaissent aussi vite qu’ils sont venus, malheureusement, ils ne nous laissent rien ou des traces qui peuvent nous faire souffrir. Le résultat est raté, c’est le vide.

Que faire ?

J’admire ces jeunes, ou moins jeunes, qui partent, sac au dos, à la conquête de ce monde. Ils passent des mois à vivre dans des pays d’une autre culture que la nôtre.

Je pense à ces passionnés de la montagne, à ces passionnés d’aventures, mesurant les risques bien sûr, ils veulent connaître, par leurs efforts, ce qu’il y a de beau dans ce monde, ce qui donne sens à leur vie.

Ces chercheurs rentrent toujours transformés et enrichis. La tolérance, le respect d’autrui les habitent avec une telle intensité qu’ils se contentent de vivre, ici, avec moins. Ils deviennent des êtres disponibles.

J’admire aussi que des hôpitaux, de chez nous, envoient des spécialistes de la santé accrocher des étoiles dans le firmament des hôpitaux les plus défavorisés de la planète en guise de solidarité ; à l’exemple des mages, ils apportent aussi leurs présents, là-bas.

Toutes ces personnes que je viens de mentionner rejoignent ceux qui sont restés chez nous et qui ont trouvé, avec les moyens du bord, des étoiles qui les ont conduit sur un chemin de bonheur, également. Je pense à ces nombreuses personnes âgées qui sont habitées par une riche expérience de vie. Comme il fait bon les rencontrer ! Ils ne nous laissent jamais repartir sans nous accrocher une étoile dans le ciel de notre vie.

Combien de malades, de handicapés ont plein d’étoiles à nous offrir lorsque nous les rencontrons, il faut qu’ils le sachent. Dans leurs souffrances, dans leur dépendance ils ont cherché aussi, et ils ont trouvé aussi – peut-être – pas toujours la guérison, mais une grande paix intérieure s’est installée en eux, en ayant fait l’expérience, petit à petit, qu’ils ne sont pas abandonnés, que leur vie est précieuse pour Quelqu’un qui leur apporte cette sérénité. Ce Quelqu’un c’est la personne et le message du Jésus de Noël et de Pâques.

Dieu ne vient jamais à nous en grand pompe. Il ne veut jamais s’imposer à nous. Chaque personne quelle qu’elle soit peut s’approcher de Lui. Dès sa venue dans notre humanité, Il a tout de suite donné la couleur de son message, personne ne peut se l’approprier, Il est pour tous ou Il n’est pour personne.

Pour certains, Dieu n’est pas leur problème; nous pouvons vivre sans lui, nous disent-ils.

D’ailleurs, les religions n’ont posé que des problèmes à l’humanité. Que de guerres à cause d’elles. Je ne peux qu’accueillir ces propos, il y a une part de vérité. Les chrétiens, entre autre, ont quelques fois défiguré le message du Christ, on nous a même fait peur de Dieu.

Pour d’autres, Dieu qui se fait homme, ce n’est pas possible ; Dieu naissant sur de la paille et mourant comme un bandit sur une croix, ce n’est pas sérieux.

Mais attention, si nous acceptons de rester des chercheurs de sens, dans la vie, nous ne pouvons pas en rester avec ces constatations. Le fait que nos modèles, les sages d’Orient se sont agenouillés devant l’Enfant de la crèche, nous invite à aller plus loin, à poursuivre nos recherches. Non pas que Dieu nous demanderait de nous mettre à genoux devant Lui, c’est impensable. Il ne serait pas le vrai Dieu. C’est l’homme qui librement se met à genoux en reconnaissant qu’Il est le tout le notre vie, (avec ceux que nous aimons) qu’Il est le seul à nous offrir ce que personne ne peut le faire, même avec tout l’argent du monde : un bonheur durable. C’est bien ce que chacun désire, en fait.

Ce matin, une étoile s’est posée sur le monastère de Montorge à Fribourg d’où vous nous entendez. Elle nous indique un lieu humble, un peu comme à Bethléem, un lieu où un groupe de femmes a accepté de vivre selon l’esprit de saint François et de sainte Claire d’Assise.

Humblement, elles se mettent au service du monde, au service de Dieu pour indiquer aux chercheurs (de sens) où sont les étoiles qui mènent à l’essentiel.

Que de coups de téléphone, que de visites, que de mails, que de courriers arrivent à Montorge.

Les moniales ne sont pas des magiciennes. Elles sont simplement à l’écoute de Dieu, à l’écoute de la Source, pour devenir encore plus à l’écoute des autres. Elles sont des poseuses d’étoiles dans le firmament de ceux qui veulent s’y retrouver dans la vie. C’est leur humble métier.

 

Durant la semaine qui vient de passer, nous avons prier ici pour tous ceux qui seraient, ce matin, en lien avec nous, d’une manière ou d’une autre ; en d’autres termes, nous avons parlé à Dieu de vous tous, pourtant, nous ne nous connaissons pas, mais Lui saura vous combler, Il vous aidera à repérer une étoile qui brille déjà sur vous.

