Homélie du 06 janvier 2013

Prédicateur : Abbé Bernard Jordan
Date : 06 janvier 2013
Lieu : Monastère de Montorge, Fribourg
Type : radio

Chers amis,

J’ose le dire, les sages d’0rient que nous fêtons aujourd’hui sont nos modèles. Ce sont des gens motivés. Ils ont cherché, ils ont trouvé.

Leur métier les passionne si bien qu’ils découvrent un astre nouveau qui indique la naissance de quelqu’un qui doit apporter un plus pour l’humanité. Aussitôt, ils partent à sa recherche.

Pensant trouver cet être exceptionnel dans un palais, ils doivent se rendre à l’évidence, c ‘est dans une étable qu’ils acceptent de s’agenouiller. Ils auraient pu reconnaitre qu’ils se sont trompés, non, ils offrent leurs précieux cadeaux. Car, ils ne cherchaient pas l’avenir dans les astres, mais des traces de Dieu dans l’univers, ils cherchaient des chemins de bonheur ( puisque nous sommes faits pour être heureux.) Ils les ont trouvés dans l’inattendu.

Une grande partie de notre vie se passe à chercher et surtout à vouloir chercher, c’est enthousiasmant, car les « bofs » et les « à quoi bon » ne mènent à rien.

Nous pouvons nous poser la question : est-ce que nous sommes encore des chercheurs de bonheur, des chercheurs d’étoiles qui conduisent à découvrir ce qui nous fait du bien, ce qui nous épanouit dans la durée ? Spontanément, nous consommons souvent des plaisirs qui disparaissent aussi vite qu’ils sont venus, malheureusement, ils ne nous laissent rien ou des traces qui peuvent nous faire souffrir. Le résultat est raté, c’est le vide.

Que faire ?

J’admire ces jeunes, ou moins jeunes, qui partent, sac au dos, à la conquête de ce monde. Ils passent des mois à vivre dans des pays d’une autre culture que la nôtre.

Je pense à ces passionnés de la montagne, à ces passionnés d’aventures, mesurant les risques bien sûr, ils veulent connaître, par leurs efforts, ce qu’il y a de beau dans ce monde, ce qui donne sens à leur vie.

Ces chercheurs rentrent toujours transformés et enrichis. La tolérance, le respect d’autrui les habitent avec une telle intensité qu’ils se contentent de vivre, ici, avec moins. Ils deviennent des êtres disponibles.

J’admire aussi que des hôpitaux, de chez nous, envoient des spécialistes de la santé accrocher des étoiles dans le firmament des hôpitaux les plus défavorisés de la planète en guise de solidarité ; à l’exemple des mages, ils apportent aussi leurs présents, là-bas.

Toutes ces personnes que je viens de mentionner rejoignent ceux qui sont restés chez nous et qui ont trouvé, avec les moyens du bord, des étoiles qui les ont conduit sur un chemin de bonheur, également. Je pense à ces nombreuses personnes âgées qui sont habitées par une riche expérience de vie. Comme il fait bon les rencontrer ! Ils ne nous laissent jamais repartir sans nous accrocher une étoile dans le ciel de notre vie.

Combien de malades, de handicapés ont plein d’étoiles à nous offrir lorsque nous les rencontrons, il faut qu’ils le sachent. Dans leurs souffrances, dans leur dépendance ils ont cherché aussi, et ils ont trouvé aussi – peut-être – pas toujours la guérison, mais une grande paix intérieure s’est installée en eux, en ayant fait l’expérience, petit à petit, qu’ils ne sont pas abandonnés, que leur vie est précieuse pour Quelqu’un qui leur apporte cette sérénité. Ce Quelqu’un c’est la personne et le message du Jésus de Noël et de Pâques.

Dieu ne vient jamais à nous en grand pompe. Il ne veut jamais s’imposer à nous. Chaque personne quelle qu’elle soit peut s’approcher de Lui. Dès sa venue dans notre humanité, Il a tout de suite donné la couleur de son message, personne ne peut se l’approprier, Il est pour tous ou Il n’est pour personne.

Pour certains, Dieu n’est pas leur problème; nous pouvons vivre sans lui, nous disent-ils.

D’ailleurs, les religions n’ont posé que des problèmes à l’humanité. Que de guerres à cause d’elles. Je ne peux qu’accueillir ces propos, il y a une part de vérité. Les chrétiens, entre autre, ont quelques fois défiguré le message du Christ, on nous a même fait peur de Dieu.

Pour d’autres, Dieu qui se fait homme, ce n’est pas possible ; Dieu naissant sur de la paille et mourant comme un bandit sur une croix, ce n’est pas sérieux.

Mais attention, si nous acceptons de rester des chercheurs de sens, dans la vie, nous ne pouvons pas en rester avec ces constatations. Le fait que nos modèles, les sages d’Orient se sont agenouillés devant l’Enfant de la crèche, nous invite à aller plus loin, à poursuivre nos recherches. Non pas que Dieu nous demanderait de nous mettre à genoux devant Lui, c’est impensable. Il ne serait pas le vrai Dieu. C’est l’homme qui librement se met à genoux en reconnaissant qu’Il est le tout le notre vie, (avec ceux que nous aimons) qu’Il est le seul à nous offrir ce que personne ne peut le faire, même avec tout l’argent du monde : un bonheur durable. C’est bien ce que chacun désire, en fait.

Ce matin, une étoile s’est posée sur le monastère de Montorge à Fribourg d’où vous nous entendez. Elle nous indique un lieu humble, un peu comme à Bethléem, un lieu où un groupe de femmes a accepté de vivre selon l’esprit de saint François et de sainte Claire d’Assise.

Humblement, elles se mettent au service du monde, au service de Dieu pour indiquer aux chercheurs (de sens) où sont les étoiles qui mènent à l’essentiel.

Que de coups de téléphone, que de visites, que de mails, que de courriers arrivent à Montorge.

Les moniales ne sont pas des magiciennes. Elles sont simplement à l’écoute de Dieu, à l’écoute de la Source, pour devenir encore plus à l’écoute des autres. Elles sont des poseuses d’étoiles dans le firmament de ceux qui veulent s’y retrouver dans la vie. C’est leur humble métier.

 

Durant la semaine qui vient de passer, nous avons prier ici pour tous ceux qui seraient, ce matin, en lien avec nous, d’une manière ou d’une autre ; en d’autres termes, nous avons parlé à Dieu de vous tous, pourtant, nous ne nous connaissons pas, mais Lui saura vous combler, Il vous aidera à repérer une étoile qui brille déjà sur vous.

Amen

Messe de l’Epiphanie

Lectures bibliques : Isaïe 60, 1-6; Ephésiens 3, 2-6; Matthieu 2, 1-12

Homélie du 06 janvier 2013

Prédicateur : Abbé Paul Frochaux
Date : 06 janvier 2013
Lieu : Eglise Notre-Dame, Vevey
La fête des rois ! C’est ainsi qu’on appelle traditionnellement l’Epiphanie. L’Ecriture toutefois ne nous dit pas que les mages étaient rois, ni même qu’ils étaient trois. En revanche, dans notre passage d’Evangile, il y a deux rois : le Roi des Juifs, le roi Hérode. Serait-ce plutôt la fête de ces deux rois là ? Pour le petit roi juif, oui, ce moment, cette rencontre est une fête car les Mages qui viennent à lui sont le signe de l’universalité du salut. Jésus est venu non seulement pour le peuple élu représenté par Marie, Joseph, les bergers, mais il est venu pour tous les hommes de bonne volonté. Parce qu’il veut être manifesté à tous, cette rencontre est pour nous une fête. On peut se demander pourquoi l’étoile n’a pas conduit les mages directement à Bethléem. Pourquoi ce détour par Jérusalem par les scribes et les prêtres ? Sans doute parce que Dieu est fidèle à ses promesses et que si le salut est offert à tous, il vient par l’intermédiaire des juifs.

