Homélie du 08 mai 2011

Prédicateur : Abbé Jean-Marie Pasquier
Date : 08 mai 2011
Lieu : Chapelle de l’EMS d’Humilimont, Marsens
Type : radio

Les disciples d’Emmaüs… Et si c’était nous qu’ils représentent ? Bien sûr on ne peut pas se mettre à leur place. Mais à qui n’est-il pas arrivé, après la disparition inattendue, peut-être brutale, d’un être cher, de rentrer à la maison, la tête basse, le cœur triste, en se disant : « Ce n’est pas juste ! Pourquoi lui ? Il ne méritait pas ça ! On avait espéré qu’il s’en sortirait … » Et l’on ajoute peut-être, parce qu’on est quand même croyant : « Il était où le Bon Dieu ? » Une question souvent entendue, ces derniers temps, après les catastrophes, les accidents de montagne, le suicide d’une adolescente … Question qui reste sans réponse … apparemment.

Je dis « apparemment », parce que peut-être, sur le chemin de deuil, quelqu’un s’est approché … Pas nécessairement un proche … Quelqu’un qui n’a rien dit, qui n’avait pas de réponse toute faite. Il a seulement écouté, il nous a permis de dire ce qui nous faisait tellement mal. On s’est senti rejoint dans notre souffrance, compris …

N’est-ce pas ce qui est arrivé aux pèlerins d’Emmaüs ? Avec cet inconnu sur leur route, qui les a longuement écoutés, et après seulement, a tenté, à partir des Ecritures, de donner un sens à ce qu’ils venaient de vivre. Vous deviez le savoir, c’était écrit : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrit avant d’entrer dans la Gloire… » Alors leur cœur glacé par le chagrin se réchauffe peu à peu au feu de la Parole… Une parole qui n’est pas seulement Ecriture, mais une Parole devenue chair : quelqu’un qui marche avec eux, qui va les accompagner jusque chez eux.

Alors bien sûr ils essayent de le retenir : « Ne nous quitte pas… Reste avec nous ». Non seulement le compagnon de route va rester. Il entre dans la maison, se met à table avec eux, prend le pain, dit la bénédiction (la beraka), rompt le pain et le leur donne, comme au soir du jeudi saint. Dans le même instant, leurs yeux s’ouvrent, ils le reconnaissent, mais il a déjà disparu à leurs yeux ….

Remarquez bien : l’évangile ne dit pas qu’il les a quittés, mais qu’il a « disparu à leurs regards ». Leurs yeux de chair ne le voyaient plus, mais Il est bel et bien resté avec eux, autrement certes, d’une présence devenue invisible, en tout cas moins sensible, mais bien réelle et qui les remet debout, en marche, pour aller partager la nouvelle à leurs frères qui sont restés à Jérusalem.

Il nous arrive aussi, à nous les prêtres, lors des funérailles, de dire, en parlant du défunt : « il nous a quittés … » Est-ce bien juste ? Bien sûr, « on ne verra le plus comme avant.» C’est une absence bien réelle dont il faudra faire le deuil. Mais n’est-ce pas pour découvrir, après un long chemin, qu’on peut expérimenter, comme les disciples d’Emmaüs, une autre forme de présence ? Jésus lui-même l’a dit : « Vous ne me verrez plus», mais aussi : « Je reste avec vous, tous les jours. » C’est bien plus qu’une apparition furtive, c’est une présence réelle qui demeure et dont nous pouvons vivre.

N’est-ce pas aussi cette proximité qui peut nous être donné de vivre avec nos défunts, comme une communion que nous pouvons expérimenter, au-dedans de nous-mêmes, dans une intimité profonde avec ce Dieu « plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. » (saint Augustin). Comme l’a si bien dit l’abbé Maurice Zundel : « Pour rejoindre nos chers défunts, qui ne sont pas dans un ailleurs, mais qui sont au-dedans de nous, comme Dieu Lui-même, Il n’est donc pas d’autre chemin que d’intérioriser notre vie. Il s’agit d’atteindre au niveau le plus profond de l’existence, car c’est là, dans ce cœur à cœur avec le Seigneur que nous retrouvons, éternisé, le visage de tous ceux que nous aimons, que nous ne cesserons jamais d’aimer et avec lesquels nous pouvons toujours échanger la même respiration de tendresse que dans les suprêmes moments vécus ici-bas : qui est le Dieu Vivant en Qui tout est Vie. »»

Lectures bibliques : Actes 2, 14.22-28; 1 Pierre 1, 17-21; Luc 24,13-35

Homélie du 08 mai 2011

Prédicateur : Abbé Michel Demierre
Date : 08 mai 2011
Lieu : Eglise Saint-Maurice, Ursy
Type : tv

Frères et sœurs,

« C’était au soir tombant ». Sur une route déserte, deux voyageurs tournent le dos à Jérusalem. Les deux heures de marche qui les séparent de leur village leur donnent le temps de discuter des événements survenus durant la dernière Pâque. Quel rayon de lumière pourrait éclairer l’ombre épaisse de leur désespoir ? Pour eux, l’histoire s’est arrêtée la veille, avec la mort de Jésus : ils y avaient cru, ils sont tragiquement déçus.

Des rêves brisés, de belles aventures brutalement interrompues, nous en connaissons sans doute. Ce temps de Pâques n’abolit pas la tristesse du deuil qui, un jour, touche chacun. Après le départ d’un être aimé, le décor dans lequel on vivait avec lui demeure : il rappelle sa présence et on doit vivre l’absence.

Cléophas et son ami se disaient peut-être le soir de Pâques : A quoi bon rester à Jérusalem. Dans le décor de la ville, tout parle du Christ. Mais il est mort : le retour au village leur semblait une protection adéquate contre le désespoir.

Je les imagine au pied du vitrail de Noé, dans cette église, effrayés qu’ils sont encore par le déluge de mauvaise foi dont a été victime le Christ, écœurés par le déferlement de suffisance et de dédain qu’ils ont constatés à l’égard de leur maître. Ils n’ont plus de courage. Ils cherchent une protection pour survivre.

Emmaüs, leur village pourrait remplir le même rôle que l’arche dans laquelle Noé et son monde s’étaient réfugiés en attendant la fin de la furie des eaux. Leur village pourrait être la bulle protectrice, garante du retour à la paix du cœur. Ils regarderont le ciel de leur village, guettant l’arrivée d’une colombe, avec, dans son bec, le rameau du renouveau, comme elle l’avait fait pour ceux qui s’étaient réfugiés dans l’arche protectrice. Y croyaient-ils vraiment ?

On soupçonne le contenu de leurs discussions, sur la route, Ils étaient des connaisseurs de la loi que Dieu avait confiée à Moïse, alors qu’il conduisait son peuple à travers le désert. Le don de cette loi est représenté dans un vitrail. C’est aussi les dix commandements dont le nombre est incrusté dans le marbre de Carrare de la chaire de notre église.

La loi fixait les comportements que devait adopter le peuple de Dieu. Cette loi, Jésus en avait précisé le sens et la limite, ce qui avait irrité les docteurs en interprétation. Leur autorité légaliste, peu ouverte à la liberté, s’était sentie menacée. Avec conviction, les plus immodestes d’entre eux avaient travaillé à la disparition du Christ, devenu gêneur.

