Homélie du 30 septembre 2012

Prédicateur : Mgr Markus Büchel
Date : 30 septembre 2012
Lieu : Cathédrale de Saint-Gall
Type : tv

Après des journées riches de rencontre et de travail dans le cadre du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe, nous sommes maintenant reliés à une grande communauté de téléspectateurs et de croyants de différentes langues et cultures. Ensemble, à l’issue de cette conférence, nous célébrons notre foi.

Nous rencontrons dans l’Eucharistie le Christ au travers de la parole et du sacrement.

Vous, chers invités, vous repartez aujourd’hui ou demain, dans tous les pays de l’Europe, avec le devoir de diriger l’Eglise locale et de renforcer la foi au travers de la prédication. Un gros défi social et spirituel dans les mutations vertigineuses de notre temps !

Qui a visité, ces derniers mois ou semaines, la ville de St-Gall n’a pas pu passer à côté du grand jubilé de Gall. Des moines irlandais ont traversé l’Europe il y a 1400 ans et ont, par leur témoignage de vie et leur prédication, transmis un fondement spirituel chrétien qui a nourri une culture chrétienne qui s’est développée au cours des siècles. Le visiteur peut s’étonner du contraste entre la petite cellule du moine Gall, reconstituée sur la place du monastère, au milieu des bâtiments de l’énorme monastère de style baroque, au centre d’une ville consciente de sa propre valeur. C’est le symbole de l’essor au cours des siècles d’un commencement pourtant fort modeste.

Au début, il y avait un homme épris de Dieu avec une forte aura et aujourd’hui une communauté ecclésiale qui se bat pour sa place dans un monde sécularisé…

Dans ce champ de tensions me sont venues à l’esprit les paroles du cardinal Carlo Maria Martini, récemment décédé et qui comme président du Conseil central des conférences épiscopales d’Europe a aussi souvent séjournée à St Gall. Dans une interview, peu avant sa mort, il disait :

« L’Eglise des pays prospères de l’Europe et de l’Amérique est fatiguée. Notre culture est vieille, nos églises sont grandes, nos maisons vides, l’organisation prolifère, nos rites et vêtements sont fastueux. Mais expriment-ils ce que nous sommes aujourd’hui ? Est-ce que nos biens culturels dont nous prenons soin servent la Parole, servent encore les hommes et les femmes ? Ou au contraire entravent-ils nos énergies si fortement que nous ne pouvons plus bouger, quand un besoin nous presse ? »

Tout cela, on le retrouve dans les documents importants de la CCEE qui travaille depuis des décennies sur le thème de l’évangélisation de l’Europe.

Sur ce même thème, un grand synode des évêques va commencer à Rome dans les prochaines semaines. Dans ce contexte, la question que pose le Cardinal Martini, un homme de sagesse de par sa grande expérience de vie spirituelle et aussi son expérience de la souffrance, doit être une question centrale : Est-ce que les biens culturels dont nous prenons soin servent la parole, servent-ils les hommes et les femmes d’aujourd’hui ? Expriment-ils ce que nous sommes aujourd’hui ? Je souhaite et je prie que toutes ces réflexions et tous ces efforts pour une nouvelle évangélisation soient accompagnés par une grande confiance en l’efficacité du Saint Esprit et par le souci de reconnaître ce que sont et où sont les hommes et les femmes d’aujourd’hui.

Chers participants à cette messe, ici dans l’Eglise ou chez vous.

Nous sommes invités à suivre le Christ en nous allégeant grâce à la foi. Les lectures bibliques de ce dimanche nous indiquent la voie à suivre.

Moïse conduit le peuple de Dieu de la captivité en Egypte vers la liberté – mais le chemin à travers le désert est ardu et pénible, le futur incertain. Le peuple grogne et cherche à revenir, Moïse, tout seul, est dépassé et sollicite l’aide de Dieu. Dans le livre des Nombres, nous lisons : « Le Seigneur descendit dans la nuée pour s’entretenir avec Moïse. Il prit une part de l’esprit qui reposait sur celui-ci, et le mit sur les septante anciens du peuple. Or, deux hommes étaient restés dans le camp ; l’un s’appelait Eldad, et l’autre Médad. L’esprit reposa sur eux ; bien que n’étant pas venus à la tente de la Rencontre, ils comptaient parmi les anciens qui avaient été choisis, et c’est dans le camp qu’ils se mirent à prophétiser. »

L’Esprit va où il veut, il se diffuse aussi auprès des autres. Dans le Nouveau Testament, le Christ partage les dons de l’Esprit sur toutes celles et tous ceux qui sont prêts à le recevoir. Le Concile Vatican II compare l’Eglise avec le peuple de Dieu cheminant à travers le temps. Comme pasteurs du peuple, puissions-nous reconnaître, encourager et rendre fructueux, au service de l’Eglise, les appels et les dons de l’Esprit qui sont offerts aux hommes. La nouvelle évangélisation suppose avant tout d’ouvrir les cœurs et les oreilles à la Parole de Dieu et de redécouvrir la communauté chrétienne remplie de l’Esprit.

Dans la lettre de Jacques, la communauté est confrontée à une autre forme de captivité : l’enfermement dans les choses de ce monde, dans le bien-être et dans les possessions. Les hommes qui profitent de la vie et du monde sont exhortés à ne pas perdre des yeux la richesse plus profonde de la vie. Beaucoup d’hommes aujourd’hui sont en quête de valeurs intérieures. Qui laisse sa vie se transformer par l’amour du Christ, sait que le Fils de l’homme lui demandera au moment du jugement comment nous avons pris soin des plus pauvres, des plus méprisés parmi nos frères et sœurs. C’est ainsi que nous est indiqué, de manière très claire, la place de l’Eglise dans la société actuelle. C’est pourquoi nous sommes très reconnaissants pour chaque engagement des chrétiens en faveur des plus pauvres et avant tout pour les causes pour lesquelles le Pape Benoît XVI ne cesse de nous interpeller en matière de paix, de liberté et de justice.

Comme troisième impulsion, tirée de l’Evangile de Marc, Jésus est en opposition avec le mal, l’ennemi, mais il ne connaît aucun fanatisme quand il s’agit de l’humain. La parole de sagesse : « Celui qui n’est pas contre nous est avec nous » nous ouvre aujourd’hui à une attitude d’ouverture afin d’aller vers toutes les femmes et tous les hommes de notre temps, d’aller les chercher là où ils sont, de les accompagner dans une bonne communauté et les conduire sur le chemin vers le Christ qui dit de lui-même : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. »

Prions aujourd’hui pour obtenir cet amour libérateur, l’amour du Christ et du prochain qui offre courage et confiance contre toutes les désespérances et contre toutes les résignations.

Adaptation en français : Evelyne Oberson, CCRT/RTS»

Messe des Nations

Lectures bibliques : Nombres 11, 25-29; Jacques 5, 1-6; marc 9, 38-48

Homélie du 23 septembre 2012

Prédicateur : Pasteur Pierre Wyss
Date : 23 septembre 2012
Lieu : Temple de Delémont
Type : radio

Avec « Notes d’Equinoxe », ce week-end, ici à Delémont, est placé sous le signe de l’universalité de la musique. Alors, pas besoin d’aller cherche trop loin le thématique de cette prédication, – c’est du tout cuit ! Je vous invite donc à nous saisir de cette notion d’universalité. « Universel », un mot que nous retrouvons d’ailleurs, tout à l’ heure, dans notre liturgie, lorsque nous réciterons le Credo : « Nous croyons la sainte Eglise universelle », comme le disent les Réformés, « Nous croyons la sainte Eglise catholique » comme le disent les catholiques. Cette petite différence terminologique vaut la peine d’être clarifiée, d’autant plus dans le cadre de ce culte œcuménique. En Grec, langue originale du Credo, « universel » se dit « katholikos », adjectif que l’Eglise catholique a repris tel quel, alors que les Réformés ont simplement traduit ce terme par « universel », pour les francophones du moins !

