Homélie du 21 juillet 2019 (Lc 10, 38-42)

Chanoine Jean-Michel Lonfat – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

« Viens ! Il t’appelle… »

Clin d’œil du Seigneur en ce jour où nous méditons l’Évangile communément appelé l’Évangile de Marthe et Marie, et en première lecture la visite à Abraham au chêne de Membré.

Frères et sœurs chers auditeurs, du col du Grand-St-Bernard nous vous retrouvons et vous adressons ces quelques paroles un peu comme une visite, depuis ce lieu où il n’y a que peu de végétation,  pas d’arbre pas même de chêne… mais du rocher, de la pierre et encore du rocher… un petit plan d’eau et toujours du rocher… et encore quelques névés même.

Lieu de rencontre, la montagne et son rocher restent un endroit privilégié pour cela. Et qui plus est, aujourd’hui particulièrement, puisque les ondes nous permettent ce bel échange en communion les uns les autre.

Où que nous soyons et quoique nous fassions nous sommes là les uns à côté des autres en accueil mutuel, à l’écoute, en réflexion.

Lieux de rencontre

Au chêne de Mambré, dans la maison de Marthe et Marie, au col du Grand-St-Bernard, dans nos lieux d’écoute et de partages, au travers les ondes de la radio, c’est bien là que le Seigneur passe ! c’est bien là qu’a lieu la rencontre. Le lieu est donc sacré.

« Viens, Il t’appelle… » en ce dimanche matin le son des cloches nous le rappellent. Le Ressuscité nous invite à nous retrouver en Église, à nous mettre à son écoute, d’une manière ou d’une autre comme Marthe et Marie.

A l’image d’Abraham il nous appelle à lui faire bonne hospitalité.

Quand Dieu s’invite chez nous, que va-t-il se passer ? Vais-je avoir peur ? Vais-je être à la hauteur de la visite ? Vais-je me faire remarquer par les autres ? Vais-je être ridiculisé ? Vais-je être affermi dans ma foi ? Vais-je avoir le courage d’écouter  au cœur de cette rencontre ? Que de questions ! Il nous faut toujours un certain temps pour réaliser l’ampleur de cette visite.

Dieu, pèlerin

« Viens, Il t’appelle… » oui viens ne crains pas, n’aie pas peur mets-toi en route,  fais confiance ! Vivre le pèlerinage c’est aussi cela.

En plus avec cette dimension humaine très forte  de la rencontre et de la marche en communauté, il y a la rencontre avec DIEU lui-même le pèlerin par excellence qui vient à notre rencontre qui vient nous mettre en valeur qui vient nous dire sa joie de la bonne nouvelle : «  tu auras une descendance » tu porteras du fruit. Je ne te laisse pas seul. Je suis l’Emmanuel Dieu avec toi.

« Viens, Il t’appelle…! » Voilà un impératif engageant. Pour se l’entendre dire ne faut-il pas écouter la parole de l’autre. Celle de l’Esprit. Une parole si exigeante, si douce, si percutante.

Une parole prononcée par un ami, un frère, une amie, un familier, un inconnu même ! Un membre d’une communauté, la communauté elle-même peut t’appeler, oui.

« Viens, Il t’appelle… »Il t’appelle à accueillir la nouvelle, Il t’appelle à ouvrir ton cœur à te dé-saisir ou te ressaisir pour lui donner une place.

Voyez que finalement soit au Chêne de Membré, soit dans la maison de Marthe et Marie, même ici sur la montagne ou chez vous au plus profond de votre être, c’est là que le Seigneur vient si délicatement ! Le lieu de la visite  ou de la rencontre reste privilégié. C’est maintenant qu’il vient à l’instant même.

Pour LUI aucune retenue,

pour LUI tout est possible,

pour LUI la visite est toujours porteuse de fruits.

En ce jour de la Résurrection, de pèlerinage… frères et sœurs, chers auditeurs, notre accueil de la parole se vit à l’instant même.

Belle et merveilleuse rencontre !

Inoubliable et beau moment de la visite de notre BIEN-AIMÉ !

Temps de grâce et de reconnaissance pour CELUI qui ose venir jusqu’à nous. Quelle audace ! Quelle bienveillance a-t-il pour descendre en nous ?

