Homélie du 3 mai 2020 (Jn 10, 1-10)

Chanoine Roland Jaquenoud – Abbaye de Saint-Maurice

Dimanche du bon Pasteur

Chers frères et sœurs,

Le dimanche du bon pasteur, dans l’église catholique, est traditionnellement consacré à la prière pour ces vocations si spécifiques dans l’Eglise que sont l’appel au sacerdoce et l’appel à la vie religieuse. Jésus lui-même a confié d’une manière toute particulière à ses Apôtres la proclamation de sa bonne nouvelle (Evangile) et la sanctification des hommes par les sacrements. Et ceux-ci ont ensuite imposé les mains à des successeurs, ceux qu’on appelle aujourd’hui des évêques, à des anciens, qu’on appelle aujourd’hui des prêtres, et à des diacres, afin que le ministère apostolique continue après leur mort.

La mission apostolique de l’Eglise ne repose pas uniquement entre les mains de ceux qui ont été ordonnés, mais ceux-ci doivent y consacrer leur vie entière. C’est aussi Jésus qui, dans une page ou l’autre des évangiles, fait l’éloge de la chasteté pour le Royaume, Jésus qui montre l’importance de confier toute sa vie dans les mains de Dieu en travaillant à l’avènement du Royaume, Jésus encore qui se présente comme pauvre parmi les pauvres, et qui devient ainsi l’initiateur de la vie consacrée, religieuse, présente dans l’église depuis les premiers siècles de son existence.

Or dans l’Evangile de ce jour, Jésus nous parle non de plusieurs pasteurs, mais d’un seul : lui-même. Toute la première partie de notre texte nous parle d’une relation très délicate, on pourrait dire très intime, entre le pasteur et chacune de ses brebis.

« Ses brebis à lui, il les appelle par son nom » (Jn 10, 3)

Le nom, le nom propre, dans l’Ecriture sainte, est quelque chose de très intime. Dans l’Ancien Testament, on n’appelle pas Dieu par son Nom. Il a fallu que Dieu lui-même nous révèle le nom de Jésus pour que nous ayons un nom propre par qui nous adresser à lui. Lorsque saint Jean nous dit que le Pasteur appelle ses brebis par son nom, cela veut dire qu’il a une relation personnelle avec chacune d’elle : aucune n’est anonyme à ses yeux. Dans les rites liés au baptême, il y a un moment où on demande le nom du futur baptisé : la liturgie de l’Eglise signifie par là ce lien personnel, intime, que Dieu a avec chacun de nous.

Quant aux « brebis » de la parabole de Jésus, c’est comme si elles reconnaissaient intérieurement la voix de celui qui vient les chercher. Il n’y a pas eu besoin de les enseigner. Quelque chose de connaturel fait que, dès que le berger arrive, elles le reconnaissent et elles le suivent.

Jésus, à travers cette image pastorale de berger et de brebis, nous parle de vie intérieure, de la vie de l’âme. Souvent, de nos jours, on n’aime pas trop utiliser dans la pastorale le mot « âme ». Cela sonne un peu trop « désincarné ». Et pourtant, c’est bien de l’âme, ce sommet de notre être, dont nous parle l’Ecriture en ce jour, du moins si on en croit le fin de la lecture de saint Pierre que nous avons entendue tout à l’heure :

« Mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes » (1P 2, 25)

D’ailleurs, le mot « gardien » est une traduction du mot grec « episcopos » : évêque. Intéressant, non ?

C’est en méditant sur ces textes que je comprends mieux le rôle des « episkopoi » humains, c’est-à-dire les évêques, les prêtres, les diacres, mais aussi tous ceux qui sont engagés dans le ministère pastoral, religieux ou laïcs. Ils sont au service de la rencontre entre l’unique pasteur et les brebis, c’est-à-dire entre Jésus et chaque âme. Mieux encore : ils sont des instruments privilégiés (il y en a d’autres, bien sûr) que Jésus utilise pour rencontrer lui-même chaque âme. Jésus nous connaît, il sait que nous sommes fait de chair et que nous avons besoin de médiations humaines pour aller au lieu où il nous rencontre, au plus intime de notre intime. C’est pourquoi il a institué les différents ministères dans l’Eglise.

Cela veut dire plusieurs choses pour nous, c’est-à-dire pour toute l’Eglise. D’abord, nous devons prier pour que ces « médiations humaines » continuent à œuvrer parmi nous. Concrètement, nous devons prier pour les vocations au ministère pastoral, qu’elles soient sacerdotales, religieuses ou laïques : elles sont toutes indispensables à la vie de l’Eglise, à la vie de nos âmes. Si l’une de ces vocations vient à disparaître, il nous manquera quelque chose.