Ceci dit, je vous propose, dans une première phase, à réfléchir un peu et de manière globale à ce terme « universel » avant de resserrer notre propos sur la manière dont Jésus envisage l’universalité de la foi, à travers le texte de l’Evangile de Matthieu que nous avons entendu tout à l’ heure. Vous verrez, c’est plutôt décapant !

Commençons donc par les généralités ! On le sait, ce qui fait la beauté de la création, c’est la diversité, diversité du monde minéral, diversité du monde végétal, diversité du monde animal, diversité ethnique dans l’humanité. Que le monde serait terne et ennuyeux, s’il n’y avait qu’une sorte de pierre, de végétaux et d’animaux. Cela pourrait fonctionner mais serait terriblement ennuyeux. Non ! l’œuvre créatrice de Dieu a visé la diversité, les nuances, l’altérité. C’est cela qui fait le charme et la beauté de la création.

Mais le fil rouge qui traverse cette heureuse diversité, c’est précisément l’universalité. Et l’universalité, c’est ce lien profond qui fait que ce multiples éléments si divers ne sont pas isolés et absolument étrangers les uns par rapport aux autres. Eh oui ! La recherche de l’universalité est une manière de dire :

« Je ne veux pas être seul dans et avec ce que je suis ». J’ai besoin d’être en lien avec tout ce qui m’entoure. Et pour que ce lien puisse s’établir, il faut que je trouve quelque chose de moi-même dans l’autre et vice versa. C’est la condition minimale de toute possibilité de communiquer. Incroyable, – l’exemple est peut-être exagéré mais cela joue même avec un bloc de calcaire. Eh oui ! un atome de carbone de ce bloc de calcaire est exactement le même qu’un atome de carbone de mon corps. C’est déjà un début dans une relation même si cette relation avec un bloc de calcaire ne mène pas très loin ! Mais universalité de la matière tout de même …

Sur le plan humain, nous sommes souvent confrontés à des situations dans lesquelles, a priori, tout nous sépare : l’ethnie, la langue, la culture, la religion, la cuisine. Je peux bien sûr mettre en avant toutes ces différences et ainsi ériger un mur de la non-communication. Ou alors, plus positivement, je peux essayer de traverser ces séparations et chercher chez cet autre si différent, ce que nous avons de commun. Cela n’est rien d’autre que la de bienheureuse quête de l’universalité. Je le répète la quête de l’universalité est une manière de dire : « Je ne veux pas être seul dans et avec ce que je suis », besoin fondamental d’avoir un vis-à-vis, un répondant.

Ne pas être seul dans ce que je suis… Voilà peut-être ce qui pousse les astrophysiciens à aller voir inlassablement, aussi loin qu’ils le peuvent, s’il n’y aurait pas de vie sur un autre planète. La vie biologique, n’est-elle que le propre de notre petite planète perdue dans l’immensité de l’univers ou est-elle un phénomène universel ? On attend toujours la réponse.

Arrivés à ce point, nous pouvons affirmer que la conscience et la recherche de l’universalité est une sagesse, une démarche bonne en soi, quelque chose en phase avec nos convictions religieuses, dans le sens où elle vise à maintenir et établir des relations qui s’inscrivent dans l’amour, dans le meilleur des cas.

Mais hélas, comme une pièce de monnaie a toujours deux faces, la sagesse de l’universalité a aussi son revers. L’universalité devient perverse quand elle devient pensée unique, totalitarisme ou mondialisation économique. Et cette perversion ne touche pas seulement le monde politico-économique mais aussi la religion en général et notre christianisme lui aussi. Désolé de devoir le dire mais la religion chrétienne n’échappe pas à la tentation de la pensée totalitaire ! Dès qu’une église, dès qu’une communauté chrétienne se déclare seule dépositaire de la vraie foi chrétienne et du Saint-Esprit, cette église n’est plus universelle mais totalitaire. Qui aurait envie de dire : « Je crois la sainte église totalitaire » ?

Frères et sœurs ! A partir de là, je vous invite maintenant à observer comment le Christ profile l’universalité de la foi.

Voici donc, cet officier romain qui pénètre le cercle des auditeurs juifs de Jésus pour lui demander de guérir son serviteur malade. Nous sommes tellement habitués aux textes bibliques que bien souvent nous ne voyons plus la tension interne de ce texte.

Pour bien visualiser la tension qu’il y a dans notre texte, c’est un peu comme si lors de la dernière guerre, un officier SS était entré dans une synagogue pour aller consulter un rabbin ! Bref ! Cet officier réunit tout en lui tout ce qu’il faut pour ne pas aller vers le Christ :

  • Un païen polythéiste qui eu égard à sa fonction de chef militaire romain doit sacrifier aux dieux de la guerre
  • Un chef des troupes d’occupation de l’ancien Israël
  • un paria haïssable tant le plan politique que religieux.

D’ailleurs, Jésus lui-même dit son étonnement en le voyant s’approcher pour lui demander une faveur : « Quoi ? Toi, tu viens me demander une guérison » ! Et cet officier est loin d’être niais se met à argumenter. Notez bien qu’il ne dit pas à Jésus : « Oui, je sais, je ne suis qu’un pauvre païen, oppresseur de ton peuple. Mais je suis prêt à changer, prêt à te suivre, à me faire baptiser, à demander ma carte de membre… » Rien de tout cela. Chose remarquable, l’officier garde sa ligne et va puiser ses arguments dans sa propre expérience de militaire. Cet homme a l’habitude de donner des ordres et aussi l’habitude de voir ses ordres exécutés.

Conclusion : Par expérience, cet homme a une claire conscience de l’efficacité de la parole, une parole qui n’est pas langue de bois ou bla-bla mais une parole efficiente, efficace. « Alors, toi Jésus, de ton côté, dis une seule parole et mon serviteur sera guéri » !

Frère et sœurs, c’est maintenant le moment du renversement : Jésus reçoit cinq sur cinq les arguments et la demande de l’officier païen, arguments de cet homme qui croit à l’efficacité de la parole… celle de Jésus, en l’occurrence.

C’est maintenant aussi que Jésus va jeter le gros pavé de l’universalité dans la mare des particularités religieuses. « Amen, je vous le déclare, je n’ai jamais vu une aussi grande foi en Israël » ! Dire cela, c’est déjà beaucoup, une vraie provocation. Mais Jésus pousse encore le bouchon un peu plus loin en déclarant qu’un homme tel que celui-ci devancera les fils d’Israël devant Dieu !

Evidemment, en entendant cela, les chrétiens que nous sommes, se donnent du coude et rigolent puisque ce sont de nouveau les Juifs qui en prennent pour leur grade ! Vision commode, facile et simpliste parce que la translation est vite faite si l’on ne veut pas neutraliser ce texte mais y entendre une parole pour nous. Voilà ce que nous avons à entendre aujourd’hui : Face au dernier paria religieux, entendre le Christ nous dire : « Amen, je vous le dis, je n’ai jamais vu une si grande foi dans vos églises, toutes dénominations comprises » !

Ce passage de l’Evangile nous montre, à l’évidence, que l’universalité de l’Eglise ou des églises ne se joue pas sur le terrain de nos compromis institutionnels, de notre reconnaissance ou non reconnaissance réciproques. L’universalité de foi se joue exclusivement dans notre face à face avec le Christ en dépit de qui nous sommes et d’où nous venons. Et si nous redoutons ce face à face avec le Christ à cause de ce que nous sommes, pensons au pedigree de l’officier romain ! Nous avons encore de la marge, me semble-t-il.