Le roi Hérode, lui, n’est pas à la fête. A la question des Mages, question qui est en même temps une annonce : « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? » il est pris d’inquiétude et tout Jérusalem avec lui, nous dit l’Ecriture. Le peuple dont Hérode est le roi était pourtant en attente de la venue d’un Messie. A la place de susciter l’enthousiasme et la joie prophétisée par Isaïe « Debout Jérusalem, resplendis, elle est venue ta lumière… » C’est l’inquiétude qui prévaut en même temps que le funeste dessein de faire disparaître au plus vite ce roi si petit et déjà si gênant.

Lorsque devenu adulte Jésus sillonnera son pays, proclamant à temps et à contre temps la Bonne Nouvelle, accomplissant des miracles, s’en prenant à la Loi, il sera encore gênant, tellement même qu’on parviendra finalement à le faire arrêter et à le juger. Lors de son procès, Pilate lui demandera : es-tu le Roi des Juifs ? Nous connaissons la réponse : « Ma royauté ne vient pas de ce monde » Avec l’expression « Roi des Juifs », il y a dans le mystère de l’Epiphanie une note de la Passion comme dans les icônes orientales de la Nativité qui placent l’enfant-Jésus dans une grotte noire évoquant déjà le tombeau, comme encore dans la myrrhe offerte par les Mages qui est utilisée pour les sépultures Le don de la myrrhe annonce que Jésus est homme et qu’il connaîtra la mort.

Mais, Jésus reste Roi. L’or déposé à ses pieds en est le symbole, c’est un cadeau de roi. Or ce Roi exercera d’une toute autre manière sa royauté. Il ne sera pas roi d’un seul pays, mais du monde, on dit même lors de la fête du Christ-Roi, qu’il est Roi de l’univers. De fait, son étoile brille au firmament, elle est visible de partout, elle brille pour tous les hommes de bonne volonté. Il ne sera pas un roi imposé à un peuple, mais un roi choisi dans les cœurs.

On ne sera pas simplement invités dans son royaume, mais celui-ci sera donné en partage à tous ses disciples. Et, par la grâce de sa royauté, il fait du peuple des baptisés un peuple de prêtres, de prophètes et de rois. Par la foi qui les a conduits jusqu’à Jésus, par leur recherche obstinée, par leur long voyage, les Mages qui ne sont pas rois à la manière humaine le deviennent en fait en recevant eux aussi la Royaume des cieux en partage. Cette fête de l’Epiphanie n’est donc pas la fête des rois mages comme je l’ai dit plus haut, mais la fête des mages devenus rois en recherchant le Christ en l’adorant et en lui offrant leurs présents. Elle aussi notre fête puisque, comme les mages, nous sommes descendants des païens et nous sommes aussi associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ, par l’annonce de la bonne nouvelle.

Si tout cela est merveilleusement possible, c’est parce que le petit roi des juifs est non seulement homme, mais encore Dieu et que ce qui est impossible aux hommes l’est à Dieu.

L’encens est le rappel de la divinité de Jésus car l’encens est d’abord offert à la divinité.

A travers leur quête, leur démarche, à travers leurs dons, le Mages nous donnent un message magnifique et nous sommes invités à les suivre.

Les suivre en sachant reconnaître et en accueillant avec joie les signes que Dieu nous donne.

Les suivre en ne cessant de rechercher le Christ dans notre vie pour en recevoir le message, pour l’adorer.

Les suivre en apportant à Jésus nos présents. Nous lui offrons l’or de notre vie, de nos bonnes actions, de notre amour pour lui. Nous lui offrons l’encens de notre prière, de notre union spirituelle à lui. Nous lui offrons la myrrhe de notre condition humaine que nous nous efforcerons de vivre en communion avec ses souffrances et sa mort.

Les suivre en apportant ensemble nos dons, en Eglise, nous ne sommes jamais seuls. Que nos démarches envers le Christ soient le signe d’une Communauté de foi et d’espérance.

Les suivre en comprenant que lorsque l’on a rencontré Jésus, il nous faut prendre un autre chemin, le chemin que Dieu nous indique et non les chemins qui nous plaisent.

Les suivre en ayant le souci de témoigner de celui en qui nous croyons, en cherchant non à l’imposer mais à le proposer à tant d’homme et de femmes si proches de nous et qui ignorent qu’un Sauveur nous est advenu.

En partageant la galette des Rois, en portant peut-être à notre tête la couronne de carton, souvenons-nous qu’un message essentiel nous est donné à travers l’Evangile de ce jour : En suivant l’exemple des Mages, nous porterons un jour une couronne non pour un petit moment mais pour l’éternité bienheureuse et cette couronne sera une vraie couronne, une couronne de gloire.

Amen !

Fête de l’Epiphanie

Lectures bibliques : Isaïe 60, 1-6; Ephésiens 3, 2-6; Matthieu 2, 1-12

Homélie du 30 décembre 2012

Prédicateur : Georges Savoy, diacre
Date : 30 décembre 2012
Lieu : Eglise St-Laurent, Charmey
Type : radio

Chers amis, frères et sœurs de Jésus, mes frères et mes sœurs par conséquent,

Sainte famille ! Sainte famille ! Que c’est beau la sainte famille !

N’admirons pas trop ! Ca pourrait trop nous engager.

Il y a deux types de modèles. Des modèles inaccessibles. Ceux qui nous laissent à notre médiocrité et nous dissuadent d’oser même entreprendre un changement personnel en vue de les imiter. Des modèles accessibles, qui sont à notre portée, parce qu’ils reflètent notre vie, assument les difficultés de nos vies. Ces modèles-là nous mettent en chemin. La Sainte Famille est-elle un modèle accessible ?

Il semble que non.

Voyez plutôt !

Il y a entre les personnes de cette famille, dite Sainte – et elle l’est, l’Eglise nous l’affirme – des distances objectivement intolérables pour tout homme, toute femme et tout enfant normalement constitués. Or nous sommes normalement constitués.

Regardons les personnages de cette bien curieuse histoire racontée pour nous par Luc aujourd’hui : L’histoire de Jésus perdu par ses parents, retrouvé après trois jours en situation inattendue. Il est assis au milieu des docteurs de la Loi. Il les écoute, leur pose des questions et répond à certaines des leurs.

Premier personnage :

Un père, Joseph, qui, peu avant de commencer sa nouvelle vie de famille, est désigné comme l’époux promis, alors même que sa fiancée attend un enfant qui n’est pas de lui. Comment accueillir chez lui Marie enceinte par les œuvres d’un autre que lui ? Distance de l’infidélité – c’est ainsi que Joseph reçoit la nouvelle de la grossese de Marie – qui sépare un homme et une femme qui voudraient se promettre fidélité précisément pour la vie.

