Homélie du 7 avril 2019 (Jn 8, 1-11)

Chanoine José Mittaz – Église Saint-Martin, Vollèges

Cet Évangile nous donne de sentir le rythme de vie de Jésus et sa manière de nous rejoindre dans notre expérience de vie. Le rythme de Jésus : la journée, il enseigne au temple, la nuit, il est au Mont des Oliviers. Quelle délicatesse de la part de Jésus ! La nuit, l’Évangile nous l’exprime et notre propre expérience peut le comprendre, c’est parfois, le moment où il y a de l’angoisse, c’est parfois, le moment où il y a de l’épreuve, c’est le moment où on a besoin d’être rejoint, où la solitude est difficile, c’est le moment où nous pouvons parfois, nous laisser mener par ce qui n’est pas le meilleur de nous-mêmes et Jésus se fait proche de nous dans ces moments-là en étant au Jardin des Oliviers.

Au moment où nous vivons l’épreuve, pensons au Jardin des Oliviers. L’olivier est à la fois, le symbole de son fruit, l’olive, qui nous donne cette huile qui est un baume, un onguent qui fait du bien, qui est nourrissante ; une huile qui donne la paix, qui met de la douceur où nous avons besoin de la recevoir. L’olivier c’est notre besoin de douceur, lui dont le bois est noueux. Il sait qu’il y a des nœuds en nous, que parfois, à l’intérieur de nous c’est aussi noué. Au moment que nous expérimentons que nous sommes noués et que, par fragilité, nous ne savons comment le vivre dans les heures de nos nuits obscures, faisons mémoire de Jésus qui est silencieusement là, proche des oliviers noués, noueux pour nous offrir l’huile du réconfort, le baume de la douceur, un baume de la douceur qu’il n’est pas facile à offrir pour Jésus.

Personne n’est respecté dans cette histoire

Le lendemain, lorsqu’il se retrouve au temple voici que les scribes, les pharisiens emmènent cette femme au milieu. Vous avez entendu le récit, ils l’ont surpris en flagrant délit d’adultère. Que c’est triste ! Que c’est triste l’attitude de ces hommes !

Offrir du temps

L’attitude de ces hommes qui au lieu de veiller à la douceur au cœur de la nuit se promènent je ne sais où pour devenir témoins de ce qu’ils n’auraient pas eu à regarder, à voir. Que c’est triste que l’attitude de ces hommes qui utilisent, qui abusent de la fragilité de la situation de cette femme qui, je vous le rappelle, ne devait pas être toute seule, pour pouvoir accuser Jésus ! Ces hommes, ces scribes et pharisiens font de cette femme dans l’expérience de sa fragilité, une femme objet. Objet pour accuser, pour faire mal à Jésus. Personne n’est respecté dans cette histoire, ni la loi de Moïse puisque la loi de Moïse est là pour préserver la liberté et pas pour lapider. Ils posent la question à Jésus : «Eh bien voilà, la loi de Moïse dit que ces femmes-là doivent être lapidées et toi, qu’en dis-tu ? » Jésus ne répond pas tout de suite. Parfois, il faut savoir se donner un peu de temps et permettre dans ce temps qui est donné à l’autre de réfléchir. Parce qu’ils arrivent avec une énergie violente où tout doit être rapide, Jésus rajoute de la lenteur. Et la liberté de rajouter de la lenteur c’est parce qu’il a passé la nuit au jardin des oliviers, il a puisé dans cette nuit-là, l’huile qu’il commence à offrir déjà en offrant du temps pour que chacun de ces hommes se retrouvent non plus face à une femme objet mais face à eux-mêmes.

