Homélie du 05 août 2012

Prédicateur : Chanoine Raphaël Duchoud
Date : 05 août 2012
Lieu : Hospice du Grand-Saint-Bernard
Type : radio

Frères et sœurs dans le Christ,

Tout au long de cet été, le thème des pèlerinages alpins qui aboutissent ici à l’hospice du Grand-Saint-Bernard nous invite à réfléchir et à nous poser cette question : « Quelle est ma faim aujourd’hui ? » Si hier nous nous sommes mis en route depuis Ferret jusqu’ici à l’hospice du Grand-Saint-Bernard, si nous avons accepté d’entrer dans une démarche de réflexion et de prière sur le thème “Du pain pour la route, de quoi ai-je faim aujourd’hui ?” c’est bien parce que le besoin d’avancer est ressenti au fond de notre cœur comme un appel pressant à la vie. Celle-ci va de l’avant et non en arrière. Dans ce sens, la démarche du pèlerinage devient en quelque sorte une parabole de la réalité de la vie ; quand on part le matin en excursion, quelles que soient les conditions météorologiques, on se donne un but bien précis à atteindre. Et si on accepte de vivre cette démarche de pèlerinage comme celle que nous sommes en train de vivre, maintenant, n’est-ce pas la preuve qu’au-dedans de nous, il y a un appel à sortir de notre petit confort, à vivre une aventure pour apaiser notre faim intérieure ?

Dans l’Evangile de ce dimanche, Jésus renvoie ses disciples à la réalité qu’ils vivent pour les exhorter à rechercher de qui conduit à la vraie vie : « Travaillez pour la nourriture qui se garde pour la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu le Père a marqué de son empreinte. » Par cette comparaison, Jésus veut montrer et faire comprendre à l’humanité ce qu’il apporte : la nourriture spirituelle qui donne la vie éternelle. Face à cette révélation, nous sommes de nouveau renvoyés à cette question fondamentale : quelle est ma faim aujourd’hui ?

Pour répondre à cette question, nous pouvons nous situer et dans l’ordre du “faire” en ayant comme but de réaliser un projet pour donner un sens objectif à la vie, et dans l’ordre de l’“être” en nous laissant aimer par Dieu qui désire nous donner le vrai pain descendu du Ciel en la personne de son Fils.

Jésus est très réaliste : il ne nous invite pas à mépriser le “pain quotidien”, à devenir paresseux dans nos tâches quotidiennes, mais il souhaite que nous ayons la même ardeur à rechercher la nourriture spirituelle qui conduit à la vie éternelle. À la différence du Bouddha, Jésus n’invite pas à supprimer nos désirs, mais au contraire, à les amplifier. Ne nous contentons pas de désirer ce petit bout de vie éphémère qui est le nôtre, allons jusqu’à désirer la vie éternelle et faisons ce qu’il faut pour cela, pour en vivre dès maintenant.

Ce message, nous sommes invités à l’accueillir avec un acte de foi. Jésus se présente comme le pain de la vie : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. » L’enseignement que Jésus nous donne en ce dimanche en prenant l’image du pain de vie vise à sensibiliser chacun sur l’importance de sa tâche quotidienne en voyant celle-ci habitée par une présence divine. Le pain présenté à l’eucharistie n’est-il pas le symbole de tout le travail réalisé au foyer pour que la famille humaine puisse grandir et vivre dignement ? Ce même pain n’est-il pas aussi appelé à devenir lui-même présence divine au cœur de notre célébration ? Retrouvons donc le sens de l’Eucharistie qui est en réalité présence de Celui qui est venu épouser notre humanité pour nous enrichir de sa pauvreté. C’est ainsi que le besoin de l’homme, notre besoin d’absolu sera satisfait. Jésus ne dit-il pas : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif ? » C’est avec un cœur ouvert à l’inconnu de Dieu, habité par la foi, que nous sommes invités à accueillir cette affirmation. Cela est primordial.

Les disciples eux-mêmes demandent un signe pour qu’ils puissent le voir et croire en Jésus. Ils ressentent le besoin d’être aidés pour faire un acte de foi et expriment ainsi leur faim de croire en Jésus afin de ne pas rester à leurs horizons habituels. Mais nous, aujourd’hui, de quoi avons-nous faim ? Chaque jour, ne nous dit-on pas qu’on trouve le bonheur quand nous aurons acheté telle marque de voiture ou d’appareil ménager ou encore tel produit alimentaire. Jésus nous réplique que toutes ces “mannes” ne sont que peu de choses à côté du bonheur que Dieu veut nous donner.

« Le Pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » nous dit Jésus. Nous laisserons-nous prendre à la contemplation mystique que ces mots suggèrent ? Nous sommes faits pour Dieu. Que nous le voulions ou pas, notre faim est une faim de Dieu, même si nous n’en avons pas conscience. « Pourquoi dépensez-vous de l’argent pour ce qui ne rassasie pas ? » disait déjà le prophète Isaïe (Is 55, 2) et saint Augustin d’avouer après avoir cherché tous les plaisirs de la terre : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi. » Oui, notre cœur est si grand que rien ne pourra le combler sinon Dieu lui-même.

Face à la beauté de ce mystère et à la révélation de la présence de Dieu dans ce pain de vie donné dans l’Eucharistie, accueillons l’exhortation de l’Apôtre Paul de nous « défaire de la conduite d’autrefois, » de l’homme ancien qui est en nous afin de nous laisser guider par un esprit renouvelé. Puissions-nous devenir nous-mêmes nourriture spirituelle quand nous retournerons dans nos maisons, nos communautés, là ou le Seigneur nous appelle à être témoins de son Amour en son Fils Jésus. Amen.»