Deuxième personnage :

Un père, le père réel celui-là, désigné par l’Ange à Marie, peu avant son mariage, comme le Très-Haut envoyant sur elle son Esprit-Saint fécond. Comment Marie peut-elle imaginer que ce Dieu Très-Haut, c’est-à-dire celui qui est infiniment lointain, puisse rejoindre sa petitesse de jeune fille du petit village de Nazareth ? La distance entre ce Père et cette épouse qu’il s’est choisie est objectivement insurmontable, réellement infranchissable. Ne faudrait-il pas que, pour qu’une telle épousaille se réalise, que Dieu cesse d’être Dieu. Dieu est le Très-Haut. Et non pas le Très-Bas, que je sache.

Troisième personnage :

 

Une mère partagée entre l’amour de Dieu pour elle, son amour à elle pour lui et son amour pour Joseph, son fiancé ? Dieu ne lui demande-t-il pas de se tenir en quelque sorte à distance de Joseph ? Difficile pour Marie ! Difficile pour Joseph !

Quatrième personnage :

Un fils, Jésus, dont nous faisons mémoire de ses douze ans aujourd’hui, qui revendique devant ses parents affolés, une paternité autre que celle de son père Joseph.

Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être.

Quels parents pourraient accepter un tel discours d’un enfant qui en fait vient de manquer aux règles élémentaires de la vie en famille ? Régles qui consistent en ceci : Un enfant se doit de suivre ses parents, et ce, surtout quand il y a déplacements de foule. Pour le moins distante, l’attitude de Jésus vis-à-vis de ses parents !

Non seulement ce modèle familial est inaccessible – il n’y a que cette famille au monde pour accueillir le Fils de Dieu – , mais en plus il n’est pas souhaitable de s’y conformer, à cause de toutes ces distances.

Pourtant notre foi en Eglise nous dit qu’il y a là un enseignement, un modèle.

Où le modèle ? Où la sainteté du modèle?

Une lecture attentive de Luc va nous aider à répondre à cette question.

Les parents sont stupéfaits. Joseph – c’est son habitude, dans le texte biblique tout au moins – ne dit rien. Marie pose une question et dit sa souffrance et celle de son mari.

Mon enfant, pourquoi nous as tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert, ton père et moi.

Comme c’est le cas au sein de beaucoup de couples, notons-le au passage, l’épouse dit la souffrance de son mari qui souffre en silence. Mais ce n’est pas là, proablement, qu’il faut chercher un modèle.

Ils ne comprennent pas. Pour nous cela paraît simple, nous savons ce qu’il adviendra de Jésus. Pour eux, Marie et Joseph, ce n’est pas le cas. Ils souffrent. Marie, elle, dans cette incompréhension, garde néanmoins l’événement dans son cœur, c’est-à-dire dans son intimité la plus profonde.

Et Jésus, dans l’histoire, comment réagit-il ? Il descend à Nazareth avec eux, cette fois – il aurait bien pu le faire tout de suite – et il leur est soumis. Ce qui ne l’empêche pas de grandir en grâce et en sagesse, sous le regard de Dieu et des hommes.

Où donc le modèle ? Où donc la sainteté du modèle ?

Il l’est, le modèle, elle l’est, la sainteté, dans toutes ces distances constatées entre les personnages de cette histoire. Et notamment, fondamentalement dans la distance qui constitue le rapport de Dieu avec sa création, avec toutes ses créatures.

Et s’il y a modèle dans la Sainte Famille, c’est dans la façon qu’elle a de gérer en famille ces distances, la Sainte Famille.

Enfants que nous avons tous été et que nous restons vis-à-vis de nos parents vivants ou morts, mais vous aussi les enfants d’aujourd’hui, sachons qu’il y a une sainte façon de quitter son père et sa mère. Celle qui consiste à poser à vos parents les vraies questions, tout en leur restant soumis. C’est la façon de Jésus, Dieu-Fils.

Nous tous, les parents d’aujourd’hui, sachons que toutes séparations, toutes distances, celles qui s’installent entre nous, mari et époux, celles qui s’installent entre nous et nos enfants, sont autant d’espaces offerts au renouvellement du respect mutuel, qui est la tonalité privilégiée de l’amour. C’est de cette façon que Marie et Joseph vivent leur relation entre eux et avec Jésus.

Parents qui avez perdu un enfant, croyez – et que personne ne dise que la foi est facile – , croyez que la séparation de la mort, dont Marie fera l’expérience, est encore cet espace offert au renouvellement de votre relation avec lui, au renouvellement de sa relation avec vous. Vous n’en avez pas fini avec lui, ni lui avec vous. Il y a marge pour un progrès relationnel pacifiant.

Pourquoi est-elle sainte, cette façon de vivre dans la famille les inévitables distances, les inévitables séparations ? Parce que c’est la façon de procéder de Dieu Père vis-à-vis de Jésus. A peine l’a-t-il engendré qu’il le livre à la fragilité d’une famille d’adoption, qui n’a pour richesse que la foi de ses parents.

Et pour vivre en famille cette sainteté, il n’est pas nécessaire – ni suffisant d’ailleurs – que la famille soit normale, comme on dit de façon irréfléchie, c’est-à-dire constituée selon les lois de l’état et de l’Eglise. Cette sainteté est tout autant la santé possible des familles décomposées ou recomposées. Elle est une ressource pour les enfants aimés, comme pour les mal aimés, pour les enfants entourés de parents qui s’aiment et vivent encore ensemble comme pour les enfants abandonnés, pour les enfants adoptés et leurs parents comme pour les enfants en orphelinat.

Pourquoi est-il si universel ce modèle familial ? Parce que Dieu est Dieu et ne veut en perdre aucun. Parce que Dieu, le Très-Haut, le tout autre, le tout lointain s’est fait le Très-Bas, le tout semblable et le tout proche. Sans jamais s’imposer. Sans obliger ni contraindre.

C’est parce qu’il est le plus lointain tant il est grand, que, se faisant proche et petit, il peut nous aimer d’un amour qui libère.

C’est parce qu’il est le plus lointain tant il est grand, que, nous faisant proche de lui, nous pouvons l’aimer en toute liberté du cœur.

Nos familles sont le creuset de cet amour mutuel.

Dimanche de la Sainte Famille

Lectures bibliques : 1 Samuel 1, 20-28; 1 Jean 3, 1-2, 21-24; Luc 2, 41-52

Homélie du 25 décembre 2012

Prédicateur : Père Jacques le Moual
Date : 25 décembre 2012
Lieu : Eglise St-Laurent, Charmey
Type : radio

Nous avons célébré cette nuit la naissance du Christ, celle d’un tout petit enfant placé dans une crèche auprès de Marie sa mère et de Joseph son père qui le contemplent. On peut y ajouter le bœuf et l’âne, de même que quelques bergers. Sans oublier quelques moutons.

Cette naissance fut d’abord annoncée à des bergers qui gardaient leurs troupeaux dans les environs : « Aujourd’hui leur dirent les anges, le Sauveur vous est né. » Ils partirent aussitôt à sa recherche : L’ayant trouvé, ils n’eurent rien de plus pressé que de le faire connaître à leur tour.

Ainsi comme celle de cette nuit, la liturgie que nous célébrons ce matin célèbre le mystère de la naissance du Fils de Dieu sur terre, mais avec des textes bibliques qui attirent l’attention sur d’autres aspects du mystère.