Ensuite, nous devons prier afin que ceux qui sont choisis pour le ministère pastoral soient les premiers à vivre en profondeur la rencontre entre le berger et ses brebis. Sans quoi ils risquent de tomber sous le coup des paroles que Jésus a dites quelque part dans l’Evangile :

Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas (Mt 23, 2-3)

Ce n’est pas pour rien que notre Pape François demande régulièrement qu’on prie pour lui. Les pasteurs sont les premiers à devoir vivre ce qu’ils prêchent. Or la rencontre entre le berger et ses brebis, entre Jésus et chacune de nos âmes, qui a lieu au plus intime de nous-mêmes est l’œuvre de la grâce. Dieu nous a donné, en quelque sorte, le privilège de pouvoir participer à son œuvre de grâce chez les autres par nos prières. Alors, mes frères mes sœurs, prions les uns pour les autres. Prions pour nos pasteurs, qui sont faillibles comme chacun de nous, et prions pour que le Seigneur nous accorde de saintes et belles vocations.

Amen

4e DIMANCHE DE PÂQUES
Lectures bibliques : Actes 2, 14a.36-41; Psaume 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6; 1 Pierre 2, 20b-25; Jean 10, 1-10

Homélie du 26 avril 2020 (Lc 24, 13-35)

Mgr Alain de Raemy – Basilique Notre-Dame, Lausanne

« Et nous qui espérions que c’était lui… »
Quel cri d’espoirs déçus ! Le cri des deux disciples sur le chemin d’Emmaüs… Et nous qui espérions que c’était lui… !
Quel cri déchirant !

Et aujourd’hui dans cette église vide : j’entends le cri désespérant des croyants de ce temps !

Délivre-nous !

Oui, nous aussi, nous qui espérions en quelque sorte que c’était lui, lui qui allait…, lui qui devait…, lui qui devrait délivrer, tirer d’affaire, arranger, épargner, ou alors réparer, guérir, « miraculer » si j’ose dire, sauver !

Oui, délivre-nous de cette pandémie ! Mais pas seulement de cette pandémie simplement parce que maintenant elle, elle nous touche tous. Car, si nous sommes chrétiens devant toi, Seigneur, délivre-nous également, plus largement :

délivre-nous des 25’000 personnes qui meurent chaque jour de la faim,
délivre-nous des 16’900 Suisses qu’emporte chaque année le cancer…
délivre-nous des sans-abris qui mendient ici, juste à côté,
dans les rues de la cité…

En déroute

Eh bien, oui, nous le prions, nous le supplions ! Mais non… Rien ! Rien ne vient d’en haut, rien ne change ici. C’est en tout cas la réponse que fait retentir le silence assourdissant de cette église vide aujourd’hui…
Rien, pas de miracle ! Et nous qui espérions que c’était lui, le Messie …

Amis, qui écoutez ! Comme les deux déçus d’Emmaüs, confinés qu’ils étaient d’abord avec les autres disciples, avant de sortir, oui, mais pour rentrer chez eux, déroutés, désespérés. Oui, chers amis, comme ces deux déçus de Jésus, dans les conditions difficiles qui sont les vôtres, vous avez peut-être quitté votre conjoint, vous vous êtes peut-être disputés, et séparés de votre famille, ou alors vous êtes, de fait, séparé de vos parents, de vos grands-parents, ou de vos enfants et petits-enfants vous êtes, de force, séparés de votre communauté, de votre travail, isolés, quasi abandonnés…
Comme les deux déçus d’Emmaüs, vous êtes, nous sommes, quoiqu’il en soit, en déroute, marchant vers l’inconnu…

Jésus est toujours à notre rythme

Que fait Jésus ? Mais que fait Jésus ! Ne fait-il vraiment rien ? Peut-être pas comme on l’attend… ou pas comme on l’entend… Car, nous l’avons entendu, Jésus marche avec eux, les deux déçus, en rase campagne, à leur rythme. Mais ils ne le reconnaissent pas. Il ne marche ni plus vite, ni plus lentement, il marche avec nous. Notre impatience ou notre désespérance deviennent siennes… Il écoute, il comprend. Jésus est toujours à notre rythme.

Mais nous ne le reconnaissons pas. Oui, et voilà, pourquoi nous ne le reconnaissons pas, car, d’après nous, c’est lui qui devrait nous éviter tout cela ! Mais le voilà qui marche mystérieusement avec moi, avec toi… Et nous qui espérions que c’était lui qui allait prendre les devants ! Mais non ! Voilà que c’est lui qui souffre, subit, agonise, et meurt même comme moi, avec moi, et pour moi… sur une croix. Et nous ne le reconnaissons pas. Parce que notre espoir n’était pas là…

Nous plaçons notre espoir en Jésus à l’arrivée, au but, à Emmaüs, à la résurrection, mais pas assez sur le chemin, en route… à la crucifixion. Et alors, il faut qu’il nous parle… Et la Bible est là pour ça : « Esprits sans intelligence », dit-il aux deux disciples décus d’Emmaüs (traduisez : « espèce de nigauds »… !), « Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont pourtant dit : Ne fallait-il pas que le Christ souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire ? » Autrement dit : Il n’y a pas une seule souffrance au monde, où Jésus n’y soit pas. Pas une seule ! Il le dit et répète lui-même aux déçus d’Emmaüs abasourdis.