18e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Exode 16, 2-4, 12-15; Ephésiens 4, 17-24; Jean 6, 24-35

Homélie du 29 juillet 2012

Prédicateur : Père Luc Ruedin, jésuite
Date : 29 juillet 2012
Lieu : Hospice du Grand-Saint-Bernard
Type : radio

17e dimanche du temps ordinaire – La nourriture dans la Bible occupe la 1ère place dès les premières pages. Pensons aux fruits des arbres du Jardin (Genèse 3), à la manne au désert et aux famines, au plat de lentilles de Jacob et d’Esaü, etc. Et l’Apocalypse se termine par le festin des noces de l’Agneau (Ap 19) et le fruit de l’arbre de vie (Ap 22). D’un bout à l’autre du Livre, il est question de la manne qui rassasie l’homme. Et toute l’Ecriture est incluse entre ces deux mentions de l’arbre de vie, dont l’homme s’était d’abord avéré incapable de manger le fruit. Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus parle d’acheter du pain. Il est bien dans la tradition de l’Ecriture !

Nous le savons bien, nous qui avons marché jusqu’ici au Grand-Saint-Bernard, lorsque l’on entreprend un voyage, on se préoccupe d’abord d’avoir de quoi se nourrir. Aurions-nous atteint l’hospice si nous n’avions pas mangé ? La nourriture nous rappelle notre lien essentiel à la Création. Elle nous met devant notre radicale dépendance. Ne pas manger, c’est mourir. C’est risquer non seulement la vie du corps mais aussi celle de l’âme. De l’âme car il ne s’agit pas uniquement d’être repu mais de recevoir et de donner qui est la Vie même ! C’est de ce pain là que nous avons faim ! C’est ce que la Parole du jour nous rappelle :

I- « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent » ordonne Elisée. Jésus, à son tour, se demande comment faire « pour qu’ils aient à manger ». Nous sommes bien là devant la réalité humaine la plus radicale : se nourrir certes, mais surtout recevoir d’autres de quoi manger ! Ainsi, naissons et grandissons-nous en recevant la nourriture de nos parents. Une nourriture certes matérielle, mais surtout affective. On le sait, un bébé qui n’est pas aimé meurt ! Et pourtant le quotidien nous fait vite oublier cette expérience originelle du recevoir et du don qui constitue l’amour humain. Inconsciemment, nous nous croyons autosuffisants. Or, la vraie vie surgit lorsque nous recevons et donnons, lorsque venant de l’amour, nous en prenons conscience et en vivons. Loin d’être des individus isolés, nous sommes des êtres créés pour la communion. Ces lectures nous rappellent ainsi l’essentiel de notre condition humaine : plus que de pain, nous nous nourrissons les uns les autres en donnant et recevant, en nous donnant et nous recevant les uns des autres.

Et il en va de même avec Dieu. Dieu nous parle pour que nous puissions nous recevoir de lui : « Il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez pour te faire connaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. » Humainement déjà, nous vivons par la parole qui relie. Combien de personnes meurent de silence ? Combien de couples meurent de ne plus vraiment parler ? Combien d’isolés parce qu’ils ne trouvent personne à qui parler ? Chers frères et sœurs, ce pain qui nourrit près du lac de Tibériade est avant tout Parole de Dieu. Pourquoi ? parce qu’il met en relation : cent personnes (1ère lecture), Père de tous qui règne au-dessus de tous, par tous et en tous (2ème lecture), Une grande foule (évangile). Ce Pain-Parole qui met en relation, nous « relationne » parce qu’Il est est Amour et nous fait entrer dans la solidarité de Dieu. Le signe de Dieu en notre monde n’est-ce pas d’abord l’accès à une humanité fraternelle que nous recherchons tant ? Une humanité sans exclusion qui est comme un écho de l’unité dont nous parle saint Paul dans son épitre aux Ephésiens.

Encore faut-il que nous risquions le don. Que, dans la confiance, nous nous donnions !

II- « Le grand prophète » n’aurait rien pu faire sans que « quelqu’un offrit à Elisée vingt pains et du grain frais. » En temps de famine, c’est une fortune et une sécurité ! Dans l’évangile, un jeune garçon, offre « cinq pains d’orge et deux poissons. » Largement de quoi nourrir lui-même et sa famille. Pourtant étonnamment, généreusement, il offre tout spontanément sans que Jésus n’ait rien demandé. L’anonyme d’Elisée et le jeune garçon ont tous deux fait confiance à l’homme de Dieu – en dernier ressort à Dieu -, ils n’ont pas retenu jalousement ce qu’ils avaient, ils l’ont donné et cela a porté du fruit. Sans la collaboration libre de l’homme, même Dieu ne peut pas agir. Ils ont offert quelque chose qui n’est pas extraordinaire, quelque chose qui est à la portée de tout le monde. Là est peut-être ce qui est à retenir pour nous. Que puis-je donner de ce que j’ai ? Quel pain, quelle parole puis-je offrir ?

III- Car du peu, le don, le partage fait surgir l’excès : on remplit 12 paniers avec ce qui reste. Pierre Ceyrac jésuite vivant en Inde disait : Quand on a tout donné on n’a plus rien à perdre ! Quand l’on donne sans retenir, non seulement on a plus rien à perdre mais on gagne tout. Pourquoi donc le partage fait-il donc advenir la surabondance de Dieu parmi les hommes ? Parce qu’il rend l’Amour effectif en lui donnant réalité, chair. Dieu advient ! N’est-ce pas ce que nous vivons en ce week-end de marche-pèlerinage au Grand-Saint-Bernard ? La joie qui nous habite n’en est-elle pas le signe ? Signe du pain partagé qui représente le Christ lui-même. Signe de la joie qui prend chair en nous, parmi nous et qui vient de sa Vie donnée, vraie nourriture de l’homme.

Chers amis, demandons au Seigneur où et qui que nous soyons, sur les sommets ensoleillés ou dans l’obscurité de nos plaines, en grande santé ou affectés par la maladie, la vieillesse, demandons la grâce d’offrir non seulement ce que nous avons mais surtout ce que nous sommes. La Présence du Seigneur nous transformera. Nous entrerons alors dans l’infini mouvement de l’Amour pur dont nous avons tant la nostalgie et le désir. Amen.»

