Lorsqu'ils ne sont pas en Arménie, Monique et Dario Bondolfi cultivent leurs roses, au chemin de la Rosière. (Photo: Grégory Roth)
Suisse

[4/5] Monique et Dario Bondolfi: le désir tenace d'un «corps diaconal»

Pendant presque 30 ans, Dario Bondolfi a suivi la mise en œuvre du diaconat permanent, avant d’être lui-même ordonné diacre en 1996. Avec son épouse Monique, il souligne l’importance que peut jouer un «corps diaconal» en termes de renouveau humain et ecclésial. Ce modèle, initié dans les années 1970 par un prêtre italien et adopté dans plusieurs pays, aurait tout à gagner à prendre un véritable essor au sein de l’Eglise romande.

Grison d’origine, Dario Bondolfi s’est intéressé au diaconat permanent, dès sa restauration. En 1969, il fonde le premier groupe de recherche diaconale en Suisse romande, avec sa femme Monique, enseignante en lettres qui fera par la suite des études de théologie, et deux autres couples. Durant ses années de formation, il fréquente avec bonheur des diacres français très dynamiques. Mais ce qui l’a le plus marqué, c’est le diaconat italien et son modèle de «corps diaconal».

«J’ai eu la chance de rencontrer Don Alberto Altana (1921-2000), de Reggio Emilia. Il s’était totalement engagé pour mettre en route un diaconat de qualité, via le ‘corps diaconal’, raconte Dario Bondolfi. Il défendait une intuition prophétique: Chaque diacre s’impliquait individuellement dans son milieu, y créant de nouveaux services adaptés à des situations très variées. Mais en même temps, tous se retrouvaient régulièrement au sein d’un corps diaconal pour prier, se ressourcer autour de l’eucharistie, s’interroger mutuellement, débattre et discerner ensemble à partir de leur vécu et s’épauler fraternellement.»

Un aveu bouleversant

Ce modèle italien fascine le couple établi à Lausanne. Dario et Monique en entendent reparler à Turin, en 1977, à la première réunion européenne des diacres, organisée par le Centre International du Diaconat. Ils y participent en tant que secrétaires généraux et représentants de la Suisse. Le cardinal du lieu, Michele Pellegrino (1903-1986), avait choisi de rencontrer trois fois par mois les 23 membres du «corps diaconal» de son diocèse. Présent à la rencontre, le jour où il terminait précisément son mandat, il fait un aveu bouleversant: «Dans ma vie de cardinal, j’ai fait beaucoup de choses… bonnes et moins bonnes. Mais d’une chose, je suis sûr d’avoir pris la bonne décision, celle d’avoir voulu un corps diaconal», et d’ajouter: «j’avais déjà certes beaucoup de prêtres, mais individualistes…».

«Qui paye, commande»

Pour promouvoir le diaconat en Romandie, les Bondolfi et quelques candidats intéressés organisent une rencontre à Lausanne en 1979. Ils invitent Mgr Pierre Mamie, évêque de Lausanne, Genève, Fribourg (LGF), et le cardinal Pellegrino. Mgr Mamie souhaitait le rencontrer avant de mettre en route le diaconat dans son propre diocèse. «Il se posait beaucoup de questions. Il hésitait à se lancer dans l’aventure», se souvient Monique. «Je pense qu’il avait surtout peur des diacres exerçant une profession», renchérit Dario, se rappelant que Mgr Mamie a demandé au cardinal italien: «Comment faites-vous si un diacre est malade ou au chômage?» Et quelqu’un a soufflé dans la salle: «Qui paye, commande». «Mais, rétorque Mgr Pellegrino, les diacres, insérés dans leur profession, sont financièrement couverts par leur employeur et n’ont donc pas besoin de l’être par l’Eglise!»

Dans les faits, suite à cette rencontre, une vingtaine de candidats commence la formation diaconale pour le diocèse de LGF, mais seul Noël Aebischer est ordonné en 1982. Très vite, la question du type de diacres se pose. Sur le terrain, selon le modèle français et italien, ou engagé par l’Eglise comme agent pastoral?

90% des diacres engagés par l’Eglise

Cette deuxième variante est depuis longtemps la solution préconisée par le diocèse de Bâle. Déjà en 1972, Dario et Monique rencontrent Mgr Candolfi à Olten. Ce dernier sort de ses tiroirs un projet pastoral bien précis: tous les diacres du plus grand diocèse de Suisse doivent avoir une licence en théologie et être agents pastoraux, donc payés par leurs Eglises. Ils travaillent en équipes pastorales avec des prêtres et laïcs et se répartissent les tâches en fonction des charismes de chacun.

