Le cardinal Mc Carrick entre le président George W. Bush, et  John Roberts, président de la Cour suprême des Etats-Unis, en octobre 2005, à Washington | © AP Pablo Martinez Monsivais
Dossier

McCarrick: Un prédateur se cachait derrière le prélat bien en cour 2/3

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Publié par le Vatican le 10 novembre 2020, le rapport McCarrick illustre de manière exemplaire les défaillances de l’Eglise catholique dans le traitement des cas d’abus sexuels. Aucun des responsables d’Eglise, aux Etats-Unis et à Rome, jusqu’aux papes Jean Paul II, Benoît XVI et François n’a su ou voulu voir le ‘prédateur sexuel’ qui se cachait derrière le prélat bien en cour, devenu archevêque et cardinal.

Le deuxième épisode de la chronologie établie par la Catholic News Agency (CNA) revient sur les années 1997 -2006  au moment où McCarrick devient archevêque de Washington et cardinal.

Pressenti pour le siège de New York ou de Washington DC

Juin-juillet 1999: Le pape Jean Paul II dit au cardinal O’Connor qu’il envisage de nommer McCarrick dans l’archidiocèse de New York. O’Connor informe le nonce aux Etats-Unis Mgr Gabriel Montalvo qu’il juge que McCarrick ne devrait pas être élevé à New York en raison de problèmes moraux. Le nonce demande au cardinal de mettre ses préoccupations par écrit.

En octobre, il envoie son rapport au cardinal Lucas Moreira Neves, préfet de la Congrégation pour les évêques à Rome. Sur la base des recommandations des évêques et des cardinaux américains, Mgr Montalvo recommande McCarrick pour le poste et note qu’il serait un «membre digne» du collège des cardinaux. Il ajoute que McCarrick a été accusé d’»affections mal placées», mais que cela ne reposait pas sur des preuves.

28 octobre 1999: Après un retard dû au traitement de son cancer, le cardinal O’Connor écrit à Mgr Montalvo pour lui faire part de ses inquiétudes. Il déclare que le clergé de Newark sait que McCarrick partage souvent son lit avec des hommes, y compris des prêtres et des séminaristes.

Mgr Montalvo transmet la lettre à la Congrégation pour les évêques et à la Secrétairerie d’État. L’archevêque Re, alors suppléant de la Secrétairerie d’État, en informe le pape Jean Paul II. À la demande du pape, Re consulte l’ancien nonce Mgr Cacciavillan qui jette un sérieux doute sur les préoccupations du cardinal O’Connors, en disant que ces incidents ne sont que des rumeurs. Il ajoute que McCarrick n’a pas eu la possibilité de se défendre.

22 novembre 1999: Mgr Re écrit au nonce Montalvo, lui demandant d’examiner les plaintes contre McCarrick. En février 2000, le cardinal Neves estime que sur la base des accusations contre McCarrick, ainsi que de son âge (presque 70 ans), il ne devrait pas être transféré dans un autre diocèse.

Le sanctuaire national de l?immaculée Concpetion à Washington DC dont McCarrick est l’archevêque de 2000 à 2006 | wikimedia commons AgnosticPreachersKid CC BY-SA 3.0

Des conclusions favorables malgré les doutes

Mai – juin 2000: Après la mort du cardinal O’Connor, Mgr Montalvo enquête sur les accusations portées contre McCarrick. Il demande leurs avis à quatre évêques. Mgr Vincent D. Breen (diocèse de Metuchen, 1997-2000), répond qu’il a entendu des rumeurs d’activités illicites avec des jeunes hommes mais qu’il n’a aucun moyen de les prouver.

Mgr Edward T. Hughes (diocèse de Metuchen, 1987-1997) indique ne pas disposer d’informations factuelles concernant les faiblesses morales de McCarrick. Il note que deux prêtres qui ont porté des accusations, l’ont fait en admettant leur propre échec moral et ont peut-être tenté de justifier leurs actions. Il recommande de ne pas promouvoir McCarrick, mais aussi de ne pas prendre de mesures disciplinaires.