Lectures bibliques : 2 Rois 4, 42-44; Ephésiens 4, 1-6; Jean 6, 1-15

Homélie du 22 juillet 2012

Prédicateur : Chanoine José Mittaz
Date : 22 juillet 2012
Lieu : Hospice du Grand-Saint-Bernard
Type : radio

16e dimanche du temps ordinaire – Les nouvelles que nous livre en partage l’actualité de ce jour, nous disent combien en nos pays riches nous avons faim. Nous avons faim de plus d’humanité, nous avons faim d’apprendre à pouvoir exister ensemble, et à l’intérieur de soi également. Ces accès de violence insensés dont les nouvelles nous font part ne sont que la pointe de l’iceberg. Combien de violences cachées, combien d’actes qui détruisent se vivent dans le secret, parfois dans des familles, parfois simplement de soi, vis-à-vis de soi.

L’actualité de ce jour nous exprime combien nous avons besoin d’entendre ce que Dieu nous dit, l’actualité de ce jour révèle combien Dieu ausculte le pouls de cette humanité qui peine à répondre à sa vocation humaine. La parole Dieu de ce jour nous appelle à une double démarche: les trois lectures que nous avons entendues se joignent pour que cet appel soit plus vibrant. Un appel à se rassembler, un appel à se recueillir.

Un appel à se rassembler, c’est ce que nous vivons ce matin dans cette église où nous sommes rassemblés, c’est ce que nous vivons grâce aux ondes de la radio avec vous qui nous écoutez. Ensemble nous nous rassemblons, ensemble nous cherchons à vivre cet engagement de Dieu qui veut rassembler son peuple pour qu’il y ait plus d’humanité.

L’image du troupeau dispersé dit la précarité de la vie, dit que dispersion veut dire pour un troupeau périr; dispersion dans l’humanité, ghettoïsation de l’humanité signifie également sa ruine. Ce rassemblement ne peut pas se faire par contrainte extérieure, ce rassemblement ne peut se vivre que dans un mouvement qui implique notre intériorité, cette intériorité qui est sollicitée dès le chant d’entrée par cet appel tendre et vivifiant:  » Venez, venez! Viens, n’aie pas peur! »

Le recueillement, c’est le rassemblement dans l’unité de tout nous-même, tout ce que nous portons en nous, de notre histoire, de notre capacité à aimer, de notre peur d’être aimé, de notre tendresse, de notre intelligence, de notre savoir-faire, de notre savoir-être, de notre difficulté à faire, de notre difficulté à être, à exister.

Le plus grand danger, ce qui nous met en péril c’est l’expérience de la souffrance, l’expérience de la souffrance qui nous fait rejoindre nos failles intérieures, nos défaillances, notre impossibilité d’être à la hauteur de ce que nous aimerions être. Et c’est peut-être là notre plus grand piège. Et comme pour occulter cette faille il nous faut nous mettre dans des extrêmes, extrêmes de violence, l’actualité nous l’a rappelé, mais extrêmes de violence parfois en nous-mêmes, où une agitation nous met hors de ce lieu, de notre faille, d’où pourtant jaillit une source.

Cette source, celle qui peut nous unifier intérieurement et rassembler l’humanité pour qu’elle devienne toujours plus humaine. Cette source c’est la tendresse, la tendresse parce qu’elle unifie toutes les parts de notre être, elle situe à leur juste place notre affectivité, notre sexualité, l’écoute de l’autre, l’écoute de soi, le respect de l’autre, le respect de soi, la tendresse dans le regard, dans la position du corps, dans l’écoute, cette tendresse que j’ai besoin de recevoir, cette tendresse que j’ai besoin d’offrir.»

Lectures bibliques : Jérémie 23, 1-6; Ephésiens 2, 13-18; Marc 6, 30-34

Homélie du 15 juillet 2012

Prédicateur : Mgr Charles Morerod, évêque
Date : 15 juillet 2012
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

15e dimanche du temps ordinaire – Parmi les différentes questions que nous pouvons nous poser, certaines sont plus fondamentales. Par exemple : Pourquoi est-ce que nous existons ? Je pose cette question au pluriel, parce que l’homme est un animal social. Nous ne nous comprenons pas hors de tout lien avec d’autres. Certes chacun de nous a sa propre vie et sa propre responsabilité, mais chacun est aussi en relation nécessaire avec Dieu, avec son prochain humain et avec l’ensemble du monde. De toutes ces relations la plus fondamentale est celle que nous avons avec Dieu ; elle met dans leur juste lumière toutes nos autres relations, y compris celle que nous avons avec nous-même.

Dans la deuxième lecture de cette messe, saint Paul nous dit pourquoi nous existons, et il nous le dit en montrant que notre relation avec Dieu éclaire nos relations entre nous. Dieu le Père – nous dit saint Paul – « nous a choisis avant la création du monde ». Nous ne sommes pas le fruit du hasard. Chacun de nous a été personnellement voulu et créé par Dieu, parce que Dieu nous aime.

Et Dieu n’avait pas un plan vague : il nous a « destinés à devenir pour lui des fils par Jésus-Christ ». Il voulait constituer avec nous une famille, et pour que cette famille puisse se constituer il a envoyé son Fils. Le Fils se fait homme pour que nous puissions en lui recevoir la vie de Dieu.

Ce n’est pas une petite destinée que Dieu nous propose. Ce n’est pas une proposition seulement humaine : il ne nous propose pas simplement de vivre mieux ici-bas, mais de vivre avec lui pour toujours, de partager la vie divine. Et il ne s’agit pas seulement d’une invitation adressée à quelques-uns, mais d’un projet qui de quelque manière englobe tout le cosmos : « Dans sa bienveillance, il projetait de saisir l’univers entier, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre ». C’est tout l’univers qui est en vue. Et comment cela va-t-il se faire ? « En réunissant tout sous un seul chef, le Christ ». « Un seul chef » signifie ici une seule tête. La tête est ce qui organise la vie de l’ensemble du corps, un peu comme chacun de nos mouvements est commandé par la tête, consciemment ou non. Cette tête qu’est le Christ sert à donner unité au monde entier. La création est reprise, c’est une nouvelle création unie par le Christ. Nous sommes associés à cette reprise de la création par notre baptême, qui est une nouvelle naissance. Au baptême nous recevons la vie de Dieu, qui s’épanouit en nous dans l’Eucharistie où nous formons un seul corps. C’est la famille de Dieu réalisée ici-bas, unifiée par le Saint Esprit dont saint Paul nous dit qu’il est la « première avance » que Dieu nous fait sur l’héritage promis au Ciel.