« Viens, Il t’appelle… » nous dit l’Esprit. Debout ! Regarde, regarde en toi, regarde autour de toi, n’aie pas peur, n’aie pas honte.

Tu es le Bien aimé il frappe à ta porte.

Pour toi et toi seul il fait le déplacement et t’invite à regarder le ciel à scruter les étoiles comme ton père Abraham.

Il t’invite aussi à l’image de Marie assise aux pieds du Maître à regarder vers le haut, à faire confiance à oser croire en toi et à oser croire en LUI.

Reprendre la route

Pèlerins que nous sommes nous voilà inviter à reprendre notre bâton à reprendre la route avec LUI.

Il est venu nous visiter nous appeler à poursuivre notre œuvre de Salut. Et comme pour Abraham et Sara, comme pour Marthe et Marie c’est ensemble que nous repartons pour l’aventure avec LUI.

La halte et la rencontre bienfaisantes de ce matin avec le Seigneur nous invite donc à repartir plus fort, plus généreux, plus confiant dans notre propre histoire et celle de nos frères et sœurs. Nous avons été visités, comblés de sa présence.

Oui, « Viens, Il t’appelle… » pour qu’avec lui nous puissions nous réjouir et rendre grâces, seul en famille en Église !

Bon pèlerinage à vous…il ne se termine pas ce matin non, il commence !

Bonne route à vous chers auditeurs et à chacun ici présent sur la montagne que le chemin qui vous fera descendre en plaine soit également celui qui vous fera lever les yeux vers le plus haut sommet. Crée par amour pour aimer, oui je le sais, tu mets en moi toute ton audace et ton adoration Seigneur !  AMEN


16e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques
: Genèse 18, 1-10a; Psaume 14, 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5; Colossiens 1, 24-28; Luc 10, 38-42


 

 

Homélie du 14 juillet 2019 (Lc 10, 25-37)

pour la clôture de la semaine romande de liturgie

Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg – Abbaye de saint-Maurice

 

  1. La beauté universelle est notre porte d’entrée.

Partons de quelques réflexions d’une philosophe, Simone Weil. Dans « La pesanteur et la grâce » (Plon, 1988, p. 233 à 235), elle réfléchit sur la beauté. Elle peut nous aider à placer notre art liturgique au centre de la beauté.

Première réflexion : « La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer à l’âme. » La beauté passe par les sentiments et les émotions mais va plus loin, jusqu’à toucher l’esprit. Que serait une liturgie purement rationnelle ? Inversement, que serait une liturgie purement émotionnelle ?

 Deuxième réflexion : « Le beau enferme, entre autres unités des contraires, celle de l’instantané et de l’éternel. » La musique par exemple, cet art du temps, use de ce qui passe. Mais si elle est belle, elle scelle en nous une énergie qui déborde son début et sa fin. Ainsi nos liturgies commencent et s’achèvent, mais elles nous transportent dans le flux de l’éternité.

 Troisième réflexion : « Le beau est ce qu’on peut contempler. Une statue, un tableau qu’on peut regarder pendant des heures. Le beau c’est quelque chose à quoi on peut faire attention. Musique grégorienne. Quand on chante les mêmes choses des heures chaque jour et tous les jours, ce qui est même un peu en dessous de la suprême excellence devient insupportable et s’élimine.» Voilà un critère très concret pour juger si une œuvre est belle : sa capacité à mobiliser notre attention, à la capter et à la captiver durablement. Weil concrétise cette idée : « Un tableau tel qu’on puisse le mettre dans la cellule d’un condamné à l’isolement perpétuel, sans que ce soit une atrocité, au contraire. » L’homme est fasciné par le beau mais lassé par le médiocre.

 Quatrième réflexion : « En tout ce qui suscite chez nous le sentiment pur et authentique du beau, il y a réellement présence de Dieu. Il y a comme une espèce d’incarnation de Dieu dans le monde, dont la beauté est la marque. » Dans ce sentiment que le beau éveille en l’homme, un chemin de sagesse s’ouvre pour détecter et nommer cette présence divine. A ce point, la foi investit la beauté.

