Homélie du 14 novembre 2021 (Mc 13, 24-32)

Abbé Nicolas Glasson – Monastère du Carmel, Le Pâquier, FR

Chers frères et sœurs,

Avant le récit de la passion de Jésus Christ nous trouvons, dans l’évangile selon saint Marc, un discours eschatologique, une sorte de petite apocalypse, dont nous venons de proclamer un extrait. Ce discours est marqué par deux réalités[1] :

  • d’une part, la création qui se défait : le soleil et la lune s’obscurcissent, les étoiles tombent du ciel ;
  • d’autre part, les relations entre les hommes qui sombrent dans le chaos.

L’Evangile ne nous promet pas un règne de Dieu paisible sur la terre, un monde pacifié, mais au contraire il nous laisse entrevoir une progression de la division entre les hommes, ainsi qu’une progression de la division entre l’homme et la création : des guerres, des famines, mais aussi des catastrophes universelles.

Rien de nouveau, serions-nous tentés de dire : il n’y a pas besoin d’attendre la fin des temps pour voir la création abimée et les relations tendues entre les hommes.

La présence fragile du Christ dans le monde et son retour

En fait ces réalités-là ne sont pas l’essentiel de ce discours apocalyptique. Le cœur du message du Christ c’est lui-même, sa personne, son mystère pascal, sa présence fragile dans le monde et son retour à la fin des temps[2].

Nous n’avons pas ce matin à nous poser la question de savoir quand et comment tout cela arrivera : ouvrons les yeux, c’est déjà là ! mais nous avons à reprendre conscience que notre vie de foi ici-bas consiste déjà en une rencontre avec le Christ Jésus, et que chaque jour qui passe nous rapproche de la rencontre dans la claire vision avec Celui qui ne cesse de se rapprocher de nous. Nous n’attendons pas un temps spécifique, nous n’attendons pas un lieu et des circonstances bien précises : nous allons à la rencontre d’une personne.

Notre espérance a un visage : celui du Christ ressuscité

Cela ne signifie pas que nous ayons à nous détourner de la vie présente, bien au contraire : nous voulons tirer parti de l’histoire présente, de notre vie quotidienne, des aléas de nos relations interpersonnelles, pour apprendre à reconnaître et apprendre à laisser advenir la présence du Christ parmi nous. Même quand le soleil s’obscurcit ou que le climat se dérègle, même lorsqu’il fait sombre dans notre vie ou que nous avons l’impression d’entrer dans une nuit sans lune, ne nous fions pas aux interprétations complotistes qui abiment la vie[3] et la qualité de nos relations avec les autres ; pas de vains discours lorsque les étoiles semblent tomber du ciel, mais juste ce regard de foi, d’espérance et de charité, ce regard qui devrait caractériser notre vie chrétienne.

La parabole du figuier qui bourgeonne, annonçant l’été tout proche (cf. Mc 13, 28-29), dit que la perspective de la fin ne nous détourne pas de la vie présente, mais nous invite à envisager notre avenir avec un regard d’espérance : ce regard qui nous donne d’apprendre, de comprendre, de connaître et de reconnaître ce qui est, ce qui advient, ce qui est l’œuvre et la volonté de Dieu. Notre espérance a un visage : le visage du Seigneur ressuscité qui vient « avec puissance et gloire »[4].

Devenons des pauvres de cœur. Regardons le Christ pauvre

Le cœur du message de l’évangile de ce matin c’est la venue du Christ qui rassemble les hommes de bonne volonté « des quatre vents, de l’extrémité de la terre et à l’extrémité du ciel »[5]. Quelles que soient les tonalités ou les couleurs apocalyptiques de notre existence, ne perdons pas de temps à lire notre horoscope mais passons plutôt, chaque matin, quelques minutes à nous demander quelle parole de paix nous pourrions dire, quel geste d’aide nous pourrions poser aujourd’hui : nous avons à discerner dans notre quotidien où est la vie, où nous appelle la vie.

Ce « dimanche des pauvres » nous rappelle que nous sommes toutes et tous des pauvres, bien souvent entourés d’encore plus pauvres que nous. Regardons-les : le Christ Jésus est parmi eux. Avec lui, avec eux tous, devenons des pauvres de cœur, vigilants, excluant aussi bien l’impatience que l’assoupissement, aussi bien les fuites en avant que les emprisonnements de notre époque[6]. Regardons le Christ pauvre, il est à nos côtés et il change notre cœur. Amen.


[1]  Cf. Marcel Domergue, www.croire.la-croix.com, textes du dimanche.

[2]  Cf. Pape François, Angelus du 15.11.15.

[3]  Cf. José Mittaz, Le Nouvelliste du 13.11.21.

[4]  Mc 13, 26.

[5]  Mc 13, 27.

[6]  Cf. Pape François, Angelus du 15.11.15.

33e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Daniel 12, 1-3; Psaume 15, 5.8, 9-10, 11; Hébreux 10, 11-14.18; Marc 13, 24-32

Homélie du 7 novembre 2021 (Mc 12, 38-44)

           

Chanoine Roland Jaquenoud – Basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice, VS

Aujourd’hui, l’évangile nous propose deux figures en contraste l’une avec l’autre : celle des scribes d’une part, celle de la pauvre veuve de l’autre.

