Homélie du 13 octobre 2019 (Lc 17, 11-19)

Chanoine Claude Ducarroz – Ecole des Missions, Le Bouveret (VS)

Il marchait vers Jérusalem où il pressentait que ça allait mal finir pour lui. Il marchait, mais il prenait tout son temps, le temps de croiser des gens, chemin faisant, pour leur annoncer la bonne nouvelle – ce qu’on appelle l’évangile – et pour les guérir de toutes sortes de maladies, selon les besoins de chacun. Le prophète de Nazareth n’était pas seul. Il tirait avec lui une cohorte de disciples – hommes et femmes -, témoins tantôt émerveillés, tantôt déconcertés par sa manière de parler et d’agir. Là, toujours en route, aux confins de la Samarie et de la Galilée.

Mais c’est justement là que Jésus aimait à circuler, à rencontrer les gens, surtout les plus humbles et les plus souffrants, pour leur révéler le visage de son Père qui est aussi le leur, le Dieu d’amour sans barrière et sans frontière.

Le terrain de mission n’était pas des plus faciles. La Samarie, habitée par des juifs dissidents et rebelles qui évitaient de fréquenter ceux de Jérusalem. Et ce n’était pas mieux en Galilée qu’on avait qualifié de « carrefour des païens », tant s’y mélangeaient des cultures et des religions surgies de tous les horizons.

Compassion active

 Et aujourd’hui le hasard fait que 10 lépreux vinrent à sa rencontre, autrement dit des malades, mais aussi des exclus, des méprisés, tant il est vrai que plusieurs maladies, y compris sociales et économiques, aggravent encore le pénible destin de ces malheureux.

Et Jésus les guérit, de leur lèpre évidemment, mais aussi de leur exclusion sociale et religieuse, puisqu’ils peuvent aller se présenter chez les prêtres. Il le fait sans autre considération que la compassion active qui jaillit de son cœur touché par leur épreuve.

Il y a un samaritain parmi eux, autrement dit un hérétique peu fréquentable? Qu’à cela ne tienne !  C’est encore lui que Jésus citera en exemple  parce qu’il eut, bien plus que les autres, le réflexe de la reconnaissance. Relève-toi, lui dit Jésus – déjà le langage de la résurrection -, ta foi t’a sauvé.

Car la mission de Jésus, et par conséquent celle de l’Eglise aujourd’hui, est toujours la même, encore que les paysages et les contextes soient différents.

Sur les sentiers de la vie ordinaire

Oui, une Eglise en sortie, comme dit le pape François, qui s’avance au milieu des êtres humains tels qu’ils sont, qui les aime avec leurs grandeurs et leurs misères, qui leur annonce une bonne nouvelle de libération et de salut, qui enrobe ses paroles de gestes de compassion et de partage, qui ne met aucune limite ni aux élans de son cœur, ni aux accents de sa parole, ni aux bienvenues dans ses communautés.

 La mission est une aventure divine en pleine pâte humaine. L’Eglise – autrement dit tous les chrétiens – marche sur les sentiers de la vie la plus ordinaire. Simplement, nous savons que Jésus nous tient par la main, que son Esprit respire en nous. Et nous avons envie d’inviter à ce pèlerinage d’amour et de liberté tous ceux que nous rencontrons, pour leur joie et pour la nôtre. Une belle mission !

Une paysanne à la rencontre des autres

Quelqu’un a vécu un peu tout cela, et même beaucoup, en arpentant les chemins caillouteux de sa campagne près de Romont, en pays de Fribourg. Une paysanne, célibataire – une vieille fille – comme on dirait encore aujourd’hui. Elle avait les pieds bien sur terre, mais elle marchait surtout à la rencontre des autres, à commencer par les plus petits et les plus nécessiteux, par solidarité humaine, mais aussi par esprit missionnaire.

Car c’est bien cela, l’évangile en actes : visiter les malades, enseigner le catéchisme aux enfants, inviter à la prière en priant beaucoup soi-même, autrement dit aimer Jésus et le faire connaître et aimer, au ras des pâquerettes – elle s’appelait Marguerite. Non pas en accomplissant des choses extraordinaires, mais en distribuant avec charité la petite monnaie des conseils tout en sourire, des invitations tout en respect, des sacrifices de soi tout en gratuité, les yeux et le cœur tournés vers la croix de Jésus ressuscité.