Les disciples avaient espéré, en Lui, l’instaurateur d’un royaume attendu depuis des siècles, le Seigneur capable d’anéantir les oppressions. Sur la fin, ils n’avaient pu qu’observer, de loin, pitoyables et incrédules, Jésus, sur le chemin de la croix. « Nous attendions du Messie qu’il sauve Israël, et non qu’il meure sur une croix !… nos attentes s’étaient affermies, en entendant les Hosanna des Rameaux, lors de l’entrée triomphale à Jérusalem ! La réalité fut l’effondrement de notre espérance dans l’ignominie de la passion ! Notre leader a été assassiné… »

Tournant le dos à ce cauchemar, sur la route d’Emmaüs les deux disciples sont donc rejoints par un inconnu. Leur découverte devient la nôtre : le Seigneur chemine avec nous, la nuit comme le jour… « Jésus s’insère dans le champ de leur conversation. Ils ressentent chez-lui une sympathie « à priori » à leur égard, une attention à leur façon de penser et de sentir.

Sa manière de faire, sur le chemin d’Emmaüs, devrait nous inspirer. Lorsque, par exemple, dans les débats de société ou dans la discrétion de nos familles, nous souhaitons rendre un peu plus désirable à notre génération la saveur de l’Evangile.

Ils paraissent nombreux, en effet, ceux qui, aujourd’hui, tournent le dos au message des Ecritures. Certes, l’enfant de la crèche fait encore partie du décor lumineux de nos fins d’années.

Mais, la Parole de Jésus adulte, ce qu’il est devenu en grandissant, ont-ils encore de l’intérêt ? Il faut reconnaître que ce message est souvent perçu comme une lourdeur peu libératrice.

Le voyageur qui a rejoint nos deux marcheurs ne tourne pas le dos à leurs préoccupations ; mais ils ne peuvent soupçonner que le Sauveur attendu, c’est LUI… Il est à leurs côtés, celui qui reçut le baptême de Jean-Baptiste, et fut identifié alors par le Père comme son Fils bien-aimé.

Messie envoyé par le Père, Il a été crucifié. Tout leur monde s’est écroulé. Ils tournent le dos au calvaire. Vers Emmaüs, cependant, un compagnon inconnu réchauffe quelque chose d’indicible dans leur cœur. Quelque chose qui leur dit que tout n’est pas effacé par l’échec de leur maître. Il doit y avoir une clé quelque part, mais ils ne la trouvent pas.

Comme des enfants qui cherchent un objet caché et à qui l’on dit «c’est froid ou ça brûle » et qui continuent de chercher, ils cherchent encore. Ils sont en route. Leur cœur est brûlant : il est proche de la fulgurance qui, enfin, leur donnera le sens.

« Reste avec nous ! » Les voici à table… avec celui dont ils ne connaissent pas encore l’identité mais qui vient d’accepter leur invitation conviviale. C’est le moment choisi par saint Luc pour nous révéler que le signe de reconnaissance de Jésus vivant après sa mort, c’est la fraction du pain.

Depuis ce moment-là, nous croyons que la fraction du pain, la célébration eucharistique d’aujourd’hui, nous fait rencontrer le Ressuscité. Comme ce fut le cas pour les disciples d’Emmaüs. Dès qu’il est reconnu Jésus disparaît à leurs yeux, mais il devient d’autant plus présent dans leur vie.

Les deux pèlerins qui avaient dissuadé l’inconnu de poursuivre son chemin, se remettent eux-mêmes en route. Ils retournent à Jérusalem, le souffle court, non pas à cause de la route qui monte, mais à cause de l’annonce qu’ils vont faire aux disciples. Leur témoignage s’accordera avec les autres apparitions du Ressuscité. Toutes ces apparitions nous sont transmises par les Evangélistes représentés dans les vitraux de notre église et qui nous disent, chacun à leur manière :

Restez en chemin, car le Christ vous rejoint !

Lisez les Ecritures, elles montrent le chemin vers l’au-delà !

N’oubliez pas la fraction du pain : le Ressuscité y a placé sa présence privilégiée sur le chemin de la vie.

Symbole de souffrance et de mort, Jérusalem devient, l’espace de cet Evangile, l’endroit d’où nous est arrivée la certitude joyeuse que Jésus est ressuscité. Le matin de Pâques confirme son destin en tant que ville de la paix et nous l’acclamons : « Vous qui aimez Jérusalem, réjouissez-vous de sa joie. » Amen.»

Lectures bibliques : Actes 2, 14.22-28; 1 Pierre 1, 17-21; Luc 24,13-35

Homélie du 01 mai 2011

Prédicateur : Abbé Jean-Claude Dunand
Date : 01 mai 2011
Lieu : Chapelle de l’EMS d’Humilimont, Marsens
Type : radio

Nous sommes beaucoup à porter des lunettes pour mieux voir, mieux lire, bien regarder la nature… mieux marcher… davantage apprécier ce que nous avons dans les assiettes. Que c’est agréable de bien voir ! et cela donne bien souvent de l’assurance !

Depuis Pâques l’évangile de Jean nous invite à voir : voir qu’il est ressuscité. Quand Jean arriva au tombeau « il vit et il crut ». Pourtant il ne vit pas grand chose : il vit un tombeau vide et bien en ordre…

Quand Jésus apparaît aux apôtres le soir du premier jour de la semaine, en leur disant « la paix soit avec vous », il en manque un : Thomas. Lorsqu’il entendra ses amis lui raconter qu’ils ont vu Jésus vivant, il leur répondra : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ».

Voir pour croire…

On entend parfois dire : « Moi, je suis comme saint Thomas, si je ne vois pas, je ne crois pas ». Nous vivons dans une société occidentale qui a besoin de preuves, qui a besoin de concret : de voir, toucher, sentir, entendre. On ne prend pas vraiment au sérieux ce qui n’est pas perceptible par au moins l’un de nos cinq sens.

Ce doute qu’exprime Thomas est bien légitime. Mettons-nous à sa place ! On lui raconte qu’un mort est vivant ! C’est tout de même quelque chose d’incroyable ! C’est humainement impossible. Jésus, celui que l’on a vu mort sur une croix, que l’on a déposé dans un tombeau fermé par une grosse pierre, serait maintenant vivant ? Non. Comment peut-on croire une chose pareille ?

Aujourd’hui, on se dit même croyant mais pas en la résurrection. C’est tout de même un peu difficile de croire une chose pareille.

Il y a comprendre et croire.

Ces deux démarches ne sont pas à confondre.

Personne ne comprend la résurrection. Elle ne s’explique pas.

Pourtant, nous qui vivons en ce moment la messe, nous y croyons et beaucoup y croient, des scientifiques, des philosophes, de gens très intelligents, comme des personnes sans instruction. Croire ne nécessite pas de comprendre, ni de voir, ni d’avoir des preuves matérielles.

Du reste l’apôtre Pierre, dans sa première lettre, écrit au sujet de Jésus : « lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir ».

Ai-je besoin de croire, si je vois ?

Je vous vois : je n’ai pas besoin de croire que vous êtes là. Je vois ce bouquet, ces montagnes… Je n’ai pas besoin d’y croire, puisque je les vois, et nous les voyons tous.

La foi, c’est-à-dire croire, n’est pas liée à ce que l’on voit, ou à ce que l’on ressent avec nos sens, ni à ce que l’on comprend.

Croire, c’est faire confiance.

Les mots foi et confiance ont la même racine.

La foi, c’est une affaire de confiance !

La confiance, c’est le carburant de l’homme. On marche tous à la confiance. Notre condition humaine est ainsi faite que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous ne comprenons pas tout, nous ne savons pas tout. Nous sommes bien obligés de faire confiance à d’autres. Nos premiers pas, nous les avons faits en nous jetant dans les bras de papa ou maman. Cette prise de risque c’est faite dans la confiance. L’enfant ne comprend pas comment il marche, comment il peut effectivement marcher, mais il se risque confiant en maman qui tend les bras.

