


Homélie du 23 juin 2019 (Lc 9,18-24)
Pierre-Yves Brandt, pasteur – Communauté des Soeurs de St-Maurice, La Pelouse, Bex
Chères sœurs, chers frères,
« Jésus sauve », peut-on lire parfois sur un mur, sur une affiche, en tête d’un tract de campagne d’évangélisation. La formule est lapidaire. Tout semble être dit en deux mots. Mais avant d’adopter ou de rejeter cette affirmation, est-on bien sûr de la comprendre ? « Jésus sauve », mais de quoi ? De quoi aurions-nous besoin d’être sauvés ? Pour nos contemporains, la crainte de la perdition en enfer ne paraît en effet plus d’actualité. Et, si jamais nous aspirions au salut, comprenons-nous comment Jésus pourrait sauver ?
De quoi Jésus sauve
Commençons par nous poser la question du comment : Comment Jésus sauve-t-il ? Cette question nous amènera à préciser de quoi Jésus sauve. Nous venons d’entendre il y a un instant un passage de l’Evangile selon Luc qui parle de salut : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » dans ce passage, Jésus lie la question du salut au fait de perdre sa vie à cause de lui. Le salut consisterait donc à reconnaître en lui celui qui montre la voie juste pour pouvoir l’emprunter à sa suite. C’est pourquoi Jésus interroge tout d’abord ses disciples sur son identité. Pour être sauvé, il s’agit de bien comprendre qui il est afin d’adhérer à ce qu’il est et à ce qu’il propose.
« Pour vous qui suis-je ? »
Jésus commence donc par demander à ses disciples ce que les foules disent de lui. Ils lui rapportent ce qu’ils entendent dire : on prend Jésus pour un prophète d’autrefois qui serait ressuscité : certains pensent à Jean-Baptiste, d’autres à Elie, d’autres à un autre prophète encore. Puis Jésus demande à ses disciples quelle est leur réponse à eux : « Et vous, que dites-vous ? pour vous qui suis-je ? » Selon l’évangéliste Luc, c’est Pierre qui prend la parole au nom des disciples et qui répond que Jésus est « Le Christ de Dieu ». Christ est la traduction en grec du terme « Messie » utilisé dans l’Ancien Testament pour désigner l’envoyé de Dieu. Au temps de Jésus, on attend celui qui va venir au nom de Dieu pour délivrer Israël de la tutelle romaine.
Ce matin, nous pourrions prolonger et actualiser le questionnement. Je pourrais vous poser la question : « Pour les gens d’aujourd’hui, qui est Jésus ? » Si nous avions le temps d’un échange, vous me répondriez probablement que pour certains il a été un prophète de Dieu (c’est par exemple ce que disent les musulmans de Jésus) et que son enseignement les inspire aujourd’hui encore ; que pour d’autres il a été un guérisseur remarquable (c’est ce que pensent par exemple non seulement des chrétiens mais aussi certains tenants de la mouvance New Age) et qu’aujourd’hui encore, des guérisons ont lieu au nom de Jésus. Vous me diriez aussi que, pour d’autres encore, Jésus a été le chef d’un groupe révolutionnaire qui a été supprimé par le pouvoir en place et qu’il est un modèle de radicalité à suivre pour transformer la vie sur terre.
Et puis je pourrais vous demander : « Et vous, que dites-vous ? Vous qui êtes là ce matin, ou vous qui avez choisi d’écouter la messe à la radio ou de la suivre en image sur internet, pour vous, qui est Jésus ? » Si nous avions le temps, je pourrais vous proposer quelques minutes de réflexion pour formuler votre réponse au terme desquelles probablement personne d’entre vous n’utiliserait exactement la même formule que Pierre et ne répondrait « Le Christ de Dieu » ou « Le Messie de Dieu ». Peut-être que certains répondraient quelque chose de proche et diraient simplement « Le Christ » ou « Le Messie ». Mais utiliser des mots similaires ne veut cependant pas forcément dire que le sens est le même. En tout cas, personne ne dirait qu’il fut l’envoyé de Dieu venu libérer Israël de la tutelle romaine. Tout simplement parce que, malgré les espoirs de certains, cela ne s’est pas passé. Et c’est pourquoi Jésus intime l’ordre à ses disciples de se taire, parce qu’au moment où il les interroge, ils ne sont pas en mesure de comprendre quel genre d’envoyé de Dieu il est.