Cette famille de Dieu, c’est l’Eglise, le Corps dont le Christ est la Tête, le Peuple des enfants adoptifs de Dieu, qui ont reçu la vie divine au baptême et la nourrissent dans l’eucharistie. Grâce à la connaissance que la foi nous donne du plan de Dieu pour nous, nous découvrons ce que peut être notre vie, comment nous pouvons être en relation avec Dieu, et les uns avec les autres.

Si l’on prend conscience du plan que Dieu a pour nous, alors notre vision de la vie est bouleversée par ce nouvel horizon. Si nous avons un Dieu qui nous aime tellement qu’il veut partager pour toujours son amour avec nous, qui envoie son Fils pour que nous puissions répondre à cette invitation d’amour, et que ce Fils donne sa vie sur la croix, alors est-ce que ça ne changera rien pour nous ? Eh bien cela devrait avoir au moins deux conséquences.

Une fois que nous croyons que Dieu nous veut avec lui et que nous voyons comment il s’y est pris, alors nos perspectives et nos craintes humaines sont comme des feuilles mortes emportées par le vent. Voilà la première conséquence. Nous pouvons avoir peur si nous comptons sur nous-mêmes, mais pas lorsque le Christ invite les disciples à mettre leur confiance en lui et non pas en eux-mêmes. C’est ce que Jésus demande aux disciples dans les termes radicaux de l’Evangile d’aujourd’hui, que l’on pourrait résumer ainsi : vous n’avez besoin de rien, parce que moi, je suis avec vous…

La deuxième conséquence de la découverte du projet de Dieu pour sa création, c’est que notre vie est comme trop petite pour pouvoir exprimer notre reconnaissance. Nous avons été créés par Dieu « à la louange de sa gloire » : de simples paroles ne suffisent pas, chantons donc la gloire d’un Dieu si bon. Depuis près de 15 siècles, sur la tombe de fidèles disciples qui n’ont pas eu peur, le chant de l’abbaye de Saint-Maurice monte vers Dieu. Notre chant, au propre et au figuré, montre la joie qui nous transfigure à l’annonce de la Bonne Nouvelle du projet de Dieu pour nous.»

Lectures bibliques : Amos 7, 12-15; Ephésiens 1, 3-14; Marc 6, 7-13

Homélie du 08 juillet 2012

Prédicateur : Père Philippe Lefebvre
Date : 08 juillet 2012
Lieu : Centre d’accueil La Pelouse, Bex
Type : radio

14e dimanche du temps ordinaire – Une personne, pas un clone.

« N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ? (…) Et ils étaient profondément choqués à cause de lui ».

Frères et sœurs, vous l’avez sans doute remarqué : il y a des tas de gens qui savent toujours tout sur tout le monde. On peut faire ce qu’on veut, dire ce qu’on veut, cela ne change pas grand chose pour eux. Ils vous ont repérés, répertoriés, inventoriés ; ils vous ont classés, classifiés, catalogués. « On t’a vu naître, on sait d’où tu viens, on sait qui tu es, ce que tu penses ». Que ce soit dans une famille, dans un village, dans une entreprise, dans un groupe quelconque – une paroisse ou un couvent par exemple – ces gens-là existent et sont aux aguets. Parfois même, ce sont des groupes entiers qui se comportent ainsi : ils se donnent alors comme la seule réalité possible : « tu n’as pas de vie en dehors de nous – semble dire le groupe – pas d’avenir sauf celui que nous te ferons, pas d’initiative à prendre sauf celles que nous prenons ». Beaucoup de groupes veulent ainsi contrôler tout et tout le monde.

Si vous faites mine d’échapper au groupe qui organise si bien votre vie, qui la canalise et la maîtrise, alors les ennuis commencent. Jésus a vécu cela très vite lors de son existence sur cette terre. Dès qu’il s’est mis à parler, à sortir des sentiers battus, à rencontrer des personnes extérieures au groupe attitré, beaucoup se sont interrogés sur ce garçon récalcitrant. « Et quoi ? Il prend des initiatives, il ne se met pas sur les rails qu’on a posés devant lui ? Il ne s’agenouille pas devant le cercle villageois pour reconnaître qu’il dépend entièrement de lui ? ».

Alors que Jésus parle à la synagogue du patelin où il a passé sa vie et dont il est le charpentier, les gens sont choqués de l’entendre – « scandalisés », dit le texte grec. Vous l’avez entendu : ces gens ont très bien perçu que Jésus a reçu une sagesse qui ne vient pas du groupe, qu’il peut faire des choses – des miracles – qu’il n’a pas pu apprendre de la collectivité villageoise. Mais cela ne les interroge pas vraiment ; la seule conclusion qu’ils tirent est : ce Jésus échappe à notre pouvoir ; il a une vie que nous ne pouvons pas contrôler. C’est pourquoi ils sont indignés.

Leur seul argument est : « on connaît sa famille », et ils ramènent alors la liste de la parenté, comme si elle constituait une démonstration : « puisqu’on connaît la smala de Jésus, il est l’un de nous, il est comme nous, donc il ne devrait pas dire de paroles qui ne viennent pas de nous ». Le groupe, quand il n’est qu’un petit monde limité, borné, ne peut, ou plutôt ne veut pas imaginer que certains de ses membres reçoivent leur vie, leur intelligence de plus loin que lui. La rengaine qu’il ressasse est : « puisqu’on te connaît, tu es fait dans le même moule que nous, donc tu n’as rien de plus que nous ».

Or, toute la révélation biblique nous montre que la vie vient de plus loin que nous. La sagesse qui dépasse les bornes humaines et nous permet d’avoir un regard neuf sur la réalité ambiante, elle vient de Dieu, si du moins nous l’accueillons. La clairvoyance qui nous permet de discerner entre ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, entre la parole vraie et le baratin, elle vient de Dieu, si du moins nous l’accueillons. Devenir un vivant, autrement dit un homme ou une femme éveillés, et pas un zombie ou un clone des membres du groupe, cela est un don de Dieu, si du moins on accepte de s’engager dans cette aventure de devenir une personne.