Lorsque nous sommes malades, à ne plus pouvoir bouger et faire quoi que ce soit, nous devons faire confiance en ceux qui nous aident, en ceux et celles qui nous soignent, qui s’occupent de nous…

Eh bien, la foi, c’est du même ordre. C’est une affaire de confiance. Nous croyons non pas parce que nous avons vu, mais parce que nous faisons confiance à ceux qui nous ont parlé de Dieu. Il en est ainsi pour tous les croyants du monde et de tous les temps. Aucun n’a jamais vu Jésus, mais tous fondent leur foi sur ce que d’autres ont dit. Les chrétiens des premiers jours comme on l’a entendu dans la première lecture, « étaient fidèles à écouter l’enseignement des apôtres. » La foi se base d’abord sur la confiance en une parole, une parole écoutée fidèlement et régulièrement.

La parole devient alors vivante en l’homme, elle l’anime, le rendant confiant jusqu’à laisser jaillir de son cœur un cri de foi semblable à celui de Thomas : Mon Seigneur et mon Dieu.

Rien ne nous dit que Thomas a avancé sa main dans le côté : c’est la voix de Jésus qui l’invite au geste qui éveille en lui la foi…

Que la Parole reçue en Eglise fasse de nous des confiants en Celui qui est ressuscité ! Et que notre joie soit grande ! Alléluia !»

Lectures bibliques : Actes 2, 42-47; 1 Pierre 1, 3-9; Jean 20, 19-31

Homélie du 01 mai 2011

Prédicateur : Pape Benoît XVI
Date : 01 mai 2011
Lieu : Parvis de la basilique St-Pierre, Rome
Type : tv

Chers frères et sœurs!

Il y a six ans désormais, nous nous trouvions sur cette place pour célébrer les funérailles du Pape Jean-Paul II. La douleur causée par sa mort était profonde, mais supérieur était le sentiment qu’une immense grâce enveloppait Rome et le monde entier: la grâce qui était en quelque sorte le fruit de toute la vie de mon aimé Prédécesseur et, en particulier, de son témoignage dans la souffrance. Ce jour-là, nous sentions déjà flotter le parfum de sa sainteté, et le Peuple de Dieu a manifesté de nombreuses manières sa vénération pour lui. C’est pourquoi j’ai voulu, tout en respectant la réglementation en vigueur de l’Église, que sa cause de béatification puisse avancer avec une certaine célérité. Et voici que le jour tant attendu est arrivé! Il est vite arrivé, car il en a plu ainsi au Seigneur: Jean-Paul II est bienheureux!

Je désire adresser mes cordiales salutations à vous tous qui, pour cette heureuse circonstance, êtes venus si nombreux à Rome de toutes les régions du monde, Messieurs les Cardinaux, Patriarches des Églises Orientales Catholiques, Confrères dans l’Épiscopat et dans le sacerdoce, Délégations officielles, Ambassadeurs et Autorités, personnes consacrées et fidèles laïcs, ainsi qu’à tous ceux qui nous sont unis à travers la radio et la télévision.

Ce dimanche est le deuxième dimanche de Pâques, que le bienheureux Jean-Paul II a dédié à la Divine Miséricorde. C’est pourquoi ce jour a été choisi pour la célébration d’aujourd’hui, car, par un dessein providentiel, mon prédécesseur a rendu l’esprit justement la veille au soir de cette fête. Aujourd’hui, de plus, c’est le premier jour du mois de mai, le mois de Marie, et c’est aussi la mémoire de saint Joseph travailleur. Ces éléments contribuent à enrichir notre prière et ils nous aident, nous qui sommes encore pèlerins dans le temps et dans l’espace, tandis qu’au Ciel, la fête parmi les Anges et les Saints est bien différente! Toutefois unique est Dieu, et unique est le Christ Seigneur qui, comme un pont, relie la terre et le Ciel, et nous, en ce moment, nous nous sentons plus que jamais proches, presque participants de la Liturgie céleste.

«Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.» (Jn 20,29). Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus prononce cette béatitude : la béatitude de la foi. Elle nous frappe de façon particulière parce que nous sommes justement réunis pour célébrer une béatification, et plus encore parce qu’aujourd’hui a été proclamé bienheureux un Pape, un Successeur de Pierre, appelé à confirmer ses frères dans la foi. Jean-Paul II est bienheureux pour sa foi, forte et généreuse, apostolique. Et, tout de suite, nous vient à l’esprit cette autre béatitude : «Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux» (Mt 16, 17). Qu’a donc révélé le Père céleste à Simon? Que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant. Grâce à cette foi, Simon devient «Pierre», le rocher sur lequel Jésus peut bâtir son Église. La béatitude éternelle de Jean-Paul II, qu’aujourd’hui l’Église a la joie de proclamer, réside entièrement dans ces paroles du Christ: «Tu es heureux, Simon» et «Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.». La béatitude de la foi, que Jean-Paul II aussi a reçue en don de Dieu le Père, pour l’édification de l’Église du Christ.

Cependant notre pensée va à une autre béatitude qui, dans l’Évangile, précède toutes les autres. C’est celle de la Vierge Marie, la Mère du Rédempteur. C’est à elle, qui vient à peine de concevoir Jésus dans son sein, que Sainte Élisabeth dit: «Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur!» (Lc 1, 45). La béatitude de la foi a son modèle en Marie et nous sommes tous heureux que la béatification de Jean-Paul II advienne le premier jour du mois marial, sous le regard maternel de Celle qui, par sa foi, soutient la foi des Apôtres et soutient sans cesse la foi de leurs successeurs, spécialement de ceux qui sont appelés à siéger sur la chaire de Pierre. Marie n’apparaît pas dans les récits de la résurrection du Christ, mais sa présence est comme cachée partout: elle est la Mère, à qui Jésus a confié chacun des disciples et la communauté tout entière. En particulier, nous notons que la présence effective et maternelle de Marie est signalée par saint Jean et par saint Luc dans des contextes qui précèdent ceux de l’Évangile d’aujourd’hui et de la première Lecture: dans le récit de la mort de Jésus, où Marie apparaît au pied de la croix (Jn 19, 25); et au début des Actes des Apôtres, qui la montrent au milieu des disciples réunis en prière au Cénacle (Ac 1, 14).

La deuxième Lecture d’aujourd’hui nous parle aussi de la foi, et c’est justement saint Pierre qui écrit, plein d’enthousiasme spirituel, indiquant aux nouveaux baptisés les raisons de leur espérance et de leur joie. J’aime observer que dans ce passage, au début de sa Première Lettre, Pierre n’emploie pas le mode exhortatif, mais indicatif pour s’exprimer; il écrit en effet: «Vous en tressaillez de joie», et il ajoute: «Sans l’avoir vu vous l’aimez; sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d’une joie indicible et pleine de gloire, sûrs d’obtenir l’objet de votre foi: le salut des âmes.» (1 P 1, 6. 8-9). Tout est à l’indicatif, parce qu’existe une nouvelle réalité, engendrée par la résurrection du Christ, une réalité accessible à la foi. «C’est là l’œuvre du Seigneur – dit le Psaume (118, 23) – ce fut une merveille à nos yeux», les yeux de la foi.