Mgr John M. Smith (diocèse de Trenton, 1997-2010) rapporte que McCarrick recevait parfois la visite de ses «neveux» de New York, et qu’ils passaient la nuit chez lui, mais qu’ils n’ont jamais indiqué le lendemain matin qu’ils étaient contrariés ou qu’il s’était passé quelque chose d’inapproprié. Il se déclare choqué que des personnes accusent McCarrick de graves méfaits.

21 juin 2000: Le nonce envoie ses conclusions à Rome. Son enquête a révélé que les accusations contre McCarrick «ne sont ni définitivement prouvées ni complètement infondées». Sur cette base, il déclare qu’il serait «imprudent» de considérer McCarrick pour tout type de promotion. Mgr Re et le pape Jean Paul II concluent alors dans le même sens.

6 août 2000: McCarrick écrit à Mgr Stanisław Dziwisz, secrétaire de Jean-Paul II, réfutant les accusations portées contre lui. Il jure n’avoir jamais abusé une autre personne ni l’avoir traitée avec irrespect. Dziwisz remet la lettre au pape. Pour Mgr Re, ce message a convaincu Jean Paul II de l’innocence de McCarrick.

Le pape Jean Paul II en prière | © Vatican Media

20 septembre 2000: La congrégation des évêques écrit au nonce Cacciavillan pour demander que McCarrick soit reconsidéré pour l’archevêché de Washington.

Octobre 2000: McCarrick se rend à Rome pour une audience privée avec Jean-Paul II et Mgr Dziwisz. Mais cette rencontre n’a fait l’objet d’aucun protocole.

24 novembre 2000: le pape nomme McCarrick archevêque de Washington.

Le dominicain Boniface Ramsey, au courant des rumeurs selon lesquelles McCarrick partageait son lit avec des séminaristes écrit au nonce Montalvo. Mais il refuse de nommer des séminaristes spécifiques. Au début 2001, le nonce reçoit une note anonyme l’avertissant d’un grave scandale si McCarrick est fait cardinal. Il transmet la lettre du Père Ramsey et le message anonyme au secrétaire d’État, le cardinal Angelo Sodano, qui a transmis les lettres au pape Jean-Paul II. Le pape les a rendues à Sodano, qui écrit cette note : «Nihil dicens», ou «rien à dire».

3 janvier 2001: Mgr McCarrick est installé comme archevêque de Washington et fait cardinal le 21 février. 

Le cardinal McCarrick

2000 – 2006: McCarrick poursuit un travail important au sein de nombreux comités nationaux et internationaux de la Conférence épiscopale américaine. Il joue un rôle de premier plan dans l’élaboration de nouvelles politiques de lutte contre les abus sexuels sur mineurs. Il est également nommé à de nombreux postes au sein des conseils du Vatican.

Son poste à Washington lui permet de rencontrer régulièrement des responsables du gouvernement fédéral, dont le président George W. Bush. Après les attentats du 11 septembre 2001, il joue un rôle de premier plan dans la résolution de la crise.

15 novembre 2001: le cardinal Hickey, archevêque émérite de Washington, reçoit une lettre d’un laïc catholique concernant les «méfaits» d’un évêque, mais sans nommer McCarrick. L’évêque William Lori qui reçoit ce dénonciateur rapporte que l’homme ne se souvenait d’aucun détail spécifique des méfaits de McCarrick. Finalement il rejette l’allégation comme «ouï-dire». 

Janvier 2002: Le Boston Globe publie une série d’articles sur les abus sexuels d’enfants par des prêtres américains. Un scandale majeur éclate aux États-Unis. En mars un laïc écrit au nonce pour dénoncer le comportement «sexuellement inapproprié» de McCarrick à la maison de la plage. L’archevêque de Newark, Mgr John Myers, répond plus tard qu’il ne reconnait pas le nom du diacre mentionné. Il ajoute avoir reçu d’autres accusations anonymes contre McCarrick, mais qu’il s’agit de rumeurs intraçables et non d’incidents concrets. Aucune autre action ou enquête n’est entreprise.

