Le pape François a célébré une messe de la réconciliation en présence de nombreux autochtones du Canada, le 28 juillet 2022, à Québec | © AP Photo/John Locher/Keystone
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Québec: une messe marquée par les blessures des autochtones

La messe de la réconciliation, célébrée par le pape le 28 juillet 2022 au sanctuaire Sainte-Anne-de-Beaupré au Québec, était résolument tournée vers les autochtones. Alors que 70% des places étaient réservées à leurs organisations, nombre d’entre eux, que l’agence I.MEDIA a rencontrés dans l’assemblée, faisaient part de leurs meurtrissures et de leurs vives attentes envers l’Église et le pape.

Dans un contexte marqué par la souffrance de ces peuples, au début de la célébration suivie par quelque 5’000 personnes, un groupe a brandi dans l’allée centrale une banderole sur laquelle était inscrit, en anglais: «Rescind the doctrine» – «abrogez la doctrine». Une protestation silencieuse – qui n’a pas perturbé le déroulement de la messe – visant la «Doctrine de la découverte», établie par la bulle Romanus Pontifex du pape Nicolas V en 1455. De nombreux autochtones demandent en effet au pape une révocation formelle de ce document qui établissait le droit pour tout monarque chrétien de prendre possession de terres non-chrétiennes, ce qui apparaît a posteriori comme une justification religieuse de la colonisation.

«Ils nous ont dit qu’on parlait ‘la langue du diable’»

«Les responsables de l’Église n’ont pas renoncé à la Doctrine de la découverte, ils n’ont pas révoqué les bulles papales qui ont fait tant de mal aux natifs!», déplorait ainsi Vaughn Nicholas, membre de la Première nation Wolostoq, et survivant des pensionnats, présent sur les bancs du sanctuaire. «Nous voulons tous la réconciliation, mais la réconciliation ne peut pas advenir tant que la vérité n’est pas dite, a-t-il ajouté. L’Église doit être consciente de qui est arrivé aux peuples indigènes, pas seulement dans les écoles résidentielles mais avant aussi, elle doit avoir conscience de l’impact de sa doctrine.»

Pour Vaughn Nicholas, le processus de guérison «prendra du temps». «J’étais six ans en école résidentielle, ce n’est pas facile de pardonner pour ce qu’on nous a fait là-bas, cela restera en nous pour toute notre vie. Nous n’étions pas traités comme des humains par l’Église. Quand ils sont venus sur ma terre natale, dans les réserves, ils nous ont dit qu’on parlait ‘la langue du diable’. Ils ont converti beaucoup de nos gens de façon forcée. Ce qui est arrivé est un génocide.»

Des enfants brimés et violentés

Manifestement très ému par l’évocation de son passé, Vaughn Nicholas s’est souvenu de son enfance de «petit garçon innocent, pieds nus». «Je jouais, j’explorais partout avec mes cousins, nous parlions la langue de notre communauté. J’aidais ma grand-mère à attacher les appâts sur les cannes à pêche, on n’avait pas l’eau courante mais l’eau pure de la rivière. Nous avions la liberté, les rires. Pour moi, c’était un temps heureux, c’était le paradis.»

«Après cela, a-t-il narré, j’ai été emmené en école résidentielle avec ma sœur Iris et mon frère Wayne, en 1955. Je n’avais pas connu de violence physique auparavant. Nous étions brimés, et quand nous parlions des mots de notre langue, au milieu de l’anglais nous étions punis. J’avais peur de ces grands bâtiments… pour moi, c’était l’enfer. Pas seulement pour moi, mais pour tous les enfants qui y sont allés avant et après.»

«On ne peut pas blâmer toute l’Église catholique»

De même, ces derniers jours, des organisations autochtones ont reproché au pontife de ne pas présenter les excuses de l’Église en tant qu’institution, mais de reporter la responsabilité sur les religieux qui ont géré des pensionnats. Sur les bancs du sanctuaire où 2’000 personnes avaient pris place, Elmer St. Pierre, chef national du Congrès des Premiers peuples, s’est distancié de cette critique. «Depuis le début du voyage, le pape a demandé pardon, il l’a fait à Edmonton, à Québec, a-t-il protesté. Ce n’est pas l’Église catholique qui a été la cause de tout cela, c’est notre gouvernement du Canada

Elmer St. Pierre le répète avec conviction: «L’Église n’a pas décidé de supprimer l’héritage des autochtones, leur langue, de couper leurs cheveux, de faire d’eux des enfants blancs. Des prêtres, des religieuses, ont agi, mais si le gouvernement n’avait pas organisé cela, ce ne serait jamais arrivé. C’est le gouvernement qui est venu dans les villages emporter les enfants.»

Anne Coulter, du diocèse de Valleyfield, à l’ouest de Montréal, était partie en bus à 2h du matin pour venir «aider dans la réconciliation». «Je sais qu’il y a beaucoup de controverses autour des paroles du pape, mais je pense qu’il est normal qu’il s’excuse pour les personnes qui ont agi. On ne peut pas blâmer toute l’Église catholique, mais les gens qui étaient dans les écoles résidentielles», a-t-elle estimé.

Consciente des fortes attentes, Anne Coulter a exprimé un certain scepticisme sur la célébration: «Je ne sais pas si une messe est ce dont les autochtones ont besoin. Peut-être aurait-il fallu faire une célébration de purification, selon leurs coutumes, en présence du pape.» (cath.ch/imedia/ak/rz)

Le pape François a célébré une messe de la réconciliation en présence de nombreux autochtones du Canada, le 28 juillet 2022, à Québec | © AP Photo/John Locher/Keystone
29 juillet 2022 | 10:01
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 3 min.
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