La Bible est remplie de ce genre d’histoire. Dans la Genèse, Joseph a une fratrie nombreuse et il se démarque de ses frères : Joseph est intéressé par Dieu et par toutes les inspirations qu’il peut envoyer. Ses frères sont bien différents : pour eux, la vie du groupe familial consiste à s’ennuyer ensemble. On se barbe, mais au moins c’est dans les limites du groupe et on ne va pas chercher midi à quatorze heures, comme ce Joseph qui a des rêves vibrants et glorieux. Les frères finiront par vendre Joseph comme esclave en laissant croire qu’il a été mis en pièce par une bête féroce. Joseph fera son chemin avec Dieu dans la fidélité à ses premières intuitions.

Il ne s’agit donc pas, quand on se démarque de la bande à laquelle on est censé appartenir, de pratiquer l’esprit de contradiction, de dire systématiquement le contraire des autres en pensant être original. Le vivant est toujours un être qui parle et agit pour l’utilité de tous, parce qu’une vérité doit être manifestée qui fera du bien même si elle semble rude. Il n’est ni une grande gueule ni un rentre-dedans, mais quelqu’un qui cherche à éclairer la réalité vécue par lui et par les siens à la lumière inattendue de l’Esprit du Seigneur. Ce qui l’intéresse, c’est d’appartenir non pas à un groupe de pression, à un lobby, mais à une communauté. Dans une communauté, on reçoit sa vie d’ailleurs et on la savoure les uns avec les autres, sans s’épier du coin de l’œil.

Ce vivant, passionné de vérité qui travaille pour le bien commun quoi qu’il lui en coûte, on le désigne souvent dans la Bible par le nom de prophète. Ézéchiel (selon notre première lecture) est ainsi envoyé par Dieu vers un peuple qui s’est refermé sur lui-même, afin de faire entendre la voix oubliée du Seigneur. « Qu’ils écoutent ou qu’ils refusent (…), ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux », dit le Seigneur qui le mandate. Même si la mission échoue, au moins ils auront entendu autre chose que leurs préjugés, ils sauront qu’il se dit autre chose que leurs bavardages.

La présence de Dieu qui vient dans la chair que l’on croyait connue et classée, c’est l’aventure essentielle dont toute l’Écriture nous parle. Que le Christ, le fils de Marie, le charpentier de Nazareth, soit le Fils de Dieu, cela semble impossible, déplacé, pour les gens du village qui prétendent le connaître par cœur. Pour entrer dans ce mystère, il faut en faire soi-même l’expérience. Vous avez surpris les vôtres qui pensaient trop bien vous connaître ? Vous avez peut-être eu l’impression de vivre sans cesse en porte-à-faux avec votre milieu, bien que vous désiriez lui apporter le meilleur ? Vous avez été froidement accueilli quand vous disiez une vérité salutaire ? Alors c’est sans doute que vous avez goûté à cette nouveauté dont parle l’apôtre Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». Et tout en paraissant celui ou celle que l’on croit connaître, vous êtes en train de faire émerger en vous un autre « moi » qui va vous surprendre et en surprendre bien d’autres ; et aussi en irriter quelques-uns : et ça, c’est un très bon signe !»

Lectures bibliques : Ezékiel 2, 2-5; 2 Corinthiens 12, 7-10; Marc 6, 1-6

Homélie du 01 juillet 2012

Prédicateur : Père Claude Etienne
Date : 01 juillet 2012
Lieu : Centre d’accueil La Pelouse, Bex
Type : radio

13e dimanche du temps ordinaire –

L’évangile de ce jour nous présente deux récits de guérison : celui de la fille du chef de la synagogue et celui de la femme hémorroïsse. Chacun peut se reconnaître dans les personnages de cet évangile : Dans la jeune fille « bloquée » dans son lit ; Dans la femme hémorroïsse qui ne sait plus à quel médecin d’adresser. Dans la prière de Jaïre : viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive.

Nous le savons, nous l’avons entendu dans la livre de la Sagesse : Dieu n’a pas fait la mort, il a créé l’homme pour une existence impérissable » Comme nous le rappelle saint Irénée : « Gloria Dei, Homo vivens » « L’homme vivant, debout, voilà la gloire de Dieu. »

Jésus remet debout la femme hémorroïsse en ce sens que sa maladie qui la rendait impure et rendait aussi impurs ceux qui la touchaient, est guérie et de sa maladie et de son impureté. Il la sauve de la honte, de sa marginalisation, il lui restitue sa féminité. Il la réintègre dans la communauté. Il la comble de sa paix. Il lui restitue sa dignité de femme. Elle pourra rejoindre la communauté à la synagogue pour chanter la gloire de Dieu.

Quant à la fille de Jaïre, Jésus rend à la jeune fille son corps. Ainsi il lui ouvre un avenir de femme qui pourra s’épanouir dans la maternité.

La bonne nouvelle de ce dimanche, c’est que Dieu ne veut ni la souffrance, ni la mort. La volonté de Dieu ne peut être qu’une volonté d’amour dans la libération de tout l’homme. A nous de faire comme Jésus : lutter contre les forces du mal et de la souffrance.

Si nous croyons en un Dieu qui ne prend pas plaisir à la perte des vivants, il faut que cela se voie dans notre vie en nous opposant à toutes les atteintes à la vie qui s’étalent au grand jour.

Il faut le dire et le redire inlassablement. Dieu ne veut pas le mal. Il a créé les hommes pour qu’ils grandissent et s’épanouissent. Il a créé l’homme à son image et à sa ressemblance pour qu’il respecte et protège le don de la vie.

Que son Esprit nous rende audacieux et inventifs pour défendre la vie partout où elle est menacée.

L’Eucharistie et la Parole de Dieu nous ouvrent avec une force particulière le contact avec Jésus : à nous de choisir entre un rapprochement stérile, comme celui de la foule qui le tire de tous côtés. Et un « toucher » en vérité, dans la confiance et dans la certitude de trouver la vie.

Voilà l’admirable échange que Dieu nous donne à contempler dans l’évangile de ce jour et qui. se prolonge pour nous à chaque Eucharistie.

Seigneur, vois nos vies fragiles et blessées, marquées par nos faiblesses. Accueille-les dans ta bonté et merci de nous donner en retour ta vie de Ressuscité pour nous tenir debout devant toi. Homos vivens, gloria Dei.»