Marguerite Bays est actuellement canonisée à Rome. Elle doit en être très étonnée, et même plutôt gênée. Elle figure en image au fronton de la basilique St-Pierre à côté d’un cardinal anglais, John Henry Newmann, un géant de culture du même siècle qu’elle.

Mais soyons rassurés, Marguerite demeurera toujours la sainte bien de chez nous, pieuse et généreuse, dans la sainteté de la proximité avec les gens simples et au service d’un évangile qui rejoigne les pauvres de toutes sortes.

Avec elle, l’Eglise nous rappelle que la vocation à la sainteté de la vie – autrement dit miser sur la foi et sur l’amour – est à la portée de tout le monde, avec les énergies de l’Esprit du Christ. Car Jésus, avec les saints et saintes d’hier et d’aujourd’hui, en attendant ceux de demain, continue de marcher mystérieusement dans notre monde en nous disant à tous et à chacun : Relève-toi et va ! Ta foi t’a sauvé.


28e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :
2 Rois 5, 14-17; Psaume 97, 1, 2-3ab, 3cd-4; 2 Timothée 2, 8-13; Luc 17, 11-19

Homélie du 6 octobre 2019 (Lc 17, 5-10)

Chanoine Guy Luisier – Abbaye de Saint-Maurice, VS

Ni Dieu ni maître… proclament les mouvements anarchistes depuis le 19e siècle !
Plus facile à dire qu’à faire. Pas si simple. Libres, oui, mais la prise de conscience de notre liberté passe par une bonne prise de conscience de notre relation avec ce qui nous est supérieur, avec tout ce dont nous dépendons.

L’homme n’a pas beaucoup de choix. Soit il est serviteur, soit il est esclave. Le service ennoblit le serviteur par les qualités que le maître irradie.L’esclavage dégrade l’esclave par les défauts et les violences que maître distille.

Les joies du service

Plutôt que d’insister sur les méfaits des esclavages matériels, psychologiques et spirituels d’aujourd’hui penchons-nous un peu sur les joies, les étonnements et les rayonnements du service.

Mets-toi au service de Dieu et tu te verras grandir dans tes aspirations fondamentales.

C’est un des résumés possibles du message général de Jésus. Mais ce résumé ne reçoit qu’un écho très relatif dans les structures de notre monde occidental, où tout est fait pour que l’homme croie qu’il peut trouver en lui-même ses propres raisons de vivre et d’avancer. Or celles-ci se trouvent toujours dans Celui qui nous a fait et qui est à nos côtés, dans une maîtrise totale de l’univers et de l’histoire.

Dire que Dieu a une maîtrise totale de l’univers et de l’histoire paraît incongru aujourd’hui. Et pourtant on sait bien que dire que l’homme a une quelconque maîtrise de l’univers et de l’histoire est encore plus incongru !

Une relation de simplicité avec ce Maître passionné de nous

Si humblement nous acceptons que Dieu est le Maître et que notre salut est dans une relation de simplicité et de vérité avec ce Maître passionné de nous, alors nous sommes pleinement libres, en voie de plein épanouissement.

J’ai mieux compris le paradoxe de cette attitude lorsqu’on m’a raconté cette jolie anecdote, qui est en fait une parabole :

Un jour un jeune garçon veut rendre service à son père en embellissant le jardin de la famille. Or il y a bien à faire et après la tondeuse, la taille des haies et le soin des fleurs et des légumes, voilà que notre garçon veut déplacer une grosse jardinière en béton pour la mettre dans un autre endroit. Ce n’est pas facile. Le Père qui le voit de loin lui crie : Ce sera difficile mais fais tout ce qui est en ton pouvoir. Alors le jeune s’évertue à pousser et tirer le grand récipient en béton qui ne bouge qu’un petit peu.

Le Père lui crie de nouveau : Fais tout ce qui est en ton pouvoir.