Actuellement, sur les 250 diacres de Suisse, 90% sont effectivement engagés par l’Eglise, alors que seuls 10% – surtout en Suisse romande – conservent leur profession.

Un autre visage de l’Eglise

Sans remettre en question la valeur de ce modèle, Dario souligne qu’il est unique dans le monde et possible seulement dans une Eglise riche. Même en Allemagne, il est très minoritaire. «De plus, il ne faut pas sous-estimer le rôle de ceux qui sont diacres au sein de leur profession, c’est-à-dire dans tous les milieux, précise-t-il. Ils offrent un autre visage de l’Eglise: une présence discrète mais attentive au cœur de la vie quotidienne.»

«Un seul diacre par paroisse, quand il y en a, c’est trop peu»

Toujours très attentifs à l’évolution du diaconat en Suisse, Dario et Monique souhaitent que les diacres soient nombreux, à la fois comme phares dans des groupes à taille humaine – communautés de base, groupes de réflexion – et pour éviter de jongler entre profession et engagement. «La paroisse est trop grande, voire anonyme. Il faudrait plusieurs diacres par paroisse, suggère Dario. Un seul diacre par paroisse, quand il y en a, c’est trop peu. Surtout s’il travaille à côté!»

Le couple Bondolfi met l’accent sur la nécessité d’une saine articulation entre diaconat et profession. «Leur formation devrait être repensée, en fonction de la réalité de leur insertion humaine et professionnelle. Et donc différenciée, et tenant compte des rythmes de travail. Par exemple, en recourant à l’E-learning, pour laisser la place, lors des rencontres, à des échanges et à un accompagnement personnalisé», suggère l’enseignant.

«Imaginer ensemble des solutions novatrices»

Mais leur souhait le plus cher est de retrouver la dynamique d’un «corps diaconal» vivant. «Les diacres devraient pouvoir se rencontrer régulièrement pour vivre leur foi, confronter la variété de leurs insertions et se soutenir fraternellement», exhorte Dario. «Il existe bel et bien des rencontres de diacres en Suisse romande, précise Monique. Mais ce ne sont pas là des lieux où ils peuvent prendre le temps de partager leurs problèmes et d’imaginer ensemble des solutions novatrices».

La théologienne se demande si l’Eglise en Suisse est prête à susciter un «corps diaconal», à portée plus large. «Beaucoup de diacres n’ont-ils pas déjà leurs réseaux, leur famille, leurs amis, qui leur suffisent?», s’interroge-t-elle.

«Le diaconat permanent n’est pas un sous-produit du sacerdoce»

Dario relève un dernier point, inspiré du théologien italien Don Altana. «Le fait que certains deviennent diacres permanents et que, pour d’autres, le diaconat soit une simple étape vers la prêtrise crée des confusions. Le sacrement de l’ordre serait-il conféré deux fois aux prêtres? D’autre part, le diaconat permanent n’est pas un sous-produit du sacerdoce, mais un autre type de ministère. Le prêtre représente en priorité le Christ au moment de la fraction du pain, alors que le diacre permanent, lui, représente le Christ-Serviteur qui lave les pieds le Jeudi-Saint», conclut-il. (cath.ch/gr)


De Poschiavo à Lausanne, en passant par l’Arménie

Né le 17 mai 1941 à Poschiavo, dans la partie italophone des Grisons, Dario Bondolfi s’est installé dans le canton de Vaud, après son mariage avec Monique. Le couple a quatre enfants et quatre petits-enfants. Licencié ès philosophie et ès lettres, Dario a été enseignant de langues, en particulier à Coppet. Il a été ordonné diacre en 1996, par Mgr Amédée Grab. A cette célébration, il fut honoré de la présence de Hannes Kraemer, initiateur du diaconat en Allemagne. Après son ordination il continua à collaborer jusqu’en 2000 avec son curé, qui l’avait beaucoup soutenu.

Retraité de l’enseignement en 2001, et avec l’arrivée dans sa paroisse d’un nouveau prêtre peu ouvert au diaconat, c’est essentiellement en Arménie, pays d’origine de son épouse, qu’il continue son engagement bénévole, dans la Fondation KASA, qu’il a contribué à créer en 1997.

