Le cardinal Joseph Ratzinger, ici en mars 1987, chef de la Congrégation pour la doctrine de la foi | © Keystone/AP Photo/Giulio Brogli)
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«Un vieux professeur qui osait dire la vérité à ses élèves»

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Benoît XVI, décédé au matin du 31 décembre 2022, était comme un «vieux professeur, aimé par ses élèves parce qu’il n’avait pas peur de leur dire la vérité», confie Bernard Lecomte à cath.ch. Le vaticaniste français, biographe de Benoît XVI, restaure l’image d’un pape méconnu et parfois mésestimé, en partie à cause de sa discrétion, de son humilité et de son refus de toute démagogie.

Quelle impression vous laisse Benoît XVI?
Bernard Lecomte: Je l’ai toujours trouvé sympathique. Notamment dans sa démarche de «vieux professeur». Car c’est ce qu’il semblait être: un vieux professeur que ses élèves aiment bien parce qu’il est capable de leur dire la vérité, une vérité qui parfois peut faire mal.

Bernard Lecomte | DR

Les jeunes, en particulier, étaient touchés par cela. Ils se sentaient redevables envers lui de son langage sincère, au-delà de toute démagogie. Cela s’est notamment ressenti lors des JMJ de Madrid en 2011, où il avait fait un véritable tabac parmi les jeunes.

Que pensez-vous que son pontificat ait apporté à l’Eglise?
Après l’ébouriffant Jean Paul II, il est clair que Benoît XVI est apparu avec un style très différent. Il était plus un «cardinal classique» que son prédécesseur. Il est arrivé dans une perspective de remettre de l’ordre dans une Eglise chamboulée. Il était évidemment moins charismatique que le pape polonais, mais il possédait une qualité essentielle: il était incontestable et incontesté au niveau de la théologie, de la vérité et de la foi. Et même ceux qui ne l’aimaient pas étaient obligés de le reconnaître. En ce sens, il a en particulier permis à l’Eglise de se remettre en perspective.

«Par sa renonciation, Benoît XVI a amené une désacralisation de la fonction papale.»

Sa décision de renoncer à sa charge a complètement changé la donne concernant la succession papale. Le fait qu’il ait été théologiquement incontesté a apporté une caution très importante à cet acte, qui a été d’une portée historique. Cela a été un message lancé à tous les futurs papes de ne pas aller au-delà de leurs possibilités physiques et mentales, afin de pouvoir assumer au mieux leur charge. Benoît XVI a amené en cela un nouveau pragmatisme, une désacralisation de la fonction papale.

Benoît XVI n’a souvent pas été épargné par les médias. Pensez-vous qu’il a été justement traité?
La presse a été très souvent injuste avec lui. Il faut noter qu’il n’a pas eu les mêmes problèmes avec les médias au début et à la fin de son pontificat. Après son élection, trois qualificatifs médiatiquement peu porteurs lui collaient à la peau, notamment pour la presse française: allemand, conservateur et vieux.

La presse a eu tendance à oublier qu’il s’est fortement engagé contre les scandales de pédophilie.
La presse a vu dans un premier temps d’un mauvais œil le fait qu’il vienne d’une nation responsable de la Seconde guerre mondiale. Mais dès qu’il est apparu qu’il avait toujours fui le nazisme et qu’il venait d’une famille anti-nazie, ces soupçons se sont dégonflés.

L’étiquette de conservateur qui lui était attachée venait principalement de sa fonction à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). Cette charge colporte toujours une image conservatrice.

L’âge auquel il a été élu a également posé problème. Il est vrai qu’il avait 20 ans de plus que son prédécesseur lorsqu’il a occupé la fonction papale. Certains médias ont utilisé ce fait pour donner l’image d’une Eglise poussiéreuse et passéiste.

Comment cette image a-t-elle été dépassée?
Ces problèmes avec les médias se sont néanmoins estompés au début de pontificat, lorsque Benoît XVI a réalisé quelques années remarquables. Mais ensuite, les médias se sont focalisés sur les diverses maladresses ou incompréhensions issues de ses discours, ainsi que sur les «affaires» qui vont surgir dans les dernières années de son pontificat.

«Les médias l’ont toujours perçu comme un pape de transition, secondaire et conservateur.»

Les Vatileaks l’ont certainement beaucoup marqué, mais aussi les scandales de pédophilie, parce qu’il s’était fortement engagé contre ce phénomène, ce que la presse a eu tendance à oublier. Finalement, les médias l’ont toujours perçu comme un pape de transition, secondaire et conservateur. Ils se sont concentrés sur ce qui était médiatiquement porteur, comme les scandales, les trahisons, les maladresses, plutôt que de faire découvrir au public les idées et la pensée profonde de ce pontife. (cath.ch/rz)

(interview réalisée en 2015)

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Le cardinal Joseph Ratzinger, ici en mars 1987, chef de la Congrégation pour la doctrine de la foi | © Keystone/AP Photo/Giulio Brogli)
1 janvier 2023 | 09:00
par Raphaël Zbinden

Benoît XVI s'est éteint le 31 décembre 2022 à l'âge de 95 ans. Celui qui fut plus longtemps pape émérite que régnant a été marqué par son milieu d’origine, ancré dans la tradition catholique et hostile aux idéologies politiques extrêmes. Joseph Ratzinger a ainsi forgé sa carrière au sein de l'Eglise comme une "armure" contre les influences néfastes du monde extérieur.

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