Lectures bibliques : Sagesse 1, 13-15; 2, 23-24; 2 Corinthiens 8-15; Marc 5, 21-43

Homélie du 24 juin 2012

Prédicateur : Chanoine Jean-Paul Amoos
Date : 24 juin 2012
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

Nativité de saint Jean-Baptiste

Ils voulaient nommer l’enfant Zacharie comme son père.

Mais sa mère déclara : « Non, il s’appellera Jean. »

Mes sœurs, mes frères,

Selon la pratique traditionnelle, l’enfant aurait dû s’appeler « Zacharie » du nom de son père, mais voilà que sa mère, interrogée par ses proches, répond : «Non». «Non, il s’appellera Jean».

L’ange Gabriel lui avait donné ce nom de «Jean» pour que Zacharie pose ce nom sur son fils. Le fait que les parents donnent à leur fils ce nom révélé par Dieu indique qu’ils renoncent eux-mêmes à leur projet sur cet enfant unique ; ils le laissent libre pour Dieu.

Son nom est Jean

L’enfant porte désormais un nom qui n’est pas celui de ses ancêtres : il porte un nom nouveau ! Nom qui signifie : « Dieu fait grâce ».

Le nom, c’est ce qui exprime la personnalité d’un être. Et lorsque le Seigneur donne lui-même un nom, cela veut dire que celui qui reçoit ce nom-là est vraiment connu comme tel dans l’Esprit même de Dieu.

La naissance de Jean-Baptiste se trouve à un tournant décisif de toute l’humanité. Zacharie, son père, en est le premier témoin, lui qui, d’incrédule devient croyant et de muet, proclame les louanges et les bénédictions du Très-Haut !

Oui, « Dieu fait grâce ».

Le monde va changer, car le Messie est là ! Il a déjà sanctifié Jean dans le sein de sa mère ; la miséricorde se répand sur toute la terre, Dieu vient sauver l’homme pour le transformer en un homme nouveau.

Les textes bibliques de ce jour nous invitent à saisir quelle est l’identité profonde de Jean. Et, par-delà la figure du précurseur, nous sommes invités à saisir notre propre identité sous le regard de Dieu.

Nous l’avons entendu : la question qui résonne dans l’Evangile de Luc est posée au futur : «Que sera donc cet enfant ?» La Parole de Dieu nous ramène aux origines de Jean, et par conséquent, à nos propres origines sans oublier que notre identité réelle résulte d’une tension entre nos origines et notre avenir.

La première lecture ainsi que le psaume nous montrent d’une manière poétique que nous existons dans le cœur de Dieu avant même notre naissance.

Isaïe disait : «J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom».

Les paroles du Psaume confirment cette vision d’Isaïe : «C’est toi qui as créé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère. Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis.»

Ce qui est impressionnant, c’est bien la manière qu’a Dieu notre Père de nous créer, de nous donner la vie. De plus, avant même notre naissance, en nous créant dans le sein de notre mère, Dieu nous donne aussi notre vocation.

Pour Dieu créer c’est toujours appeler. Créer c’est donner un sens. Et c’est dans la découverte de cette vérité que se trouve la clef de notre bonheur. Beaucoup sont malheureux et désespérés tout simplement parce qu’ils ne savent pas d’où ils viennent ni où ils vont. Ils se sentent inutiles parce qu’ils n’ont pas découvert leur vocation, ni le plan de Dieu pour eux.

Ignorer la paternité de Dieu à notre égard, c’est ignorer notre identité la plus profonde: nous sommes en effet des créatures bien-aimées du Père. Nous avons du prix à ses yeux. Tellement de prix que cette histoire d’amour éternel a abouti au scandale de la croix…

Ignorer Dieu, c’est prendre le risque de ne pas voir quelle est notre mission unique et irremplaçable dans notre monde et pour notre temps, c’est peut-être passer à côté de notre véritable vocation…

Jean reçoit son identité et son nom de Dieu lui-même.

Si Dieu nous crée, si Dieu nous donne une famille, jamais il ne nous enferme dans les limites de notre famille, car il nous crée libres. Les parents ne sont pas créateurs. Ce sont des transmetteurs de la vie.

Notre identité réelle résulte d’une tension entre nos origines et notre avenir.

Aujourd’hui si nous parlons beaucoup, et avec raison, des nombreux conditionnements qui façonnent notre personnalité: les gènes, la famille, l’éducation, le milieu social etc… Il ne faudrait pas oublier notre liberté profonde, celle qui nous vient de notre condition d’enfants de Dieu.

Si la famille et les voisins de Jean ont voulu l’enfermer dans le passé familial en oubliant sa nouveauté dans le plan de Dieu, plus tard Jean devra aussi s’affirmer pour vivre selon son identité profonde.

Comme Jean, nous puisons en Dieu et en son appel notre liberté authentique. De ce point de vue là, il est toujours plus libérateur de faire la volonté de Dieu que de se conformer aux attentes des hommes. C’est en effet uniquement dans la vérité de notre condition de créatures et d’enfants de Dieu que nous découvrirons avec émerveillement notre identité profonde ainsi que le sens de notre chemin de vie ici-bas.

Amen

Lectures bibliques : Isaïe 49, 1-6; Actes 13, 22-26; Luc 1, 57-80

Homélie du 24 juin 2012

Prédicateur : Abbé Pierre-Yves Maillard
Date : 24 juin 2012
Lieu : Eglise Saint-Germain, Savièse
Type : tv

J’ai vu un jour une image qui m’a beaucoup marqué. Sur un retable, à côté du Christ en croix, se tenait Jean Baptiste, désignant Jésus et portant un parchemin où l’on peut lire : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue » (cf Jean 3,30). Ce retable se trouve à Colmar, il a été peint par Matthias Grünewald au début du XVIème siècle. Il illustre à merveille combien toute la vie de Jean Baptiste se tient dans cette mission d’annoncer le Christ et de conduire à lui. Jean Baptiste, c’est celui qui se reçoit tout entier de sa relation avec Jésus.