Amen

Textes bibliques : Sophonie 3,12-20 ; Galates 3, 26-29 ; Matthieu 8, 5-13 (référence)

Homélie du 23 septembre 2012

Prédicateur : Père Marie-Dominique Goutierre
Date : 23 septembre 2012
Lieu : Eglise Saint-Germain, Savièse
Type : tv

Il y a quelques instants, nous entendions ce verset : « Dieu nous appelle à partager la gloire de Jésus ». Telle est la fécondité de l’évangile. Fécondité du fruit que les vignes taillées portent en abondance pour la joie de notre cœur – comment ne pas évoquer aujourd’hui le vin du Liban dont parle l’Écriture ? Mais surtout, fécondité glorieuse de cette Vigne du Père que Jésus est lui-même : « Moi, je suis la Vigne, et mon Père est le vigneron » ; « ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit ».

L’évangile est une Personne. Non pas un livre, ni une doctrine, ni une morale ! Mais quelqu’un qui est le Vivant. Mort, grain de blé tombé en terre pour porter beaucoup de fruit, et ressuscité pour la gloire du Père et nous sauver, c’est-à-dire pour nous unir à Lui, de sorte que nous vivions sa propre vie, son propre amour, sa propre béatitude éternelle.

Être chrétien, c’est accueillir par la foi une Personne : le Fils éternel du Père ; c’est le recevoir, lui qui s’est fait l’un de nous. En le recevant, nous devenons enfants de Dieu ; et nous le sommes.

Fruit éternel de la fécondité de la Vie du Père, il s’est fait tout proche de nous : il est devenu le Fils de Marie parce qu’il est le Fils éternel du Père. Il est le tout-petit qui, éternellement, reçoit tout du Père et donne tout au Père dans l’amour.

Ce tout-petit, s’est manifesté à nous : il s’est donné aux hommes en se faisant le Fils de Marie ; et au milieu de nous, il s’est abaissé, il s’est anéanti jusqu’à la mort de la Croix. Dans cette Terre Sainte où nous sommes aujourd’hui en esprit, s’est accompli ce mystère de Dieu au milieu des hommes : petitesse joyeuse de Bethléem, petitesse douloureuse de la Croix.

Il est difficile d’être vraiment chrétien car, en recevant cette initiative de Dieu, c’est lui-même, et non pas l’homme seul, qui est devenu le cœur de la vie humaine. Sa propre plénitude de vie nous est donnée, ce qui ne détruit pas l’homme, mais l’élève et l’agrandit à la taille de Dieu. Rien plus que le christianisme n’a grandi l’homme, puisqu’en recevant Jésus, nous recevons Dieu qui s’est fait homme pour que l’homme devienne fils de Dieu.

Comment cela est-il possible ? Grâce à l’amour : un amour qui nous fait naître « d’en-haut » à chaque instant. Seul l’amour nous permet de nous quitter nous-mêmes pour recevoir quelqu’un d’autre pour lui-même, dans sa propre personne.

Le Christ est dérangeant : il nous déloge, nous décentre de nous-mêmes. Ses Apôtres eux-mêmes, nous dit l’évangile, ne comprenaient pas et avaient peur de l’interroger !

L’histoire des hommes est ponctuée par cette épreuve… mais elle se renouvelle par la victoire de l’Amour dans le cœur des saints : ces amis de ce Dieu qui s’est fait l’ami des hommes. Eux ont accepté de se laisser bouleverser, de le recevoir Lui, par la foi, l’espérance et l’amour. Telle est la gloire, c’est-à-dire la plénitude de Vie, qui nous est promise.

Cette béatitude, nous la vivons dès maintenant si nous laissons l’Esprit Saint nous transformer, faire de nous des enfants de Dieu : « Ce sont ceux qui sont mus par l’Esprit Saint qui sont enfants de Dieu », nous dit saint Paul. Les 7 lumières portées par ces jeunes au début de la messe symbolisent le chemin de lumière et d’amour que nous inaugurons aujourd’hui en communion avec nos frères du Liban. Chemin qui s’ouvre à la Croix du Christ et nous conduit à la plénitude de l’amour et de la vie.

La Croix du Christ est glorieuse, elle est ce signe de Vie. De malédiction, elle est devenue signe de bénédiction, parce qu’elle est le lieu de la Révélation et de la communication du plus grand amour : un amour victorieux des plus grandes luttes, de l’échec apparent, des contradictions les plus profondes.

C’est ce signe, et c’est le Fleuve inépuisable de lumière et d’amour jaillissant du Cœur blessé du Christ, qui nous met en communion avec nos frères chrétiens d’Orient : en Irak, en Iran, en Arabie saoudite, en Syrie, en Arménie, en Turquie, et tout particulièrement au Liban où notre Pape se trouvait il y a quelques jours. Les hommes peuvent bien fermer leur porte au Christ ! Mais le Christ est partout et aucune porte ne l’arrête, parce qu’il est le Sauveur de tous les hommes, sans aucune exception.

Ce chemin il est le chemin des béatitudes évangéliques dont la clé est l’amour : un bonheur plénier nous est promis, à nous qui étions malheureux, blessés, meurtris, pécheurs :

Chemin de pauvreté dans l’adoration, qui nous libère de l’égoïsme.

Chemin de douceur, qui nous libère de la dureté de nos opinions et nous permet de conquérir tous les cœurs au Christ.

Chemin de purification dans les larmes, qui nous libère de toutes nos idoles.

Chemin de désir ardent pour la justice, dans la force des martyrs.

Chemin de miséricorde, dans le pardon donné sans compter.

Chemin de pureté du cœur pour voir Dieu, qui nous libère de tous nos intégrismes.

Chemin de paix, car TOUT homme est appelé à rencontrer le Christ et à être fils de Dieu.

Tant que nous sommes sur la terre, c’est aussi un chemin de persécution : de cela, le Seigneur nous parle ouvertement ! En Orient, comme en Occident, cela est on ne peut plus actuel. Devant cela, la Joie divine doit nous transfigurer : celle qui jaillit d’une plénitude d’amour plus forte que toute haine, que tout péché, que tout refus.

En communion avec nos frères chrétiens d’Orient, soyons donc les témoins joyeux de cette Bonne Nouvelle : le Seigneur s’est fait l’un de nous pour que nous devenions semblables à lui. La clé en est l’Amour.

Homélie du 16 septembre 2012

Prédicateur : Abbé Jean-Robert Allaz
Date : 16 septembre 2012
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio

«Pour vous, qui suis-je ?»

Mes frères, mes sœurs et amis,

Les sondages d’opinion n’existaient pas, ni les médias, pas même le CCRT…, le bouche à oreille permettait tout de même de connaître l’indispensable des faits et des paroles! Pourtant, c’est bien à ce jeu que se livre Jésus en direct avec ses disciples.

«Pour vous, qui suis-je ? » Les réponses fusent, diverses, mais toutes avec une connotation religieuse et des références aux figures marquantes de l’Ancien Testament.

Le porte-parole des disciples Pierre, avec déjà l’âme du chef, donne la bonne réponse, à l’image des questions-réponses du catéchisme de mon enfance.

A l’attente d’un compliment pour ce «0 faute», Jésus révèle bien plus que Son identité, livrant l’enjeu de Sa vie, qui mènera par la souffrance au Mystère de la Rédemption.

Nous voilà bien plus loin et plus haut que le quiz sur les personnalités vétérotestamentaires de l’histoire du Salut!

Un Messie, oui, bien sûr, mais envoyé pour sauver l’humanité de ses misères, pour rétablir pleinement dans sa dignité et sa relation d’amour avec Dieu, celui qui a été créé à Son image et à Sa ressemblance. La surprise est de taille pour les disciples, aurions-nous réagi autrement ? Rabroués comme Pierre refusant la souffrance et s’opposant au destin du Père à travers son Fils Sauveur !