McCarrick interrogé par les médias sur la crise des abus sexuels, y compris les allégations portées contre lui, déclare aux journalistes que les accusations sont anonymes et qu’il n’avait jamais eu de relations sexuelles avec quiconque dans sa vie. 

Spotlight raconte l’enquête des journalistes du quotidien américain Boston Globe qui ont révélé en 2002, les cas de pédophilie commis par des prêtres. (photo service de presse)

15 novembre 2004: L’évêque Donald Wuerl du diocèse de Pittsburgh transmet à Montalvo une déclaration d’un prêtre qui dénonce un comportement «problématique» et «extrêmement inapproprié» mais n’accuse pas ouvertement McCarrick d’abus sexuel. En février 2005, l’archevêque de Newark Mgr Myers a écrit au nonce pour l’avertir que le comportement de McCarrick pourrait constituer un abus. Il n’existe aucune trace que Mgr Montalvo ait contacté le Vatican à ce sujet.

Avril 2005: McCarrick se rend à Rome après la mort du pape Jean-Paul II et participe au conclave qui élit le pape Benoît XVI.

Juin 2005: Un accord est conclu entre un prêtre et le diocèse de Metuchen pour un montant de 80’000 dollars. Aucune poursuite n’est intentée, car McCarrick n’est pas nommé dans l’accord, qui couvrait également les accusations d’abus d’un professeur de lycée du diocèse. McCarrick a envoyé 10’000 dollars au diocèse, apparemment dans le cadre de cet accord. Rien n’indique que le nonce ou le Vatican aient eu connaissance de ce règlement.

Fin juin 2005: Dans le cadre d’un recours contre la suspension d’un prêtre, des informations sur les cas d’abus de McCarrick subis par le prêtre sont envoyés à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à Rome.

Poussé à la démission

22 juin 2005: A la veille de son 75e anniversaire, McCarrick remet sa démission en tant qu’archevêque de Washington, comme le veut le droit canonique. Mais le cardinal Re, après avoir consulté le pape Benoît XVI, prolonge de deux ans son mandat à Washington.

5 novembre 2005: Le pape Benoît XVI annule la décision de prolonger le mandat de McCarrick, sur la base d’accusations crédibles, probablement obtenues par Mgr William Levada, nouveau préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le cardinal Re, préfet de la Congrégation pour les évêques convoque McCarrick à Rome pour venir s’expliquer.

5 décembre 2005: Re rencontre McCarrick à Rome. Celui-ci admet avoir partagé son lit avec des séminaristes mais affirme que rien de sexuel n’a jamais eu lieu, même pas des actes «incomplets». Il accepte de repousser sa démission à Pâques 2006, mais demande que cela ne soit pas considéré comme une «punition».

17 janvier 2006: McCarrick rencontre à nouveau Re à Rome. Il continuer de nier vigoureusement n’avoir jamais eu de contact inapproprié avec qui que ce soit, le jurant sur son serment d’évêque.

16 mai 2006: le pape Benoît XVI accepte la démission de McCarrick en tant qu’archevêque de Washington. Mgr Donald W. Wuerl est choisi pour lui succéder.  (cath.ch/cna/mp)

Le 3e épisode reviendra sur les années 2006 -2019

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Le cardinal Mc Carrick entre le président George W. Bush, et John Roberts, président de la Cour suprême des Etats-Unis, en octobre 2005, à Washington | © AP Pablo Martinez Monsivais
26 novembre 2020 | 10:00
par Maurice Page

Le rapport McCarrick

Le Vatican a rendu public le 10 novembre 2020 le «Rapport sur la connaissance institutionnelle et le processus décisionnaire du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal Theodore Edgar McCarrick (1930-2017)». Selon la demande du pape François en 2018, il s'agissait de faire la lumière sur la manière dont l’ex-cardinal McCarrick a pu gravir les échelons dans l’Eglise catholique, sans jamais être inquiété, malgré les nombreux abus sexuels qu'il a commis au cours de sa carrière.

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