Dés le début de son Evangile, comme vous venez de l’entendre, saint Jean veut nous faire comprendre que si, à tant d’égards, l’enfant de Marie et de Joseph est un enfant comme les autres, il est d’un autre point de vue très différent de tous les enfants qui sont nés à la même époque que lui.

Ce matin, jour de fête d’une naissance, plus que jamais, nous sommes invités à poser un long et profond regard de foi sur cet enfant.

Mais qui est-il cet enfant ? et que veut-il?

D’abord qui est-il ?

Cet enfant vient de Dieu. Plus encore il est le Fils de Dieu devenu homme pour parler aux hommes au nom de son Père du Ciel. D’où le nom qui lui est donné : « Le Verbe de Dieu », c’est-à-dire sa Parole Vivante.

Lui qui était auprès de Dieu, il est aussi de nature divine. Il est le Fils Dieu. Or ce verbe qui était Dieu, il est venu chez nous. Il est venu vivre sur notre terre. Il s’est fait réellement homme. Il est aussi le reflet resplendissant de la gloire du Père. En lui Dieu vient chez nous, en lui Dieu nous révèle son visage. En regardant l’enfant de Bethléem nous apprenons la dignité humaine telle que Dieu nous l’enseigne.

Ensuite, que veut-il cet enfant ?

Il veut éclairer et guider les hommes vers son Père : Mieux encore il veut nous communiquer sa propre vie pour que par lui avec lui et en lui nous devenions fils Dieu, enfant de lumière. Illuminés par le Christ nous aurons à cœur de faire bénéficier nos frères de cette lumière.

Alors ce matin puissions-nous nous émerveiller encore devant la crèche, non seulement en pensant à ce qu’est devenu un jour le Verbe de Dieu, il est devenu un tout petit enfant mais en pensant aussi à ce que cet enfant est venu nous offrir. Il est venu nous offrir de devenir enfants à notre tour enfants de Dieu, enfants de lumière.

Pouvait-il nous arriver quelque chose de plus extraordinaire !

Pour cette très grande grâce sachons rendre grâce, sachons dire Merci.

A chacun et à chacune d’entre vous, par les ondes, la communauté paroissiale de Charmey vous souhaite une bonne et sainte fête de Noël : fête de la lumière, fête de l’espérance par excellence.

Bon Noël à tous et à toutes.

Messe de la nativité du Seigneur

Lectures bibliques : Isaïe, 52 7-10; Hébreux 1, 1-6; Jean 1, 1-18

Homélie du 25 décembre 2012

Prédicateur : Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris
Date : 25 décembre 2012
Lieu : Cathédrale Notre-Dame, Paris
Type : radio

Nous avons vu sa gloire

Depuis les débuts de l’humanité, à travers tous les âges et tous les pays, les hommes ont été confrontés à l’énigme de Dieu et ils ont cherché la réponse à cette énigme. La grande difficulté a toujours été de tenir ensemble deux impératifs incontournables. Premièrement, ne pas réduire Dieu à nos imaginations sur lui ; ne pas se fabriquer un Dieu à l’image de l’homme, sinon il n’est plus Dieu. Dieu n’est vraiment Dieu que s’il est le « Tout-Autre ». Deuxièmement, comment communiquer avec ce « Tout-Autre » ? Car, s’il n’y a aucune communication avec lui, alors son existence ou son inexistence ne nous intéresse pas.

Dans notre culture moderne occidentale sécularisée, on a pensé surmonter ces difficultés en déclarant que Dieu ne nous est plus utile. Les progrès des sciences et des technologies modernes ont fait reculer ce que les anciens semblaient attribuer au mystère divin. Le monde est devenu indépendant et n’a plus besoin de Dieu pour être compris. Mais, alors, si cette conviction correspondait pleinement à la réalité, comment expliquer qu’elle ne soit pas universellement reconnue ? Comment oser sous-entendre que les autres cultures, qui ont gardé leur questionnement sur Dieu et tentent d’y répondre, seraient des sous-cultures ou des civilisations mineures ? Et encore, comment expliquer que notre homme occidental, prétendument délivré de Dieu, se rue sur toutes sortes de superstitions ou compense son angoisse de vivre par la consommation des neuroleptiques ? Lui resterait-il une question non résolue ?

La foi des juifs s’est construite sur une certitude : Dieu n’est pas comme nous, d’aucune façon, et, en même temps, il s’occupe de l’humanité qu’il a appelée à la vie. Il fait alliance avec lui. Il intervient dans son histoire et il lui envoie des messagers pour lui transmettre sa Parole. Ces « messagers de la Bonne Nouvelle » se sont exprimés sous des « formes fragmentaires et variées », comme nous le dit l’épître aux Hébreux, et leurs messages ont été soumis aux risques des interprétations diverses ou même rejetés. La foi des chrétiens, sans renoncer à la différence entre Dieu et les hommes, reçoit la naissance de Jésus, comme un accomplissement des expressions précédentes. En lui, c’est le Verbe de Dieu lui-même qui prend chair dans notre condition et notre histoire humaines. « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique. » (Jn. 1, 14)

La venue du Verbe de Dieu dans notre chair, son incarnation, est l’accomplissement de la promesse de Dieu : « D’un bout de la terre à l’autre, les nations verront le salut de notre Dieu. » (Isaïe 52, 10) C’est la source d’une espérance extraordinaire : l’humanité n’est pas enfermée dans une fatalité sans recours. Dieu a visité son peuple, il a établi sa demeure parmi nous. Cette certitude de la visite et de la présence de Dieu, est une grande cause de joie, comme nous le rappelait le récit de saint Luc à propos des bergers dans la nuit de Bethléem. Mais ces bergers sont les premiers d’une multitude d’hommes et de femmes qui reconnaissent aujourd’hui dans la naissance de Jésus de Nazareth un chemin de salut, de justice et de paix.

Aujourd’hui encore, en célébrant la naissance du Christ, nous sommes saisis par la joie et l’espérance. Nous voyons d’un regard renouvelé chacune de nos existences et la réalité du monde. Rien de ce qui est en ce monde, qui a été voulu et fait par lui ; rien de ce qui fait le tissu de l’histoire des nations et de chacune de nos existences, rien, ni la vie, ni la mort, ni aucune de nos joies et de nos peines, aucune de nos espérances et de nos déceptions, aucune de nos attentes et aucun de nos efforts, rien ne peut demeurer étranger au Christ qui a voulu devenir l’un des nôtres et qui l’est devenu en effet. Là où la méconnaissance de Dieu engendre inquiétude et désillusion, la reconnaissance de l’incarnation du Fils unique de Dieu apporte sérénité et consolation.

Tous n’ont pas la chance et la grâce d’être associés à cette joie et à cette espérance. Mais nous, frères très chers, il nous a été donné d’être introduits avec Marie, Joseph et les bergers dans la sainte nuit de la Nativité. Nous savons, de science sûre, que l’homme n’est pas abandonné à ses démons et à la mort, mais qu’il est appelé à la vie et la plénitude de la joie. Cette certitude ne nous protège d’aucune des difficultés de la vie, d’aucune épreuve. Comme tous les autres, nous sommes touchés par la maladie et la mort ; comme tous les autres, nous connaissons l’adversité ou la trahison ; comme tous les autres, nous supportons les conséquences des événements nationaux ou internationaux, les effets de la crise économique, bref, rien ne nous est épargné.