Amen

Messe de l’Epiphanie

Lectures bibliques : Isaïe 60, 1-6; Ephésiens 3, 2-6; Matthieu 2, 1-12

Homélie du 06 janvier 2013

Prédicateur : Abbé Paul Frochaux
Date : 06 janvier 2013
Lieu : Eglise Notre-Dame, Vevey
La fête des rois ! C’est ainsi qu’on appelle traditionnellement l’Epiphanie. L’Ecriture toutefois ne nous dit pas que les mages étaient rois, ni même qu’ils étaient trois. En revanche, dans notre passage d’Evangile, il y a deux rois : le Roi des Juifs, le roi Hérode. Serait-ce plutôt la fête de ces deux rois là ? Pour le petit roi juif, oui, ce moment, cette rencontre est une fête car les Mages qui viennent à lui sont le signe de l’universalité du salut. Jésus est venu non seulement pour le peuple élu représenté par Marie, Joseph, les bergers, mais il est venu pour tous les hommes de bonne volonté. Parce qu’il veut être manifesté à tous, cette rencontre est pour nous une fête. On peut se demander pourquoi l’étoile n’a pas conduit les mages directement à Bethléem. Pourquoi ce détour par Jérusalem par les scribes et les prêtres ? Sans doute parce que Dieu est fidèle à ses promesses et que si le salut est offert à tous, il vient par l’intermédiaire des juifs.

Le roi Hérode, lui, n’est pas à la fête. A la question des Mages, question qui est en même temps une annonce : « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? » il est pris d’inquiétude et tout Jérusalem avec lui, nous dit l’Ecriture. Le peuple dont Hérode est le roi était pourtant en attente de la venue d’un Messie. A la place de susciter l’enthousiasme et la joie prophétisée par Isaïe « Debout Jérusalem, resplendis, elle est venue ta lumière… » C’est l’inquiétude qui prévaut en même temps que le funeste dessein de faire disparaître au plus vite ce roi si petit et déjà si gênant.

Lorsque devenu adulte Jésus sillonnera son pays, proclamant à temps et à contre temps la Bonne Nouvelle, accomplissant des miracles, s’en prenant à la Loi, il sera encore gênant, tellement même qu’on parviendra finalement à le faire arrêter et à le juger. Lors de son procès, Pilate lui demandera : es-tu le Roi des Juifs ? Nous connaissons la réponse : « Ma royauté ne vient pas de ce monde » Avec l’expression « Roi des Juifs », il y a dans le mystère de l’Epiphanie une note de la Passion comme dans les icônes orientales de la Nativité qui placent l’enfant-Jésus dans une grotte noire évoquant déjà le tombeau, comme encore dans la myrrhe offerte par les Mages qui est utilisée pour les sépultures Le don de la myrrhe annonce que Jésus est homme et qu’il connaîtra la mort.

Mais, Jésus reste Roi. L’or déposé à ses pieds en est le symbole, c’est un cadeau de roi. Or ce Roi exercera d’une toute autre manière sa royauté. Il ne sera pas roi d’un seul pays, mais du monde, on dit même lors de la fête du Christ-Roi, qu’il est Roi de l’univers. De fait, son étoile brille au firmament, elle est visible de partout, elle brille pour tous les hommes de bonne volonté. Il ne sera pas un roi imposé à un peuple, mais un roi choisi dans les cœurs.

On ne sera pas simplement invités dans son royaume, mais celui-ci sera donné en partage à tous ses disciples. Et, par la grâce de sa royauté, il fait du peuple des baptisés un peuple de prêtres, de prophètes et de rois. Par la foi qui les a conduits jusqu’à Jésus, par leur recherche obstinée, par leur long voyage, les Mages qui ne sont pas rois à la manière humaine le deviennent en fait en recevant eux aussi la Royaume des cieux en partage. Cette fête de l’Epiphanie n’est donc pas la fête des rois mages comme je l’ai dit plus haut, mais la fête des mages devenus rois en recherchant le Christ en l’adorant et en lui offrant leurs présents. Elle aussi notre fête puisque, comme les mages, nous sommes descendants des païens et nous sommes aussi associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ, par l’annonce de la bonne nouvelle.

Si tout cela est merveilleusement possible, c’est parce que le petit roi des juifs est non seulement homme, mais encore Dieu et que ce qui est impossible aux hommes l’est à Dieu.

L’encens est le rappel de la divinité de Jésus car l’encens est d’abord offert à la divinité.

A travers leur quête, leur démarche, à travers leurs dons, le Mages nous donnent un message magnifique et nous sommes invités à les suivre.

Les suivre en sachant reconnaître et en accueillant avec joie les signes que Dieu nous donne.

Les suivre en ne cessant de rechercher le Christ dans notre vie pour en recevoir le message, pour l’adorer.

Les suivre en apportant à Jésus nos présents. Nous lui offrons l’or de notre vie, de nos bonnes actions, de notre amour pour lui. Nous lui offrons l’encens de notre prière, de notre union spirituelle à lui. Nous lui offrons la myrrhe de notre condition humaine que nous nous efforcerons de vivre en communion avec ses souffrances et sa mort.

Les suivre en apportant ensemble nos dons, en Eglise, nous ne sommes jamais seuls. Que nos démarches envers le Christ soient le signe d’une Communauté de foi et d’espérance.

Les suivre en comprenant que lorsque l’on a rencontré Jésus, il nous faut prendre un autre chemin, le chemin que Dieu nous indique et non les chemins qui nous plaisent.

Les suivre en ayant le souci de témoigner de celui en qui nous croyons, en cherchant non à l’imposer mais à le proposer à tant d’homme et de femmes si proches de nous et qui ignorent qu’un Sauveur nous est advenu.

En partageant la galette des Rois, en portant peut-être à notre tête la couronne de carton, souvenons-nous qu’un message essentiel nous est donné à travers l’Evangile de ce jour : En suivant l’exemple des Mages, nous porterons un jour une couronne non pour un petit moment mais pour l’éternité bienheureuse et cette couronne sera une vraie couronne, une couronne de gloire.

Amen !

Fête de l’Epiphanie

Lectures bibliques : Isaïe 60, 1-6; Ephésiens 3, 2-6; Matthieu 2, 1-12