Chers frères et sœurs, aujourd’hui, resplendit à nos yeux, dans la pleine lumière spirituelle du Christ Ressuscité, la figure aimée et vénérée de Jean-Paul II. Aujourd’hui, son nom s’ajoute à la foule des saints et bienheureux qu’il a proclamés durant les presque 27 ans de son pontificat, rappelant avec force la vocation universelle à la dimension élevée de la vie chrétienne, à la sainteté, comme l’affirme la Constitution conciliaire Lumen gentium sur l’Église. Tous les membres du Peuple de Dieu – évêques, prêtres, diacres, fidèles laïcs, religieux, religieuses –, nous sommes en marche vers la patrie céleste, où nous a précédé la Vierge Marie, associée de manière particulière et parfaite au mystère du Christ et de l’Église. Karol Wojtyła, d’abord comme Évêque Auxiliaire puis comme Archevêque de Cracovie, a participé au Concile Vatican II et il savait bien que consacrer à Marie le dernier chapitre du Document sur l’Église signifiait placer la Mère du Rédempteur comme image et modèle de sainteté pour chaque chrétien et pour l’Église entière. Cette vision théologique est celle que le bienheureux Jean-Paul II a découverte quand il était jeune et qu’il a ensuite conservée et approfondie toute sa vie. C’est une vision qui est synthétisée dans l’icône biblique du Christ sur la croix ayant auprès de lui Marie, sa mère. Icône qui se trouve dans l’Évangile de Jean (19, 25-27) et qui est résumée dans les armoiries épiscopales puis papales de Karol Wojtyła: une croix d’or, un «M» en bas à droite, et la devise «Totus tuus», qui correspond à la célèbre expression de saint Louis Marie Grignion de Montfort, en laquelle Karol Wojtyła a trouvé un principe fondamental pour sa vie: «Totus tuus ego sum et omnia mea tua sunt. Accipio Te in mea omnia. Praebe mihi cor tuum, Maria – Je suis tout à toi et tout ce que j’ai est à toi. Sois mon guide en tout. Donnes-moi ton cœur, O Marie» (Traité de la vraie dévotion à Marie, nn. 233 et 266).

Dans son Testament, le nouveau bienheureux écrivait: «Lorsque, le jour du 16 octobre 1978, le conclave des Cardinaux choisit Jean-Paul II, le Primat de la Pologne, le Card. Stefan Wyszyński, me dit: « Le devoir du nouveau Pape sera d’introduire l’Église dans le Troisième Millénaire ». Et il ajoutait: «Je désire encore une fois exprimer ma gratitude à l’Esprit Saint pour le grand don du Concile Vatican II, envers lequel je me sens débiteur avec l’Église tout entière – et surtout avec l’épiscopat tout entier –. Je suis convaincu qu’il sera encore donné aux nouvelles générations de puiser pendant longtemps aux richesses que ce Concile du XXème siècle nous a offertes. En tant qu’évêque qui a participé à l’événement conciliaire du premier au dernier jour, je désire confier ce grand patrimoine à tous ceux qui sont et qui seront appelés à le réaliser à l’avenir. Pour ma part, je rends grâce au Pasteur éternel qui m’a permis de servir cette très grande cause au cours de toutes les années de mon pontificat». Et quelle est cette «cause»? Celle-là même que Jean-Paul II a formulée au cours de sa première Messe solennelle sur la place Saint-Pierre, par ces paroles mémorables: «N’ayez pas peur! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ!». Ce que le Pape nouvellement élu demandait à tous, il l’a fait lui-même le premier: il a ouvert au Christ la société, la culture, les systèmes politiques et économiques, en inversant avec une force de géant – force qui lui venait de Dieu – une tendance qui pouvait sembler irréversible. Par son témoignage de foi, d’amour et de courage apostolique, accompagné d’une grande charge humaine, ce fils exemplaire de la nation polonaise a aidé les chrétiens du monde entier à ne pas avoir peur de se dire chrétiens, d’appartenir à l’Église, de parler de l’Évangile. En un mot: il nous a aidés à ne pas avoir peur de la vérité, car la vérité est garantie de liberté. De façon plus synthétique encore: il nous a redonné la force de croire au Christ, car le Christ est Redemptor hominis, le Rédempteur de l’homme: thème de sa première Encyclique et fil conducteur de toutes les autres.

Karol Wojtyła est monté sur le siège de Pierre, apportant avec lui sa profonde réflexion sur la confrontation, centrée sur l’homme, entre le marxisme et le christianisme. Son message a été celui-ci: l’homme est le chemin de l’Église, et Christ est le chemin de l’homme. Par ce message, qui est le grand héritage du Concile Vatican II et de son «timonier», le Serviteur de Dieu le Pape Paul VI, Jean-Paul II a conduit le Peuple de Dieu pour qu’il franchisse le seuil du Troisième Millénaire, qu’il a pu appeler, précisément grâce au Christ, le «seuil de l’espérance». Oui, à travers le long chemin de préparation au Grand Jubilé, il a donné au Christianisme une orientation renouvelée vers l’avenir, l’avenir de Dieu, transcendant quant à l’histoire, mais qui, quoi qu’il en soit, a une influence sur l’histoire. Cette charge d’espérance qui avait été cédée en quelque sorte au marxisme et à l’idéologie du progrès, il l’a légitimement revendiquée pour le Christianisme, en lui restituant la physionomie authentique de l’espérance, à vivre dans l’histoire avec un esprit d’«avent», dans une existence personnelle et communautaire orientée vers le Christ, plénitude de l’homme et accomplissement de ses attentes de justice et de paix.

Je voudrais enfin rendre grâce à Dieu pour l’expérience personnelle qu’il m’a accordée, en collaborant pendant une longue période avec le bienheureux Pape Jean-Paul II. Auparavant, j’avais déjà eu la possibilité de le connaître et de l’estimer, mais à partir de 1982, quand il m’a appelé à Rome comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, j’ai pu lui être proche et vénérer toujours plus sa personne pendant 23 ans. Mon service a été soutenu par sa profondeur spirituelle, par la richesse de ses intuitions. L’exemple de sa prière m’a toujours frappé et édifié: il s’immergeait dans la rencontre avec Dieu, même au milieu des multiples obligations de son ministère. Et puis son témoignage dans la souffrance: le Seigneur l’a dépouillé petit à petit de tout, mais il est resté toujours un «rocher», comme le Christ l’a voulu. Sa profonde humilité, enracinée dans son union intime au Christ, lui a permis de continuer à guider l’Église et à donner au monde un message encore plus éloquent précisément au moment où les forces physiques lui venaient à manquer. Il a réalisé ainsi, de manière extraordinaire, la vocation de tout prêtre et évêque: ne plus faire qu’un avec ce Jésus, qu’il reçoit et offre chaque jour dans l’Église.

Bienheureux es-tu, bien aimé Pape Jean-Paul II, parce que tu as cru ! Continue – nous t’en prions – de soutenir du Ciel la foi du Peuple de Dieu. Tant de fois tu nous as béni sur cette place du Palais Apostolique. Aujourd’hui, nous te prions : Saint Père bénis-nous. Amen.

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Homélie du 24 avril 2011

Prédicateur : Abbé Guy Oberson
Date : 24 avril 2011
Lieu : Monastère du Carmel, Le Pâquier,
Type : radio

Chères sœurs et chers frères en Jésus-Christ, chers amis,

« Joyeuse, belle et sainte fête de Pâques », allons-nous dire tout au long de ce premier jour de la semaine où nous fêtons le Christ ressuscité. Oui, le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! Comment pourrions-nous l’affirmer, si les témoins du premier matin de la résurrection, et, une foule d’autres témoins à leur suite, depuis près de deux mille ans, ne nous avaient pas transmis cette Bonne Nouvelle, la Bonne Nouvelle qui a tant marqué et changé l’histoire de l’humanité.

La première lecture de ce jour nous fait part du témoignage de l’apôtre Pierre auprès du Centurion romain à Césarée. Ce choix veut nous rappeler l’importance de témoigner de la résurrection.

