Mgr Erwin Kraütler, évêque de la prélature territoriale de Xingu (Brésil), espère que le Synode sur la synodalité débouchera sur des réformes majeures | © Jean-Claude Gerez
Dossier

L’Instrumentum laboris éveille différentes sortes de scepticismes

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Suite à la publication de l’Instrumentum laboris (le document de travail) du Synode sur la synodalité, le 20 juin 2023, des inquiétudes diverses se font entendre sur les résultats de l’assemblée des évêques d’octobre prochain. Si certains ont peur qu’il ne débouche sur aucune réforme majeure, d’autre craignent des menaces pour le dépôt de la foi.

Quelle place pour les femmes, les laïcs, les LGBT, dans l’Eglise? Comment repenser l’autorité, le rapport entre l’universel et le particulier? Autant de questions cruciales pour l’Eglise abordées par l’Instrumentum laboris (IL) du Synode, rendu public le 20 juin 2023.

Le document a déjà provoqué diverses réactions au sein de l’Eglise du monde entier. Certains craignent tout d’abord que la montagne n’accouche que d’une souris. C’est le cas de Mgr Erwin Kraütler, évêque autrichien officiant au Brésil, connu comme un fervent partisan de réformes profondes. L’évêque de Xingu, au nord-est du Brésil, avait été l’une des chevilles ouvrières du Synode sur l’Amazonie, en 2019.

«Il me semble que la seule différence entre le Synode mondial en cours et le Synode panamazonien est qu’il s’agit maintenant d’un sondage mondial et que les thèmes abordés seront justement discutés et des propositions faites dans tous les diocèses du monde», écrit Mgr Kräutler dans une interview au journal allemand Herder Korrespondenz (21 juin 2023), relayé par le site katholisch.de.

L’espoir ruiné des ‘viri probati’

L’évêque autrichien avait en effet mis dans ce synode de grands espoirs, notamment en permettant à des hommes mariés (les ‘viri probati’), d’accéder à la prêtrise. Mais cette proposition inscrite dans l’Instrumentum laboris (document de travail) du synode de 2019 n’avait pas été reprise dans l’exhortation apostolique du pape François qui a suivi (Querida Amazonia, 2020).

Mgr Kraütler a ainsi du mal à croire que le pape François, à 86 ans, ait encore le courage d’abolir le célibat obligatoire. Selon l’évêque de Xingu, la seule avancée que le Synode sur la synodalité pourrait mettre en place est le diaconat féminin. «Avec le Synode sur l’Amazonie, une grande chance a été manquée de satisfaire ces deux exigences (le diaconat féminin et la suppression du célibat obligatoire, ndlr), au moins ad experimentum pour l’Amazonie, assure le prélat. Si cela avait été fait, il y aurait eu une condition préalable lors du synode mondial pour réfléchir au niveau mondial à l’évaluation des expériences en Amazonie et autoriser ensuite les mêmes réformes pour des régions avec un contexte similaire».

«Même à notre époque, l’Esprit de Dieu ne cessera pas de montrer de nouvelles voies»

Erwin Kraütler

Mgr Kraütler se demande encore aujourd’hui pourquoi François a refusé d’approuver les propositions pour l’Amazonie, pourtant adoptées à plus d’une majorité des deux tiers par le synode. «Pourquoi a-t-il convoqué un synode panamazonien en tant que forum pour chercher ‘de nouvelles voies pour l’Eglise’ et a-t-il ensuite subitement mis un frein à cette démarche?».

L’Amazonien d’adoption ne veut toutefois pas abandonner ses espoirs de changement. «Même à notre époque, l’Esprit de Dieu ne cessera pas de montrer de nouvelles voies. Ce n’est certainement pas encore la fin du monde.»

Signe des temps ou signe du monde?