Jésus révèle l’existence de la souffrance non seulement dans sa vie, mais aussi dans celle des hommes, à plus forte raison auprès de ceux qui veulent marcher à sa suite et prétendre au titre et à la vocation de disciples.

Jamais Jésus ne niera l’existence du mal et de la souffrance, échecs sur terre, mais il sera toujours prêt à nous défendre, comme nous le rappelle Isaïe, ce matin, dans la prophétie du Serviteur Souffrant.

Dans notre pays, ce dimanche se veut traditionnellement celui du Jeûne Fédéral, ou, comme je le préfère: la fête fédérale d’Action de grâce. En fait de Jeûne, nous y reviendrons plus longuement dans le temps du Carême. J’aimerais vous rappeler l’importance de l’élément prière de ce jour, car l’Action de Grâce, c’est dire notre reconnaissance, notre merci à Dieu. Il serait bien sûr tentant de nous taper sur le ventre pour nous manifester notre satisfaction, dans un pays qui ne va pas si mal, souvent jalousé par ses voisins au milieu d’une Europe passablement chahutée!

Et pourtant, en ces temps de reprise scolaire, j’aimerais vous rendre attentifs à cette remarque du carnet journalier : peut faire mieux! A mi-chemin entre la satisfaction et l’insuffisance! Pour nous chrétiens, en Suisse, qui revendiquons l’importance de cette fête d’Action de Grâce, un examen de conscience, un retour sur soi s’impose où en sommes-nous?

Si notre référence est l’Evangile, qui en matière de l’amour et du respect de la vie, de la naissance au moment et à la façon de mourir ? Quel regard portons-nous sur l’ensemble de la migration, l’accueil des uns et des autres au-delà de leurs origines, de leurs cheminements, de leurs cultures et de leurs expressions ? Notre drapeau suisse ne porte-t-il pas une croix blanche en son milieu, comme une référence indélébile à un certain Sauveur pas toujours accueilli et compris Lui aussi?

Ce dimanche, dont l’organisation pastorale et liturgique repose sur l’ensemble des confessions chrétiennes reconnues dans notre pays, n’est-il pas un appel à grandir sur le chemin de l’unité ?

Le Christ accueillait tous ceux qui venaient à lui, à l’exemple des centurions et autres soldats romains, même pas juifs… Quel partage voulons-nous avec les grandes religions monothéistes de notre pays, spécialement avec le Judaïsme et l’Islam et bien au-delà encore avec d’autres religions et croyances, partageant comme nous le respect et l’amour de tout être humain ?

Quant au partage des biens matériels, l’Evangile fourmille de paraboles, ayant pour but de nous faire comprendre que l’amour du prochain n’est pas une branche à option, puisque semblable à l’amour de Dieu!

« Pour vous, qui suis-je ? » Permettez-moi de répondre avec vous : Seigneur, Comment te suivre?

Amen.

Dimanche du Jeûne fédéral

Lectures bibliques : Isaïe 50, 5-9; Jacques 2, 14-18; Marc 8, 27-35

Homélie du 09 septembre 2012

Prédicateur : Abbé Marc Donzé
Date : 09 septembre 2012
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio

Chers frères et sœurs, chers amis,

Je ne sais pas si vous avez remarqué : le sourd muet, guéri par Jésus, « parlait aussitôt correctement ». Cela veut dire qu’il savait parler et qu’il avait déjà entendu le langage des hommes.

Il n’était donc pas sourd et muet de naissance. Il est devenu sourd et muet.

Je me suis dès lors demandé comment on devient sourd et muet.

À force de recevoir des coups, des railleries, des mépris, à force de subir des incompréhensions, des frustrations, une personne peut se fermer complètement, et ne plus dire un mot, et ne plus entendre. Sourde et muette… et c’est aussi violent qu’un handicap qui aurait des origines purement physiques.

Et nous voilà tous plus ou moins concernés, de plus ou moins forte manière. Il y a des moments dans la vie, où nous vivons des agressions si fortes que nous n’avons plus de mots pour répondre… et nous voilà muets pour un moment plus ou moins long.

Il y a des moments dans la vie, où nous avons entendu tant de choses blessantes que nos oreilles se ferment d’elles-mêmes et que nous ne pouvons plus rien entendre… et nous voilà sourds pour un temps plus ou moins long.

Comme dit la sagesse populaire, la grande douleur est muette… et, peut-on ajouter, souvent elle rend sourd.

Puis, je me suis demandé : comment guérit-on, quand on est devenu sourd et muet, parce qu’une grande douleur nous a fermés ?

Et j’ai repensé à un témoignage que j’avais lu il y a quelque temps. Il s’agit d’un homme, un prêtre. Il a passé un long temps dans les camps de concentration pendant la guerre. De retour à Paris, il est complètement désemparé. « Je me sentais comme un lame d’épée sans fourreau, dure, nue et froide ; j’avais soif d’humanité.» Il rencontre alors une femme, qu’il connaissait. « Nous nous sommes pris dans les bras, longtemps, et j’ai senti la vie qui remontait en moi. » Evidemment, ils n’ont pas pensé à la bagatelle ; ils avaient bien autre chose à vivre : une renaissance, une réouverture de l’être.

J’ai compris alors pourquoi Jésus avait guéri ce sourd muet d’une façon si étrange. D’abord, il le mène à l’écart. Loin des bruits et de la fureur qui ont traumatisé cet homme au point qu’il ne pouvait plus ni parler, ni même entendre. À l’écart dans un lieu de paix, de silence, d’intimité même.

Puis, il fait des gestes qui correspondent aux gestes thérapeutiques de l’époque. Il lui met les doigts dans les oreilles. Il met de sa salive sur la langue du muet. Mais ces gestes sont bien plus qu’une thérapie. Ils nouent une relation de confiance : Jésus met sûrement beaucoup d’amour et même de tendresse dans ses gestes. On peut même dire que mettre de sa salive sur la langue de l’autre, c’est un échange très fort, presque intime. Par ces gestes, l’humanité, la confiance, l’ouverture remontent chez cet homme qui était devenu sourd et muet.

C’est seulement après qu’intervient une parole. Mais une parole si importante qu’elle nous est gardée dans la langue même de Jésus : Effata, ouvre-toi.

Effata : pour moi, c’est la définition même de l’homme à hauteur d’Evangile. Ouvre-toi : l’homme aux bras ouverts, l’homme au cœur ouvert. C’est l’aventure de toute la vie : devenir un homme aux bras ouverts, au cœur ouvert. Et c’est pourquoi cette parole, Effata, est dite sur nous jour de notre baptême, comme pour marquer notre destinée.

Voilà donc notre sourd et muet qui parle et qui entend, qui est guéri de ses fermetures et qui s’ouvre peu à peu. Il nous apprend deux choses essentielles, qui nous rassurent et qui nous engagent.

D’abord, si nous y consentons, Jésus nous touche au cœur pour nous guérir, pour nous ouvrir.

Et pis, nous pouvons devenir en toute simplicité des « guérisseurs », au meilleur sens du terme, à la manière de Jésus. En offrant de l’humanité, de la confiance, du respect, de la paix (avant et au-delà des mots), nous pouvons aider les personnes blessées à s’ouvrir. Et nous ouvrons nos bras et notre cœur par le fait même. Effata, ouvre-toi. Amen.