Se laisser désarmer

« Que celui qui est sans péché, lui jette en premier la pierre. » Ça c’est fort parce que ça nous appelle à ne pas oublier à être humain au moment où nous sommes devant une loi. Et comment être humain ? C’est rejoindre notre propre capacité à être noueux, à être noué comme l’olivier. Car c’est seulement ainsi que nous aussi nous pourrons donner de cette huile qui fait du bien.
Un par un, les accusateurs vont se laisser désarmer, lâchant la pierre qu’ils avaient prévue envoyer sur cette femme pour la lapider. Ils lâchent la pierre et ils se laissent désarmer, un à un en commençant par le plus âgé, nous dit l’Évangéliste. Oui, chacun a son rythme pour se laisser désarmer. Ils sont arrivés comme un seul homme, la force d’un groupe qui peut manipuler. Ils repartent un à un, confronté chacun à sa fragile humanité. Les plus âgés sont peut-être, ceux qui sont plus conscients de leur humanité, des hauts et des bas de chacune de nos vies. Ils peuvent repartir un à un, libérés de ce cercle enfermant, de ce cercle des accusateurs.

Une œuvre de libération

Juste après qu’ils soient partis, l’Évangéliste, en fin psychologue, nous dit que cette femme est restée là au milieu.  Mais au milieu de quoi puisqu’ils sont tous partis ? C’est là qu’il nous faut bien nous rappeler que lorsque nous endurons de l’accusation ou des paroles qui nous font mal, qui nous enferment, qui nous encerclent, qui sont comme un étau sur nous, eh bien, les personnes peuvent être parties ; les paroles restent, l’enfermement subsiste parce que le cercle des accusateurs a été comme intériorisé dans la vie et dans le cœur de cette femme. Et Jésus va procéder à une œuvre de libération.

C’est au moment où les accusateurs sont partis que Jésus ose lever son regard parce que s’il l’avait levé avant, il y aurait eu trop de risques que son regard ait été interprété par cette femme comme étant un regard accusateur. On sait que l’on peut mettre sur le regard de l’autre, nos propres peurs ou alors, là où on a déjà eu mal à cause des autres. Jésus lève son regard et demande à cette femme : «Alors, personne ne t’a condamnée ? » Quelle délicatesse de la part de Jésus qui ne demande pas à cette femme qu’est-ce qu’elle a vécu, qu’est ce qu’elle a enduré mais qui la libère là où elle a besoin d’être libérée.  « Personne ne t’a condamnée ? » « Non, personne. » La première fois où cette femme peut s’exprimer c’est pour dire : « non je n’ai pas été condamnée. » Quelle grâce ! ça, c’est humanisant. Voilà une attitude qui met de l’huile là où nous sommes blessés, de l’huile qui pense les plaies.  « Eh bien, moi, non plus, je ne te condamne pas », dit Jésus. Il confirme ce que cette femme a perçu en elle-même sans nier qu’il peut y avoir eu péché. « Va et désormais, ne pêche plus ! » Voyez que ce qui doit être mis au centre de nos vies, ça n’est pas le péché, ça n’est pas le jugement, l’accusation, c’est la grâce de se relever. Saint Augustin, je crois, a cette très belle interprétation de Jésus qui écrit sur le sol quand il a le visage incliné vers le bas. Saint Augustin dit : « Jésus écrit sur le sol la parole d’amour qu’il aimerait graver en notre cœur. » Lorsque nous sommes libérés du cercle des accusateurs, nous pouvons nous ouvrir à la vie, nous ouvrir aux autres.

Et ce matin, dans cette célébration, puisse notre cœur s’ouvrir en particulier à nos frères et sœurs en humanité en Algérie qui, comme nous l’a dit le Père Lassausse, un peuple en train de se relever, autrement dit, dans l’attitude de Jésus qui est là pour nous libérer.

Osons reconnaître les visages de Jésus dans l’aujourd’hui.


5e dimanche de Carême – Année B

Lectures bibliques : Isaïe 43, 16-21; Psaume 125; Philippiens 3, 8-14; Jean 8, 1-11


 

Assemblée générale 2019 de Cath-Info


Voici les documents distribués lors de
l’assemblée générale de Cath-Info
du 8 mai 2019 à Genève:

Homélie du 31 mars 2019 ( Lc 15, 1-3.11-32)

Chanoine José Mittaz – Eglise Saint-Martin, Vollèges

La conversion à laquelle nous sommes appelés au temps du carême et particulièrement en ce dimanche, c’est une conversion à la joie de vivre. Réjouissons-nous ! Mais que veut dire se réjouir ? Est-il possible de se réjouir ? Quand nous voyons cet homme qui avait deux fils, pas simple de se réjouir : il n’y a jamais tous les ingrédients de la joie qui sont là. A un moment de la parabole le cadet s’en va avec la part d’héritage qui lui revient et donc, le père se retrouve avec ce soucis d’un fils qui s’en va et qui ne semble pas pouvoir intégrer en lui ce désir d’exister. Il part se perdre. Et lorsqu’il revient à lui ce fils et retourne chez son père, eh bien, c’est l’aîné qui reste à l’extérieur et refuse la joie du vivre ensemble.