Reste avec nous !

Et c’est alors que retentit ce nouveau cri : Reste avec nous ! Oh, oui, reste avec nous, se mettent-ils alors à supplier, toujours déçus, toujours blessés, mais comme déjà intimement titillés… Oui, une petite flamme s’allume dans leurs cœurs. Une aussi petite qu’étonnante espérance au-delà de leurs vains espoirs, plus profond que leur désespoir… Une véritable espérance est en train de faire son chemin dans leurs cœurs… : Reste avec nous ! Reste avec moi !

Tant de malades le crient aujourd’hui à leurs proches ! Reste avec moi ! Et toutes ces mesures de sécurité sanitaire qui nous empêchent de rester avec eux! Mais dans ce même cri, celui des deux déçus d’Emmaüs, il n’y a plus seulement de la déroute. Il y a comme un bienheureux doute : « et s’il disait vrai, s’il disait vrai, cet homme qui marche à notre pas… ? » Reste avec nous ! Ce « reste avec nous », il me semble que nos deux déçus le prononcent alors avec une telle attente et une telle délicatesse, que c’est comme si, plutôt que d’inviter Jésus chez eux, ils osaient, sur la pointe des pieds, s’inviter chez lui… Reste avec nous ! Et en effet, à peine à table, c’est lui, Jésus l’inconnu, qui tout naturellement préside, comme s’il était chez lui, comme il l’était avec ses disciples. Et il prend le pain, prononce la bénédiction, rompt le pain et le leur donne par morceaux… Et alors là ! Après tout ce qu’il vient de leur révéler sur la souffrance du Messie, comme étant la souffrance de tous, et surtout une souffrance portée par Lui pour tous… Après tout ce qu’ils viennent d’échanger sur le sens de leur déroute, comprise dans sa passion et sa résurrection… Le voir refaire ce geste traditionnel du père de famille juive : rompre le pain en prononçant la bénédiction, cela leur ouvre définitivement les yeux sur autre chose encore, sur ce qu’il leur avait dit en faisant ce geste au dernier repas : « ceci est mon corps, qui sera livré pour vous, ceci est mon sang, qui sera versé pour vous. » Le Messie, oui le Messie, livre son Corps comme du pain… Ainsi Dieu est le Pain qui se donne à la faim du cœur humain. Alors Jésus peut instantanément disparaître à leurs regards… Car ils l’ont, là, sur cette table : Dieu est vraiment le Pain qui se donne à la faim du cœur humain. Ce n’est pas nous, hommes, qui sommes pour lui, Dieu, mais c’est bien, lui, Dieu, qui est là pour nous, hommes, pour tous ! Donne-nous notre Pain de ce jour…

Il est là en chemin avec moi

Oui, chers amis chrétiens, je le sais. C’est justement ce Pain du Ciel, ce Jésus donné sans réserve qui vous manque, manque et manque tant… Mais ne restons justement pas en déroute, puisqu’il est avec nous sur la route. Que font les déçus d’Emmaüs, désormais réconfortés et enthousiasmés ? Ils ne restent pas là, à table. Ils retournent immédiatement retrouver leurs amis confinés. Ils vont rester avec eux. Car ils savent maintenant définitivement que Jésus est aussi là, oui là, dans ces moments ou confinements de doute et de peur, il est là, en chemin avec moi, à mon rythme à moi… Et un jour nous pourrons tous le célébrer, dans un Emmaüs enfin ré-ouvert et comme restauré !

Car le chemin de deuil des deux déçus avant Emmaüs, c’est maintenant vraiment notre chemin. C’est notre chemin, notre parcours, et vraiment un chemin, aussi statique qu’il soit en apparence, qu’est-ce qu’il y aurait de dynamique dans un confinement ? Et pourtant c’est l’actuel chemin qui peut nous faire découvrir le Christ, comme pour les deux disciples avant d’arriver à Emmaüs, car c’est découvrir le Christ, là où on ne l’attendait pas : dans ma vie, dans ta vie, dans notre vie, dans le confinement, à la maison. Et pas à pas, où que tu en sois, … il est là ! Reste avec moi, Seigneur, pour que chez moi soit chez toi !

3e DIMANCHE DE PÂQUES
Lectures bibliques :
Actes 2, 14.22b-33; Psaume 15, 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11; 1 Pierre 1, 17-21; Luc 24, 13-35