En Arménie, le couple s’est beaucoup impliqué pour favoriser la création de réseaux de solidarité, tout en visant à autonomiser au maximum les collaborateurs de la Fondation. Une réalisation positive du diacre-metteur-en-route-de-projets, modèle qui leur tient tant à cœur. En Suisse, Dario est actuellement à disposition de l’Unité pastorale Lausanne-Nord.


50 ans de diaconat permanent, en 6 questions

Historiquement, comment la réflexion sur la restauration du diaconat s’est-elle amorcée?
Dario Bondolfi: Pendant la Deuxième Guerre mondiale, des théologiens ont été parqués dans des camps. Loin des autres, ils avaient le temps de réfléchir à la nécessité d’une autre présence d’Eglise: «Si nous avions des diacres, qui ne soient ni payés par l’Eglise ni habillés en clercs, nous pourrions faciliter la création de réseaux, au lieu que les chrétiens soient livrés à eux-mêmes». En 1962, le théologien jésuite Karl Rahner publie un livre fondamental, Diaconia in Christo, qui après avoir brossé l’historique du diaconat dans l’Eglise, jette les bases pour d’un renouveau et en souhaite vivement le rétablissement.

N’est-ce pas avec l’appui de Karl Rahner que s’est formé le premier groupe de réflexion sur le diaconat?
D. B.:
Oui, et grâce à Hannes Kramer, c’est lui qui me l’a raconté. Pendant la guerre, ce jeune collégien de 17 ans de Freiburg-in-Brisgau avait vu passer à la gare un train de prisonniers. Pris de compassion, il avait tendu son sandwich à une main décharnée qui sortait d’une petite lucarne. Mais la personne qui avait reçu le sandwich fut aussitôt éjectée du wagon et tuée devant lui. Bouleversé par cet événement, il rencontra par la suite Karl Rahner, afin d’élaborer un plan d’action. Leurs recherches ont abouti au premier «Diakonatskreiz», groupe de réflexion sur le diaconat, créé en 1951 à Freiburg-in-Brisgau, puis transformé en Centre international du diaconat (CID) en 1962-1963 – avec le concours de la Belgique, de la France et l’Italie – pour préparer le terrain au Concile Vatican II.

Sur quels aspects du diaconat portait la recherche?
D.
B.: Durant cette période d’avant Vatican II, il y eut de grandes rencontres œcuméniques. Elles ont permis de cerner plusieurs aspects du diaconat. Son côté caritatif, fortement développé chez les protestants, sans oublier la présence des femmes diaconesses. Sa dimension liturgique et de la proclamation de la Parole très accentuée, chez les orthodoxes, où les diacres lisent l’Evangile et entretiennent le lien entre le prêtre et le peuple. Son orientation rituelle et liturgique comme étape vers la prêtrise, du côté catholique.

Les rencontres œcuméniques ont débouché sur la prise de conscience que le diaconat synthétise les 3 aspects développés par chacune des 3 confessions: Charité, Parole et Liturgie. A souligner que le service diaconal de la Parole n’implique pas seulement de lire l’Evangile, mais également de donner une voix à ceux qui n’en ont pas.

Quelles ont été les motivations pastorales de la restauration du diaconat?
D. B.: Deux réflexions pastorales de base ont particulièrement facilité le démarrage. D’une part l’Eglise avait besoin, surtout dans des pays de mission comme en Afrique, de diacres-catéchistes pour enseigner la foi dans des endroits où l’on trouvait difficilement des prêtres. Et d’autre part, plutôt que d’envoyer des prêtres travailler en usine il paraissait mieux adapté de prendre des gens déjà sur le terrain et de les former. Ainsi, les deux urgences se sont rencontrées.

Selon vous, qu’est-ce que le diacre apporte de singulier à la mission de l’Eglise?
D. B.: Comme toute action chrétienne part de l’Eucharistie et y revient, le diacre a pour mission d’apporter le labeur des hommes à l’autel. En ce sens c’est toujours lui qui devrait verser la goutte d’eau dans le vin pendant la préparation des offrandes, cette goutte d’eau qui symbolise le travail de chaque humain, ainsi relié à la divinité du Christ. Là réside selon moi le mystère essentiel de la vocation du diacre à l’autel, en complémentarité au prêtre qui, lui, offre le sacrifice.