Saint Augustin a donné un magnifique commentaire de cette relation unique de Jean Baptiste au Christ en développant le thème de la parole et de la voix. Jean Baptiste est la voix qui résonne un instant pour que la Parole de Dieu puisse être entendue toujours. « Veux-tu savoir comment la voix s’éloigne, tandis que demeure la Parole, dit Augustin ? Si je pense à ce que je dis, la parole est déjà dans mon cœur ; mais lorsque je veux te parler, je me sers de la voix. Puis le son s’évanouit, mais la parole est désormais dans ton cœur sans avoir quitté le mien ». Ne pas s’annoncer soi-même mais orienter vers Jésus, nous tenir dans ce lien où nous recevons la vie, mettre notre voix au service de la Parole, quelle belle vocation pour tout témoin du Christ, comme les petits chanteurs de ce matin !

Quand on arpente l’Evangile, on reconnaît ce thème de la parole et de la voix tout au long de l’existence du Baptiste. Dès avant sa conception, la parole de l’ange à son père Zacharie est tellement inouïe que celui-ci en devient muet lorsqu’il apprend que son épouse Elisabeth va concevoir un fils (cf Lc 1,20). La première prédication de Jean Baptiste est donc silencieuse, dans le sein de sa mère, accompagnée du silence de son père ébloui. Sans paroles, Jean Baptiste enseigne que la vie, dans l’histoire du salut, apparaît toujours précisément là où elle semble impossible, chez les vieillards, les stériles, ou les enfants et les tout petits. Nous venons de chanter, dans le Psaume 8, que la louange qui monte le plus haut dans le ciel est celle qui s’élève du plus bas, de la bouche des enfants qui ne savent pas parler. En cette « messe des familles », nous rendons grâce à Dieu avec vous, parents, enfants, et nous prions pour que toutes les familles du monde puissent s’émerveiller du don de l’attente, d’une naissance, de toute vie. Quand on attend quelque chose, on attend toujours quelqu’un. Et quand on attend quelqu’un, on attend tout, on attend Dieu.

Dans la suite de l’Evangile, il prêche encore et il annonce le Christ avant de naître, Jean Baptiste, toujours sans paroles mais par son tressaillement, lorsque sa mère reçoit la visite de sa cousine Marie (cf Lc 2, 39-56). A cet instant, Elisabeth proclame que Marie est bénie et que le fruit de son sein est béni. Des fruits, dans la Bible, on en avait déjà vu, et ils n’avaient pas tous laissé de bons souvenirs. Celui de l’arbre de la Genèse avait plutôt un goût amer ! Quand Elisabeth proclame que le fruit de Marie est béni, elle prend donc parti dans un ancien débat. Elle a l’audace de croire qu’un nouveau commencement est toujours possible. Un fruit, au début, cela peut être bon, et d’autres histoires peuvent naître qui conduisent à la vie. Et voilà un second aspect de la prédication silencieuse de Jean Baptiste, cette voix qui se tait pour que grandisse la Parole : conduire à la confiance et à l’audace, croire que le meilleur est toujours à-venir.

En ce début d’été, temps de récoltes et de repos, nous sommes heureux de prier en famille pour que les fruits de ces vacances soient bons et savoureux, termes d’une attente et promesses d’autres dons à venir.

L’annonce de Jean Baptiste, nous le savons, ira jusqu’à la mort. Jusque dans le don apparemment absurde et inutile de sa vie, il sera le « pré-curseur », celui qui « court en avant » pour « préparer le chemin du Seigneur » (cf Mc 1,3). Mais avant ce témoignage ultime, la vie du Baptiste se sera déployée patiemment dans le prolongement de son enfance. Dans l’Evangile de ce jour, nous avons entendu comment le Baptiste reçoit son nom, écrit par Zacharie sur une tablette : « Son nom est Jean » (cf Lc 1,63).

Il y a à Sion, au Collège de la Planta, un mur extérieur sur lequel les noms de tous les élèves présents lors de la rénovation du lycée ont été inscrits. Et je me souviens d’une messe de Noël, dans ce collège, où notre évêque Mgr Norbert Brunner était parti de cette liste de noms pour méditer sur la question des gens du voisinage, au terme de notre évangile : « Que sera donc cet enfant ? » (cf Lc 1,66). Voilà une question que vous vous posez sans doute souvent, vous les parents : que seront donc vos enfants, sur quels chemins pourrez-vous les accompagner, quelle sera leur façon de mettre leur voix au service de la Parole ? Le mystère de chaque vocation est immense. Chaque homme, nous le croyons, est appelé à prononcer sur Dieu, par sa vie, une parole unique et irremplaçable, comme est unique chaque visage. Jean, cela veut dire : « Dieu fait grâce ». Par son nom et son baptême, Jean témoigne que Dieu fait grâce à tout homme. Demandons alors cette grâce au Seigneur d’annoncer à notre tour que Dieu est présent dans ce monde en croissance, vivant en toute vie qui l’accueille, fragile, inespérée, bien réelle. Quand Dieu donne, il donne encore.»

Lectures bibliques : Isaïe 49, 1-6; Actes 13, 22-26; Luc 1, 57-80

Homélie du 17 juin 2012

Prédicateur : Abbé Jean Glasson
Date : 17 juin 2012
Lieu : Eglise de Bussy, VD
Type : radio

11e dimanche du temps ordinaire

Frères et Sœurs,

Croyants de toutes confessions et de toutes religions, nous souhaiterions parfois que Dieu intervienne dans le cours de l’Histoire de façon directe et visible. Face aux souffrances des populations du tiers-monde ; face aux flots d’hommes, de femmes et d’enfants qui quittent leurs terres pour trouver un refuge dans nos pays occidentaux imaginant y trouver monts et merveilles ; face aux violences en Syrie ou dans d’autres pays, violences devant lesquelles les responsables politiques semblent impuissants ou indifférents ; face à la maladie d’un proche ou à la mort d’un enfant, tous, nous devons reconnaître qu’un jour ou l’autre, nous avons souhaité que Dieu intervienne. Nous le demandons aussi pour lui, en quelque sorte, lorsque les athées ou les agnostiques nous interpellent : « Comment un Dieu bon peut-il permettre des drames pareils ? »…

Dans l’Evangile de ce dimanche, Jésus veut nous aider à mieux comprendre que c’est parce que Dieu est Amour qu’il étend son règne d’une toute autre façon que nous le réclamons parfois. Son royaume n’a rien à voir avec la puissance d’une armée ou avec une quelconque force violente. Non, le royaume de Dieu est semblable à « un homme qui jette le grain dans son champ » ou encore à « une graine de moutarde » minuscule jetée en terre. Quoi de plus petit, de plus discret, de plus inoffensif qu’une graine ! Jetée en terre, elle disparaît à nos yeux et semble ne plus exister. Et pourtant, que nous dormions ou soyons éveillés, elle meurt, puis produit l’herbe, l’épi et le blé, ou alors l’arbre aux longues branches dans lequel les oiseaux peuvent nicher.