Lectures bibliques : Isaïe 35, 4-7; Jacques 2, 1-5; Marc 7, 31-37

Homélie du 02 septembre 2012

Prédicateur : Abbé François Dupraz
Date : 02 septembre 2012
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio

L’Evangile de ce jour parle donc du dedans et du dehors, de l’intérieur et de l’extérieur. Et ce qui importe avant tout, dit Jésus, c’est l’intérieur, c’est le cœur : Si le cœur est bon, tout l’être sera bon ; s’il est pur, tout l’être sera pur. Il en va différemment bien sûr s’il ne l’est pas…

Un simple coup d’œil en nous-mêmes suffit à nous persuader que notre cœur, on doit bien le reconnaître, n’est jamais totalement bon ou totalement mauvais. Il y a un peu de tout… là au fond de notre cœur…

Il importe donc – les textes de ce jour nous y appellent avec insistance – d’être attentif à ce qui se passe en nous et de cultiver les qualités de nos cœurs pour qu’ils deviennent peu à peu lumineux, aimants, compatissants, bons, généreux, justes, purs…

Comment faire ? Comment cultiver les qualités de nos cœurs ? L’apôtre Jacques invite – c’est notre 2e lecture – à « accueillir humblement la Parole de Dieu semée en nous ». « Accueillir humblement la Parole de Dieu semée en nous… » voilà une bonne piste.

Le livre du Deutéronome appelle dans le même sens à « considérer les commandements de Dieu et à les mettre en pratique ».

Autrement dit, Parole de Dieu / Commandements de Dieu / Evangile du Christ… voilà des points de référence fondamentaux à garder devant soi pour qui aspire à cultiver son cœur et à le rendre de plus en plus semblable au cœur de Jésus Lui-même – Jésus doux et humble de cœur – et donc à vivre en état de grâce ou tout simplement en amitié avec Lui…

La proximité de la Parole est source de sagesse, de savoir faire, de savoir vivre, de savoir être…

Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi une telle puissance de fécondation dans la Parole de Dieu ? Parce que la Parole de Dieu, précisément, est Parole… de Dieu. C’est une parole vivante (…) qui agit au plus intime de nos cœurs : « Parole du Seigneur – déclare le Seigneur en Isaïe – la parole qui sort de ma bouche, ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission ».

Oui, il convient de le dire et le redire en une époque ou LA Parole est si souvent ensevelie sous les paroles des hommes: pour qui aspire à vivre en fils (…), la Parole du Dieu vivant est une source principale où puiser Dieu. Une source d’eaux vives et vivifiantes toujours disponible… Je le dis en cette année où nous vivons de par tout le diocèse de magnifiques expériences de partage de LA parole à l’écoute de l’Evangile de Marc.

Nous en ferons un bouquet de fleurs samedi prochain ici même à Notre-Dame de Lausanne lors du grand rassemblement diocésain « fêter la Parole » à l’invitation de notre Père Evêque. Bienvenue à tous !

Le cœur de l’homme s’ouvre-t-il à LA Parole, encore lui revient-il de produire les fruits de cette Parole : « Mettez la parole en application, ne vous contenter pas de l’écouter ; ce serait vous faire illusion », rappelle l’apôtre Jacques en notre 2ème lecture.

Quels sont les fruits de LA Parole ? Eh bien ce sont les fruits de l’Esprit qui a inspiré cette Parole : Paul en énumère quelques-uns aux Galates mais ce n’est pas exhaustif : Les fruits de l’Esprit, dit-il, sont Bonté / Charité / Confiance dans les autres / Douceur / Joie / Longanimité / Maîtrise de soi / Paix / Serviabilité.

On le voit bien à ces fruits : la proximité avec le Dieu vivant de l’Evangile, la proximité avec la Parole de ce Dieu ô combien vivant (…) se traduit en nos vies – c’est une nécessité – par la proximité avec nos semblables…

Il m’apparaît important, de temps à autre, d’examiner notre vie à la lumière de ces fruits car c’est aux fruits que l’on reconnaît l’arbre… Un arbre bon se doit de porter de bons fruits : On ne cueille pas à l’inverse – rappelle le Christ – des raisins sur des épines ni des figues sur des ronces…

Oui ; aux fruits de la chair dont parle le Christ dans l’Evangile – ces attitudes qui blessent nos semblables – le chrétien sait opposer, car il les a d’abord imploré dans sa prière et cultivé dans son cœur, les fruits de l’Esprit.

A tous, bon chemin d’Evangile ; chemin parcouru avec Lui, Jésus-Christ ; à la lumière de Sa Parole – un jour après l’autre… ou 24 heures à la fois – au souffle de Son Esprit qui est un Esprit d’Amour. Amen.»

22e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Deutéronome 4, 1-8; Jacques 1, 17-27; Marc 7, 1-8 4-23

Homélie du 26 août 2012

Prédicateur : Père Guy Musy
Date : 26 août 2012
Lieu : Sanctuaire Notre-Dame de Tours, Cousset
Type : radio

« Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.

Quel collégien n’a pas déclamé dans ses lointaines études ces deux alexandrins où le vieux Corneille raconte les exploits du Cid Campeador ? Dans l’évangile de Jean, c’est le contraire qui se produit. Ils étaient une foule à manger du pain ; le lendemain, ils ne sont plus qu’une poignée – et encore ! – à vouloir suivre Jésus. Un bel échec, en vérité ! Que s’est-il donc passé?

Rien de particulier, précisément. Aucune nouvelle multiplication de pain n’était annoncée au programme. Aucune distribution gratuite de brioches dont on ramasse les miettes à pleins paniers. Cette mauvaise nouvelle suffisait à elle seule à faire fondre une foule assoiffée de miracles, de prodiges et d’exploits inédits. Il n’y aura pas de spectacle ce jour-là ! Circulez, il n’y a rien à voir. Surtout, rien à recevoir !

Mais il y a pire, si j’ose dire ! Au lieu de pain, miraculeusement sorti de ses mains, Jésus sermonne un discours sans fin et répétitif. Un long chapitre de l’évangile de Jean suffit à peine à le contenir. Habituellement les trop longs sermons précipitent le sommeil et facilitent la digestion. Mais celui-la est coriace et il énerve ses auditeurs : « Ton discours est « dur », reprochent-ils au prédicateur. Littéralement, il n’est pas mangeable. Le grec original évoque la sclérose ! Ces paroles ne sont donc pas plus comestibles que les cailloux du chemin. Elles ne valent pas le bon pain blanc qui fondait si bien dans la bouche.

Notons que nous pouvons comprendre ces récriminations. « Comment toi, Jésus, dont nous connaissons le père et la mère, peux-tu nous raconter que tu es le pain vivant descendu ciel ? Faudra-t-il que nous te mangions, comme si nous étions des anthropophages ? As-tu perdu la tête ? Tes propos tiennent du délire. Ils sont tout simplement scandaleux ». Littéralement, ils sont une pierre qui nous fait trébucher sur notre chemin d’hommes et de femmes relgieux et raisonnables.

Et tous de s’en aller, le laissant seul avec un petit groupe d’irréductibles, ceux que l’on croyait fidèles jusqu’au bout. Jésus, sans doute un peu désabusé, jette alors son regard sur les Douze. Un regard où se mêlent tendresse et défi : « Et vous, avez-vous aussi l’intention de partir ? ». Il ne leur dit pas : « Qu’attendez-vous pour partir ? », comme s’il voulait anticiper et précipiter leur lamentable débandade des jours de la passion. Il les interpelle tendrement, tout en respectant la liberté de leur choix.

Partir ou rester ? Telle est la question cruciale. Le brave Pierre, dont on ne peut mettre en doute la sincérité, croit bon répondre au nom des Douze: « Mais, à qui irions-nous ? » La belle formule ! Elle pourrait signifier : Seigneur, nous avons tout quitté pour te suivre ; nous avons brûlé nos bateaux. C’est trop tard pour commencer une autre aventure. Alors, nous continuons… ». Il me semble entendre dans la voix de Pierre celle d’un vieux missionnaire nonagénaire qui, au Rwanda, se désolait de devoir changer d’évêque. Il soupirait comme l’apôtre : « A qui irions-nous ? ». Pas d’autres solutions pour lui que de continuer avec le successeur ! Ce n’était pas la fièvre de l’enthousiasme, mais l’acceptation contrainte d’une pénible fatalité !