Il est étonnant tout de même que ce n’est pas lui, Pierre, qui se trouve le premier au tombeau ce matin là, mais bien Marie Madeleine. Elle s’y rend de grand matin, nous dit l’évangéliste Jean, alors qu’il fait encore sombre. Il fait sombre surtout dans son cœur à elle, qui était très attachée à Jésus et donc profondément attristée par sa mort. Guérie et délivrée par Jésus, elle le suit avec les apôtres et d’autres femmes, depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem, l’écoutant comme disciple et se mettant à son service.

C’est tout ce que Jésus a été pour elle qui la met en route très tôt, ce matin là. Arrivée au tombeau, quelle surprise à la vue de la pierre roulée. Elle est la première à être témoin de cet indice déterminant, la pierre roulée, qu’elle interprète comme l’indice d’un enlèvement du corps de Jésus. Elle, femme, dont le statut social ne lui permettait pas de témoigner, son témoignage étant sans valeur, elle va devoir rendre compte de ce qu’elle a vu. Elle court dire à Simon Pierre et l’autre disciple : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis. » Les deux disciples courent à leur tour, vérifier ce que leur a rapporté Marie-Madeleine. C’est vrai le tombeau est bien vide, constate Pierre, perplexe. Mais l’autre disciple, qui entre après, il vit et il cru, nous dit l’évangile, il a vu et il a cru que, d’après l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

L’autre disciple, l’apôtre Jean, l’évangéliste qui a écrit ce récit, s’est arrêté. Il nous faut en faire autant, prendre le temps de la contemplation. Prendre le temps, avec vous chères moniales du Carmel, de comprendre dans la méditation, la prière, le temps de comprendre avec le cœur. Ne pas dire trop vite « il est ressuscité. » Ce que n’a pas fait non plus Marie-Madeleine. Témoins du ressuscité pour le monde d’aujourd’hui, ne l’êtes-vous pas depuis 75 ans ici, vous qui, votre vie durant, recherchez les réalités d’en-haut, tout en vous préoccupant également de celles de la terre. Femmes qui avez choisi de donner toute votre vie pour reconnaître, aimer et annoncer le Christ ressuscité au cœur d’une société souvent indifférente. Vous êtes un haut lieu de ressourcement pour ceux qui sont plongés dans le monde, et qui sont appelés, eux aussi, à être des témoins de celui qui est sorti vivant du tombeau.

Etre témoins du Ressuscité dans et pour le monde. Ne faut-il pas revisiter ce qu’il a vécu. Son amour pour les petits, les pauvres, les enfants, les malades, les pécheurs. Au nom de cet amour, sa grande liberté devant ceux qui finalement l’ont condamné à cette mort ignoble sur la croix. Les témoins de la Résurrection que nous sommes appelés à être, comment seront-ils crédibles, sinon en vivant ce même amour, concrètement, dans notre société. Dire que l’on croit qu’il est ressuscité, c’est s’engager à aimer jusqu’au bout, comme lui. Ce sont les plus faibles, les plus démunis, abandonnés, auprès des quels nous renvoie notre mission de témoin. Peut-être, l’un ou l’autre de ces 7 à 800 000 pauvres de notre pays qui vivent d’angoissantes fins de mois, ces chômeurs par milliers, qui en ce mois d’avril, et ces mois prochains, perdront le droit à leur indemnité, ne sachant trop de quoi ils vont vivre. Ne les laissons pas tomber ! Tout comme ces réfugiés ou requérants d’asile qui désespèrent trouver une terre hospitalière. Le Ressuscité, juste avant son Ascension, envoie ses disciples jusqu’aux extrémités de la terre annoncer la Bonne Nouvelle du salut : comment, aujourd’hui, allons-nous soutenir l’espérance de ces populations criant leur soif de justice et de liberté au risque de leur vie ? Pouvons-nous proclamer notre foi en la Résurrection sans prendre notre part afin de remettre debout tous les courbés de notre terre. Commençons peut-être par celui qui nous est proche, notre voisin et par chacun de nous en mettant toute notre confiance en Celui qui est la Résurrection et la vie. Amen.»

Lectures bibliques : Actes 10, 34-43; Colossiens 3, 1-4; Jean 20, 1-9

Homélie du 24 avril 2011

Prédicateur : Abbé Philippe Mawet
Date : 24 avril 2011
Lieu : Collégiale Ste-Gertrude, Nivelles, Belgique
Type : tv

Frères et Sœurs,

Si Pâques n’existait pas, le christianisme n’existerait pas ! Voici, de façon quelque peu abrupte mais évidente au plan de la foi, ce qui fait qu’aujourd’hui comme depuis plus de 2000 ans, des hommes et des femmes mettent leur vie dans les pas de Celui – le Christ – qui n’a cessé de dire: « Je suis la Résurrection et la Vie ».

Ce qui fait la grandeur de l’homme, c’est de se savoir mortel (l’animal, par exemple, ne sait pas qu’il est mortel). Ce qui fait la grandeur de Dieu, c’est de redire que l’homme est fait pour la Vie et non pas pour la mort. Et cette fête de Pâques vient redire, de façon éclatante au plan de la foi et de façon discrète au plan humain, que la Résurrection du Christ inaugure un monde nouveau où la mort devient passage et où la vie – notre vie – s’éclaire d’un à-venir insoupçonné et qui rime avec éternité. Il nous faut donc choisir entre le « Grand Soir » des illusions perdues et le petit matin des Espérances les plus fortes.

Elles sont nombreuses sur l’abondant marché spirituel de notre temps, les réflexions et propositions qui concernent l’au-delà. On peut même dire que cela fait partie du « cahier des charges » de toutes les religions.

Alors, dans ce contexte, quelle est l’originalité chrétienne …sinon la Résurrection du Christ que célèbre cette fête de Pâques ?

Et puis – quand même! – encore une réflexion : comment se fait-il que les questions liées à notre destinée – et donc au fait de savoir s’il existe ou non « quelque chose » après la mort – soient tellement occultées dans des cultures – essentiellement occidentales – qui croient pouvoir faire de Dieu une question inutile (et même dangereuse) et de l’au-delà une illusion forcément sans fondement ? Pâques se veut résolument à contre-courant de ces opinions et convictions.

J’aimerais ce matin vous partager la foi de toutes nos communautés chrétiennes qui, comme nous l’avons vu et entendu au début de cette célébration, redisent avec toute la force de l’Evangile (Bonne Nouvelle) que c’est la Résurrection du Christ qui est aux fondements et au cœur de l’Espérance chrétienne mais aussi de l’espérance humaine.

L’expérience du Christ nous révèle que notre humanité devient le terreau de notre éternité : le Ressuscité est le même que le Crucifié.

Et c’est ici, pour moi, un très grand mystère : pourquoi faut-il que la fête de Pâques ne fasse pas l’économie de la douleur du Vendredi-Saint ?

Pourquoi pas la Résurrection sans la Croix ? Personne n’a de réponse… sinon de poser, une fois encore, notre regard vers le Christ et sur son chemin qui a dû aller jusqu’à l’extrême de l’Amour (fut-ce au prix de la souffrance et de la mort) pour que s’ouvre, enfin, la brèche de la Résurrection. Nous voici donc au carrefour de l’humain et du divin, là où la Résurrection du Christ vient éclairer notre quotidien…. et lui donner sens et saveur. Désormais, dans la lumière de la Résurrection, rien d’humain ne sera plus jamais banal. Tout devient semence d’éternité.