Les scribes : ils apparaissent plusieurs fois dans les Evangiles. Souvent, ils sont en lien avec les Pharisiens. Les scribes de l’Evangile, ce sont des docteurs de la loi. En notre langage, on pourrait dire des spécialistes de la Bible, mais aussi des spécialistes en morale. Ils savent ce qui est permis et ce qui n’est pas permis. Ce sont des gens qui ont étudiés, qui sont capable d’enseigner les autres. Ils ont une autorité intellectuelle et morale reconnue.

La veuve : il ne semble pas que nous ayons besoin d’explications pour comprendre qui est la veuve de l’Evangile d’aujourd’hui. Pourtant Jésus, l’air de rien, révèle quelques éléments de son histoire. Elle est pauvre. Le don de deux toutes petites pièces de monnaie, qui serait une bagatelle pour quelqu’un d’autre, représente pour elle un vrai sacrifice. On peut imaginer là-derrière toute une histoire compliquée, faite de pauvreté, de déclassement, d’abandon par la société.

La foi vivante c’est le don de soi

            Devant nos yeux donc, deux types, deux portaits bien contrastés. En regardant bien – en lisant bien l’évangile de ce jour – ce qui les distingue, ce n’est pas tant le savoir des uns et la pauvreté de l’autre. Ce qui les distingue, de manière radicale, c’est la manière de vivre leur foi.

            Pour les scribes : ils  « tiennent à se promener en vêtements d’apparat, ils aiment les salutations sur les places publiques,
les sièges d’honneur dans les synagogues,
et les places d’honneur dans les dîners.
Ils dévorent les biens des veuves
et, pour l’apparence, ils font de longues prières »

            En contraste, la veuve « donne de son indigence » dit Jésus. Et pour que nous comprenions bien de quoi il s’agit, il rajoute : « Elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle a pour vivre ».

            Les uns utilisent l’enseignement de la religion pour leur profit, tandis que la veuve, elle, met très concrètement la foi en pratique. Or la foi pratique, la foi vivante, c’est le don de soi-même.

Le cléricalisme mis en cause

            Oh que voilà un évangile tout à coup bien actuel ! A l’heure où toute l’Eglise, du Pape jusqu’aux plus humbles fidèles, met en cause le cléricalisme – le cléricalisme, pas le sacerdoce ! Le sacerdoce, l’Eglise, corps du Christ en a besoin, parce qu’elle a besoin des sacrements pour être – A l’heure où toute l’Eglise dénonce le cléricalisme comme l’un des ses maux majeurs, que l’enseignement de Jésus sur les scribes est bienvenu ! La religion, en particulier les connaissances sur la religion, peuvent devenir un instrument de pouvoir, d’exaltation de soi-même, une source d’abus, parfois même d’enrichissement matériel. En bref, la pratique de la religion peut conduire exactement au contraire de son but, qui est le don de soi-même.

            En ce sens, le cléricalisme menace bien sûr prêtres et évêques, supérieurs et supérieures de communautés, non seulement lorsqu’ils sont coupables d’abus caractérisés, mais aussi chaque fois qu’ils utilisent l’enseignement de la foi à leur profit, qu’il s’agisse d’un profit matériel, social, psychologique ou même spirituel. Mais plus largement, le cléricalisme menace chacun d’entre nous, quelle que soit notre place dans l’Eglise, chaque fois que nous utilisons la foi pour revendiquer une position dans tel ou tel groupe, une autorité morale, ou je ne sais quoi d’autre. Chaque fois que notre pratique religieuse nous mène sur le chemin de l’égoïsme, de l’ego-centrisme, au lieu de nous mener sur le chemin du don de nous-mêmes, de l’ouverture à l’Autre et à l’autre.

Partager sa propre indigence

            Du coup, la pauvre veuve de l’Evangile ne nous est pas présentée par Jésus comme une personne à plaindre, mais comme un modèle à suivre. Les scribes sont des possédants : il possèdent un trésor, celui de la foi et de l’enseignement divin, mais de ce trésor ils ne donnent rien ; s’ils le font fructifier, ce n’est que dans leur intérêt propre. La veuve, elle, ne possède qu’une chose : son indigence. C’est de cela dont elle fait le don – en le faisant, nous dit Jésus, elle donne tout.

            Jésus n’est-il pas entrain de nous dire que pour tout donner – c’est à dire pour vivre notre foi en vérité – il faudrait rechercher l’indigence de la veuve ? L’indigence est-elle le chemin vers le don de soi ? Le problème – le danger – viendrait-il du fait que nous sommes trop riches – trop riches à la manière des scribes : trop riches de nos certitudes, – trop riches … de nos valeurs ? La veuve n’a rien à donner : et c’est de ce rien dont elle fait le don. Et si le chemin de notre conversion passait par une vraie humilité ? Chers frères et sœurs, c’est le jour où j’aurai enfin compris que je ne suis pas mieux que les autres, que comme tout être humain je suis un indigent – indigent de la relation, indigent de l’amour, indigent de beaucoup de choses – c’est alors, et alors seulement que je pourrai commencer à donner, à partager vraiment, parce que je n’arriverai pas devant l’autre comme un supérieur, un donneur de leçons, un gestionnaire de vérité, un gros plein de soupe qui daigne donner quelques miettes de ce qu’il pense orgueilleusement posséder. J’arriverai enfin vers l’autre comme un frère, une sœur, qui n’a qu’une chose à partager : sa propre indigence. C’est ainsi, et pas autrement, que je pourrai un jour me présenter sous le regard de Jésus, comme la pauvre veuve de ce jour. Amen

32e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : 1 Rois 17, 10-16; Psaume 145, 6c.7, 8-9a, 9bc-10; Hébreux 9, 24-28; Marc 12, 38-44