Et vous, voulez-nous partir, vous aussi ? Et moi-même, ai-je l’intention de partir ? Beaucoup, ces dernières décennies, ont pris cette décision. Pour la plupart, elle ne fut même pas une décision. Ils ont pris conscience un beau matin qu’ils n’étaient plus chrétiens, littéralement qu’ils n’adhéraient plus au Christ et à son message. Je ne parle pas ici de ceux et celles qui quittent l’Eglise sur la pointe des pieds sans trop savoir pourquoi, ni de ceux et celles qui claquent bruyamment la porte parce qu’ils ne supportent plus de voir le pape apparaître à la télévision, parce que la tête de leur curé ne leur revient pas ou qu’ils rechignent à payer leurs impôts ecclésiastiques. Je parle de ceux qui affichent des motifs sérieux et qui, comme les Juifs d’autrefois, disent carrément à Jésus : Ton discours est imbuvable. Je vais voir ailleurs ! Ils ne sont pas légion ceux qui vont jusqu’au bout de ce refus. Ils sont comme des assoiffés qui meurent au bord d’un puits, sans avoir la force ou l’envie d’y puiser. Ou comme la semence de la parabole qui n’a pas trouvé de terrain profond pour germer. Le soleil est venu et a brûlé tous les germes d’évangile demeurés en surface.

Il est vrai que le message du Christ est dur et que la bonne nouvelle est paradoxale. Pourquoi ? Parce que la vie éternelle dont parle Jésus n’est pas en droite ligne de la vie facile que nous cherchons tous à mener ici-bas. Il y a un hiatus profond entre l’ici-bas et l’au-delà. La croix y trouve son socle et son point d’ancrage. Elle fait apparaître la vérité qui fait fuir. Elle annonce un renversement de valeurs où le petit et le pauvre tiennent la première place. Où le perdant – le looser – l’emporte sur celui qui habituellement cartonne sur les stades, dans les arènes du pouvoir et du show business ou encore sur les relevés bancaires. Suivre Jésus c’est accepter que le plus faible soit en réalité le plus fort, celui sur lequel on crache soit placé au sommet de la hiérarchie. Et, finalement, que le cadavre qu’on descend dans une fosse ou abandonne au crématoire s’ouvre à une nouvelle vie. Dans la même logique, c’est accepter aussi qu’un morceau de pain puisse porter les germes de la vie éternelle.

Qui peut croire à ce message sans que Dieu ne l’aide à donner son adhésion ? Qui peut y croire, sans se donner soi-même corps et âme au Christ, comme à l’être le plus aimé ? Quand on aime, on ne compte pas, on ne calcule pas. On se donne avec une entière confiance, sans réticence ni réserve. L’amour précède la foi, l’enveloppe et lui donne sa profondeur, son envergure et son élan.

Alors, à la question : à qui irions-nous ? nous n’allons pas répondre que nous restons à cause de notre âge, de nos habitudes acquises, parce que nous n’avons plus l’énergie de changer de route. Mais nous restons, parce que Toi, Jésus, Tu es le grand amour de notre vie. Nous te faisons confiance. Même si tes paroles sont dures, nous savons qu’elles conduisent en vie éternelle.

Alors, Pierre, Jean, Joseph, Arthur, Félicie, Jeannette ou Marie-Louise m’aimes-tu ?

Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime. Je te suivrai jusqu’à la fin.

Lectures bibliques : Josué 24, 1-2, 15-18; Ephésiens 5, 21-32; Jean 6, 60-69

21e dimanche du temps ordinaire

Homélie du 19 août 2012

Prédicateur : Père Guy Musy
Date : 19 août 2012
Lieu : Sanctuaire Notre-Dame de Tours, Cousset
Type : radio

Carpe diem !

Je connais en Romandie un restaurant qui ouvre largement ses portes devant le portail d’un centre funéraire. Avec cette enseigne particulièrement aguichante, écrite en latin, s’il vous plaît ! : CARPE DIEM. Je traduis et paraphrase très librement cette invitation adressée aux survivants qui sortent du cimetière ou du crématoire : Cueillez le jour présent, profitez de la vie, vivez à plein régime. L’heure sonnera bien assez tôt quand viendra votre tour de passer par la porte du non retour.

Carpe diem ! La formule véhicule une certaine sagesse, je dirais plutôt un gros bon sens populaire qui nous fait soupirer à l’annonce du décès d’un contemporain : «Ouf ! J’y ai échappé cette fois-ci. Faisons la fête et buvons un coup !».

« Carpe diem ! La maxime serait-elle compatible avec notre foi chrétienne ? J’ai longtemps pensé que ce n’était pas le cas. Jusqu’au jour où j’ai lu ces deux mots inscrits sur un cadran solaire, perché sur un clocher catholique valaisan. Ce ne pouvait donc être une invitation à la débauche et au dévergondage, sous prétexte que de toute façon demain nous mourrons ! Je le comprenais plutôt comme une exhortation à mieux vivre le temps qui nous reste, à commencer par le moment présent. Je me suis souvenu alors de ce verset du psaume : « Apprends-moi, Seigneur, à bien mesurer mes jours ! » Et surtout à en apprécier la valeur.

Pourquoi tenir ce matin ces propos alarmistes qui peut-être seraient mieux en situation dans une prédication de la Toussaint ou du Jour des Morts ? C’est parce que Paul, dans la lecture que nous venons d’entendre, fait clairement allusion au « Carpe diem », lui aussi. S’adressant à des chrétiens fraîchement convertis, il leur dit : «Mettez à profit le temps présent ! ». On pourrait aussi traduire :«Rachetez le temps présent ». Sauvez-le, transformez-le, faites-en quelque chose de beau, de grand, de généreux et de saint. Engagez-vous dans cette œuvre de rédemption, de régénération! Et pourquoi cette mobilisation ? Parce que Paul constate que les jours sont mauvais et que le monde va mal.

Nous n’avons donc rien inventé. Ce n’est pas d’aujourd’hui que date cette jérémiade. Au premier siècle déjà, on se plaignait que le monde allait mal. Beaucoup estiment aujourd’hui qu’il n’a fait qu’empirer depuis. On me rapportait ces derniers jours le vœu d’un pèlerin de Lourdes. C’était un vieux monsieur de nos contrées qui disait à ses enfants : « Je vais à Lourdes prier pour un grand malade ». Et ses proches de s’inquiéter pour savoir de qui il parlait. Il leur répondit gravement : Je vais prier pour le monde qui est très malade ! ». Une généreuse intention sans doute qui allait au-delà des lamentations habituelles. Car il ne sert à rien de se lamenter sur l’état du monde. Il faut plutôt travailler à le changer. Et pour ce faire, Paul n’envoie pas ses chrétiens à Lourdes. Mais il leur donner des directives très claires, des consignes qui devraient les aider à passer à travers les turbulences de ce monde, prétendu mauvais. Elles pourraient nous être très utiles à nous aussi.

Tout d’abord, nous dit Paul : n’ajoutez pas votre propre misère à la misère du monde. De grâce, n’en jetez plus ! Cela suffit comme cela. Libérez-vous de vos vices qui ne peuvent qu’aggraver la situation générale. Ne vous plaigniez pas de la malice du monde, si vous-mêmes êtes mauvais. Commençons donc par balayer devant notre porte, par nous convertir et nous guérir.