Dieu est rejeté, ignoré, méprisé
Alors Jésus oriente ses disciples vers une autre manière d’envisager une intervention au nom de Dieu. Il parle d’être rejeté, de souffrir, avant de ressusciter. Il se situe tout à fait dans la ligne des paroles du prophète Zacharie que nous avons entendues tout à l’heure. Il se présente comme le représentant d’un Dieu qui accepte de se laisser rejeter, même transpercer, pour permettre à ceux qui commencent par le rejeter de pouvoir ensuite le trouver. Zacharie utilise l’image du deuil d’un fils unique. C’est au moment où vous l’avez perdu que vous ressentez combien il était précieux pour vous, surtout si c’est à cause de votre manière d’agir que vous l’avez perdu. Dieu est rejeté, ignoré, méprisé, constate Jésus. Soit ! Tel est le Dieu dont il choisit d’être le représentant, l’envoyé, et pour lequel il est prêt à subir le même sort. Jésus parle d’un Dieu qui accepte d’être ainsi traité et qui ne rejette pas ceux qui le rejettent. Et Jésus poursuit en affirmant que celui qui adhère à son enseignement et à ses actions, donc qui veut venir à sa suite, doit de même renoncer à soi-même, prendre sa croix. Et c’est alors qu’il ajoute : « Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. »
Perdre sa vie ou la sauver ?
Cet enseignement de Jésus commence par parler d’identité. Il s’intéresse à l’identité de Jésus lui-même : « Qui suis-je pour vous ? » demande-t-il. Et il donne des précisions pour aider à donner une réponse plus ajustée que celles qui lui sont fournies. Mais surtout, il poursuit en prétendant que l’identité du disciple est liée à son identité à lui. N’a vraiment compris qui est Jésus que celui ou celle qui est prêt à renoncer à soi-même, à se perdre. Tel est le salut. Perdre sa vie ou la sauver ?
Annoncer le salut aujourd’hui n’est pas très tendance. De quoi pourrions-nous avoir besoin d’être sauvés ? Jésus apporte une première réponse en désillusionnant ses disciples. Ils attendent la manifestation d’un Dieu qui s’impose par la force et va chasser l’occupant romain. Ils croient au salut par la force. Jésus vient leur dire que le salut consiste tout d’abord à être libéré de l’attente illusoire qu’un Dieu puissant prendra le parti d’un groupe humain contre un autre groupe humain. Rêver de son propre salut aux dépends des autres n’est qu’une forme de perdition. « Jésus sauve ». De quoi sauve-t-il ? Tout d’abord d’une image illusoire de Dieu.
Un Dieu solidaire des exclus
Et puis il sauve aussi d’une conséquence directe de cette image illusoire : il sauve de l’exclusion. Pour qui attend le Dieu vengeur, le salut est compris comme l’écrasement par Dieu des méchants au bénéfice des justes. Par son enseignement et ses actions, Jésus vient renverser cette manière de voir en montrant qu’elle crée l’exclusion, et que l’exclusion, c’est la perdition. C’est pourquoi l’apôtre Paul, dans sa Lettre aux Galates prend bien soin de dire qu’il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme et la femme, mais que tous ont part à la même promesse. Paul parle dans un environnement social où l’on a une forte conscience du privilège d’être inclus : par exemple d’être juif si le salut consiste à être considéré comme un descendant d’Abraham ; ou d’être un homme libre, si l’inclusion consiste à être citoyen d’une cité grecque ou romaine ; ou d’être un homme si l’inclusion sociale de la femme n’est possible que si elle dépend d’un homme qui a lui-même un statut qui l’inclut dans la société. Cependant, cette conception du monde produit une foule d’exclus ou d’exclus potentiels : les lépreux, les juifs qui collaborent avec les romains, les prostituées, les esclaves, les étrangers, etc. Pas étonnant que l’enseignement de Jésus qui annonce que Dieu lui-même a supporté d’être rejeté ait attiré tous ces exclus qui vont constituer les premières communautés chrétiennes. Car ce Dieu, qui a été rejeté, qui est solidaire de Jésus, lui-même rejeté, est donc solidaire de tous ceux qui sont rejetés, et met fin à leur exclusion.
