
Homélie du 14 février 2021 (Mc 1, 40-45)
Abbé Pascal Lukadi – Chapelle de Glace, Leysin, VD
Comment nous guérir de nos lèpres
« Si tu le veux, tu peux me purifier ». On peut admirer l’audace et le courage qui habitent cet homme en cet instant pour oser s’approcher de Jésus et lui faire cette demande. Compte tenu de ce qu’il est : un lépreux
De la lèpre, Raoul Follereau disait : « le lépreux souffre, en général, de deux maladies : d’une part, il a la lèpre, c’est-à-dire que son corps est malade, et d’autre part, il est lépreux, c’est-à-dire que ses relations avec autrui sont altérées ».
Désir d’être rétabli dans son humanité
Comme tous les récits de guérison, celui-ci commence par une demande. À vrai dire, le lépreux ne demande pas une guérison, mais une purification. Importante précision, car il ne s’agit pas seulement de guérir un corps malade, mais aussi de rendre cet homme apte à des relations sociales normales dont la maladie l’avait privé. Jésus exauce cette demande. Oui, cet homme, exclu de la société en raison de son impureté, désire de tout son cœur être rétabli dans son humanité. Nous pouvons comprendre son désir immense, si nous avons eu à subir une chimiothérapie qui nous a privés de nos cheveux et attiré sur nous des regards apitoyés et curieux. Notre seul souhait, peut-être l’un des plus importants pour notre guérison, est d’être rétablis dans des relations humaines normales. Le lépreux de cet évangile choisit de ne plus raser les murs pour devenir invisible : il se jette aux pieds de Jésus, bravant ainsi tous les interdits relatifs à sa maladie. Alors, pour guérir cet homme de son exclusion, Jésus n’hésite pas à entrer en relation avec lui. Bien plus, dépassant en cela toutes les conventions, la purification se fait par une parole de Jésus, accompagnée d’un toucher sur lequel l’évangéliste insiste par le recours à deux verbes : « Jésus étendit la main et le toucha ». Il ne craint pas le contact avec l’impur, l’impureté étant impuissante à le souiller, tandis que sa sainteté est contagieuse et peut guérir. À peine le lépreux est-il guéri que Jésus « avec fermeté le renvoie », peut-être parce qu’il ne veut pas d’un attachement servile de cet homme, mais veut surtout qu’il retrouve sa place dans le circuit des relations sociales. Pour cela, il doit se montrer au prêtre pour une reconnaissance institutionnelle de sa guérison. Cependant, Jésus ne veut aucune publicité en dehors de celle indispensable pour l’avenir social de cet homme qui ne respecte pas la consigne de garder le silence que Jésus lui avait donnée. Mais c’est l’immense manifestation de tendresse, reprise par saint François d’Assise, qui a dû inonder de bonheur et de gratitude le cœur blessé du lépreux. On comprend dès lors qu’il n’ait pas résisté à la joie de partager cet événement de salut, malgré la demande de Jésus de n’en rien dire !
La grandeur de Dieu source d’émerveillement, de gratitude
L’homme est trop fragile pensait-on, trop petit devant la toute-puissance de Dieu. Dans l’Ancien Testament, on pensait que pour s’approcher de Dieu, il était nécessaire d’accomplir des rites de purification. Il fallait aussi éviter tout contact avec ce qui, à l’époque, était considéré comme sale et impur : ne pas manger certains aliments par exemple ou ne pas toucher une personne dont la maladie pourrait nous souiller. L’éloignement était considéré comme une mesure sanitaire sans doute… mais aussi religieuse. La seconde lecture est le prolongement d’une explication de saint Paul sur les aliments considérés impurs par les Juifs. Pour les anciens, seul le respect strict de ces règles de pureté permettait d’entrer en contact avec Dieu. Ces pratiques peuvent nous paraître dépassées et bien éloignées de notre culture. Elles évoquent cependant un sentiment que nous avons un peu perdu aujourd’hui, celui d’une présence qui nous dépasse infiniment et devant laquelle nous pouvons nous sentir si petits et si fragiles. Nous rappeler la grandeur de Dieu est source d’émerveillement, de reconnaissance, de gratitude : Dieu si grand nous connaît, Dieu si puissant se soucie de nous, il veut même faire alliance avec nous ! Ne devrions-nous pas être bouleversés par une telle réalité ! On peut comprendre la crainte des anciens et leur volonté de rechercher des rites de purification pour atténuer un peu ce que cette rencontre a d’incongru et de totalement surprenant. Dans l’évangile, on assiste à une transgression délibérée de la règle de pureté. Le lépreux ne s’enfuit pas devant Jésus, mais au contraire il se jette à ses genoux. Et Jésus n’a pas peur de toucher le malade. Le Christ nous révèle en effet que toute personne est accueillie par Dieu. Il ne considère aucune personne comme impure, indigne ou trop éloignée de lui. Alors plus besoin de rites de purification ; car sur la croix, Jésus s’est même identifié aux plus méprisables des hommes. Il ne nous est donc plus nécessaire de nous mettre sur la pointe des pieds pour nous élever ou nous revêtir de nos plus beaux habits pour oser espérer que Dieu nous accueille. C’est Dieu lui-même, en Christ, qui vient nous rejoindre dans nos pauvretés et nos fragilités, aussi grandes soient-elles. Tout homme, quel qu’il soit, peut, comme ce lépreux, se jeter au pied de Jésus, se laisser toucher et relever par lui. Nous connaissons des virus insidieux qui peuvent contaminer par simple contact. Dans l’évangile, le Christ ne craint pas de se laisser approcher par l’homme impur. C’est au contraire lui qui inocule dans la vie de cet homme la grâce qui va le relever. Dans la seconde lecture, après avoir dit aux disciples que l’interdiction de manger des aliments dits impurs ne signifiait plus rien, saint Paul rappelle cependant à ses interlocuteurs qu’en toute chose, il faut veiller à ne pas blesser ceux qui pourraient ne pas comprendre, ceux dont la foi est la plus fragile. Il invite également à imiter le Christ. Osons, comme lui, accueillir sans condition. Osons « toucher » ceux qui se considèrent encore aujourd’hui « intouchables », car méprisés et rejetés. Devenons capables, nous aussi, de franchir certaines barrières quand nous avons la conviction que l’amour véritable est à ce prix.
