Jean-Claude Huot, à la Pastorale œcuménique dans le monde du travail (VD), dont il fut aumônier de septembre 2013 à  février 2024 | © Lucienne Bittar
Suisse

J-Cl. Huot, une vie de travail et de foi sur un même fil rouge

À la lecture du CV de Jean-Claude Huot, aucun doute n’est permis. Ce Neuchâtelois de 65 ans, établi dans le canton de Vaud, a voué sa vie à la défense des plus fragilisés et à la promotion de la justice. Le terreau de son engagement, il l’a trouvé dans l’Évangile, et son terrain d’action, dans l’Église des périphéries. Entretien.

Jean-Claude Huot a consacré la quasi totalité de sa carrière professionnelle au service de l’Église et de la solidarité. Dans sa sacoche s’entremêlent la Commission Justice et Paix, la Déclaration de Berne (aujourd’hui Public Eye), Action de Carême et son travail d’aumônier à la Pastorale œcuménique dans le monde du travail. cath.ch l’a rencontré fin janvier à l’occasion de son départ à la retraite.

Vous avez été durant dix ans aumônier à la Pastorale œcuménique dans le monde du travail (PMT). Vous êtes bien placé pour connaître la valeur sociale attachée à l’identité professionnelle. Comment vivez-vous le passage de la retraite?
Jean-Claude Huot : Avec émotion. Une page se tourne vers une nouvelle étape de vie. Je quitte des gens, mes collègues, tout un réseau, et des personnes que j’ai accompagnées parfois sur une longue durée. J’ai pris le temps de prendre congé de celles-ci, pour leur permettre de prendre acte que je ne serai plus là dorénavant et pour laisser le champ libre à Sandra Forestier, ma successeure [depuis le 15 février 2024: ndr].

Jean-Claude Huot, janvier 2024 | © Lucienne Bittar

Cela change aussi mon statut social, c’est vrai. Je n’ai plus la même légitimité pour m’exprimer sur la scène publique. Ce n’est pas anodin, il faut s’y préparer. J’avais pu le constater lors d’animations de groupes avec des gens qui le vivaient.

Vous soulignez le rôle du travail en tant que générateur de lien social. Ne pas en avoir, c’est s’exposer à plus de solitude?
Pour certains, très certainement. Beaucoup de personnes migrantes font appel à la PMT. Elles ont souvent un fort désir de contribuer à la vie de ce pays qui les a accueillies. En plus, le travail est pour elles un important élément d’intégration. Elles œuvrent souvent dans le nettoyage ou la santé et, paradoxalement, cela peut être leur seul lien social, parce qu’elles ne se sentent pas nécessairement à l’aise dans leur communauté d’origine. Quand elles perdent leur travail, elles se retrouvent donc très isolées.

Ce qui m’a aussi touché dans le cadre de la PMT, c’est de voir comment les personnes éjectées du monde du travail, qui se retrouvent au chômage ou à l’aide sociale, accusent une énorme perte de confiance. Il faut voir l’image sociale à laquelle renvoie l’absence durable d’un emploi! L’exercice du CV permet de mettre en valeur leurs compétences transversales, leurs savoirs-être, et de les aider à retrouver une image positive d’elles-mêmes.

Je me souviens d’une personne qui me disait: «Je ne vaux rien, je ne sais rien faire.» En creusant ensemble son parcours, on a découvert qu’elle était proche aidante et qu’elle assumait un tas d’engagements bénévoles. Seulement, elle n’avait ni statut social ni salaire. Cette absence de reconnaissance de la société par un salaire peut être très douloureuse.

Il faudrait donc casser la compréhension courante que l’on a du couple «travail et dignité», porté notamment par l’enseignement social de l’Église, qui peut conduire à des biais réducteurs et culpabilisant?
Il faut surtout élargir ce qu’on met sous le mot «travail»! Quand l’Église parle de travail, elle entend une contribution au bien commun, à la vie en société. Elle lance un appel à développer ses propres talents, à être participant à la création. Cette participation à la création, cette contribution à la société se font de mille manières. Le travail rémunéré en est une, mais n’est peut-être pas la plus essentielle.