De quoi avons-nous besoin d’être sauvés aujourd’hui ? D’une image illusoire de Dieu, avons-nous dit. Nous pouvons ajouter maintenant que le Dieu que nous présente Jésus sauve de l’exclusion. Or, reconnaissons-le : dans notre monde d’aujourd’hui, il y a encore des exclusions religieuses, y compris entre certains groupes chrétiens, et même au nom de certaines représentations de Dieu. Il n’y a plus le juif et le grec, répond l’apôtre Paul. Dans notre monde d’aujourd’hui, il y a aussi encore beaucoup d’exclusions sociales, d’individus ou de groupes humains qui sont déconsidérés par d’autres. Il n’y a plus l’esclave et l’être humain libre, dit Paul. Dans notre monde d’aujourd’hui, il y a encore beaucoup trop de femmes exploitées. Il n’y a plus l’homme et la femme, dit Paul. Jésus annonce que Dieu n’est pas du côté de ceux qui veulent sauver leurs privilèges au détriment d’autres êtres humains qui sont tout autant à son image. Ceux qui excluent se perdent.
Le salut : accepter de ne plus s’appartenir
En définitive, que veut dire exclure et se perdre ? Cela veut dire construire des murs et s’enfermer derrière eux, comme dans les forteresses du Moyen-Âge qui protégeaient certaines personnes considérées comme supérieures à tous ceux qui étaient laissés en-dehors. Or, de manière moins visible, il y a aujourd’hui toutes sortes de manière de rester enfermé en soi, pour se sauver soi-même. Il y a une manière de ne vouloir s’appartenir qu’à soi-même qui peut être considérée, du point de vue de l’enseignement de Jésus, comme une manière de se perdre, de s’enfermer dans un isolement psychique qui est une forme contemporaine de l’enfer. Le salut, c’est d’accepter de ne plus s’appartenir, de ne plus être là d’abord pour soi-même.
« Jésus sauve ». Il sauve d’images illusoires de Dieu, il sauve de l’exclusion, il sauve de l’enfermement en soi. Comment ? En suivant la voie qu’il a tracée et qui consiste à choisir d’imiter le Dieu qu’annonce le prophète Zacharie : en renonçant à exclure, en renonçant à s’enfermer en soi. Alors ce jour-là, comme le dit le prophète Zacharie, une source jaillit pour ceux qui sortent de leur quant-à-soi. C’est la source de vie.
Lectures bibliques : Zacharie 12,10-11a ; 13.1; Galates 3,26-29; Luc 9,18-24

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Un catholique s’est échappé!
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Homélie du 16 juin 2019 (Jn 16, 12-15)
Frère Gilles Emery O.P. – Couvent des Dominicains Saint-Hyacinthe, Fribourg
Notre Dieu nous a fait connaître qui il est, et c’est dans son agir de salut qu’il nous a révélé son identité. Dieu se fait connaître dans la vie qu’il nous donne et qui renouvelle nos existences. C’est cela que nous célébrons aujourd’hui : notre Dieu s’est fait connaître comme Père en nous donnant son Fils ; il s’est fait connaître comme Fils dans le don de l’incarnation et de Pâques ; et il s’est fait connaître comme Esprit Saint à la Pentecôte.
C’est par le don de lui-même que notre Dieu, dans les événements du salut, de Noël à la Pentecôte, s’est révélé comme Trinité. Lorsque Dieu se fait connaître, il ne transmet pas des “informations” sur lui‑même, mais il se donne à nous en personnes, en trois personnes. C’est en accueillant ce don, dans la foi vive, que nous recevons la révélation de l’identité trinitaire du Dieu unique et que, par là, nous recevons d’entrer dans une relation personnelle avec lui.