Le jeune va chercher des planches pour faire levier, des rondelles de bois pour faire glisser mais c’est toujours l’échec, sous les yeux du Père. Alors humilié le jeune s’asseoit sur le gazon et pleure.
Le Père s’approche, lui met la main sur les épaules et lui dit doucement.

Je t’ai dit de faire tout ce qui était en ton pouvoir. Il y a quelque chose qui était en ton pouvoir et que tu n’as pas fait, c’est de me demander de t’aider !

Belle leçon, belle histoire, belle parabole de notre relation à Dieu.

Ce monde, c’est ensemble, avec Lui, qui nous devons le transformer. Nos vies, nos relations, c’est ensemble et avec Lui que nous devons les transformer, les bonifier, les embellir et les épanouir.

Or ce n’est pas facile d’avoir une relation simple avec Dieu : Souvent tout se bloque devant nos déceptions de ne pas être à la hauteur : mais qu’est-ce que je dois faire pour arriver au bout de mon service, pour contenter Dieu… La question est fausse et c’est là que se trouve la fine pointe de l’évangile d’aujourd’hui.

De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »

Nous n’avons fait que notre devoir. C’est à–dire nous avons accepté que Dieu est le Seigneur et Maître de ce que nous faisons, de ce qui nous voudrions faire, et aussi de ce que nous n’arrivons pas à faire, pas à bien faire.

Nous sommes de simples serviteurs.

Peut-être savez-vous que les traducteurs ont sué pour trouver l’épithète qui convienne. Il y a cinq possibles : serviteurs inutiles, serviteurs quelconque, serviteur disponibles, serviteurs sans profit et simples serviteurs qui est la traduction que nous propose la liturgie actuelle.

Chaque mot dit quelque chose de juste mais traduit imparfaitement l’idée de Jésus. Ce que Jésus a surtout devant les yeux, c’est la bonté du Maitre souverain qui veut utiliser même des serviteurs sans profit pour lui, si simples et si quelconques, si inutiles finalement face à la grandeur de l’œuvre.

Cette œuvre, son œuvre, c’est de mener à la lumière toutes les parcelles de sa création.

C’est de cela que nous devons être missionnaires. Inlassablement.


27e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :
Habacuc 1, 2-3 ; 2, 2-4 ; Psaume 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9 ;2 Timothée 1, 6-8.13-14 ; Luc 17, 5-10

Homélie du 29 septembre 2019 (Lc 16, 19-31 )

Abbé Marc Donzé, basilique Notre-Dame, Lausanne

C’était juste après la guerre, à Paris. Dans un grand restaurant, chic. Un jeune homme avait invité une jeune femme, avec des projets de fiançailles. Pendant le repas, des enfants, en loques, regardaient par la fenêtre. Misérables, ils faisaient signe qu’ils avaient faim. La femme se mit en colère, appela le sommelier et lui demanda de chasser ces enfants importuns. Le jeune homme, qui avait du cœur, refila en douce quelque argent au sommelier, pour qu’il le donne aux enfants. Le lendemain, il rompit d’avec la jeune femme. Il ne pouvait imaginer de passer sa vie avec une personne sans cœur, sans compassion, aveuglée par son je-moi égoïste. Peut-être la femme réalisa-t-elle, dans les brûlures de cette liaison perdue à jamais, la dureté de son cœur et ses conséquences.

Elle ressemble au riche de la parabole. Il ne voit pas ou il ne veut pas voir ; il est enfermé dans ses beaux habits, ses festins, sa grande maison très protégée. Il a le cœur sec. Qu’il y ait des frères et sœurs en humanité près de chez lui ne l’intéresse pas. Et encore moins s’ils sont pauvres ; cela le dérangerait.

Qu’est-ce que je vois ?

La première question qui se pose à nous, en recevant cette parabole du riche et du pauvre Lazare, c’est : qu’est-ce que je vois ? qu’est-ce que j’accepte de voir ? Voir, en l’occurrence, ce n’est pas simplement jeter un regard froid, détaché et observateur. Mais c’est regarder avec fraternité, avec compassion, avec cœur.