Si nous ne perdons ni la sérénité, ni la constance, ni l’espérance, ni la joie, ce n’est pas par inconscience ou insensibilité ou par une force personnelle particulière. Notre force, notre paix et notre joie, c’est la personne de Jésus, Fils unique de Dieu, né de la Vierge Marie, notre Seigneur et notre frère. En cette année de la foi, à laquelle nous a invités le pape Benoît XVI, nous sommes appelés à renouveler notre attachement à Jésus de Nazareth, lui qui a rendu visible aux yeux des hommes la présence du Dieu invisible. Que votre communion au Christ soit votre force et votre joie.»

Messe de la nativité du Seigneur

Lectures bibliques : Isaïe 52, 7-10; Hébreux 1, 1-6; Jean 1, 1-18

Homélie du 24 décembre 2012

Prédicateur : Père Jacques le Moual
Date : 24 décembre 2012
Lieu : Eglise St-Laurent, Charmey
Type : radio

« Aujourd’hui vous est né un Sauveur dans la ville de David. Il est le Messie le Seigneur. »

Avec le récit de la naissance de Jésus que nous venons d’entendre saint Luc nous fait entrer dans le mystère de Noël : mais pour reconnaître le don de Dieu dans l’humble signe d’un nouveau né couché dans une crèche, il faut la candeur des petits et des pauvres.

La scène est, certes, attendrissante et nous pouvons assurément nous laisser émouvoir. Un enfant né au hasard d’un voyage exigé par les grands de ce monde, un enfant couché dans une mangeoire d’animaux, quoi de plus ordinaire, de plus simple ? Mais voici que dans cette simplicité éclatent la puissance et surtout la bonté de Dieu. Ce nouveau né est son propre Fils, venu porter aux hommes les bienfaits de son cœur de Père. Et les anges dans le ciel chantent la gloire de Dieu. Tout est à la joie, et à la paix.

Noël, fête d’un enfant qui naît, nous invite à poser un long et profond regard de foi, de paix et de joie sur cet enfant.

A nous de le découvrir et de l’accueillir là où il vient à notre rencontre : cette nuit à l’église de Charmey ou à travers les ondes de ta RTS, ou dans votre chambre de malade ou dans votre solitude mais aussi partout où vivent des femmes et des hommes, des enfants, des vieillards. Et pour découvrir, redécouvrir l’actualité du mystère de Noël il est important d’approfondir la disponibilité de notre cœur, et le cœur de ceux que nous connaissons, de ceux qui nous entourent.

La qualité de nos cœurs conditionne la qualité de cette fête de Noël. Peut-être l’avons-nous un peu oublié. Il ne reste alors qu’un souhait à nous exprimer les uns les autres : que nos cœurs se réchauffent, qu’ils se tournent sincèrement vers Dieu et vers celui qu’il nous envoie : l’Emmanuel. Avec un cœur plein de fraîcheur et de tendresse sachons accueillir cet enfant. Noël est la fête qui nous rappelle que Dieu a voulu être un enfant, un tout petit enfant. Il a voulu être un enfant pauvre, excluant les privilèges. Né dans une crèche, mort sur une croix, le bois de la crèche préfigurait le bois de la croix.

Mais Noël nous rappelle que Dieu est amour, qu’il nous a aimés et qu’il continue de le faire. Et en cette nuit de Noël nous célébrons, nous proclamons, nous chantons l’immense amour que Dieu nous porte. Mais ne nous contentons pas de chanter et de célébrer. Aimons à notre tour. Et essayons d’entrer dans le courant de l’amour que nous rappelle saint Jean : Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.

Noël nous dit, nous redit que seul l’amour sauve le monde.

Noël marque le début d’une étape nouvelle et essentielle dans l’évolution de l’homme. Jésus visage de Dieu est venu nous montrer le vrai visage de l’homme de l’avenir. Visage de paix, visage de force, visage de tendresse, visage fraternel : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Alors cette nuit, demain, n’hésitons pas à tendre la main, la joue, les lèvres a ceux qui nous aiment et que nous rencontrerons, n’hésitons non plus à actionner notre téléphone notre portable pour adresser à notre entourage, nos amis un message d’amour, un message d’amitié. Ce soir, cette nuit nos cœurs sont un peu plus sensibles que les autres jours.

Célébrons donc Noël de tout notre cœur, qui que vous soyez, ou que vous soyez, en vous rappelant que nous sommes tous unis dans l’amour et à la prière au fils de Marie qui nous a façonné un cœur semblable au sien : un cœur envahi par amour et toujours disponible pour aimer.

Alors à tous ceux et à toutes qui nous écoutent de par les ondes : toute la communauté paroissiale de Charmey et de la vallée de Jogne et du Javroz vous souhaite une bonne et sainte fête de Noël.

Messe de Minuit

Lectures bibliques : Isaïe 9, 1-6; Tite, 2, 11-14; Luc 2, 1-14

Homélie du 23 décembre 2012

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 23 décembre 2012
Lieu : Institut La Pelouse, Bex
Type : radio

Si vous nous avez suivi durant ces dimanches de l’Avent, frères et sœurs, peut-être aurez-vous été attentifs au chemin que nous avons essayé de tracer, en écho à l’année de la foi, promulguée pour notre Église le 11 octobre dernier, lors du cinquantième anniversaire du concile Vatican II. S’interroger sur la foi qui nous est commune, c’est du même coup acquérir davantage de certitude sur notre propre existence – puisque il s’agit, pour chacun d’entre nous, de s’abandonner à l’amour dont Dieu entoure tout être vivant.

Nous avons commencé notre parcours en nous interrogeant sur ce qu’est une communauté chrétienne dans le monde contemporain. Avec le concile Vatican II, nous avons désigné la communauté chrétienne par sa manière de scruter les signes des temps. C’est là que nous pratiquons la vigilance de la foi, pour ce temps que l’on qualifie volontiers, de « temps de crise ». Attentif à ce qui germe dans l’humanité contemporaine, le chrétien est délibérément « moderne ».

Nous nous sommes interrogé ensuite sur les rapports entre la raison et la foi. L’homme est un être épris de rationalité – particulièrement depuis l’avènement des Lumières au XVIIIe s. – , de cette rationalité qui voudrait dominer l’univers et qui malheureusement enferme l’homme sur lui-même. Au point qu’il n’est plus disponible pour l’imprévisible. La foi – loin de s’opposer à la raison – ouvre cette dernière à la nouveauté : celle que Dieu veut éternellement pour l’homme, son bien-aimé.

Dimanche dernier, nous avons passé en revue l’une ou l’autre implication concrète de notre état de croyant. La foi au Christ implique une manière d’être, de traverser ce monde dans la simplicité et la joie. La foi vécue dégage un style chrétien, un rapport aux êtres et aux choses propre aux disciples que nous sommes. Ainsi l’Évangile est-il annoncé par toute la terre. Come écrit Pierangelo Sequeri (L’idée de la foi, 2011), la foi vraie est « testimoniale ».