Traverser les trois personnages de la parabole

La parabole qui nous est proposée pour nous inviter à la conversion, à la conversion à la joie de vivre, à la joie d’exister, elle nous tient dans le réalisme. Elle nous apprend déjà que la joie ce n’est pas l’expérience du tout va bien dans le meilleur des mondes. La joie c’est ce désir de vivre, de donner la vie, d’être porté intérieurement. Cette joie nous fait traverser probablement les trois personnages de la parabole.

Misère relationnelle

Parabole que l’on appelle assez facilement, parabole de l’enfant prodigue, peut-être parce qu’il nous est le plus facile de nous identifier à cet enfant prodigue : cet enfant qui quitte, cet enfant qui fait l’expérience, ce fils qui fait l’expérience de l’éloignement, de la dissemblance, l’expérience de se retrouver démuni. Et la misère que ce fils cadet va découvrir, ça n’est pas uniquement la misère de ne plus rien avoir en temps de famine. La misère c’est qu’il y avait là de quoi nourrir les porcs mais personne ne lui donnait même cela. La misère aujourd’hui, elle est souvent relationnelle. Personne ne m’a donné.

«Je vais retourner vers mon père et lui dire : je ne mérite plus » 

Et en même temps, c’est à ce moment que le fils cadet peut comme rentrer en lui-même et faire mémoire. Notre mémoire peut être le lieu de la joie retrouvée. N’est-ce pas à chaque eucharistie que nous faisons mémoire de la vie qui a vaincu la mort ? N’est-ce pas à chaque eucharistie que nous faisons mémoire jusqu’où nous sommes aimés ? Le fils se rappelle de la bonté de son père mais il ne s’en juge plus digne. «Je vais retourner vers mon père et lui dire « je ne mérite plus. »  Je ne mérite plus. Ce sont des mots qui résonnent parfois, pour relire nos propres histoires. Mais la parabole nous invite à ne pas nous laisser arrêter par ces mots parce que ces mots nous empêchent d’entrer dans la joie à laquelle Dieu nous appelle. Je ne mérite plus, je ne suis pas à la hauteur, je ne vaux rien et je risque de me mettre en situation de servitude plutôt que d’entrer dans la liberté de la joie retrouvée. Vous l’avez entendu, le père lorsqu’il accueille son fils, est saisi de compassion autrement dit ça lui prend au ventre. Ce n’est pas une idée. Ça lui prend aux tripes, au ventre, en ce lieu où il a porté son fils, en ce lieu où nous avons mal pour l’autre, en ce lieu où nous nous réjouissons dans nos relations humaines. Et le père ne lui laisse pas le temps de finir sa parole, ne lui laisse pas le temps de parler de son indignité. Ça aussi c’est un appel pour nous.

Chemin d’espérance

Vous savez, les paroles que l’on dit de nous-mêmes, sur nous-mêmes ou sur l’autre, mais aussi celles que l’on dit sur nous-mêmes ont une influence sur notre manière de nous situer. Si je dis trop souvent que je ne vaux rien, je vais finir par le croire. Si je dis trop souvent que je ne mérite pas, je vais finir par vivre à partir de cette parole à laquelle je vais accorder de l’autorité. L’autorité c’est le père qui nous dit « mais viens, je te revêts de dignité et nous allons festoyer ensemble. Je me réjouis que tu sois passé de la mort à la vie.» La joie c’est celle qui nous fait passer d’une situation de mort à un chemin d’espérance qui ouvre à la vie. L’énergie de la vie, elle peut être dilapidée, nous l’avons entendu avec le fils cadet.

