Jean Civelli a été ordonné en 1964, en plein Concile Vatican II | © Grégory Roth
Dossier

Abbé Jean Civelli: «Vatican II a remis en avant le sacerdoce commun»

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Ordonné en plein Concile Vatican II, l’abbé fribourgeois Jean Civelli (1938) revient sur son parcours de prêtre, 60 ans après. Son ‘sacerdoce’ a été marqué par la transition, entre une formation d’avant-concile et l’exercice pastoral d’après-concile.

Par Grégory Roth

Jean Civelli entre au séminaire en automne 1959. Le pape Jean XXIII vient d’annoncer le Concile, avec des premières réunions de commissions «anté-préparatoires». Ils étaient 70 séminaristes, sur les cinq volées en formation pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.

«Je sentais que certaines choses avaient déjà changées. Au début du 20e siècle, le pape Pie X avait permis aux enfants de pouvoir communier dès l’âge de 7 ans et souhaitait que l’assemblée puisse participer activement à la liturgie. Et c’est Pie XII qui a réformé la Semaine sainte, introduisant une veillée pascale le samedi soir, davantage communautaire. Et il a aussi supprimé l’obligation, en 1951, d’un jeûne absolu avant la communion, indiquant que l’eau naturelle ne rompait pas le jeûne. Avant cela, il était interdit de boire ne serait-ce qu’une gorgée d’eau après minuit sous peine d’être privé de communion le dimanche matin.»

«Malgré la réforme liturgique, tout était encore en latin»

Après avoir été ordonné le 28 juin 1964, à l’église St-Michel à Fribourg, par Mgr Charrière, le jeune prêtre est envoyé comme vicaire à Neuchâtel. «Bien que Vatican ait réformé la liturgie en 1962, tout était encore en latin. C’est à partir du 1er dimanche de Carême de 1965 que nous avons commencé à lire les textes bibliques en français, mais toute la prière eucharistique, le canon, était encore en latin.»

L’abbé Civelli évoque un exemple frappant, lorsque il est revenu suivre une année de théologie à l’Université de Fribourg, après cinq années de ministère à Neuchâtel. «Le professeur de dogmatique sur les sacrements nous avait dit qu’il ne parlerait pas du sacrement de mariage, car il était déjà étudié en cours de droit canonique. Et moi qui avais déjà préparé plusieurs mariages, je voyais ces séminaristes en dernière année qui allaient accompagner des couples de fiancés. Qu’allaient-ils bien pouvoir leur dire, à partir du droit canon?»

En autre exemple: «Je me vois encore en train d’accueillir des familles devant la porte de l’église à Neuchâtel pour le baptême de leurs enfants, et de dire à ces petits bébés qui étaient là: ‘Dieu ne vous aime encore pas’, parce que c’est ce que j’avais appris au séminaire!»

«On ne connaissait pas vraiment la Bible»

Le Fribourgeois constate que les prêtres ne connaissaient pas vraiment la Parole de Dieu. «Quand je suis arrivé à Neuchâtel, j’ai eu des contacts avec la compagnie des pasteurs, très influente. Je me suis rendu compte qu’eux connaissaient la Bible et nous, pas vraiment. Au séminaire, à côté des douze heures hebdomadaires de dogme et de morale durant cinq ans, nous n’avions que quatre heures de Bible par semaine sur quatre ans. Le choix des textes bibliques de l’ancien rite liturgique était extrêmement pauvre: très peu d’Ancien Testament, excepté les Psaumes.»

De son année d’étude à l’Institut catholique de Paris, en 1970, il garde un bon souvenir. «Je me rappelle particulièrement des conférences du théologien orthodoxe Olivier Clément. Il nous avait parlé du Saint-Esprit. Alors, j’ai commencé à revivre…! Dans la liturgie de saint Pie V, il n’y avait qu’une seule prière eucharistique, le canon romain. Pas une seule fois est mentionnée le mot ‘Saint Esprit’, à part dans la doxologie finale.»

«Jésus n’a pas célébré avec le missel de saint Pie V»

Selon le prêtre retraité, ce qui fait défaut aujourd’hui, c’est le manque de connaissances dans le domaine historique. «A en croire certains, Jésus aurait célébré le Jeudi saint avec ses disciples à l’aide du missel de saint Pie V… Je ne sais pas comment se passe la formation théologique de nos jours, mais quand j’étais au séminaire, nous avions quatre heures d’Histoire de l’Église par semaine sur trois ans. Notre professeur, qui était passionné et passionnant, pouvait passer plusieurs semaines à nous parler de la vie des saints, comme Thérèse d’Avila, mais au bout du compte, nous ne connaissions pas grand chose de l’Histoire de l’Église et son évolution.»

