Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase, Commission d'enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs commis au sein de l'Église | © KEYSTONE - Marc OLLIVIER
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«Il faut réformer le droit de l’Église», assure Jean-Marc Sauvé

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Parmi les 45 recommandations du rapport la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), rendu le 5 octobre 2021, une réforme du Droit canonique est préconisé par Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase.

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Après trois ans d’enquête, le rapport de près de 500 pages estime que 216’000 personnes ont été abusées par des clercs ou des religieux depuis 1950 en France.

«Il faut réformer le droit de l’Église», a insisté Jean-Marc Sauvé lors de la présentation du rapport à Paris. Le droit canonique «n’a pas contribué, comme il aurait pu, comme il aurait dû, au traitement approprié des violences des agressions sexuelles dans l’Église», a poursuivi celui qui venait d’annoncer qu’environ 330’000 mineurs avaient été victimes de clercs, de religieux ou de laïcs engagés dans l’Église catholique depuis 1950.

Des peines correspondantes aux infractions

Certes, la Ciase a pris acte «avec beaucoup d’intérêt et de satisfaction» de la réforme du Droit canonique qui doit entrer en vigueur le 8 décembre prochain. Cette modification, engagée par le pape François, fera notamment passer les agressions sexuelles de la catégorie des offenses à la chasteté à la catégorie des atteintes à la vie et à la dignité des personnes. «C’est un premier pas», a salué le haut fonctionnaire français mandaté par la Conférence des évêques de France en 2018 pour faire la lumière sur des décennies d’abus.

Mais dans son rapport, la Ciase préconise d’aller plus loin encore, recommandant à l’Église de définir dans le droit canonique «l’ensemble des infractions sexuelles commises sur un mineur ou une personne vulnérable, en faisant ressortir les éléments constitutifs de chacune des infractions et les peines correspondantes». L’objectif visé: «accroître la lisibilité de ce droit», «faire ressortir l’échelle de gravité des manquements» et «harmoniser l’interprétation des normes de référence».

Une autre recommandation suggère en ce sens de «créer et diffuser un recueil des décisions anonymisées rendues par les juridictions appliquant le droit canonique» sur les questions d’abus sexuels sur mineurs.

Mettre en place des règles pour «un procès équitable»

Dans son propos sur le droit canonique, Jean-Marc Sauvé a aussi mis en évidence la «trop grande confusion des responsabilités» qui règne dans l’exercice de la justice ecclésiastique et a plaidé pour l’introduction de règles pour »un procès équitable».

Selon lui, l’évêque d’un diocèse endosse trop de fonctions et de rôles. Et le président de la Ciase de lister les fonctions de «direction des ressources humaines», le fait d’être «à la tête du presbyterium” mais aussi d’être «promoteur de justice», de pouvoir nommer indirectement les juges, de potentiellement être l’autorité de jugement et puis encore d’être chargé de l’application des peines.

«Cette multiplicité de fonctions et de rôles est génératrice de conflits d’intérêts», a pointé du doigt le chef de la commission. Reconnaissant que la création annoncée d’un tribunal pénal canonique national en France représentait un «pas en avant considérable», il a toutefois assuré qu’il devrait être complété par d’autres mesures.

Par exemple, la Ciase estime que l’Église doit désormais ouvrir la procédure pénale aux victimes. Celles-ci sont «les grandes absentes» dans les procès, a déploré Jean-Marc Sauvé.

La question du secret de la confession 

Le président de la commission indépendante s’est aussi exprimé sur le «secret de la confession» qui, selon l’Église catholique, ne peut en aucune circonstance être violé. Ainsi, un prêtre qui entendrait une victime ou bien un agresseur dans le cadre de la confession n’a pas le droit de divulguer ce qui lui est confié.

En France, ce secret de la confession est aussi garanti par la justice civile au titre du secret professionnel. Cependant, le rapport de la Ciase met en avant le fait qu’au niveau civil, l’obligation juridique de signalement de violences sexuelles commises sur des mineurs ou des personnes vulnérables prime sur ce droit au secret.

Le rapport préconise dès lors que l’Église résorbe «les dilemmes moraux, voire théologiques, susceptibles de résulter du conflit de devoirs entre respect du droit divin révélé (le secret sacramentel) et respect du droit divin naturel (l’obligation de protéger l’intégrité des personnes)».

Lors de la conférence de presse, Jean-Marc Sauvé a en ce sens déclaré que «le secret de la confession ne peut pas être opposé à l’obligation de dénoncer des atteintes graves sur mineurs». Reconnaissant la «sensibilité» de cette recommandation pour l’Église catholique, il a confié y être favorable à titre personnel.

La question du célibat des prêtres

Si elle n’a pas été directement abordée dans la présentation, la recommandation portant sur la réflexion autour du célibat des prêtres figure dans les quelque 500 pages du rapport. La Ciase recommande à l’Église d’identifier «les exigences éthiques du célibat consacré au regard, notamment, de la représentation du prêtre et du risque qui consisterait à lui conférer une position héroïque ou de domination».

Le rapport suggère par ailleurs que l’Église en France évalue «les perspectives ouvertes par l’ensemble des réflexions du Synode d’Amazonie»; en particulier, la demande que soient ordonnés prêtres des hommes mariés ad experimentum.

Cette perspective ouverte à l’occasion du Synode sur l’Amazonie n’avait pas été reprise dans l’exhortation post-synodale du pape François Querida Amazonia en 2020. 

Les évêques français s’apprêtent à analyser les préconisations

La publication du rapport de la Ciase «dépasse ce que nous pouvions supposer», a réagi Mgr Éric de Moulins Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. Il a fait part de sa «honte» et de son «effroi» face à ces révélations mais aussi de sa «détermination à agir» pour que le «refus de voir, le refus d’entendre, la volonté de cacher ou de masquer les faits, la réticence à les dénoncer publiquement disparaissent des attitudes des autorités ecclésiales».

Saluant le «travail formidable» de la commission, il a assuré que les évêques de France consacreraient du temps pour étudier «les analyses proposées et les préconisations faites» ainsi que pour évaluer les mesures déjà entreprises. (cath.ch/imedia/hl/gr)

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Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase, Commission d'enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs commis au sein de l'Église | © KEYSTONE – Marc OLLIVIER
5 octobre 2021 | 15:39
par I.MEDIA

L'Église de France ébranlée par le rapport Sauvé
Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, a été publié le 5 octobre 2021, après un peu moins de trois ans d’enquête. Les chiffres font état de 3'000 prêtres ou religieux abuseurs qui auraient fait plus de 300'000 victimes en 70 ans. Les évêques disent «leur honte» et leur détermination à mettre en œuvre les orientations et les décisions nécessaires «afin qu’un tel scandale ne puisse se reproduire».

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