Baptisés dans le nom de la sainte Trinité
Nous l’avons entendu dans les lectures bibliques. La Sagesse, dans laquelle nous reconnaissons la personne du Fils de Dieu, communie pleinement à la vie de Dieu le Père dans l’éternité, et elle vient trouver ses délices avec les hommes, dans l’incarnation. Et le Saint-Esprit, écrit saint Paul, nous a été donné avec l’amour de Dieu qu’il a répandu dans nos cœurs. Dans l’évangile Jésus nous dit que le Saint-Esprit nous conduira à la pleine connaissance de la vérité, c’est-à-dire à une foi vivante et aimante en Dieu le Fils qui nous donne ce qu’il a reçu du Père. Par la foi, par l’espérance et par l’amour de charité, la Trinité nous introduit dans sa communion. Au fond, quand l’Écriture sainte nous parle du salut, elle nous parle de la Trinité ; et quand l’Écriture sainte nous parle de la Trinité, elle nous parle du salut. C’est pourquoi nous sommes baptisés dans le nom de la sainte Trinité, le nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Cela est tellement essentiel à la foi chrétienne que, lorsque l’Église a formulé son Credo, celui que nous proclamons aujourd’hui encore dans la célébration du baptême, de la confirmation et de l’Eucharistie, l’Église a donné à ce Credo une forme trinitaire : nous croyons au Père, et au Fils et au Saint-Esprit. Le Symbole chrétien de la foi, le credo de notre baptême, c’est le Symbole (le Credo) de la Trinité.
La fête de la Trinité récapitule tous les événements de salut
Et c’est la raison pour laquelle aujourd’hui, dimanche après la Pentecôte, nous célébrons la fête de la Sainte Trinité. Cette fête de la Trinité n’ajoute rien à Noël, à Pâques et à la Pentecôte, mais elle les reprend et les récapitule. La fête de ce dimanche noue Noël, Pâques et Pentecôte comme dans une gerbe de louange et d’adoration. À Noël, le Fils de Dieu est devenu homme pour nous donner de connaître son Père et pour faire de nous des enfants de son Père ; à Pâques, le Fils de Dieu est ressuscité dans la vie glorieuse pour nous donner de vivre avec lui auprès de son Père ; et à la Pentecôte, il a répandu l’Esprit Saint qui nous introduit dans la communion du Père et du Fils et qui nous fait avancer dans cette communion. La fête de la Trinité récapitule simplement tous ces événements de salut, avec une note spéciale de louange et d’adoration. Cette fête de la Sainte Trinité nous redit que la gloire de notre Dieu, c’est le salut des hommes qui a été accompli par l’envoi du Fils et par le don de l’Esprit ; et que le salut des hommes, ce n’est rien moins que l’union à Dieu le Père, dans son Fils Jésus et dans le Saint-Esprit qui nous a été donné. Et non seulement nous remercions Dieu pour les événements dans lesquels il s’est révélé et donné à nous (c’est l’action de grâces), mais nous adressons aussi à Dieu Trinité une pure et gratuite louange pour ce qu’il est (c’est l’adoration). Toute la liturgie de ce dimanche est marquée par cette louange d’adoration.
Une pause contemplative
En somme, avant de nous appeler à faire quelque chose, la fête de la Trinité nous offre une pause contemplative. C’est cette contemplation qui nous donnera la droiture et l’énergie pour mener notre vie chrétienne. Cette pause contemplative nous oriente dans deux directions qui sont en réalité comme les deux faces d’une même et unique pièce de monnaie.
(1) La première face, ce sont les événements du salut, de Noël à la Pentecôte, dans lesquels Dieu s’est révélé et donné à nous tel qu’il est : Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu. L’un des meilleurs moyens de regarder cette première face, c’est la prière du Rosaire dans laquelle, avec la Vierge Marie, nous portons notre attention sur la vie de Jésus dans sa relation au Père et au Saint-Esprit.
(2) La deuxième face, c’est Dieu Trinité dans sa vie intime, dans son éternelle gloire comme le dit la liturgie, dans l’unité des trois personnes qui sont un seul Dieu. Et la meilleure expression de cette attitude de contemplation, c’est la doxologie, c’est-à-dire l’adoration de louange dans laquelle nous rendons à Dieu la gloire pour ce qu’il est dans la pureté de sa vie divine. Cette journée nous est donnée pour inscrire, au cœur de nos vies, la louange de Dieu qui est l’action la plus vitale de toute l’Église, et l’action la plus profonde que nous puissions accomplir, c’est-à-dire rendre simplement gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, comme il était au commencement, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles, amen.
11e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – LA TRÈS SAINTE TRINITÉ
Lectures bibliques : Proverbes 8, 22-31; Psaume 8, 4-5, 6-7, 8-9; Romains 5, 1-5; Jean 16, 12-15