Oser la fête, c’est oser la joie

Mais l’énergie de la vie, elle peut aussi être renfermée en soi sous des apparences honorables, c’est le fils aîné de la parabole. Il a tout bien fait. Il a tout bien fait mais quelle dureté ! « J’ai obéi à tous tes ordres. » Oui mais c’est un père ce n’est pas un tortionnaire. Comment vivre la joie relationnelle au moment où je me situe uniquement sur le registre du devoir ? Le fils aîné semble être un handicapé de la joie parce que son énergie de vie peut-être il la refoule trop en lui-même et ça en devient une violence, une colère. Il fulmine à l’intérieur de lui-même. Alors que cette énergie qui est là, elle pourrait être mise en partage. Il ne s’agit pas de bosser, bosser, bosser… Il s’agit de se livrer, d’aimer, de se donner. Le premier barrage pour le fils aîné ce n’est pas quand il apprend que son frère est de retour, c’est quand il entend la musique de la fête et là, il ne rentre pas. Il dit « qu’est-ce qui se passe ? » Ah tiens, quand il y a de la joie, quand il y a de la fête, c’est déjà suspect.  Je me sens déjà en danger parce que dans la joie, nous le savons quand nous pouvons vivre cette énergie là, eh bien, nous ne sommes plus dans le contrôle. Nous sommes appelés à conduire notre vie mais pas à tout maîtriser. Oser la fête, oser la joie, c’est quitter la maîtrise qui nous raidit pour nous ouvrir au don de la rencontre partagée où tout d’un coup l’autre va pouvoir m’ouvrir à la vie au travers de sa présence, me déplacer intérieurement, me confirmer, me libérer. Mais lorsque nous n’y parvenons pas, eh bien, nous sommes parfois comme ce fils aîné. Une bonne manière de rester à distance de la joie c’est de tendre le bras avec l’index pointé sur l’autre dans une attitude de jugement, vous avez entendu ce qu’il a dit sur son frère cadet. Il n’était pas avec lui quand il a souffert, quand il était au fond du gouffre mais il sait dire les paroles moralisatrices qui tuent.

L’attitude du père qui donne la vie

Mais Jésus en nous racontant cette parabole, ne nous invite pas à rester à l’un ou l’autre fils, il nous invite à devenir le père, c’est-à-dire à être dans l’attitude qui donne vie. Il y trois paraboles de la miséricorde : celle de la piécette retrouvée par cette femme, celle de la brebis retrouvée par le berger et celle de l’enfant prodigue. On peut s’identifier à un fils qui revient. On ne peut pas s’identifier à une piécette de monnaie et pas tellement non plus à une brebis, spontanément. Par contre, nous pouvons nous identifier à la joie du berger qui retrouve la brebis, à la joie de cette femme qui retrouve la pièce et qui organise la fête. Une fête qui lui coûtera peut-être plus que la pièce de monnaie retrouvée, y compris ici pour le père.

La joie du père c’est d’être tout le temps dans la vie qui est donnée, mais en découvrant quand même qu’il ne peut pas se mettre à la place de l’autre. La joie c’est de rester humble. Découvrir que je peux offrir une présence à l’autre mais que je ne peux pas faire le chemin à sa place. Le fils cadet va partir tout seul. Le fils aîné restera à l’extérieur du moins là où on en est de la parabole. Le père guettera le fils cadet avec ses yeux remplis d’espérance, de compassion et il ira à l’extérieur rencontrer son fils aîné. Autrement dit, il y a une dimension de solitude dans sa joie. Mais sa joie elle est réelle, elle traverse le creuset de l’épreuve parce qu’il est tout le temps dans le souci de donner la vie, la joie. C’est donner notre vie. Et c’est faire l’expérience d’être aimé et d’aimer.  Toute cette parabole peut se résumer en cette unique parole :  tu seras aimé quand tu pourras montrer ta fragilité sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. Tu seras aimé quand tu pourras montrer ta fragilité sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. Et une fois que tu as fait l’expérience d’être aimé, tu pourras aimer de la même manière. C’est cela l’appel à la joie.


4e dimanche de Carême, Année B

Lectures bibliques : Josué 5, 9a.10-12; Psaume 33, 2-3, 4-5, 6-7; 2 Corinthiens 5, 17-21; Luc 15, 1-3.11-32