Aujourd’hui, en cette fête de Pâques, le chemin du Christ devient notre chemin. C’est son chemin de Croix qui devient un chemin de foi, et un chemin de joie. Mais il a fallu la mort du vendredi-saint et le silence du samedi-saint pour que s’ouvre enfin – et jusqu’au cœur même du tombeau où on l’avait déposé – la lumière de la Résurrection. La vie n’a de prix que parce que l’Amour a du prix. Et ce prix est inestimable car, comme le disait déjà saint Bernard, « la mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ! » La Résurrection, c’est en quelque sorte le débordement de vie et le surcroit de l’Amour; A profusion ! Non pas seulement pour demain, dans l’au-delà, mais pour l’aujourd’hui dans tout ce qui fait notre quotidien.

Frères et Sœurs, chers amis, Pâques n’existe pas en dehors de ce que nous vivons. Parmi vous, il y en a qui sont enfermés dans les tombeaux de la guerre et de la peur, de la solitude et de la désespérance. Il y en a d’autres, bien sûr, qui sont dans la lumière d’une naissance à accueillir, d’un amour à vivre, d’une joie à partager ou d’une solidarité à expérimenter. Aujourd’hui, Dieu vous dit (Dieu me dit):  » Tu es vivant…mais tu n’es pas un vivant voué à la mort mais un mortel promis à la Vie ». Et cela change tout !

A vous tous, téléspectateurs qui ne partagez pas notre foi, je voudrais reconnaître en chacun de vous des frères et des sœurs en humanité avec qui nous partageons les mêmes questions, les mêmes détresses et les mêmes joies d’une société marquée par une grande soif de justice et un grand désir de bonheur. Le fait de ne pas partager les mêmes réponses nous invitent, non pas à jeter des anathèmes qui divisent, mais à construire des ponts qui se font dialogues et rencontres.

A vous tous, téléspectateurs qui, de toutes confessions chrétiennes, partagez notre foi en l’Amour infini de Dieu plus fort que toute mort et que tout mal, je voudrais vous inviter à témoigner de ce « trésor de Pâques », sans complexe ni arrogance mais avec la certitude intérieure qu’il n’y a pas de nouvelle plus bouleversante pour notre humanité que cet horizon déjà perceptible dans les brumes du quotidien d’un monde où l’Amour et la Vie soient les seules valeurs éternelles marquées du sceau de l’éternité et, donc, de la plénitude.

Permettez-moi, au cœur de cette célébration qui redit l’extraordinaire nouvelle de Pâques: « Christ est ressuscité! » C’est toute notre vie qui s’en trouve renouvelée. ALLELUIA !»

Lectures bibliques : Actes 10, 34-43; Colossiens 3, 1-4; Jean 20, 1-9

Homélie du 17 avril 2011

Prédicateur : Abbé Guy Oberson
Date : 17 avril 2011
Lieu : Monastère du Carmel, Le Pâquier
Type : radio

Chers frères et soeurs,

Jésus entre à Jérusalem, ovationné par la foule composée de beaucoup de gens venant des contrées où il avait passé en faisant le bien, des gens qui sont venus pour célébrer la Pâque juive. Ils l’acclament en criant « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »C’est ce que nous a rappelé la première lecture tirée de l’évangile de Saint Matthieu tout au début de la célébration.

Le récit de la passion de Jésus-Christ fait apparaître un revirement total. Probablement une foule composée des mêmes gens, mais cette fois-ci conditionnés par les autorités juives, se mettent à crier : «Qu’on le crucifie » ! Comment est-ce possible, en si peu de temps, un tel revirement ? Nous le voyons, la manipulation a un pouvoir extrêmement cruel. Un véritable désenchantement, une trahison !

Aujourd’hui : Ces foules de Jérusalem peuvent nous faire penser à celles auxquelles l’Action de Carême, Pain pour le prochain et Etre Partenaires nous ont conduits durant le carême qui s’achève. Des populations africaines, notamment de la République Démocratique du Congo, qui voient avec un certain espoir les entreprises multinationales installer leur chantier d’extraction des minerais de leur sol dont il est si riche. Elles pensent qu’elles en retireront un certain bien être. Elles doivent bien vite déchanter. Par la force, bien souvent, on les oblige à abandonner les terrains qu’elles cultivaient pour se nourrir. Ceux qui vont travailler à la mine, y vivent des conditions inhumaines. Les dédommagements sont bien souvent inexistants ou misérables.

De l’espoir au désenchantement. La question nous a été posée tout au long de ce carême. Comment se solidariser de ces populations trahies et abandonnées trop souvent à leur triste sort ? Aujourd’hui, en déposant, à l’offrande, notre pochette de carême, nous soutenons l’engagement vécu par les organisations caritatives Action de carême, Pain pour le prochain et Etre Partenaires, dans les régions victimes de ces pratiques immorales. Que cette semaine sainte, dans laquelle nous entrons, augmente notre foi au Christ mort et ressuscité pour le salut de l’humanité et suscite en nous le désir de nous engager au côté des crucifiés de la vie, aujourd’hui. Amen»

Lectures bibliques : Isaïe 50, 4-7; Philippiens 2, 6-11; Matthieu 26, 14-27, 66

Homélie du 10 avril 2011

Prédicateur : Abbé Bernard de Chastonay
Date : 10 avril 2011
Lieu : Cathédrale Notre-Dame, Sion
Type : radio

Chers amis, chers malades,

La Semaine Sainte pointe à l’horizon. Dimanche prochain, nous célébrerons les Rameaux. Et la liturgie de ce jour nous plonge déjà au cœur du mystère central de la foi chrétienne. Après s’être manifesté à l’aveugle de naissance comme la lumière du monde en le guérissant de sa cécité, Jésus « ose » aujourd’hui un pas de plus. La mort de son ami Lazare lui donne l’occasion d’affirmer avec force qu’il est aussi la résurrection et la vie.

Le « dimanche de Lazare » anticipe la fête de la Résurrection ; il nous invite à suivre le Christ sur son propre chemin de Passion, pour mieux pouvoir participer ensuite aux réjouissances pascales. Un chemin parsemé d’embûches car il ne s’impose pas à nous comme une évidence. Avec Marthe et Marie, les sœurs de Lazare, il nous faudra avancer patiemment pour accueillir la Bonne Nouvelle de « la Vie plus forte que la mort » et avoir l’audace d’affirmer à notre tour : Oui, nous le croyons, tu es le Messie… celui qui vient dans le monde. Mais pour l’instant observons Jésus.

Lorsqu’il apprend la nouvelle de la maladie de son ami, il ne réagit pas avec la spontanéité que l’on aurait espérée d’un proche : il décide de rester là où il se trouve durant deux jours et se contente de tenir ce propos mystérieux : cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu. Il ajoutera même plus tard, juste avant de se mettre en route pour rencontrer enfin la famille maintenant endeuillée: Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là ! Propos étonnant, voire scandaleux, en tout cas incompréhensible de la part de quelqu’un dont l’évangéliste précise qu’il aimait Lazare et ses sœurs, s’il n’avait lui-même ajouté : Je me réjouis à cause de vous, pour que vous croyiez.

Ainsi donc Jésus n’est pas un homme sans cœur. Il aime Marthe, Marie et leur frère. Mais il est sorti dans le monde pour apporter aux hommes sa lumière en leur annonçant la Bonne Nouvelle et il saisit l’occasion de cette maladie et de cette mort pour manifester toute la puissance de Vie qu’il recèle en lui. Jésus ne se réjouit pas de la mort de Lazare, il se réjouit de ce que cette mort conduira à la foi en la résurrection et la vie éternelle beaucoup de témoins.