Il nous faut toutefois ajouter à ce sommaire de notre état de croyant un aspect significatif – au sens littéral du terme : il signifie, en effet, quelque chose, pour ceux qui nous regardent de l’extérieur. Les évêques suisses ont d’ailleurs expressément mis l’accent là-dessus pour 2012-2013 : la célébration liturgique. Dans sa Lettre apostolique Porta fidei, Benoît XVI rappelle que l’assemblée liturgique apparaît comme lieu où la foi au Christ est confessée. En particulier l’Eucharistie, dit le Pape, laquelle est « le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa force. » (citation de la Constitution Sacrosanctum Concilium n. 10)

Notre identité chrétienne ne se réduit pas à l’adhésion, plus ou moins consciente, à un corps de doctrines : « elle est de l’ordre d’un avènement ou d’un événement unique et ultime, véritablement nouveau, de l’ordre d’une présence » (écrit Joseph Famerée, théologien à Louvain-la-Neuve). Cet événement est, pour chacun de nous – et c’est bien cela qui nous autorise à nous déclarer chrétien croyant – la rencontre avec le Christ vivant, le Christ pascal, vainqueur de la souffrance et de la mort. Rencontre qui se réalise bien sûr dans la vie de tous les jours, particulièrement dans le service des plus pauvres et des plus démunis de nos frères et sœurs. Mais encore, de manière symboliquement importante, dans la célébration liturgique. S’il est un lieu où le Christ me parle, c’est l’assemblée liturgique. Chaque fois que j’y participe – pleinement, consciemment et activement (concile Vatican II) – il y a là une parole pour moi. Le Dieu, qui est Vérité, se manifeste, se révèle à moi, à travers les rites, les gestes, les paroles et les chants de l’action sacrée.

Exemple. Que nous dit le Christ en ce dimanche ? Il se révèle par la médiation des lectures que nous venons de proclamer. Particulièrement la deuxième (He 10, 5-10), laquelle cite le psaume 39. La voix du Christ retentit à travers le psaume désignant le Christ comme locuteur de ces versets : Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors, je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi que parle l’Écriture. En passant de l’hébreu au grec, un changement significatif s’est produit : alors que l’hébreu dit quelque chose comme tu as ouvert mes oreilles (pour entendre), le Nouveau Testament parle de corps ; c’est-à-dire de l’Incarnation du Verbe et de sa vie offerte en sacrifice. La Nativité du Christ est donc d’ores et déjà pascale. Si Dieu assume notre humanité c’est pour la sauver.

Ne perdons pas cependant la mention de l’ouverture de l’oreille. Car, dans la Trinité, le Fils est celui qui est depuis toute éternité à l’écoute du Père, en parfaite relation avec lui. Et donc pour nous qui sommes également les fils et les filles de ce Père-là ainsi que les frères et sœurs du Christ, Verbe incarné, il y a une oreille à ouvrir. L’action liturgique est un espace d’écoute : le Christ, Logos du Père, nous parle. De quoi nous parle-t-il sinon de sa vie donnée, du mystère de sa passion, de sa mort et de sa résurrection, de sa Pâque. Et nous comprenons alors que l’action liturgique s’accomplit vraiment pour nous quand nous acceptons, à notre tour et à la suite du Christ, de donner notre vie, d’en faire une offrande. C’est bien dans notre existence quotidienne que s’accomplit pour nous le culte nouveau dont parle la Lettre aux Hébreux.

Et, pour ne pas oublier l’évangile de ce dimanche, notre vie de disciple du Verbe incarné devient ainsi comme une matrice maternelle où la Parole prend chair et tressaille déjà de la présence eschatologique et glorieuse du Christ.»

4ème dimanche Avent – Année de la foi

Lectures bibliques : Michée 5, 1-4; Hébreux 10, 5-10; Luc 1, 39-45

Homélie du 16 décembre 2012

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 16 décembre 2012
Lieu : Institut La Pelouse, Bex
Type : radio

De certaines personnes, on dit qu’elles ont du style. Ce qui permet de les reconnaître entre toutes : elles se distinguent des autres, car elles sont souvent « distinguées ». Dans un domaine que d’aucuns estimeront frivole, celui de la mode, Coco Chanel eut cette phrase lapidaire : « La mode se démode, le style, jamais. »

Avançons un peu. Le Grand Dictionnaire Robert donne du style la définition suivante :

« manière particulière (personnelle ou collective) de traiter la matière et les formes en vue de la réalisation d’une œuvre d’art. Quand, par œuvre d’art, j’entends ma propre vie, il est vrai que j’ai à trouver une manière de la mettre en forme si je veux me réaliser, comme on dit. Car, s’agissant de nos manières d’exister, chacun d’entre nous a vocation d’artiste.

Les foules qui viennent à Jean le Baptiste sont en quête de formes de vie : « Que devons-nous faire ? » Elles ont conscience qu’elles doivent tourner le dos à leurs anciennes manières pour endosser un style de vie neuf. Il semble que Luc affectionne cette réaction chez ceux et celles que travaille la conversion. Après la résurrection du Christ, d’entendre Pierre raconter la geste de Jésus, les foules ont le cœur bouleversé. Elles demandent aux apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » (Ac 2, 37) « Que dois-je faire, Seigneur ? », s’exclame Paul sur le chemin de Damas. Et la voix céleste de lui indiquer un certain nombre de tâches qui lui sont assignées. Si vraiment j’ai rencontré le Christ vivant, alors il s’ensuit un certain nombre de conduites propres à vérifier l’authenticité d’une telle rencontre, un certain style de vie, un « apparaître » comme disent plusieurs philosophes du XXe siècle.

Ainsi Merleau-Ponty : quand on dit de quelqu’un qu’il a du style, on reconnaît qu’il a trouvé celui qui, non seulement le distingue et le rend reconnaissable parmi mille, mais encore celui qui correspond à ce qu’il est et exprime au mieux sa personnalité. La vérité d’un être nous est révélée par son « apparaître », sa manière d’être. Cependant il ne s’agit pas ici de simples apparences – elles sont souvent trompeuses – mais de notre manière d’être au monde. De notre comportement à l’égard des autres (accueil, écoute, solidarité) de notre attitude dans l’épreuve, la souffrance, de notre attitude par rapport à l’argent, etc., autant de figures qui révèlent qui nous sommes vraiment et qui consolident notre identité de disciple du Christ.

Les lectures de notre dimanche se montrent concrètes à l’égard d’un style de vie renouvelé. L’évangile selon saint Luc tout d’abord dont l’exposé du ministère de Jean le Baptiste annonce les exigences qui seront celles de Celui qui vient, le Christ lui-même. « Que devons-nous faire ? » Les consignes données par Jean esquissent d’ores et déjà le portrait des premières communautés chrétiennes. Ainsi, quand s’avancent les collecteurs d’impôts, dont on connaît la mauvaise réputation, l’utilité de l’argent et son rôle ne sont pas niés – voir M.-F. Baslez Comment notre monde est devenu chrétien 2008 – à condition de l’employer de manière honnête et sensée. L’Église et l’argent, un vieux problème ! La mention de partage, tant des vêtements que de la nourriture, nous permet de deviner les formes de l’action sociale pratiquées par les premières communautés chrétiennes. En ce sens la réponse de Jean Baptiste sur le partage annonce le Christ qui vient mais aussi le Christ vivant dans son corps qui est l’Église. La mise en commun des biens distinguera la communauté chrétienne de la société ambiante. Il y a là une marque importante du style de vie chrétien, par distinction d’avec les pratiques, courantes dans l’Antiquité, du mécénat et de la philanthropie. C’est la foi au Christ qui se trouve proclamée à travers des actions typées et concrètes. Troisième aspect du style de vie qui sied aux disciples – après ceux du partage et de l’usage honnête de l’argent – la profession que l’on exerce. Ici le métier des armes dont la tentation est la violence faite aux populations. En fait tout métier reste tenté par la violence dès que celui-ci se double d’un pouvoir sur les autres, et à tous les échelons de la profession.