L’Instrumentum laboris suscite d’autres types de questionnements dans les cercles plus conservateurs. «Je me méfie aussi beaucoup d’une sorte de compréhension rampante du plus petit dénominateur commun de l’Église et de sa mission», relève ainsi Stephen White, fondateur et directeur exécutif du Projet catholique à l’Université catholique d’Amérique (washington DC). «J’espère que le synode aidera l’Église à devenir davantage ce qu’elle est déjà – un signe et un instrument de salut – plutôt que de la conduire à essayer d’être ce que le monde attend d’elle», poursuit le laïc américain dans le journal National Catholic Register.

La méthode de discernement elle-même suscite quelques interrogations. Si l’IL, selon Sœur Sara Butler, explique comment les participants seront invités à partager leur expérience, il ne dit pas comment la méthode de discernement sera soumise à la «Parole de Dieu». «Les fiches de travail ne précisent pas de quoi il s’agit et ne suggèrent pas de ‘textes’ pour encadrer les questions», note la religieuse, professeure émérite de théologie dogmatique à l’Université Sainte-Marie-du-Lac de Mundelein (Illinois).

«Le document est très préoccupé par la façon dont les gens se sentent, sont amenés à se sentir ou aimeraient se sentir»

Stephen White

«Il est clair que l’appel à la ‘Parole de Dieu’ scripturaire n’a pas empêché les chrétiens d’autres communautés ecclésiales de souffrir de graves divisions au sein de leurs assemblées synodales. Aux États-Unis, nous avons vu comment leurs réunions ont abouti à de multiples divisions concrètes, par exemple sur la question de l’admission des femmes dans le ministère ordonné et de la bénédiction des ‘mariages’ homosexuels, malgré leurs engagements répétés de ‘marcher ensemble’. En tant que catholiques, nous nous en remettons au Magistère pour interpréter la foi apostolique, ce qui implique son jugement autorisé sur de telles questions».

Juste des «réunions de baby-boomers»?

Des questions surgissent quant au sens même de la «synodalité». «La synodalité peut être essentielle à la vie de l’Église si nous voulons vivre l’appel universel à la sainteté et l’expérience universelle du service, du culte et du témoignage», affirme Terence Sweeney dans le National Catholic Register. Mais «s’il s’agit d’un plus grand nombre de comités, de réunions et de rassemblements de baby-boomers qui parlent ‘d’être l’Église’, je pense qu’il (le Synode, ndlr) échouera», avertit le théologien au Collegium Institute de l’Université de Pennsylvanie.

Stephen White regrette que le texte fasse «peu mention du salut ou de la rédemption et aucune mention du péché». Pour le laïc, «le document est très préoccupé par la façon dont les gens se sentent, sont amenés à se sentir ou aimeraient se sentir. On parle beaucoup de ‘dynamisme’, de ‘discernement’, etc. — ce qui est très bien, dans la mesure où tout se passe correctement — mais c’est une chose d’affirmer des qualités aussi excellentes et une autre de les démontrer».

Vatican II (1962-1965) semble toutefois rassembler les sensibilités en tant que modèle d’assemblée. Dans le Herder Korrespondenz, Mgr Kraütler rappelle que le Concile est devenu «malgré toutes les prédictions de la curie romaine, l’événement ecclésial le plus décisif du XXe siècle, qui a donné un nouveau visage à l’Église».

«L’intelligence de Vatican II a été de donner des orientations sur la manière de vivre cette mission, assure ainsi Terrence Sweeney, de sorte que tous les catholiques soient censés vivre la foi avec une participation pleine, active et consciente. Si le synode s’inscrit dans cette perspective, il peut contribuer à dynamiser l’Église». (cath.ch/katholisch/omnes/ncr/rz)

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Mgr Erwin Kraütler, évêque de la prélature territoriale de Xingu (Brésil), espère que le Synode sur la synodalité débouchera sur des réformes majeures | © Jean-Claude Gerez
26 juin 2023 | 17:44
par Raphaël Zbinden

Le rapport à l’autorité, la place des femmes ou l’intégration des minorités dans l’Église comptent parmi les sujets les plus saillants de l’Instrumentum laboris en vue du Synode sur l’avenir de l’Eglise du mois d’octobre 2023. Ce document d’une cinquantaine de pages et 130 questions a été rendu public le 20 juin 2023.

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