Et si Jésus se réjouit de pouvoir une fois de plus annoncer la présence du Royaume de son Père dans le monde, il n’en manifeste pas moins toute la gamme des sentiments humains en pareilles circonstances, celles d’un deuil. Lorsqu’il voit Marie en pleurs, et ceux qui l’accompagnent aussi, il est bouleversé d’une émotion profonde. A l’approche de l’endroit où l’on a déposé le corps de Lazare, Jésus pleure. Les témoins dirent : Voyez comme il l’aimait. Devant le tombeau Jésus est repris par l’émotion. Ce sont là autant de signes de l’amitié qu’il portait au défunt et de sa compassion envers les deux sœurs. Mais la présence du Christ devant le tombeau a aussi un autre but : faire voire la gloire de Dieu ; et la gloire de Dieu, c’est l’homme debout (St Irénée).

Alors Jésus peut demander que l’on roule la pierre et s’adresser au mort : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d’un suaire. « Déliez-le, et laissez-le aller ».

De ce dimanche de Lazare je vous suggère de méditer deux points.

Premier point :

– En osant cette assertion tout à fait exceptionnelle : Moi, je suis la résurrection et la vie, Jésus affirme qu’il n’est pas seulement celui qui roule la pierre du tombeau de ses amis, voire la sienne propre, mais qu’il est lui-même la résurrection. La personne même du Christ est CONTAGIEUSE DE VIE, source jaillissant pour la vie éternelle, ce que confirme saint Jean dans sa première lettre : le témoignage de Dieu, celui qu’il a rendu au sujet de son Fils, le voici : Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie, elle est dans son Fils. Qui a le Fils a la vie (voir en 1 Jn 5, 9-13).

Deuxième point :

– Cette puissance de vie que le Christ ressuscité nous transmet aujourd’hui à travers les sacrements, et plus particulièrement dans l’eucharistie, lui permet de délier en nous les chaînes du péché pour que nous puissions aller nous aussi sur les chemins de notre vie, à la lumière du Christ et de son Esprit, annoncer la Bonne Nouvelle du salut.

Durant ce temps de carême, par nos jeûnes, nos efforts de pénitence et nos gestes de solidarité, nous avons cheminé pour aller boire à la source d’eau vive.

Creuse en nous, Seigneur, cette source pour que nous puissions accueillir dans la joie la Bonne Nouvelle de Pâques et nous joindre à la prière de cette jeune baptisée, qu’elle a prononcée le jour même de son baptême :

Que je sois bénie.

Avant c’était la nuit, mais regarde aujourd’hui : si ma famille, mes amis sourient, c’est que Dieu m’a choisie.

Le signe de la croix qu’on a tracé sur moi est comme une étoile : elle guidera mes pas.

(…) Cette eau d’éternité, source de pureté, fait que tout a changé, car je suis baptisée, enfant illuminée.

L’Esprit qui souffle en moi m’apporte cette même foi qui nous donne la joie. Nous unissons nos voix de baptisés pour toi.

Que je sois bénie CAR DIEU EST MON AMI.

AMEN.

Lectures bibliques : Ezékiel 37, 12-14; Romains 8, 8-11; Jean 11, 1-45

Homélie du 03 avril 2011

Prédicateur : Abbé Bernard de Chastonay
Date : 03 avril 2011
Lieu : Cathédrale Notre-Dame, Sion
Type : radio

Chers frères et sœurs dans le Christ, chers malades,

Après la solitude du désert, la beauté envoûtante des sommets. Gravir une montagne, atteindre son faîte, seuls les alpinistes savent ce que l’on peut y ressentir une fois l’effort accompli. La tension se relâche, la joie vous submerge, la fatigue aussi pointe le bout de son nez… Au sommet de la montagne, le temps est à l’émotion.

Et puis, chacun le devine : au sommet d’une montagne, l’on est plus proche de Dieu, surtout s’il s’agit, comme nous le précise l’évangile, d’une haute montagne ! De son sommet le regard embrasse l’horizon et l’homme touche quelque chose de la transcendance divine. Ce n’est pas pour rien que Dieu a choisi de souvent s’y manifester.

Quelques brefs rappels. Le sacrifice d’Abraham : sur une montagne ; la rencontre de Moïse avec ce Dieu dont il voulait tant connaître le Nom : sur une montagne ; la Transfiguration : sur une montagne. La croix ? Sur une colline, peut-être, mais le prophète Isaïe a désigné la colline de Jérusalem, pourtant peu élevée, comme le sommet des montagnes ; et c’est sur la montagne que souvent Jésus s’est retiré pour y rencontrer son Père dans la prière et la contemplation.

Nous voilà donc, en ce deuxième dimanche du carême, avec Pierre, Jacques et Jean sur la montagne. Trois apôtres – et leur chef de cordée, Jésus, quatre personnes reliées par les liens d’une amitié naissante et d’un amour déjà tout donné pour Jésus.

Et que de monde cette fois ! Dans le désert, seul le Christ et le malin dialoguaient. Duel de citations bibliques. Dont on connaît le vainqueur. Au jour de la Transfiguration, ils sont finalement six, tous habités d’Esprit-Saint, à des degrés divers bien sûr : Jésus, le maître et le guide, Pierre, Jacques et Jean, trois colonnes de l’Eglise à venir, et Moïse et Elie. La loi et les prophètes. Avec les apôtres ce sont les deux testaments qui se rassemblent, réunis par la grâce du Christ. Sur le mont de la Transfiguration, le peuple de la première Alliance contemple la réalisation des promesses faites autrefois à Abraham, Isaac et Jacob tandis que celui de la nouvelle Alliance a encore tout à apprendre. Dieu seul sait la profondeur des propos que Jésus, Moïse et Elie ont tenu dans leur entretien. Oui, sur le mont de la Transfiguration le peuple de la première alliance et celui de l’alliance nouvelle se rencontrent. Ensemble, grâce au Christ ! Que du bonheur, dont il serait bon que nous nous inspirions dans nos relations avec nos frères aînés dans la foi.

Que du bonheur ! Pierre s’en ressent et dans son enthousiasme habituel, il ne peut s’empêcher de l’exprimer : Seigneur, il est heureux que nous soyons ici. Le voilà déjà tout service : dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie. Bonheur que Pierre voudrait prolonger, spectacle étonnant qu’il désire « éterniser ». D’où l’évocation des tentes. Heureusement, Pierre, une fois n’est pas coutume, fait preuve de prudence ; il ajoute : si tu le veux.

Or ce que Jésus veut, nous l’avons relevé dimanche passé, c’est que la volonté du Père se fasse sur terre comme au ciel. Et le Père, son Père et notre Père, intervient, comme au jour de son baptême. Une voix à nouveau se fait entendre : celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le.

Moïse a connu le Nom divin : Je suis qui je suis ; Elie découvrira, lui, la présence de Dieu dans le souffle ténu d’une brise légère. Et les apôtres apprendront à contempler en Jésus la parfaite image du Père, le Père prodigue de la parabole, Celui dont l’amour infini se manifeste dans un pardon sans limite, Père aux bras toujours ouverts, main féminine de la tendresse, main masculine de la protection, deux bras et deux mains qui offrent à ceux qui le cherchent un havre de paix et d’accueil.

Mais il doit en aller de Pierre, Jacques et Jean comme du Christ lui-même. Dans le désert, il a appris à patienter ; il n’a rien exigé pour lui tout de suite, Il attend tout du Père et le laisse libre de choisir les temps et les moments. Il n’est pas encore temps que les trois sachent tout du Christ. Ne parlez donc de cette vision à personne. La transfiguration à laquelle ils ont assisté leur servira plus tard. Ils s’en souviendront comme de la préfiguration d’une transfiguration plus grande encore : celle de la mort vaincue, celle de la vie qui surgit du tombeau pour l’éternité.

