Homélie du 21 mars 2021 (Jn 12, 20-33)

Abbé Laurent Ndambi – Église St-Nicolas de Myre, Hérémence, VS

Les événements qui ont précédé cet évangile que nous venons d’entendre, à savoir la résurrection de Lazare, l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem acclamé comme un Messie par les foules, ces événements ont déchainé la haine des autorités religieuses contre le Christ et ont mis le comble à leurs projets mortifères.

A partir de ce moment, le temps de la Passion et de l’Heure du Fils de l’Homme annoncés plusieurs fois par le Christ à ses disciples ont alors sonné. La déclaration de Jésus sur la venue de l’Heure et la parabole du grain de blé tombé en terre sont une réponse à un autre événement survenu en ce moment-là : la démarche de Grecs qui veulent voir Jésus.

Ces gens ne sont pas forcément des citoyens de Grèce, mais des non juifs venus en pèlerinage à Jérusalem à l’occasion de la fête de la Pâque ; ils ne sont pas pleinement juifs au sens où, croyants dans le Dieu d’Israël, ils ne mettent cependant pas en pratique la loi de Moïse dans la totalité de ses préceptes. Ainsi, ils demandent à voir Jésus. Dans le langage de l’évangéliste saint Jean, « voir » et « croire » sont synonymes. Avec la venue de ces Grecs, on assiste donc au premier mouvement de conversion de non juifs au Christ. L’intervention de Philippe et André souligne le rôle de la médiation dans la rencontre avec Jésus.

L’Heure : le temps favorable au salut

C’est dans le contexte de cette démarche de non juifs qui veulent voir Jésus par l’intermédiaire de ses apôtres que nous pouvons comprendre et accueillir cette déclaration : « L’Heure est venue pour que le Fils de l’Homme soit glorifié ». L’Heure, c’est-à-dire le temps particulièrement favorable où le salut s’accomplit. Cette Heure se manifeste dans le salut offert à tous les hommes, soit à toute l’humanité.

Pour exprimer la fécondité de sa mort prochaine sur la croix, chemin de glorification du Père par le Fils et du Fils par le Père, Jésus utilise une petite parabole familière au monde des agriculteurs. Le grain de blé qu’on sème meurt pour donner naissance à un épi. Visiblement Jésus s’applique cette parabole : la mort sur la croix et l’échec apparent de cette issue sont en réalité la condition nécessaire pour que l’Eglise naisse et se multiplie. Sa mort en est ainsi l’instant fondateur de la communauté de ceux qui croient en lui et le suivent.

Ici, il y a donc une opposition entre « aimer sa vie » et « s’en détacher ». Aimer sa vie est stérile ; s’en détacher en la donnant est source de vie à l’infini. Ce qui vaut pour le Christ vaut aussi pour celui ou celle qui veut le suivre ; car suivre le Christ implique en effet emprunter le même chemin que lui.

Glorifier : révéler la présence de Dieu

Retenons qu’en ce cinquième dimanche de carême, St Jean ne relate pas l’agonie de Jésus à Gethsémani, mais il répartit dans son évangile les éléments de la lutte intérieure de Jésus face à l’enfouissement de sa mort comme un passage douloureux. Jésus fait apparaître qu’il est bouleversé ; il demande au Père d’être « délivré de cette Heure » ; mais il se reprend aussitôt pour affirmer qu’il ira jusqu’au bout de la mission que le Père lui a confiée. Le tout s’achève sur un dialogue entre lui et son Père. Jésus lui demande de « glorifier son Nom ». Le père répond : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ».

Cette voix venue du ciel est entendue par les témoins de cette scène comme un bruit de tonnerre ou comme la parole d’un ange. Cela voudrait dire que Jésus seul a entendu distinctement cette parole. Ici, on peut faire un rapprochement entre cette parole et le témoignage du Père lors du baptême du Christ dans les autres évangiles. La gloire dont il est question ici n’a rien avoir avec l’acception que nous donnons à ce mot, c’est-à-dire le prestige, la célébrité et le faste.

Dans la Bible, le mot « gloire » est synonyme de « poids », de « valeur », de « rayonnement » dans la présence. Ainsi, glorifier veut donc dire « révéler la présence de Dieu, révéler qui il est : Dieu d’amour et de salut » : c’est la valeur et le rayonnement de son être. Il ne garde pas cela pour lui seul, mais, à travers le Fils glorifié, il veut nous associer à cette gloire ; et c’est cela que réside notre vocation baptismale et chrétienne.

En tant que baptisés, sommes-nous conscients que nous sommes des « oints » ? Des hommes et des femmes de « foi ». Des hommes et des femmes « eucharistiés » ? Des hommes et des femmes d’espérance ? Des hommes et des femmes glorifiés et envoyés en mission ? Comment faisons-nous grandir et glorifier ce que Dieu a semé en nous ? Ne nous est-il pas déjà arrivé d’entendre dire que « ce que l’on garde pour soi est perdu ; et ce que l’on donne est gagné pour toujours » ?