 

  1. La foi qui est lumière du Christ éclaire ce chemin.

On entend parfois une certaine retenue voire une réticence à faire vibrer cette « chair », c’est à dire à toucher le cœur à travers les émotions. Mais cette crainte a été contredite par saint Augustin lorsqu’il comparait la pauvreté des liturgies catholiques à l’exubérance de celles des donatistes, des chrétiens schismatiques de son temps :  « Il y a plusieurs manières de mettre en œuvre cette pratique, qui est si puissante à émouvoir l’âme de piété et à réveiller le sentiment de l’amour divin, et beaucoup de membres de l’Eglise d’Afrique sont plutôt apathiques à ce sujet, si bien que les Donatistes nous reprochent de chanter à l’église les chants inspirés des prophètes avec sobriété, alors qu’eux-mêmes enflamment leurs bacchanales comme par le son de la trompette pour chanter des psaumes composés par le talent humain. Quand est-il donc inopportun pour des frères réunis en église de chanter ce qui est saint, du moins tant qu’il n’y a pas une lecture ou un discours ou une prière faite à haute voix de l’évêque ou une prière ordinaire par la voix d’un diacre ? » (Saint Augustin, Ep. 55, 34-35) Osons « séduire la chair pour passer »… jusqu’au Christ.

Le Concile Vatican II le rappelle : « le Christ est présent lorsque l’Eglise prie et chante, et nous sommes unis à l’Eglise du Ciel ». Dans la beauté de notre liturgie, nous reconnaissons une sorte d’incarnation du Christ, une Raison, un Logos qui en donne le sens profond. Elle est la célébration du mystère du salut, réalisé dans la mort et la résurrection du Christ. Elle réclame donc « une musique à la hauteur d’un tel mystère de foi, du moins comme un éclat de la gloire divine. » (Michel Steinmetz, La fonction ministérielle de la musique sacrée, Cerf, 2018, p.325).  La véritable musique liturgique libère et structure la foi de l’Eglise dans le salut et la vie éternelle.

 

  1. La place de l’Esprit Saint.

Cette musique ne peut être liturgique qu’inspirée par l’Esprit Saint. Appelons l’Esprit Saint avant, après, pendant nos actions liturgiques. Sans lui, notre chant liturgique est un concert. Avec lui, il sonne le rendez-vous entre l’homme et Dieu.

Cet Esprit nous habite et fait de nous son temple. En chacun, il opère pour le chant sacré. Origène le dit clairement : « Notre esprit ne peut pas prier à moins que l’Esprit ne le précède dans la prière, pour ainsi dire, de manière à en être entendu. Il ne peut pas non plus chanter des psaumes et hymnes au Père dans le Christ avec le rythme, la mélodie, le mètre et l’harmonie appropriés, à moins que l’Esprit, qui pénètre toutes choses, et même les profondeurs de Dieu, n’ait d’abord pénétré ses profondeurs à lui de louange et de chant et qu’il ne les ait comprises autant qu’il peut. » (De Oratione, II, 4)

Cet Esprit Saint relie aussi les choses et les personnes entre elles. Ainsi parle le livre de la sagesse : « L’Esprit du Seigneur en effet remplit l’univers et lui, qui tient unies toutes choses, a connaissance de chaque mot. » (Sag 1, 7) D’une façon mystérieuse, il relie les choses entre elles. Ainsi nos voix, nos cœurs et nos instruments sont unis par l’harmonie de « l’Esprit musicien ». Saint Ambroise écrivait : « C’est un grand bien quand toute l’assemblée du peuple s’unit en un seul chœur. Les cordes de la cithare rendent des sons différents, mais créent une harmonie. Les doigts d’un musicien s’égarent souvent parmi les cordes, bien qu’il y en ait peu ; mais parmi le peuple, l’Esprit musicien ne saurait s’égarer. » (Ambroise, Explanatio psalmi 1, 9).

Viens Esprit-Saint, habiter et harmoniser nos liturgies.


15e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Deutéronome 30, 10-14; Psaume 68, 14, 17, 30-31, 33-34, 36ab-37;  Colossiens 1, 15-20; Luc 10, 25-37