La question peut être posée avec le langage vert, très vert, du prophète Amos, qui dénonçait des situations bien réelles il y a 2800 ans, mais qui sont encore actuelles. Est-ce que je fais partie de la bande des vautrés, couchés sur leur lit d’ivoire, qui se croient protégés par leur richesse ?

Si vous participez à l’Eucharistie, que ce soit ici dans la basilique Notre-Dame ou par l’écoute de la radio, il est clair que vous acceptez de voir avec le cœur. Il est clair – du moins je l’espère, – que vous acceptez les demandes de la Parole de Dieu : porter attention au pauvre, à la veuve et à l’orphelin… et aussi à l’étranger. Mais, me direz-vous, on ne peut pas tout voir. Bien sûr que non, mais on peut commencer autour de nous ; et, si possible, pas seulement dans le milieu où nous sommes en tranquille sécurité, mais aussi en sortant de notre zone de confort, car il y a des détresses toutes proches.

Voir avec le coeur

Voir avec le cœur, cela se transforme, dans la mesure du possible, en actions. « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’étais malade ou en prison et vous m’avez visité ; j’étais étranger et vous m’avez accueilli », nous dit Jésus, en s’identifiant avec le pauvre, le malade, le prisonnier, l’étranger. Est-ce que vous pouvez, chers frères et sœurs, faire aujourd’hui une petite liste de ce qu’au nom de l’Evangile, vous mettez en œuvre, parce que vous voyez avec le cœur, au contraire du riche de la parabole ?

Aujourd’hui, les problèmes se posent de façon plus complexe qu’au temps du prophète Amos. La mondialisation est passée par là. Prenons un exemple. Le Kivu, au nord-est du Congo, est riche de métaux précieux et rares (dont certains sont indispensables pour fabriquer les téléphones portables). De grandes compagnies étrangères exploitent ces métaux et s’enrichissent. Mais la population du Kivu est en grande partie dans une noire misère, avec en plus la maladie d’Ebola. Noire misère, même si la Croix-Rouge et d’autres organisations viennent au secours de ces personnes… car ce sont des personnes et leur dignité est infinie. Pour reprendre le langage d’Amos, il y a la bande des vautrés qui ne voient même pas ceux qui sont victimes de leur accaparement ; et il y a les misérables. Et la question doit nous intéresser, car, de façon indirecte, nous sommes concernés par ces pratiques… à cause de nos téléphones portables.

Autre exemple : dans l’industrie textile, à travers le monde, le salaire de beaucoup d’ouvrières est si misérable qu’il ne leur permet même pas de subvenir à leurs besoins ; elles sont donc exploitées pratiquement comme des esclaves. Et là aussi, la question nous concerne… au travers des habits que nous achetons.

Que faire alors ? La liste est longue… Au moins, acheter de façon réfléchie et informée, pour que le respect des personnes et des peuples progresse.

Un espace de générosité

D’une façon générale, pour aller à l’encontre du riche de la parabole et pour ne pas tomber dans la bande des vautrés, Maurice Zundel  a une formule de bel équilibre sur le droit de propriété : c’est un espace de sécurité, pour devenir un espace de générosité.

Espace de sécurité : c’est disposer de suffisamment de biens pour ne pas avoir le souci du lendemain. Chaque personne de cette planète devrait pouvoir en bénéficier, et on est loin du compte. Mais espace de sécurité ne veut pas dire accaparement. Car il ne faut pas oublier la suite : pour devenir un espace de générosité. Dès le moment où l’espace de sécurité est là, je peux ouvrir les yeux, les bras et mes biens pour la générosité. C’est possible si l’on est millionnaire, mais c’est aussi possible si l’on a peu de moyens, pourvu qu’ils soient en suffisance.

Alors nous pouvons nous poser la question : à partir de ce que j’ai, comment puis-je devenir un espace de générosité ? Comme dit saint Paul : toi, homme de Dieu, femme de Dieu, recherche la justice, la charité, la douceur… et mène le bon combat.

Bonne réflexion, bonne méditation. Amen.

26e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :

Amos 6, 1a.4-7; Psaume 145, 6c.7, 8.9a, 9bc-10; 1 Timothée 6, 11-16; Luc16, 19-31