Dieu ce « Tout autre » que le Christ nous donne la grâce de connaître
Pour les anciens, Dieu est si grand qu’il nous est interdit d’aller à sa rencontre sans respecter des règles strictes de purification. Dieu se fait proche et pourtant il est ce « Tout-autre ». Qu’est-ce qui révèle aujourd’hui la grandeur de Dieu ? Dieu est-il pour moi source d’émerveillement ? Comment comprendre aujourd’hui que Dieu est ce « Tout autre » que le Christ nous donne la grâce de connaître et d’approcher ? Qui sont les lépreux d’aujourd’hui, ceux que l’on considère comme impurs, des personnes à éviter ? Comment leur manifester la présence du Christ qui relève et les réintégrer dans la communauté ? Ai-je moi aussi besoin d’être purifié ? Ai-je déjà fait l’expérience d’être purifié et relevé par le Christ ? Comment en témoigner ? qu’est-ce qui sort du dedans de moi ? d’ailleurs, ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. » Et Jésus de préciser que ce qui sort de la bouche vient du cœur ! (Mt 15, 18).
« Ce sera pour les gens un témoignage » (Marc 1, 44) En ordonnant au lépreux de ne pas faire de publicité autour de sa guérison, Jésus insiste sur un regard de foi personnelle et préfère la puissance silencieuse des actes plutôt que la séduction et le bruit des mots. Alors résonne la phrase de saint Jean (3, 18) : « N’aimons pas par des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité ». Dans le même esprit, fait écho un ouvrage au titre évocateur de Pascal Gourrier : « Ne parlez pas de la miséricorde, vivez-la ». C’est notre temps de Carême qui commence ce mercredi ! je nous le souhaite bon ! Donnons sans nous souvenir, tout en recevant sans oublier. Amen !
6e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Lévitique 13, 1-2.45-46; Psaume 31 (32), 1-2, 5ab, 5c.11;1 Corinthiens 10, 31 – 11, 1; Marc 1, 40-45
Les jésuites font un pèlerinage virtuel
Russie: les Témoins de Jéhova dans le viseur des autorités
En Pologne, l’usage du mot « collabo » mène deux chercheurs au tribunal
Une femme obtient le droit de vote au Synode
150 femmes allemandes ont témoigné leur envie de devenir prêtres
Une lutte, deux générations 2/2
Une lutte, deux générations 1/2

Homélie du 7 février 2021 (Mc 1, 29-39)
Chanoine Roland Jaquenoud – Abbaye de Saint-Maurice, VS
« Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Il le trouve et lui disent : Tout le monde te cherche ».
Il a bien de la chance, Jésus, en ces temps lointains. Tout le monde le cherche. Aujourd’hui, cela semble absurde de dire que tout le monde cherche Jésus. Et pourtant …
Pourtant le cri de l’être humain n’a pas changé depuis la nuit des temps. On entendait celui de Job à la première lecture : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre » « A peine couché, je me dis : quand pourrai-je me lever. Le soir n’en finit pas, je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube. » La vie est dure. « La vie est une corvée » Combien de personnes, aujourd’hui, se retrouvent dans les mots de Job ? Il en était sans doute de même dans la Palestine du temps de Jésus. Jésus vient nous rejoindre dans nos détresses.
Cela ne veut pas dire qu’on ait spécialement attendu Jésus, même à son époque. Il y avait bien un petit peuple qui attendait le Messie, mais personne n’avait bien compris que ce Messie, ce serait Jésus. Et puis la masse des autres peuples : qui attendaient-ils ? Certainement pas Jésus. Et peut-être n’attendaient-ils personne. Pour qu’on se mette à le chercher, il a bien fallu que Jésus vienne d’abord. Qu’il « sorte », si on en croit ses propres paroles dans l’Evangile : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Evangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »
Si on ne cherche plus Jésus de nos jours, c’est peut-être parce qu’il ne sort plus. Et comment pourrait-il sortir, s’il est monté vers son Père ? Et bien saint Paul, quelque part, nous le dit : « Vous êtes le corps du Christ » (1Co 12, 27). Autrement dit : vous êtes ses membres, ses pieds, ses mains, sa voix, son cœur.