Bref le style de vie décrit par le Baptiste n’a rien d’extraordinaire. Il n’a rien de tonitruant ni d’ostentatoire. Il se caractérise par sa simplicité, laquelle suffit à annoncer le Christ dans la société qui est la nôtre. Mais il y a plus encore. La présence de la communauté ecclésiale dans le monde, présence qui témoigne de la présence de Celui qui vient dans le monde, est de style personnel. Comme écrit Mgr Claude Dagens, elle passe en effet par des personnes, des hommes et des femmes qui ont trouvé dans leur foi des motifs de relever certaines défis auxquels notre société se trouve confrontée : les défis liés aux aléas des évolutions économiques, à l’aggravation des écarts sociaux, aux conséquences humaines du chômage, aux multiples situations de précarité que connaissent des adultes et des jeunes.

Simplicité du style chrétien, avons-nous dit. Avec saint Paul (2ème lecture), ajoutons-y une note importante : la joie. Mais attention : ici rien d’hystérique ni de forcé. Il ne s’agit pas d’avoir sans cesse le sourire aux lèvres, surtout quand les difficultés de la vie nous éprouvent. Saint Paul connote la joie chrétienne par un terme que la Vulgate latine traduit, du grec « epieikes » (ce qui est équitable, juste, beau) par « modestia » et que la version en langue française rend bien par le terme « sérénité » . Soit l’attitude que l’on a à l’égard des autres, par exemple la modération dans les jugements, l’esprit de conciliation, l’égalité d’humeur, l’absence d’inquiétude. On mesure que ce n’est pas là une vertu innée, mais qu’elle est le fruit d’un travail constant sur nous-mêmes. En fait c’est le travail du disciple qui prend à cœur l’Évangile de son Seigneur et qui sait, comme dit encore l’Apôtre, combien ce Seigneur est proche.»

3e dimanche de l’Avent – Année de la foi

Lectures bibliques : Sophonie 3, 14-18; Philippiens 4, 4-7; Luc 3, 10-18

Homélie du 09 décembre 2012

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 09 décembre 2012
Lieu : Institut La Pelouse, Bex
Type : radio

En pleine 1ère Guerre mondiale, un penseur juif allemand réfléchit. Cette guerre, que les historiens considèreront comme un des événements marquants du XXe siècle, atteint une intensité de violence extrême : de nouvelles armes, chimiques en particulier, sont utilisées, des tactiques nouvelles. Résultat : 9 millions de morts et 6 millions d’invalides. Franz Rosenzweig – c’est le nom de ce grand philosophe et théologien juif – voit dans ce gigantesque conflit le triomphe de la raison humaine, c’est-à-dire de la violence des hommes. Quand l’homme veut rendre raison du monde – au sens de la dialectique de Hegel : « Tout ce qui est réel et rationnel et, vice versa, tout ce qui est rationnel est réel » – il en vient à justifier la mort des individus au nom de principes prétendus supérieurs.

Ce que Franz Rosenzweig écrit en 1921 (L’Etoile de la Rédemption) demeure, ô combien, actuel. Dangereusement actuel : pas seulement au niveau du développement contemporain des sciences et des techniques – développement tout à la fois extraordinaire, et dangereux parce que menaçant pour la vie – mais aussi à notre propre petit niveau personnel. Chacun de nous, en effet, a soif de rationalité ; il voudrait pouvoir tout expliquer de ce qui arrive dans le monde, dans la vie des autres et dans son existence personnelle. Je voudrais bien pouvoir cadrer ma vie : que rien ni personne ne puisse y pénétrer à l’improviste. Comment donc ne vois-je pas que, lorsque je rêve de projets clefs en main pour ma petite vie, je suis en train de la limiter. Serais-je un génie de l’organisation et de l’invention que mes vues resteraient malgré tout extrêmement étroites.

Ici réfléchissons en croyants – puisque nous constituons une assemblée de croyants. Mais réfléchir en croyant ne signifie pas que je doive quitter les chemins de la raison : le Dieu en qui je place toute ma confiance attend de moi que j’agisse en homme pleinement raisonnable. Cependant, au-delà d’une vie que j’ai à mener de manière intelligente et sensée, Dieu me veut disponible. Disponible pour quoi donc ? Sinon pour ses rêves à lui, pour son projet divin sur moi. Franz Rosenzweig, en excellent penseur juif qu’il était, expliquait: « il nous faut être disponibles, plutôt que d’avoir des plans. » Ce qui déjà au simple niveau de nos vies stressées pourrait être une excellente devise. « Face à lui, il n’y a vraiment que la disponibilité et rien d’autre. » Les prophètes d’Israël ne prêchaient rien d’autre que la disponibilité totale à ce Dieu qui est le Seigneur. N’est-ce pas comme Seigneur que nous l’invoquons ? Il est « le plus élevé » en nous (Rosenzweig).

La démarche du prophète Baruch – dont nous avons lu un passage tout à l’heure – rejoint la démarche classique des prophètes à l’endroit de leurs contemporains : laissés à eux-mêmes, limités par une rationalité à courte vue, ils ne peuvent qu’aller à la dérive. « C’est au point que nous en sommes arrivés à manger chacun la chair de son fils, l’autre la chair de sa fille. » (Ba 2, 3) Alors intervient l’exhortation à la sagesse : « Écoute les préceptes de vie, prêtez l’oreille pour apprendre à discerner » (Ba 3, 9). « C’est lui notre Dieu, et l’on n’en comptera pas d’autre que lui. Il a découvert tout le chemin qui mène à la science et l’a indiqué à Jacob, son serviteur, et à Israël, son bien-aimé. » (Ba 3, 37) Le livre de Baruch se termine alors par la lecture que nous avons entendue et qui nous invite à devenir totalement disponibles à l’endroit de Dieu, à nous laisser revêtir par lui : « enveloppe-toi dans le manteau de la justice de Dieu », lui qui nous donne « comme escorte sa miséricorde et sa justice ».

En termes très mystiques, Rosenzweig explique que l’appel de Dieu vers l’homme, c’est tout simplement : « Aime-moi ». Unique commandement que celui de l’amour, et que « l’amour de celui qui aime n’a pas d’autre mot pour s’exprimer que le commandement ». La rédemption c’est d’accepter le rôle de l’aimé et de retourner à Dieu son amour. Mais la rédemption implique certaines responsabilités de notre part : il ne s’agit pas de s’enfermer dans une fausse union intérieure. Éveillé à l’amour de cet Autre qu’est Dieu je puis apprendre à aimer tous les autres humains. La rédemption c’est du collectif ; elle crée une communauté de salut. Le bref passage de la Lettre aux Philippiens parle de cette œuvre, de ce travail que Dieu a commencé dans le cœur des croyants et qu’il poursuivra jusqu’à son achèvement. Or ce travail c’est bien l’amour, lequel doit abonder « en clairvoyance et en pleine intelligence pour discerner ce qui convient le mieux » (Ph 1, 9). Intelligence et discernement qui conviennent à des croyants raisonnables. Il leur en faut pas mal quand l’Apôtre aborde, au chapitre 2 de la même Lettre, les rivalités et la recherche de la vaine gloire dans la communauté – alors que le Christ, lui qui était de condition divine, s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur. C’est la grande hymne de la Lettre aux Philippiens sur l’extrême abaissement du Fils de Dieu.

