Frère Adam, dans la station de fécondation qu'il a créée en 1925. Lande de Dartmoor, en Angleterre. (Photo: Abbaye de Buckfast/archive)
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Frère Adam, faiseur de reines

L’abeille Buckfast porte le nom de l’abbaye anglaise bénédictine d’où elle est issue. L’histoire de cette abeille est étroitement liée à celle de Frère Adam, un moine bénédictin qui développa durant 60 ans cette race, aujourd’hui présente dans le monde entier.

«Notre but final est de reproduire une abeille qui nous donnera une récolte moyenne constante maximale avec un minimum d’efforts et de temps de notre part». Ainsi Frère Adam définissait-il en 1952 l’abeille idéale qu’il voulait voir voler aux alentours du rucher de l’abbaye de Buckfast.

L’histoire pourtant commence mal, en 1919, lorsque Frère Adam prend la direction du rucher de cette abbaye sitée dans le Devon, au sud-ouest de l’Angleterre. L’acariose, une maladie apparue en 1905 sur l’Île de Wight, s’est répandue en Angleterre et fait des ravages parmis les abeilles noires anglaises. La race sera exterminée. Les ruches du monastère n’y échappent pas: en 1916, 30 des 46 colonies que compte l’abbaye sont décimées.

Le bénédictin de 21 ans ne se décourage pas et se lance dans son projet d’aboutir à la meilleure abeille possible pour les colonies de Buckfast. Contre toute attente, l’acariose et le sens de l’observation, vont lui permettre de sauver les colonies de l’abbaye.

Des reines étrangères

Au milieu du désastre provoqué par la maladie, Frère Adam remarque que des colonies ont résisté au fléau. Elles ont à leur tête une reine d’origine étrangère, ou une descendance directe. Le moine travaille à redresser la situation. Avec des reines importées, il opère des croisements pour faire évoluer ses colonies afin que les abeilles donnent plus de miel et qu’elles soient résistantes à l’acariose.

Jusqu’à l’arrivée du moine allemand, l’apiculture au monastère se focalisait sur la production de miel, utilisé principalement pour produire de l’hydromel. Pour tirer un meilleur parti, on avait acheté des reines italiennes. Leurs filles étaient accouplées avec des mâles peuplant les colonies du monastère. Le hasard plus que la science opérait. Ces abeilles métissées donnent néanmoins un meilleur rendement. Fin 1917, 100 colonies peuplent le rucher de l’abbaye.

Abeilles Buckfast entourant une reine, marquée en jaune, à droite. (Photo: Guy Rouiller)

La bonne abeille

Le destin s’en mêle en 1919, lorsqu’une reine italienne élevée à l’abbaye, accouplée à des descendants mâles d’abeilles anglaises, développe des qualités exceptionnelles de butineuse, et une bonne résistance à l’acariose. Ainsi naît la lignée de l’abeille Buckfast.

Frère Adam cherche, à travers l’enrichissement génétique de ses reines, à développer les caractéristiques d’une bonne abeille: un tempérament paisible, facile d’entretien et produisant beaucoup de miel. Un bon comportement hivernal et la résistance aux maladies sont des qualités recherchées. Ce dernier critère sera l’une des préoccupations majeures du responsable du rucher de Buckfast tout au long de ses recherches. Certains sont des échecs, comme la tentative avec des reines italiennes importées des Etats-Unis en 1924.

Une révolution

L’aventure prend une nouvelle tournure lorsque Frère Adam crée en 1925 une station de fécondation dans la lande de Dartmoor, proche du monastère. Elle est installée à 10 kilomètres de toute colonie d’où des mâles pourraient venir visiter la station et perturber la fécondation des reines. Le lieu permet ainsi de travailler en toute tranquillité avec les reines sélectionnées, tout en préservant le profil génétique de ses abeilles.

Cette station de fécondation va permettre en effet une avancée dans l’évolution de l’abeille Buckfast. Les reines obtenues ne sont pas sensibles à l’acariose et le rendement des ruches augmente. Frère Adam pratique le remérage: à chaque printemps, il introduit dans les colonies une reine élevée dans son laboratoire. Ces métisses sont plus vigoureuses, acceptées sans problème dans les ruches. Les moines de Buckfast évitent ainsi le traitement chimique contre les maladies. 320 ruches occupent les terres du monastère en juillet 1925.

Quête de la stabilité

Durant toutes ces années, deux activités vont occuper principalement Frère Adam. Le développement de la lignée originale, l’abeille Buckfast et des croisements expérimentaux de la Buckfast avec d’autres races. Sept années sont nécessaires pour confirmer la stabilité d’une nouvelle combinaison: c’est-à-dire que l’on trouve systématiquement les mêmes bonnes caractéristiques d’une génération à l’autre sans déperdition. Dès lors, les spécimens sont incorporés à la race du monastère. Le laborieux travail de Frère Adam va finir par payer.