«Le rôle de diacre n’est pas de faire,
mais de mettre en route de nouveaux services»

Dans mon engagement en Arménie en faveur du développement durable, j’accorde beaucoup d’importance au fait d’apporter à l’autel mon travail, celui de mon épouse et de mes collaborateurs, pour qu’il prenne sa pleine dimension.

Par ailleurs sur le terrain, le rôle de diacre n’est pas de faire, mais de mettre en route de nouveaux services, de créer de nouvelles diaconies, de nouveaux projets. Par exemple, dans un projet d’aide aux réfugiés, de susciter des volontaires. Inséré dans la pâte humaine le diacre peut avoir une parole adaptée au langage des gens qui vivent les mêmes choses que lui.

Quel bilan dresser 50 ans après la restauration du diaconat?
D.
B.: Depuis le 18 juin 1967 – date de publication du Motu proprio de Paul VI, Sacrum diaconatus ordinem – plus de 40’000 diacres ont été ordonnés dans le monde entier, de l’Europe à l’Asie, de l’Amérique du Sud à la Nouvelle Zélande. La dernière rencontre, organisée en octobre 2015 par le Comité International du diaconat à Rome, a souligné l’extrême diversité des formes d’engagement.

Par ailleurs, le diaconat permanent a certainement amené à repenser la question des ministères: d’un modèle très hiérarchique à un modèle plus collégial. On peut dire qu’il a «jeté un trouble salutaire dans les ministères» pour un renouveau de l’Eglise.

Les diacres sont beaucoup mieux acceptés par le peuple de Dieu, même si encore regardés avec suspicion par une partie des prêtres. Ils participent au renouveau de l’Eglise, mais le manque de prêtres fait qu’ils sont souvent récupérés par les tâches internes de la pastorale. Ils ne peuvent pas, faute de temps et d’énergie, se tourner vers le monde et être plus présents et créatifs dans leur milieu professionnel. L’essor du diaconat est quantitativement réjouissant. Mais il sera d’autant plus signifiant qu’il sera mieux intégré dans une conception ministérielle réellement collégiale de l’Eglise, au service du monde, d’après le texte conciliaire Lumen Gentium. (cath.ch/gr)

Lorsqu'ils ne sont pas en Arménie, Monique et Dario Bondolfi cultivent leurs roses, au chemin de la Rosière.
21 octobre 2016 | 08:30
par Grégory Roth
Temps de lecture: env. 9 min.
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Dossier: 50 ans de diaconat permanent

Chaque semaine jusqu’à fin octobre, retrouvez le portrait-témoignage de diacres qui ont marqué l’histoire du diaconat en Suisse romande.

> les entretiens

Le diaconat permanent en Suisse romande

Dans l’Eglise catholique, le diaconat permanent a soufflé ses 50 bougies. Disparue vers le Xe siècle, cette fonction de clerc a été restaurée au concile Vatican II (1962-1965). Comment ce ministère consacré aux plus démunis s’est-il installé en Suisse romande au bout d’un demi-siècle?

Tous les prêtres ont d’abord été diacres. «C’est pour qu’ils n’oublient jamais qu’ils ont d’abord été serviteurs», rappellent certains. Car «diacre» vient du grec «diakonos» qui signifie «serviteur». Par opposition au diacre ordonné en vue de la prêtrise, le diacre permanent, comme son nom l’indique, reste diacre à vie. Axé principalement sur les services de la charité, de la liturgie et de la Parole de Dieu, ce ministère est aussi ouvert aux hommes mariés.

Les contours du diaconat ne sont pas définis comme ceux de l’évêque et du prêtre. Certains diacres sont bénévoles et exercent une profession à plein temps. D’autres sont des théologiens et sont engagés entièrement dans l’Eglise. Certains assurent la lecture de l’Evangile et le service à l’autel, tandis que d’autres sillonnent les couloirs d’hôpitaux à l’écoute des patients. Certains sont mariés et ont une famille nombreuse, d’autres sont célibataires et vivent en communauté.

Pour mieux comprendre le rôle et la situation actuelle du diaconat en Suisse romande, plusieurs diacres permanents ont témoigné de leur expérience. Tous ordonnés depuis plus de dix ans et tous mariés, ils font part de leurs satisfactions et expriment également leur ressenti, face à la complexité de cette fonction en Eglise.