Aimer la vie qui est la nôtre est une bonne chose et naturelle, au sens où nous attachons du prix à l’existence. Aimer la vie c’est goûter avec bonheur les heures et les jours malgré les difficultés et les souffrances inhérentes à tout parcours humain. Comment comprendre cette sorte de « qui perd gagne » que nous propose Jésus dans l’évangile ? Il est vrai que nous reconnaissons une part de risque dans toute entreprise humaine : sans investissement on ne progresse pas ; si on ne donne rien, on s’expose à ne rien recevoir. Mais dans l’évangile, il s’agit de perdre sa vie, ce qui semble pour nous synonyme de tout perdre. Et pourtant dans ce même texte de l’évangile, Jésus, à l’évidence, parle de lui-même quelques jours avant sa Passion et sa mort.

Jésus sur la croix : victoire de l’amour, de la vie

En route vers Pâques, le Christ nous annonce cette mort sur la croix. Il nous y prépare en ne nous disant pas que cette mort est une perte, mais un don. « Il n’y pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » (cf. Jn 15, 13). En donnant sa vie, il gagne la vie éternelle dans la gloire du Père, pour lui et pour nous, par sa Résurrection.

Quelques fois nous pensons que tout est perdu lorsque nous faisons porter certaines de nos croix de manque d’amour sur les épaules des autres ou encore quand nous les mettons sur les croix de nos manques charité en oubliant que tout semblait être perdu au moment où Jésus était sur la croix, et pourtant tout était gagné : victoire de l’amour ; victoire de la vie.

Seigneur, apprend-nous à faire mourir en nous ce qui nous empêche de te voir dans ta gloire et de te suivre pour mieux comprendre que seule une vie donnée est féconde. Amen.

5e DIMANCHE DU CARÊME
Lectures bibliques : Jérémie 31, 31-34; Psaume 50 (51), 3-4, 12-13, 14-15; Hébreux 5, 7-9; Jean 12, 20-33

Homélie du 14 mars 2021 (Jn 3, 14-21)

Abbé Laurent Ndambi – Église St-Nicolas de Myre, Hérémence, VS


L’évangile du dimanche dernier évoquait le fait que beaucoup de gens avaient cru en Jésus à cause des signes qu’il accomplissait mais que lui-même s’en était défié sachant en quoi s’en tenir en ce qui concerne l’homme. L’évangile que nous venons de proclamer en ce quatrième dimanche de carême, nous en donne une confirmation lorsqu’il y est déclaré que « quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises ».

A cause de ces œuvres mauvaises, Dieu a élevé par Moïse un serpent de bronze dans le désert afin d’accorder le salut à son peuple. Ce salut est désormais accompli par Jésus, le Fils de l’Homme sur la croix avec son double sens de symbole, à la fois de la mort et de la vie. C’est à partir de là qu’on peut parler de la Croix glorieuse et que celle-ci, portant le crucifié, trouve sa justification sur nos autels où régulièrement son mystère est rendu présent et agissant dans le sacrifice de la messe.

En méditant sur l’élévation du serpent par Moïse comparé à celle de Jésus le Fils de l’Homme sur la croix, rappelons-nous du serpent de la Genèse qualifié comme étant le plus tentateur astucieux, celui qui a trompé Adam et Eve en leur ayant fait découvrir leur état de faiblesse. Ce serpent qui leur a menti en disant « vous ne mourrez pas », il leur a surtout mis à l’épreuve.

Dans un autre livre, celui des Nombres, le serpent est un animal qui n’éprouve plus, mais qui puni ; envoyé comme serpent venimeux il est aussi celui sauve comme serpent de bronze en devenant ainsi comme une force et un symbole de guérison représenté comme armoiries sur les façades des pharmacies. C’est dire que son symbole est bienfaisant. Placé dans le Temple de Jérusalem où il était adoré comme une idole, ce serpent de bronze élevé par Moïse fut détruit par le roi Ezéchias (2 R 18, 4) car le salut ne portait plus sur un objet regardé ou à regarder pour être sauvé, mais sur le retour à Dieu et à sa loi (Sg 16, 5-14).

Le regard et la foi

En s’inscrivant donc dans la ligne de l’Ecriture, l’Ancien Testament comme étant le « Christ préparé » et le Nouveau Testament comme le « Christ donné », saint Jean l’évangéliste sans abandonner et minimiser le symbolisme du serpent de bronze, nous adresse un message très fort au cœur de ce carême, et portant sur le fait que nous ne devons pas seulement nous contenter de regarder le Fils de l’Homme élevé, comme le serpent de Moïse, mais encore faut-il croire en lui. Le regard seul ne suffit pas, il faut la foi. Ce qui est décisif, c’est la foi, car Dieu a n’a pas envoyé son Fils pour juger le monde mais pour que par lui le monde soit sauvé, et non plus pour être à la merci des serpents venimeux qui peuvent tuer le corps dans l’épisode du livre des Nombres ou tuer l’âme dans le récit de la Genèse.