La deuxième consigne de Paul est plus positive. En tout temps, bon ou mauvais, rendez grâce, remerciez Dieu. Etonnez-vous que le monde soit encore si beau, que le soleil se lève chaque matin, que des enfants vous sourient, qu’il y ait autour de vous tant de personnes qui vous veulent du bien, vous aident et vous aiment. Si nous parlons de réhabiliter notre temps, de racheter notre époque, c’est donc qu’elle n’est pas complètement perdue. La grâce vient au secours de notre monde. Elle le relève et l’élève. Le Verbe de Dieu n’aurait pas pris notre chair, ne serait pas descendu parmi nous, si l’humanité et son environnement n’avaient été que stupre, violence et mort. Non. Il est venu guérir un malade qui vivait encore. Employons-nous donc à repérer et à cueillir toutes les fleurs de renouveau et de résurrection, plutôt qu’ajouter des propos négatifs au pessimisme ambiant.

La dernière consigne est surprenante. Notre Paul, plutôt barbon, n’a rien d’un Mozart ou d’un Schubert. Et le voilà qu’il nous entraîne à chanter. Les choristes qui sont ici présents ou à l’écoute apprécieront. Bien sûr, il ne s’agit pas de Rock oz Arènes, mais d’un répertoire assez précis. Paul parle de psaumes chantés. Nous y sommes accoutumés. Mais encore d’autres pièces liturgiques qu’il appelle hymnes. Et surtout de compositions personnelles inspirées, celles qui sortent spontanément du cœur quand on est heureux de vivre. Et Paul ajoute : « chantez ensemble et de tout votre cœur ». Comme si notre concert allait sauver le monde.

Le Titanic peut donc couler, mais l’orchestre demeure sur le pont et joue jusqu’au bout sa partition. Dans cette vallée de larmes, les chrétiens jouent aussi leur partition.Une symphonie à la joie, comme celle du vieux Beethoven frappé par une lourde surdité. Ils demeurent à leur poste, comme une source de joie profonde. Même si les éléments sont déchaînés et menacent la barque qui les porte, les chrétiens trouvent des raisons de chanter encore. Ils ressemblent alors à ces trois jeunes gens, dont parle le livre de Daniel, qui chantaient au milieu des flammes le cantique de la création.

Alors, frères et sœurs, il ne nous reste plus qu’à donner de la voix, mais en harmonie. Pour que le monde soit beau et que nous ayons du plaisir à cueillir et recueillir ses meilleurs moments.»

Lectures bibliques : Proverbes 9, 1-6; Ephésiens 5, 15-20; Jean 6, 51-58

20e dimanche du temps ordinaire

Homélie du 15 août 2012

Prédicateur : Don Italo Molinaro
Date : 15 août 2012
Lieu : Sanctuaire de Madonna del Sasso, Orselina (TI)
Type : tv

Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles, il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides» :
ce sont les paroles les plus fortes du Magnificat, que nous venons d’entendre. Par ces mots, Marie proclame la présence de Dieu dans l’histoire humaine: sa petite histoire de femme, mais aussi l’histoire de son peuple, de son temps, de son passé et de son avenir, qui est formé par toutes les générations du monde.

Nous aussi, à travers cette messe télévisée nous essayons d’annoncer cette présence divine concrète, en associant les mots de Marie aux images et à la musique. Il s’agit d’une tentative nouvelle rendue possible par la technologie, mais si on réfléchit bien, on se rend compte qu’il s’agit d’un exercice profondément traditionnel parce que ce cantique de Marie est né comme de la poésie et la poésie est un texte qui sort de lui-même et se projette vers nous avec force!

Le Magnificat lui aussi a toujours jailli vers l’extérieur du livre et est devenu d’abord chant et musique et ensuite a inspiré la peinture, les images, et même le Sacro Monte ici à Locarno. Aujourd’hui, nous avons osé présenter le Magnificat avec les images d’actualité, avec les visages et les personnes dans lesquels nous reconnaissons quelque chose de la réalité de Dieu dans l’histoire.

Sur les images qui ont illustré notre Magnificat, c’est avant tout l’histoire de gens simples qui ont rendu grâce à Dieu par de beaux ex-votos de la tradition populaire. Mais nous avons aussi inséré des scènes «politiques», comme la chute du mur de Berlin.

Il y avait également des figures humbles et fortes de notre temps, comme Mère Teresa, le pape Jean, l’Abbé Pierre, et même des figures extérieures à la tradition chrétienne, comme la militante pacifique birmane Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991.

Il n’est pas question de canoniser quelqu’un, mais de permettre au Magnificat de faire son œuvre aujourd’hui, qui est de déborder du texte écrit et de nous montrer aujourd’hui les «grandes choses» pour lesquelles magnifier Dieu, les réalités humaines que Dieu «assume» aujourd’hui au «ciel».

Peut-être vous demandez vous pourquoi j’utilise des mots qui reprennent le langage marial de l’Assomption pour parler de chacun de nous… Quels sont les points communs entre Marie et Aung San Suu Kyi, avec le mur de Berlin, avec les défis de notre temps… Se demander cela, cependant, révèle toute la pauvreté de notre dévotion à Marie! Nous avons réduit la Vierge à une «machine à mercis», alors que Dieu nous l’a donnée comme symbole du monde sauvé. Un monde qui cherche et chante les grandes œuvres de Dieu en tout temps et partout!

Marie est plus que Marie, parce que Marie c’est nous, et nous sommes Marie. C’est pour cette raison que le concile Vatican II l’a proclamée «Mère de l’Eglise» et que le pape Paul VI l’appelait «notre sœur».

Marie est la femme de l’Apocalypse. Marie fait partie de ces «tous» qui recevront la vie dans le Christ, comme nous l’avons entendu chez saint Paul. Mais depuis que Marie c’est nous, la femme de l’Apocalypse nous révèle aussi notre identité! Marie est la femme revêtue du soleil, car en nous brille le soleil du matin de Pâques! C’est la femme qui donne naissance au Messie parce que Jésus est le fils de notre humanité concrète. C’est la femme qui a trouvé refuge au désert parce que nous sommes le peuple de Dieu qui vit dans le désert d’aujourd’hui l’exode de Pâques jusqu’au Royaume.

La belle image de la Fuite en Egypte, conservée ici à Madonna del Sasso, doit nous rappeler que Dieu est à l’œuvre aujourd’hui pour nous donner un havre de sécurité dans nos déserts!

Grâce à la Marie du Magnificat et à la Marie de l’Apocalypse, Dieu nous révèle notre merveilleuse identité profonde: en fait nous sommes des personnes aimées, des personnes que Dieu choisit pour générer le Messie et le salut. Des personnes que Dieu accompagne durant un temps qui est désert, mais aussi refuge.

Marie se réjouit en Dieu, qui comble les humbles…. et c’est pourquoi nous aussi nous réjouissons parce que nous découvrons combien d’humbles gestes humains Dieu fait monter au ciel, aujourd’hui, en les inondant de soleil divin, en les rendant déjà pascals.

Chers amis, nous devrions nous transformer tous en réalisateurs de télévision et créer nous-mêmes un film moderne du Magnificat, avec des images de nos vies humbles, avec les gestes de l’amour et la lumière de notre vie quotidienne, avec les actes à contre-courant, difficiles mais nécessaires que le monde d’aujourd’hui attend, dans les domaines de l’économie, de la société, de la politique, de la culture, de la solidarité et de la foi.

Quelles images utiliser pour exprimer le Magnificat aujourd’hui? Où et quand Dieu renverse-t-il aujourd’hui les puissants et élève-t-il les humbles? Quels sont les riches qui sont renvoyés les mains vides? Et qui sont les affamés comblés de biens?