De grands rendements

En 1949, Frère Adam note que 23 tonnes de miel sont extraites à la presse en 12 jours. Deux ans plus tard, le monastère affiche une récolte annuelle moyenne de 30 kg par ruche depuis 1920. Il faut néanmoins attendre 1950 et plusieurs incorporations de souches étrangères pour que la Buckfast du moine obtienne ses galons de «super» abeille. Il collabore avec des scientifiques américains et travaille à l’insémination instrumentale de ses reines.

Les voyages

Dès 1950 et pendant presque 30 ans, le moine apiculteur parcourt l’Europe occidentale et orientale et fait le tour du bassin méditerranéen. Il choisit lui-même, après une observation minutieuse, des reines susceptibles d’améliorer la race de l’abbaye anglaise. Il lui incorpore les qualités propres des candidates, selon la méthode patiemment mise au point durant les décennies précédentes.

Renommée internationale

Dans les années 1970, la notoriété de l’abeille et les recherches de Frère Adam dépassent finalement les frontières du Devon. Les Etats-Unis sont le premier pays à importer la Buckfast. Rapidement, l’Europe va suivre. L’abbaye de Buckfast exporte ses reines en France, en Suisse, aux Pays-Bas, en Suède et jusqu’en Australie. Le Myanmar (ex Birmanie) a également acquis des abeilles Buckfast. Des clubs, des associations ont vu le jour pour entretenir et développer encore cette race plutôt appréciée des apiculteurs.

Inspiré des travaux sur la génétique de Mendel, Frère Adam a inventé la première abeille sélectionnée. Son héritage scientifique dans le domaine apicole est reconnu dans le monde entier.


Un moine chercheur

Karl Kehrlé est né le 3 août 1898 à Mittelbiberach, dans le sud de l’Allemagne. Il arrive à l’âge de 11 ans à l’abbaye bénédictine de Buckfast. Il s’engage dans la vie monastique et prend le nom de Frère Adam. Pour raison de santé, il est affecté au poste d’assistant du Frère responsable du rucher. En septembre 1919, il est nommé responsable des ruches de l’abbaye. Il commence ses recherches à partir de l’abeille «souche» de la lignée Buckfast. Suivront 60 ans de travaux, de recherches dont 20 années passées à voyager dans le but d’améliorer la race Buckfast.

 

Frère Adam en 1918 à l’abbaye bénédictine de Buckfast. (Photo: Abbaye de Buckfast)

Des travaux de renommée internationale

En 1971, il devient l’un des Vice-Présidents de l’Association internationale de recherche sur le miel (IBRA – l’International Bee Research Association). Il est l’un des manipulateurs les plus connus au monde.

Nommé officier dans l’Ordre de l’Empire britannique (OBE – Officer of the Most Excellent Order of the British Empire) en 1973, Frère Adam reçoit en mai 1974 l’Ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne.

Aux décorations s’ajoute la reconnaissance de son travail par les milieux scientifiques universitaires. Le 2 octobre 1987, il est nommé Docteur honoris causa de la faculté agronomique de l’Université d’Uppsala, en Suède. Il reçoit la même distinction en 1989, à l’université d’Exeter, dans le Devon.

En 1992, le nouvel abbé de l’Abbaye le contraint à la démission: il lui refuse la nomination d’un assistant technique. A 94 ans, blessé par ce fait, il retourne dans sa ville natale avant de revenir à l’abbaye, où il est désormais le doyen. A la retraite, il se retire dans la solitude. Il décède en 1996, à l’âge de 98 ans. Il reste à ce jour une grande figure de l’histoire apicole moderne. (cath.ch/bh – Sources: L’abeille Buckfast en Question(s), de R. Zimmer, Buckfast Avler Gruppen, A. K. Stigen, American Bee Journal, E. Österlund et Guy Rouiller)

Frère Adam, dans la station de fécondation qu'il a créée en 1925. Lande de Dartmoor, en Angleterre.
22 août 2017 | 11:38
par Bernard Hallet
Temps de lecture: env. 5 min.
Abbaye (29), Abeilles (1), Angleterre (44), Bénédictins (26), moine (4)
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De tout temps l’animal a eu une place importante dans la vie des hommes, comme source de nourriture, force de travail, gardien ou compagnon. Toutes les religions lui accordent une place singulière. Les rapports entre la divinité, l’homme et l’animal sont souvent complexes parfois conflictuels. cath.ch, en collaboration avec kath.ch, vous propose durant tout l’été une série d’enquêtes et de reportages sur le thème ›animaux et religions’. Cette petite balade hebdomadaire vous conduira des sacrifices d’animaux de la Bible aux véganes, en passant par les cimetières d’animaux.


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