Notre société, qui se veut productrice et consommatrice, repose en réalité sur tout un travail de renouvellement de la vie, d’éducation, de soin des personnes. Or ces services ne sont pas rémunérés et sont ignorés par le produit national brut. En Suisse, selon l’Office fédéral de la statistique, il y a plus d’heures travaillées non rémunérées, surtout domestiques, que rémunérées. Dans les pays à forte densité d’agriculture vivrière, c’est encore plus flagrant. Il est donc important, tant en Église que dans le monde associatif, de faire des attestations de bénévolat, comme on fait des certificats de travail, pour valoriser ce travail invisible.

La Pastorale du monde du travail à la Nuit des Églises 2022, Jean-Claude Huot et Florence Delachaux | © Service communication ECVD

Votre travail d’aumônier à la PMT s’accompagnait-t-il d’une visée spirituelle?
C’était surtout «être avec», être présent avec bienveillance à l’autre, pour transmettre le regard que Dieu porte sur les humains. Une autre dimension s’y rajoutait parfois via mon attachement à la dimension communautaire et universelle de l’Église catholique, à sa pluralité interne. J’ai souvent confié une personne qui venait me voir, avec son accord, aux prières d’une communauté religieuse, par exemple les sœurs du Carmel, la fraternité œcuménique de Romainmôtier ou les cisterciens d’Hauterive. C’est ça aussi qui forme l’Église. La pastorale du travail, ce n’est pas juste un service spécialisée de l’Église! Chacun peut y participer, la porter, par le biais de la prière.

Vous avez fait toute votre carrière dans des organismes d’Église tournés vers les questions de communication et de justice sociale, notamment la Commission Justice et Paix. Regrettez-vous le fait que celle-ci se fasse moins entendre que par le passé lors des votations?
Évidemment! Tant à Justice et Paix qu’à la Déclaration de Berne, j’ai pu toucher du doigt à quel point l’enseignement social de l’Église est un repère utile quand il y a des crises politiques et des réflexions d’éthique sociale à mener. Quand il s’agit aussi de plaider pour plus de justice sociale, pour une économie orientée vers le service de l’humain, etc. Mais les temps de travail à Justice et Paix ont été réduits après mon départ (2002) et la voix politique des évêques se fait moins entendre. Peut-être que la création d’un service «Ethique et société», annoncée en novembre 2023 par la Conférence des évêques, va renverser la tendance…

Avez-vous eu l’occasion d’exprimer des prises de positions publiques, sociales ou politiques, à travers votre travail à la Pastorale dans le monde du travail?
Peu de choses à vrai dire. Il y a eu bien eu le débat autour du travail du dimanche, contre lequel nous nous nous opposions, à l’instar de la Conférence des évêques suisses et de la Fédération des Églises protestantes. D’autres moments ont permis de jouer les charnières entre la vie d’ici et les conditions de travail à l’étranger, comme lors d’une conférence donnée par une syndicaliste de Hong-Kong, coorganisée avec la Campagne de Carême.

Les enjeux de nos politiques dépassent souvent la Suisse, et inversement. À la Déclaration de Berne et à Justice et Paix, on a établi des dossiers sur les effets de la politique du FMI et de la Banque mondiale en termes d’endettement des pays les plus pauvres. Les retombées concrètes de ces politiques se voient aussi chez nous, avec l’arrivée de migrants. J’ai rencontré en Suisse des victimes de la traite des humains, exploitées dans le cadre de la prostitution ou de la construction.

La permanence de la PMT est-elle utile dans ces cas-là aussi?
De manière générale, il est important que les gens connaissent leur droits, qu’ils soient outillés pour les défendre. Quand je travaillais à Action de Carême, je voyais tout l’enjeu que cela représentait pour des paysans aux Philippines, au Guatemala ou au Congo, que ce soit en termes d’accès à la terre, à l’eau, à l’éducation. En travaillant ensuite à la pastorale, j’ai découvert combien ça l’était aussi en Suisse. Il y a des conventions collectives, des législations en matière du travail. Il faut comprendre l’AVS, savoir qu’on a accès à un congé maternité ou des allocations familiales. Même quand on travaille au noir, on a des droits à faire valoir!