Ici, l’évangéliste interpelle la dureté du cœur de l’homme que seule la grâce peut ouvrir à la miséricorde divine venant de la croix par le moyen de la foi, foi vivante et agissante qui conduit ainsi aux bonnes œuvres, celles qui ne craignent pas la lumière, et qui mieux encore produisent elles-mêmes la lumière.

En route vers Pâques, sommes-nous disposés de prendre conscience que l’amour de Dieu est présent dans l’histoire des hommes, dans notre histoire humaine ? Alors que les chefs des prêtres et le peuple multipliaient les infidélités, sous le règne de Sédécias, dans la première lecture, en imitant toutes les pratiques sacrilèges des nations païennes et profanaient le temple de Jérusalem consacré au Seigneur, le Dieu de leurs pères, avons-nous entendu, sans attendre et sans se lasser, leur envoyait des messages, car il avait pitié de sa demeure et de son peuple.

Malgré la déportation et l’exil en Babylone que connaîtra le peuple à cause de ses mauvais agissements, Dieu inspira Cyrus roi de Perse, d’ordonner à tous ceux qui font partie du peuple de Dieu de s’assurer que ce Dieu est avec eux et qu’ils montent à Jérusalem pour y construire un temple. L’affirmation de cette reconstruction du temple a créé une atmosphère d’espérance et elle est une preuve que Dieu n’abandonne pas son peuple ; sa fidélité se manifeste dans sa miséricorde incarnée désormais par Jésus son Fils.

Ce Fils est celui qui est venu nous dire avec force que « Dieu est amour ». Il n’est pas seulement le créateur du monde, ni le plus grand ordinateur de l’univers qui le calcule et le fait fonctionner comme une brillante mécanique froide et impersonnelle, mais que « Dieu est amour ». Il a créé le monde par amour et il y est une présence infiniment aimante. Parlant à son peuple choisi par la bouche d’un de ses prophètes Jérémie, Dieu lui dit : « Je t’ai aimé d’un amour éternel ». Cette déclaration d’amour n’est pas réservée uniquement à son peuple choisi ; mais elle est transmise à tous les peuples et à chaque personne humaine et même à chaque parcelle de l’univers par le Christ, en qui le Père nous a prouvé son amour. « En nous donnant son Fils, il nous a tout donné » !

Le monde est aimé de Dieu

Il nous a tant aimés, et nous avons besoin de cette certitude car se sentir aimé par lui est le plus grand réconfort qui soit lorsqu’on souffre ou que l’on soit à sa recherche. Croire que le monde est aimé Dieu lui donne un sens alors qu’il est actuellement traversé par les soubresauts de ses contradictions, de ses violences, de ses injustices et par une crise sanitaire qui interroge notre conscience existentielle et la gestion collective de notre humanité. C’est dire que notre monde ne paraît pas aimable du tout par moments ! Pourtant il est aimé de Dieu et c’est ce qui le maintient dans l’espérance de sa survie, puisque Dieu ne peut pas renier ce qu’il a créé par amour. Croire que nous sommes aimés par Dieu donne un sens à notre vie marquée par la maladie, le péché et la mort, car nous savons que l’amour de Dieu ne nous abandonnera jamais aux forces du mal.

Le Christ en qui nous croyons n’a pas été délivré de la mort sur la croix. Innocent, il a été condamné et cloué sur le bois, dans le don total de lui-même au Père et aux hommes. Mais sa résurrection que nous célébrerons à Pâques est et reste sa victoire sur la mort humaine, pour lui et pour nous. « Celui qui croit en lui échappe au jugement » et « Celui qui ne veut pas croire en lui est déjà jugé parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » (Jn 3, 18).

Si son jugement n’a rien d’un procès judiciaire à la manière humaine, et qu’il est un choix définitif de son amour sauveur, nous avons si souvent hélas, ce réflexe de juger les autres, sans connaitre le fond de leur histoire, de leur hérédité et de leurs luttes intérieures ; cela en toute bonne conscience et pour nous créer l’illusion d’être meilleurs ou supérieurs.

Dieu est riche en miséricorde » ; il nous a fait revivre avec le Christ », nous dit saint Paul dans la deuxième lecture. Pendant ce carême, avons-nous le souci de faire grandir notre foi en Jésus et par quel moyen ? Avons-nous le souci d’aimer et de sauver au lieu de condamner et d’exclure ; le souci d’aider et de partager ; le souci de la conversion et d’abandon du mal sous toutes ses formes ? Seigneur, merci de nous avoir tant aimés en Jésus ton Fils ; donne-nous la grâce d’être chaque jour, des hommes et des femmes ressuscités ! Amen.


4e DIMANCHE DE CARÊME, de Lætare
Lectures bibliques : 2 Chroniques 36, 14-16.19-23; Psaume 136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6; Éphésiens 2, 4-10; Jean 3, 14-21