Jean Civelli reconnaît qu’au séminaire, personne ne comprenait déjà plus le latin. «Un jour, suite à la publication de la constitution apostolique de Jean XXIII Veterum Sapientia, en février 1962, sur l’importance du latin dans la formation et la communication, l’abbé Journet [futur cardinal, ndlr.] a décidé de nous enseigner en latin un cours habituellement donné en français. A la fin de l’heure, il a demandé s’il y avait des questions. Il n’y avait pas de question, mais personne n’avait rien compris. Et l’abbé Journet a compris. Il a laissé tomber le latin et a continué en français. Et nous n’avons plus jamais entendu parler de cette constitution du ‘bon pape’. Malgré cela, la liturgie continuait d’être en latin.»

Sacerdoce commun versus sacerdoce ministériel?

Le prêtre a apprécié que le Concile Vatican II remette en lumière le sacerdoce commun des fidèles, le sacerdoce baptismal. «Au séminaire cependant, nous parlions principalement du sacerdoce des prêtres, et non de celui des baptisés. Lorsque nous évoquions le sacerdoce commun, c’était pour préciser que le sacerdoce ministériel était supérieur. Avec une conception de ‘caste’, où les prêtres seuls pouvaient s’approcher du sacré, s’occuper de la liturgie et être des intermédiaires entre Dieu et les hommes. Et de leur côté, les fidèles continuaient à ne pas participer à la liturgie. Parce qu’ils ne comprenaient rien et qu’il fallait bien s’occuper, ils récitaient continuellement le chapelet et s’avançaient au moment de la communion avec leur chapelet dans les mains. Heureusement, le pape Paul VI a mis fin à cette pratique.»

Parce que les prêtres étaient considérés comme supérieurs, la formation des séminaristes les faisait vivre un peu comme des moines, explique Jean Civelli. «Nous avions la soutane et nous devions la porter tout le temps, même en-dehors du séminaire. On nous disait: si vous croisez votre mère ou votre sœur en ville, gardez vos distances et ne les embrassez pas. Sinon, que pourraient penser ceux qui vous voient en leur compagnie? Car ils ne savent pas que ce sont votre mère ou votre sœur.»

Les Pères conciliaires entre Trente et le 20e siècle

Le Concile précise, dans sa constitution dogmatique Lumen gentium, que «le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel, bien que différents dans leur essence et leur degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre. Il s’agit bien d’une différence fondamentale. Le Concile a privilégié le terme ‘presbyterat’ (prêtre) à celui de sacerdoce.»

«Je pense que les Pères conciliaires n’ont pas pu aller assez loin, par manque de recul ou de connaissances que nous avons acquises jusqu’à aujourd’hui. Quand on lit les textes conciliaires, on remarque qu’il y a un mélange de la conception de l’Église d’avant Vatican II, héritage du concile de Trente, et des recherches, qui existaient déjà d’ailleurs, ce qui fait qu’aujourd’hui, le Concile Vatican II n’a pas dit sont dernier mot. La réflexion doit continuer. Pour moi, il s’agit de faire sortir les prêtres de la caste sacerdotale, et j’espère que le Synode sur la synodalité le permettra.»

«Je vis cela avec un peu de peine, mais je garde espoir»

Malgré les diverses critiques émises sur sa formation, Jean Civelli reconnaît avoir eu beaucoup d’enthousiasme pendant le séminaire. «Maintenant, je suis âgé et ne peut pratiquement plus participer aux messes paroissiales. Mais ces dernières années, j’ai quand-même observé un changement, un retour en arrière, notamment dans l’attitude de certains jeunes prêtres. Je vis cela avec un peu de peine, – je ne veux pas dire ‘avec douleur’, parce que je suis quand-même en retrait –, mais je trouve que dans tout ce que nous avions vécu après Vatican II – ce nouvel élan, ce mouvement du Saint Esprit –, il y a quelque chose qui s’est un peu estompé, avec certains rigorismes, et c’est bien dommage. Cela étant, je garde espoir.» (cath.ch/gr)

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