De la Commission Justice et Paix à la Pastorale dans le monde du travail, en passant par Action de Carême, il y a une belle cohérence. Le fait que vous ayez grandi au Locle, un bastion du prolétariat de Suisse romande, a-t-il eu une influence sur votre parcours?
Mes parents n’étaient pas vraiment de gauche, mais c’est vrai que les Montagnes neuchâteloises, ce n’est pas rien comme terreau! L’œcuménisme y était en outre très vivant. Durant ma jeunesse, prêtres et pasteurs travaillaient ensemble. C’était un peu l’âge d’or d’après Vatican II. J’ai été imprégné par cette dynamique. Mais surtout, j’ai été formé à la JEC, la Jeunesse étudiante chrétienne. Je me souviens d’une soirée d’information où je me suis rendue. Nous n’étions que trois jeunes, et trois prêtres catholiques ont débarqué, Jean-Pierre Caloz, Cyril Perrin et Nicolas Desboeufs. La JEC est devenue la matrice de ma vie de foi et de ma vie professionnelle.

On ne peut pas vivre sa foi dans une relation à Dieu seul. C’est là, pour moi, l’élément central de la foi chrétienne. Croire en un Dieu qui a été assez dingue pour naître dans une étable, dans un petit coin du monde, et qui est mort comme un vaurien sur une croix! En un Christ qui a accueilli les démunis, qui a fustigé les pouvoirs en place de l’époque, des pouvoirs qui étaient fortement incarnés dans les pouvoirs religieux!

Cette tenture de la Campagne de Carême 1992, autour des 500 ans de la «découverte» de l’Amérique, n’a jamais quitté le bureau de Jean-Claude Huot | © Lucienne Bittar

La foi est un combat?
Oui, quelque part, car l’Évangile est fondamentalement subversif et dénonce toute domination et lien de pouvoir de l’homme sur l’homme. Mais c’est un combat non-violent, où la fin ne justifie jamais les moyens. On n’échappe pas au conflit, mais il faut savoir le gérer dans le respect de l’autre. Je me souviens d’un séjour en Haïti avec Justice et Paix, à l’époque où de nombreux Haïtiens attendaient avec espérance le retour du président Aristide. Ce qui m’a frappé, c’est qu’ils semblaient tout miser sur lui et qu’ils devaient encore découvrir la nécessité d’ouvrir le dialogue avec les opposants politiques.

Avez-vous pensé à devenir prêtre?
Cela m’a traversé la tête, et j’ai été une ou deux fois aux rencontres du Centre romand des vocations. Mais ce n’était pas assez incarné, pas assez concret pour moi. L’Eucharistie trouve son authenticité dans le partage fraternel et l’accueil des plus démunis. (cath.ch/lb)

La pastorale dans le monde du travail
L’histoire de la pastorale dans le monde du travail romande est enracinée dans celles de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et de l’Action catholique ouvrière (AOC), et de leurs aumôniers comme Guy Oberson. La Conférence des Ordinaires romands a supprimé au cours de ces dix dernières années sa représentation en Valais, puis au Jura, puis sa coordination romande. Seul le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg est concerné aujourd’hui.
Dans le canton de Vaud, ce service d’écoute et d’accompagnement personnel est assuré conjointement par les Églises protestante et catholique. Il est ouvert à toute personne éprouvant des difficultés dans le cadre de son travail (sens du travail, relations humaines, épuisement, etc.), sans distinction de religion ou de milieu socio-professionnel. Depuis un an, un aumônier catholique et un pasteur assurent aussi une permanence à l’attention des demandeurs d’emploi au Point d’Appui à Lausanne, une autre mission commune aux Églises du canton auprès des migrants. LB

Jean-Claude Huot, à la Pastorale œcuménique dans le monde du travail (VD), dont il fut aumônier de septembre 2013 à février 2024 | © Lucienne Bittar
9 février 2024 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture: env. 8 min.
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