Nous mesurons ici que, par la voix du Prophète et de l’Apôtre – et nous y joignons volontiers certains penseurs de notre siècle – une parole étrangère et étrange nous est adressée. Et s’il y a une voix étrange, n’est-ce pas celle qui, en ce dimanche, crie à travers le désert, celle de Jean, fils de Zacharie ? Lui-même a reçu la parole de Dieu et il en donne l’écho à ses frères et à ses sœurs. Quand nous écoutons avec attention la parole de Dieu, nous expérimentons combien une telle parole vient d’un autre lieu. C’est l’expérience que nous faisons, par exemple, avec les psaumes – dont certains versets nous sont incompréhensibles et nous choquent. La parole de Dieu reste autre : c’est pour cela qu’elle demeure inépuisable. C’est pour cela aussi que, si nous la recevons dans la foi, elle met en marche notre humaine raison, parce qu’elle lui ouvre des horizons neufs, que l’intelligence humaine, laissée à elle-même, ne saurait imaginer.

Le christianisme est toujours nouveau, disait Benoît XVI (Discours sur l’aggiornamento du concile Vatican II, 12 octobre 2012). C’est «un arbre qui est, pour ainsi dire, dans une aurore permanente et toujours jeune ». Et d’expliquer que, à travers un travail où la foi illumine la raison, nous devons amener « l’aujourd’hui » que nous vivons à l’aune de l’événement chrétien, nous devons amener « l’aujourd’hui » de notre temps dans « l’aujourd’hui » de Dieu.»

2e dimanche de l’Avent

Lectures bibliques : Baruc 5, 1-9; Philippiens 1, 4-6, 8-11; Luc 3, 1-6

Homélie du 02 décembre 2012

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 02 décembre 2012
Lieu : Institut La Pelouse, Bex
Type : radio

Je suis un adepte de Apple. La convivialité des Mac et de l’IPhone me convient bien. Ce qui me chagrine un peu, c’est que, chez Apple, vous recevez sans cesse des mises à jour. Comme je tiens à « être in », je reste à l’affût des mises à jour. Ma grande peur existentielle, ce serait de les manquer, de ne plus être à jour. Parce que, moi, je suis moderne.

Moderne. Le mot est lâché. Mais savez-vous qu’il est susceptible de plusieurs sens ? Aux yeux du philosophe, et dans un sens négatif, être moderne c’est être à la remorque de son temps, adhérer au mouvement perpétuel des choses, suivre la mode, se laisser séduire par la nouveauté et par l’éphémère : ce moderne-là est pris par le vertige du temps qui passe. Les « signes dans le soleil, la lune et les étoiles » – dont parle Jésus dans l’évangile de notre dimanche – l’affolent. Cette modernité-là ne peut que nous angoisser.

Or « moderne » peut prendre un sens éminemment positif. Ici je me réfère aux philosophes des Lumières (Kant, Hegel) et à un certain nombre de penseurs du XXe siècle – dont Michel Foucault et Hanna Arendt. Et vous verrez que cette philosophie rejoint celle de l’Évangile, quand ce dernier nous parle des signes des temps.

Être moderne a quelque chose à voir avec l’injonction de Jésus : « Tenez-vous sur vos gardes … restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver ». Voir notre ch. 21 en saint Luc, où Jésus nous avertit de ne pas nous laisser égarer par les faux messies, les gourous à la mode.

Est moderne, celui qui reste éveillé. Particulièrement dans les périodes de crise, comme celle qui nous assaille actuellement, crise de l’économie, crise de l’éducation et de la transmission des valeurs, crise dans l’Église, … Dans de telles circonstances l’homme moderne est celui qui fait usage de son entendement. Et ici je pense à la devise de Kant Sapere aude qu’on peut traduire par « Aie le courage de te servir de ton entendement ». Aie le courage de penser, de t’interroger sur les temps qui sont les nôtres, de prendre position, de te situer par rapport au mouvement perpétuel du monde. Tâche de ressaisir ce qu’il y d’éternel dans le moment présent (cf. Michel Foucault). Réfléchis un peu, sinon tu risques d’être avalé dans le flux des moments qui passent. « Tenez-vous sur vos gardes de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie », nous avertit Jésus (Lc 21, 34). Ici notre foi rencontre la raison. Les disciples du Christ que nous sommes peuvent dialoguer avec les hommes et les femmes qui, sans nécessairement partager notre croyance, demeurent lucides et critiques en période de crise, appréhendent cette dernière comme une chance dont il faut partir et repartir. Benoît XVI revient souvent sur le dialogue entre la foi et la raison ; d’où son idée de créer un « Parvis des Gentils ».

Au IIe siècle déjà saint Justin écrivait : Jésus Christ est le Logos souverain auquel tout le genre humain participe. Ceux qui ont vécu selon le Logos sont chrétiens, quoiqu’ils aient été réputés athées : tels ont été, chez les Grecs, Socrate et Héraclite et quelques autres.

Apologie I, 46, 2-3

 

En ce dimanche où les Écritures nous invitent à scruter les signes des temps – la 1ère lecture déjà éveillait notre attention : « En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai naître chez David un Germe de justice » – comment ne pas rappeler le regard que le concile Vatican II portait sur le monde ?

Mû par la foi, se sachant conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le Peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d’une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l’homme, orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines.

Gaudium et spes 11

Scruter les signes des temps, voilà bien, pour les disciples que nous sommes, une manière de rester vigilants. De cette vigilance qui ne cesse d’être confortée par notre confiance en la présence inaliénable du Christ. Notre raison d’hommes et de femmes « modernes » ainsi que notre foi de disciples nous donnent l’audace d’interpréter les événements de notre monde. Les signes des temps deviennent alors signes de la foi, du moins signes avant-coureurs de cette justice promise par Dieu (cf 1ère lecture).

Dans les temps qui sont les nôtres tant d’espaces de dialogue sont à développer avec nos contemporains. J’en citerai quelques uns dans la liste dressée par le président du Conseil pontifical pour la culture, le cardinal Gianfranco Ravasi[1] :

Dialogue sur les questions fondamentales : vie et mort, bien et mal, amour et douleur, vérité et mensonge, transcendant et sacré, l’art, le souffle

Dialogue sur ce qu’il est raisonnable de croire, sur la spiritualité des non-croyants

Dialogue sur la rationalité moderne, le sécularisme et la foi

Dialogue sur les valeurs morales communes

Face aux montées des fondamentalismes, des dérives sectaires, des violences idéologiques entretenues, dialoguer, veiller ensemble, écouter et être philosophe dans une commune recherche de sagesse

Voici 50 ans déjà, méditant sur les profonds changements dans la vie des hommes, le concile Vatican II explique que le monde d’aujourd’hui se situe dans « un nouvel âge de l’histoire humaine » (GS 54) et qu’ainsi nous sont offertes les conditions d’y faire entendre la nouveauté de l’Évangile. Puissions-nous traverser ce monde-là dans la joie et l’espérance !

[1] Voir la chronique de Gianfranco Ravasi dans Revue d’éthique et de théologie morale n. 268.»

1er dimanche de l’Avent – Année de la foi

Lectures bibliques : Jérémie 33, 14-16; 1 Thessaloniciens 3, 12 – 4, 2; Luc 21, 25-28, 34-36