La condition actuelle du royaume de Dieu, c’est cette apparente insignifiance. Alors qu’il est réellement semé par la venue du Christ en notre monde, il grandit dans la discrétion des cœurs qui choisissent avec détermination d’aimer Dieu et leur prochain. Oui, c’est cette adhésion libre de chaque être humain à l’Amour qui fait croître le royaume. C’est avec nous que Dieu veut transformer ce monde et non pas malgré nous. Parfois, heureusement, des gestes médiatisés nous laisse entrevoir le royaume et donne sa place à une Bonne Nouvelle dans les colonnes des journaux ou des émissions télévisées : une Mère Teresa qui entoure d’affection une personne dont le corps est décharné à Calcutta, un abbé Pierre qui fait un appel au secours pour les sans-abri ou un Père Kolbe qui donne sa vie à la place d’un père de famille à Auschwitz. Là, on voit que le monde change, parce qu’un homme ou une femme a accueilli l’Amour de Dieu dans son cœur.

Cependant le plus souvent, « nous cheminons dans la foi, nous cheminons sans voir » comme l’enseigne déjà saint Paul aux chrétiens de Corinthe. Mais celui qui croit au Christ, à la puissance de salut de sa mort et de sa Résurrection, celui-là garde confiance. Il sait que la graine, aussi fragile qu’elle puisse paraître, porte en elle la puissance de la vie.

En contemplant l’échec apparent du Christ sur la croix, il discerne déjà la victoire du Ressuscité !»

Lectures bibliques : Ezékiel, 17, 22-24; 2 Corinthiens 5, 6-10; Marc 4, 26-34

Homélie du 10 juin 2012

Prédicateur : Abbé Jean-Louis Hôte
Date : 10 juin 2012
Lieu : Eglise de Bussy, VD
Type : radio

10e dimanche du temps ordinaire

Le texte de l’Évangile que nous venons de proclamer nous présente deux tableaux.

Une foule se rassemble autour de Jésus, attirée par le merveilleux qu’il opère: il guérit les malades, donne à manger à la foule, expulse les démons, fait des miracles… ; et pourtant c’est bien lui le fils du charpentier de Nazareth.

Ses parents sont très inquiets de tout ce qu’il fait : ce n’est pas habituel de voir de tels signes, ce n’est pas normal, « aurait-il perdu la tête ? » et ils sont là, dehors, pour le reconduire à la maison pour la tranquillité de tous, il dérange même sa propre famille : « Il a perdu la tête ».

Le second tableau : les scribes, qui viennent de Jérusalem – c’est-à-dire ceux qui connaissent les écritures, représentent ici l’autorité, la tradition – le dénoncent en disant qu’il agit et peut faire tout ce qu’il fait au nom de Satan et donc il incarne le mal. « Il a un esprit impur », disent-ils.

Dans ce contexte de suspicion et d’accusation de la part des scribes, il y a aussi la foule, une foule en admiration ; et on signale à Jésus qu’au dehors, un peu à l’écart, sa mère et ses frères sont là qui participent à ce moment, un peu inquiets.

Jésus alors dit cette phrase qui dans sa bouche peu paraître dure vis-à-vis de sa propre famille : « Qui sont ma mère et mes frères ? » « Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère. »

Être un intime de Jésus, ce n’est pas seulement avoir des liens charnels avec lui : si l’on veut être de sa famille il faut faire la volonté de Dieu.

Ne disons-nous pas dans la prière de tous les chrétiens : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » ? Lorsque la volonté de Dieu sera faite sur la terre comme au ciel, le testament de Jésus – « Que tous soient Un » – aura son accomplissement. En effet, Jésus, la veille de sa mort lorsqu’il prononce sa grande prière au Père, son « testament », nous invite et nous commande de « nous aimer les uns les autres comme il nous aimés », tel est son désir, telle est son ultime volonté ; c’est ce qu’il a de plus cher à nous laisser.

Cette phrase, que nous avons entendu bien des fois, que nous chantons même, est-ce que nous la vivons ? Est-elle chair de notre chair ?

Concrètement Jésus nous invite à aimer notre prochain, celui que nous côtoyons, avec lequel nous vivons, avec lequel nous travaillons. Il s’agit de vivre nos relations quotidiennes « autrement », en faisant le premier pas vers l’autre, en aimant tous sans distinction, en pardonnant, et, quand les situations se font difficiles, en aimant encore ; car rien n’est petit de ce qui est fait par amour.

Jésus n’a-t-il pas dit : « Tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » ?

La volonté de Dieu peut être vécue par quiconque : jeune ou âgé ; malade ou bien portant, dans le quotidien de nos vies. A chaque instant de notre journée nous pouvons avoir la joie de dire et de redire notre « oui » à Dieu.

Pour que le passage de l’Évangile que nous avons lu aujourd’hui porte du fruit en nous, je vous propose que durant toute cette semaine nous nous efforcions de faire la volonté de Dieu qui consiste à aimer les personnes qui nous sont proches. Et les fruits en seront d’abord que la relation avec nos frères et avec Dieu grandira et nous seront les témoins et les porteurs de son Amour dans le monde. Alors Jésus pourra dire à chacun d’entre nous, en nous appelant par notre nom : tu es ma sœur, tu es mon frère, tu es ma mère, tu es de ma famille.»

Lectures bibliques : Genèse 3, 9-15; 2 Corinthiens 4, 13 – 5,1; Marc 3, 20-35