Et comme Abram fut convié en son temps, fort lointain, à quitter son pays, pour lui et tous les siens, pour son bonheur et le leur, les trois compagnons, couchés face contre terre tellement ils sont maintenant terrifiés – quelle grande vision ils ont vue ! sont invités à se relever : n’ayez pas peur ! Comment le pourrait-on d’ailleurs puisque Dieu n’est pas dans l’ouragan. La main qui les touche pour les relever, c’est celle de la brise légère qui murmure déjà à leurs oreilles une musique nouvelle dont ils n’ont pas encore la clé d’interprétation : la grande et bonne nouvelle du Christ ressuscité, le Messie dans sa gloire.

Jésus a souffert la faim dans le désert ; il nous faut, nous, sentir la sensation de la soif ; soif de la Bonne Nouvelle – il est heureux que nous soyons ici. Soif de la vie à jamais. Ecoutez-le. Dans cette eucharistie, laissons le Christ lui-même, et son Esprit, creuser en nous la source d’eau vive. Et toute soif sera apaisée. Amen

Lectures bibliques : Genèse 12, 1-4; 2 Timothée 1, 8-10; Matthieu 17, 1-9

Homélie du 27 mars 2011

Prédicateur : Abbé Bernard de Chastonay
Date : 27 mars 2011
Lieu : Cathédrale Notre-Dame, Sion
Type : radio

Chers amis, chers malades, chers frères et sœurs dans le Christ,

Au bord d’un puits. En plein midi. La chaleur, plus la fatigue de la route. Et la faim – les disciples sont allés à la ville acheter quelques nourritures… Après une longue marche, il y a de quoi rêver à une pause bienvenue. Jésus apprécie.

Mais le jeu des rencontres spontanées peut troubler un tel rêve. Voilà Jésus aux prises avec une femme de Samarie à laquelle il n’hésite pas à demander à boire. Quelle drôle d’idée a cette femme : venir au puits en pleine chaleur ! Sans doute le fait-elle pour ne rencontrer personne : avec sa réputation, on ne sait jamais ! Et quelle audace et quel souverain mépris des convenances chez Jésus. Un homme, Juif, qui s’adresse à une femme de Samarie… c’est le monde à l’envers quand on connaît le rôle respectif des hommes et des femmes à l’époque, et l’indifférence ou la haine qui marquait les relations entre Juifs et Samaritains.

Tout aurait dû les séparer, sauf peut-être le puits. Dans une région aride le puits joue un rôle capital et conditionne toute la vie du village et de la communauté. Lieu incontournable – comment vivre sans eau ? le puits donne l’occasion aux gens de se rencontrer, de discuter, de partager les soucis de la vie ordinaire, de s’inquiéter à propos des difficultés que les villageois ensemble doivent affronter… Et les rencontres y sont fréquentes puisque on y conduit aussi les animaux pour les abreuver.

Le puits? Un lieu souvent cité dans les récits bibliques qui nous rappellent que nombre de couples s’y sont rencontrés pour la première fois : c’est auprès d’un puits que le serviteur d’Abraham trouve Rébecca, la future épouse d’Isaac ; c’est là aussi que Jacob rencontre Léa et Rachel qui deviendront l’une et l’autre ses femmes et c’est encore auprès d’un puits que Moïse fait la connaissance de Cippora.

Peut-être est-ce pour cette raison que la femme est parfois comparée à un puits. La rencontre de ce jour, Jésus, une Samaritaine, auprès d’un puits, devient tout un symbole : celui de l’amour de Dieu pour tout homme, quel que soit son sexe, son origine ou sa nationalité.

Admirons en passant combien le Maître est habile. Il progresse avec la Samaritaine par cercles concentriques. De l’eau du puits il passe aux différents maris de son interlocutrice et à sa situation matrimoniale du moment, sa faille secrète, et se fait ainsi reconnaître comme prophète – il est en réalité bien plus ! Seigneur, je le vois, tu es un prophète. Alors explique-moi… C’est maintenant au tour de la Samaritaine d’interroger Jésus sur les lieux où il faut adorer Dieu, ce qui permet à ce dernier de dessiner un cercle supplémentaire : les vrais adorateurs adoreront en esprit et vérité. Le lieu de la véritable adoration ne se situe ni à Jérusalem, ni sur le mont Garizim, mais dans la chambre secrète de notre cœur, là où Dieu est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes.

Du puits nous avons été conduits à la source jaillissant pour la vie éternelle – creuse en toi la source ! A cette source nous avons trouvé le prophète qui nous dévoile le lieu où l’on adore en esprit et vérité : le coeur. Que nous resterait-t-il donc à découvrir ?

Simplement celui qui nous fera connaître toutes choses, le Messie, celui qu’on appelle Christ.

Jésus avait commencé par demander à la Samaritaine de lui donner à boire. Il lui révèle maintenant sa vraie nature et, par conséquent, sa mission : Moi qui te parle, je le suis (Christ et Messie), l’Emmanuel, Dieu parmi nous.

Mais nous sommes au bord d’un puits ; difficile d’y rester seuls longtemps. Les apôtres reviennent de leurs courses et bien qu’ils soient surpris de voir Jésus converser avec une Samaritaine – encore les convenances ! ils ne pipent mot. La femme en profite pour s’éclipser et retourner à la ville pour raconter à qui veut bien l’entendre l’aventure qu’elle vient de vivre. Il savait tout de moi ; ne serait-il pas le Messie ?

Détail piquant : la femme est repartie à la ville sans emporter sa cruche ! On la comprend ; ce jour-là elle vient de découvrir en son cœur la source d’eau vive : présence en elle de l’Esprit du Christ, ce Jésus qui avait soif : soif de lui annoncer la Bonne Nouvelle, soif de lui permettre de découvrir le vrai visage de Dieu.

Après son départ, c’est au tour des disciples d’être littéralement guidés vers l’essentiel. Ils proposent à leur maître de manger ; logique : ils sont allés à la ville justement pour acheter de quoi se nourrir ! Or Jésus choisit précisément ce moment pour leur parler d’une autre nourriture, qui n’est pas une simple pitance mais un aliment de vie éternelle : ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre, œuvre de salut pour l’humanité tout entière. Et c’est très précisément ce qu’il vient d’accomplir ; en initiant la Samaritaine à la vie de la foi, il a commencé à remplir sa mission. Une initiation qui ne reste pas sans lendemains puisque d’autres personnes se sont jointes à la femme. La Bonne Nouvelle féconde déjà des terres nouvelles. Et préfigure un Evangile qui sera prêché jusqu’aux extrêmités de la terre.

Ainsi donc, levons les yeux et regardons, à l’invitation du Maître, les champs qui se dorent pour la moisson, et nous saurons qui est Jésus : le Christ Messie, venu en ce monde pour accomplir l’œuvre d’amour de son Père. Découverte ou redécouverte de l’Essentiel.

Encore nous faudra-t-il accomplir un dernier pas. A l’imitation des Samaritains qui habitaient à la ville d’où la femme était sortie, nous avons à passer d’une foi reçue à une foi personnellement assumée : nous l’avons entendu par nous-mêmes et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde.

Puisse cette foi étancher notre soif de justice et nous conduire à lutter pour que partout dans le monde chaque homme, chaque femme, chaque enfant bénéficie de tout ce dont il a besoin pour vivre, nourriture, éducation, santé, affection… Tout ce que vous ferez à l’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous le ferez. Amen

Lectures bibliques : Exode 1, 3-7; Romains 5, 1-8; Jean 4, 5-42