Aujourd’hui croire en Dieu implique d’avoir le courage de faire quelque chose de beau dans la vie, à partir des grands idéaux de salut et d’espérance. La foi ne peut se réduire à allumer une bougie à la Vierge Marie, ici, ou à Lourdes ou à Fatima ou pour demander la grâce de guérir ou de trouver du travail. Marie nous encourage à rêver de la grâce d’une vie nouvelle pour le monde entier. Marie a rêvé grand et nous offre maintenant cette grandeur: la santé, oui, mais pour chaque être humain.

Le travail oui, mais pour chaque personne. Le bien-être, la paix, l’éducation, la culture, le droit à la vie, oui, mais pour toutes les générations du monde.

Nous sommes dans un moment de peur, de repli sur nous-mêmes, sur notre identité, sur nos crises. Même les Eglises et les religions se montrent souvent apeurées, bloquées sur leurs problèmes internes. Les nations se battent pour défendre leurs privilèges. Le marché mondial échappe au contrôle démocratique et ressemble au grand dragon rouge de l’Apocalypse.

A bien des égards, ce début du nouveau millénaire ressemble à un désert, mais la femme de l’Apocalypse dit justement que le désert devient un refuge! Et saint Paul nous rappelle que le Christ est ressuscité d’entre les morts comme premier-né. Il est le premier, mais nous venons ensuite, et donc une force de résurrection et semée en nous, afin que nous la mettions également dans la réalité du monde d’aujourd’hui!

Chers amis, regardons vers le haut! Revenons à cultiver des idéaux élevés, de grands objectifs pour l’humanité, pour nos familles, pour nos réalités sociales et économiques, petites et grandes. Dieu prépare un refuge c’est-à-dire un nouveau monde pour rassasier les affamés. Il l’a dit à travers Marie, une affamée qui a été comblée, une humble qui fut élevée, la servante qui travaille avec la grâce de Dieu parce qu’elle a cru en la grâce divine. Elle a cru pour le monde entier, pour un monde nouveau! Amen.»

Lectures bibliques : Apocalypse 11, 19; 12, 1-10; 1 Corinthiens 15, 20-26; Luc 39-56

 

Homélie du 12 août 2012

Prédicateur : Père Guy Musy
Date : 12 août 2012
Lieu : Sanctuaire Notre-Dame de Tours, Cousset
Type : radio

« Moïse, retire tes sandales ! Car le lieu où tu te tiens est saint ! »

Des siècles après le guide d’Israël, des hommes et des femmes continuent d’obéir à cette directive. Les musulmans se défont de leurs chaussures quand ils pénètrent dans une mosquée ; les chrétiens enlèvent leur chapeau et progressent tête nue dans une église ; tandis que les juifs se coiffent impérativement d’une kipa dès qu’ils passent le seuil d’une synagogue. Autant de signes extérieurs – parfois contradictoires – qui manifestent que certains lieux, plus que d’autres, sont marqués par la présence divine. Des lieux qui n’attirent pas seulement les croyants ; les cabossés de la vie et les assoiffés de paix et de sérénité y trouvent leur refuge eux aussi.

Ainsi sont nés les pèlerinages, à commencer, dans la tradition biblique, par celui qu’entreprit ce pauvre prophète Elie dont une lecture nous parle ce matin. Découragé et déprimé, marchant et clopinant dans le désert, une gourde d’eau en bandoulière et un quignon de pain dans sa besace. Un chemin qui lui dura quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu, là-bas, quelque part dans le massif du Sinaï ! Ce pèlerinage, comme tous les pèlerinages, fut pour lui un retour aux sources, à la source originelle, à son propre puits intérieur, demeuré embourbé et obstrué. Un pèlerinage pour retrouver la joie et la pureté des commencements, des lunes de miel d’autrefois et des paradis que l’on croyait perdus. Sur les chemins de Compostelle, de La Mecque, de Lourdes ou de Jérusalem marchent encore aujourd’hui des milliers d’humains, non pour conquérir une médaille olympique, mais pour se retrouver eux-mêmes sous le regard de Dieu. Beaucoup de ces aventuriers reviennent chez eux en avouant comme Moïse : « Vraiment ce lieu était saint et je ne le savais pas ! ».

Notre-Dame de Tours où cette messe est célébrée est un de ces lieux que j’appellerais magique, si je n’étais pas chrétien. Depuis des siècles affluent sur cette modeste colline, plantée au coeur du pays broyard, des hommes et des femmes qui désirent prier. Les historiens et archéologues nous disent que les tout premiers chrétiens de ce pays, au IVème siècle déjà, avaient édifié ici une église, sur les lieux mêmes où leurs ancêtres celtes vénéraient leurs dieux. L’histoire postérieure a fait de ce sanctuaire une chapelle mariale qui a défié les Réformateurs du pays romand et attire encore de nos jours des pèlerins. Avec émotion, je me souviens qu’enfant j’accompagnais ma grand-mère venue ici prier la Vierge, après avoir marché une heure ou deux à travers champs et forêts. Que venait-elle chercher et demander dans cette chapelle? Je n’ai jamais pénétré son jardin secret. Cette femme paysanne devait sans doute avoir le cœur lourd en arrivant ici. Elle l’avait léger en rentrant chez elle. Sans le dire aussi, elle voulait transmettre un secret à son petit fils. Ce lieu était saint et je ne le savais pas encore.

Mais j’éprouve comme un hésitation et un scrupule à poursuivre ce thème. Je parle de pèlerinage, alors que beaucoup d’auditeurs sont peut-être cloués sur un lit d’hôpital ; d’autres privés de mobilité dans un home ou une maison de retraite ; d’autres encore enfermés dans une cellule d’un établissement pénitencier. Faut-il vraiment marcher pour retrouver la Vierge et les saints ? Faut-il faire un long périple, loin de chez soi, pour retrouver la source qui purifie et désaltère ? Qui vous a dit cela ? Il est des pèlerinages intérieurs où, sans sortir de sa chambre, on peut parcourir un long chemin. Beaucoup entreprennent ce voyage guidés par la souffrance et l’épreuve et découvrent au terme d’une longue itinérance intérieure apaisement, force, pardon et acceptation. Ils étaient partis révoltés contre Dieu, contre les hommes et sans doute aussi contre eux-mêmes. Les voilà réconciliés, régénérés et ressuscités.

Ce que l’on demande à tout pèlerin en marche vers Compostelle, vers Tours ou Jérusalem c’est qu’il se désencombre, élimine du sac qui pèse sur son dos tout le superflu qui fatigue et alourdit. Qu’il laisse une place à l’inédit, à l’imprévu, à l’étonnement : qu’il laisse une place à Dieu, finalement. Et cela vaut aussi pour ces pèlerinages immobiles, quand la maladie, la vieillesse, le handicap se chargent de nous purifier et de nous ramener à l’essentiel.

Un confrère me faisait remarquer que le secret et la plénitude du pèlerinage se trouve dans la marche elle-même, dans l’effort et l’ascèse du chemin, plutôt que dans le repos de l’arrivée. Encore faut-il avoir la force d’avancer. Le pain de vie auquel l’évangile de ce jour fait allusion est appelé « viatique » dans la tradition chrétienne, littéralement, le pain du pèlerin, la manne quotidienne qui soutient nos forces et nous permet de progresser. Cette halte de Tours ne va pas sans eucharistie. Nous allons la recevoir pour reprendre souffle et repartir. Courage ! La route est encore longue jusqu’au Mont Horeb, notre paradis ! Mais le Christ, le premier des pèlerins, nous ouvre le chemin et nous entraîne derrière lui !»

Lectures bibliques : 1 Rois 19, 4-8; Ephésiens 4, 30 – 5, 2; Jean 6, 41-51

19e dimanche du temps ordinaire