. Si NOUS ne sortons pas, alors Jésus ne sortira pas non plus.
Si NOUS ne sortons pas, alors Jésus ne sortira pas non plus. Nous restons bien au chaud dans nos certitudes, dans nos églises, dans nos foyers chrétiens, dans nos communautés, alors que les gens souffrent, que leur vie est une corvée. L’Eglise en sortie : un des thèmes chers à notre Pape François…
A bon, nous y revoilà. Nous, les chrétiens, sommes habitués à toute sorte de slogans. « Baptisés, envoyés ». « L’Europe a besoin d’une nouvelle évangélisation » « Les laïcs doivent évangéliser dans leur milieux de vie », « Nous sommes tous des missionnaires ». On nous le répète à longueur d’année liturgique, à longueur d’homélies, à longueur de rassemblements divers, et cela depuis tant et tant d’années. Et le résultat ? …
Pourquoi Jésus est sorti
Peut-être avons-nous parfois tendance à oublier pourquoi Jésus est sorti.
« Là aussi je dois proclamer l’Evangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. « Jésus est sorti proclamer l’Evangile. L’Evangile. La Bonne nouvelle. Une nouvelle bonne, pleine d’espoir. Libératrice. Ce n’est pas pour rien que l’Evangile de Jésus s’accompagne de toute sorte de guérison, de libération. L’Evangile : une nouvelle qui amène la joie, qui donne un sens à la vie.
Or nous avons une fâcheuse tendance, nous les chrétiens – il nous faut bien l’admettre – à transformer l’Evangile en idéologie. Quand l’évangile devient en une série de règles imposées de l’extérieur, quand, pire encore, il est assimilé à un ou des rituels sociaux, à des signaux d’appartenance à un groupe, quand il devient la tour d’ivoire à partir de laquelle nous jugeons tout le monde, même si ce que nous disons n’est pas faux, la proclamation de la bonne nouvelle, elle, est complètement détournée, elle devient une idéologie mortifère, capable de toutes les dérives, de tous les abus. Elle n’a plus rien d’une bonne nouvelle. Finalement, elle n’apporte rien à ceux pour qui « la vie est une corvée »
Seigneur, « tout le monde te cherche », car tout le monde, en ces temps, comme en tout temps, a besoin d’une bonne nouvelle, d’un évangile. Lorsque Jésus prêche, les gens sont libérés, guéris. Lorsque nous, nous prêchons, lorsque nous « témoignons », nous transformons, bien trop souvent, la religion en en carcan aux chaines lourdes, une prison, dans laquelle nous sommes parfois nous-mêmes enfermés. C’est du moins ainsi que beaucoup de nos contemporains la voient.
Bien sûr, leur jugement est souvent injuste. De tout temps l’évangile a eu des contradicteurs. Mais si, au lieu de nous rassurer par ce « de tout temps », nous acceptions de nous laisser interpeller.
Au chapitre 9 de sa 1ère lettre aux Corinthiens, que nous lisions tout à l’heure, saint Paul proclamait la nécessité absolue de proclamer l’Evangile : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile ». Il ne peut pas faire autrement. C’est une mission qu’il a reçue. Il l’accomplit, nous dit-il, « sans rechercher aucun avantage matériel ». Il y aurait déjà là quelque chose à laquelle réfléchir, en notre pays où les ministres du culte sont souvent fonctionnarisés. Et il, ajoute-t-il « sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Evangile ». En d’autres termes sans rien revendiquer pour lui-même. L’Evangile n’est pas sa chose. Les prédicateurs devraient en prendre de la graine…
Nous avons quelque chose de beau à partager
A cela il ajoute : « Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Avec les faibles j’ai été faible, pour gagner les faibles ». On est loin du missionnaire au casque colonial qui va évangéliser des gens qu’il considère inférieurs. Aujourd’hui, il n’y a plus de casque colonial, mais combien d’évangélisateurs, portés aux nues par leur entourage, se voient – ou sont vu – comme des gens supérieurs, extraordinaires. Saint Paul s’est fait esclave, faible parmi les faibles, ainsi l’évangile – la Bonne Nouvelle – n’est plus un enseignement donné du haut de la chair, mais une rencontre, un partage. Nous ne sommes pas plus forts que les autres – arrêtons de juger. Nous avons reçu quelque chose d’infiniment beau à vivre et à partager. Alors partageons-le, comme quelque chose d’infiniment beau, d’infiniment libérant. Et nous découvrions que l’autre aussi à quelque chose à nous partager. Alors Jésus sortira avec nous. Alors il se laissera rencontrer, par les autres peut-être, mais aussi par nous, car nous aussi avons tellement besoin de cette rencontre. Amen !
5e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Job 7, 1-4.6-7; Psaume 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7); 1 Corinthiens 9, 16-19.22-23; Marc 1, 29-39