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Homélie du 1er octobre 2017 (Mt 21, 28-32)
Chanoine Cyrille Rieder – Abbaye de Saint-Maurice,VS
Mes bien chers frères et sœurs,
Il semble qu’il y ait quatre leçons dans la lecture du livre d’Ezéchiel que nous venons de lire :
1) on ne paie jamais pour les autres
2) un avenir est toujours possible
3) un appel à la conversion
4) même dans le malheur, vivre au plein sens du terme, c’est-à-dire en union avec Dieu, est toujours possible.
Premièrement, étape très importante dans la découverte de la justice de Dieu : On ne paie jamais pour les autres. L’une des premières phrases de ce texte, c’est : « vous dites ‘La conduite du Seigneur est étrange’ ». C’est que le peuple d’Israël est en pleine révolte contre Dieu. Il traverse une période atroce, l’exil à Babylone et il crie : « qu’est-ce qu’on a fait à Dieu pour mériter cela ? » Même aujourd’hui cette phrase nous vient spontanément à la bouche quand le malheur nous arrive. On se rappelle l’histoire de l’aveugle-né chez saint Jean. En le voyant, les disciples de Jésus lui ont posé la question classique : « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? », en d’autres termes « à qui la faute ? »
Au temps d’Ezéchiel, cette question « à qui la faute ? » se posait de façon dramatique. Ezéchiel fait partie des habitants de Jérusalem déportés à Babylone par les armées de Nabuchodonosor. C’est la catastrophe : on a vécu toutes les atrocités d’une guerre, et maintenant, à Babylone, loin du pays – la fameuse Terre promise, qui devait ruisseler de lait et de miel, disait-on -, loin de Jérusalem détruite, loin du Temple saccagé, avec la population décimée… on a tout perdu. Or cette génération dans la tourmente n’est pas pire que les précédentes. Et on a quand même bien l’impression qu’on paie tout le poids du passé, les fautes accumulées des générations précédentes (jusqu’à la quatrième), comme si le vase de la colère de Dieu avait tout d’un coup débordé. De là à faire un procès à Dieu, il n’y a qu’un pas, vite franchi. Et voilà que Dieu lui-même aujourd’hui se disculpe : Cessez de dire : « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils en ont été agacées » et écoutez : « Si le juste se détourne de sa justice… il mourra à cause de sa perversité. Mais si le méchant se détourne de sa méchanceté, s’il met en pratique le droit et la justice, il sauvera sa vie » Autrement dit, on n’est jamais puni pour un autre.
Plus tard, du temps de Job, on reconnaîtra qu’il n’y a pas de mesure automatique entre nos actions, bonnes ou mauvaises et ce qui nous arrive de bon ou de mauvais… que les bons ne sont pas forcément récompensés ni les méchants punis. On découvrira qu’on ne paie jamais rien, ni pour d’autres, ni pour soi-même… parce que Dieu ne punit jamais.
Plus tard encore, on découvrira que Dieu n’est pas la cause directe de tout ce qui nous arrive. Pour l’instant, avec Ezéchiel, on cesse d’accuser Dieu de nous faire payer les fautes de nos parents.
Deuxième leçon de ce texte : un avenir est toujours possible ; rien n’est jamais définitivement joué. Leçon capitale !… Pour nous encore aujourd’hui, d’ailleurs. Car effectivement, tant qu’on croit qu’on paie pour les autres, on est tenté de s’abandonner au désespoir ; or Ezéchiel, comme tout bon prophète, n’a pas de pire ennemi que le découragement. C’est pourquoi, il faut prendre au sérieux cette phrase : « Si le méchant se détourne de sa méchanceté, s’il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu’il a ouvert les yeux, parce qu’il s’est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra. » Il est toujours temps de changer de conduite, de se convertir, de faire demi-tour, nous dit encore Ezéchiel.
Et donc, la troisième leçon de ce texte découle directement de la précédente : c’est un appel à la conversion : « Je ne prends pas plaisir à la mort de celui qui meurt… Revenez donc et vivez ! »
Quatrième leçon de ce texte : même dans le malheur, vivre au plein sens du terme, c’est à dire en union avec Dieu est toujours possible. Ezéchiel parle beaucoup de vie et de mort. Mais il vise autre chose que la vie et la mort physiques. Les exilés, d’ailleurs, parlaient de leur exil comme d’une situation de mort : « Nos révoltes et nos péchés sont sur nous, nous pourrissons à cause d’eux, comment pourrons-nous vivre ? ». Pour eux, privés de tout ce qui faisait leur vie et en particulier la pratique de leur foi, l’exil était une situation de non-vie, une espèce de mort larvée. Ezéchiel ne leur promet pas toute de suite le retour, mais il leur dit : « la vraie vie, c’est l’intimité avec Dieu » et cela, c’est possible partout. « Convertissez-vous et vivez ! »
Quatre leçons donc dans ce texte, toutes éminemment positives.
C’est à cela que l’on reconnaît les prophètes.
Retenons :
On ne paie jamais pour les autres.
Un avenir est toujours possible.
Appel à la Conversion.
Vivre l’Union avec Dieu est toujours possible
Ainsi soit-il !
26e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Ezéchiel 18, 25-28; Psaume 24, 4-5ab, 6-7, 8-9; Philippiens 2, 1-11; Matthieu 21, 28-32
Le Conseil national adopte une proposition compliquant la vie des musulmans de Suisse
Premiers cours de catéchisme en ligne à Paris
L’Allemagne divisée
Les chrétiens au Kurdistan face au référendum
Homélie du 24 septembre 2017 (Mt 20, 1-16.)
Abbé Jean-Pascal Vacher – Basilique Notre-Dame, Lausanne
Un Denier mystérieux !
Il y a un mois, la liturgie de la messe en semaine nous offrait déjà cette parabole. A cette occasion, j’ai posé à l’assemblée cette question : « A quoi correspond dans la parabole de Jésus cette pièce d’un denier ? » J’ai ajouté : « Je ne vous donnerai pas la réponse maintenant mais lors de la messe radiodiffusée dont ce sera également l’évangile. » Avec un peu de malice, j’ai encore dit : « Allez vous confesser ! Vous aurez peut-être la réponse ! Et si vous ne l’avez pas, vous aurez au moins eu la grâce du pardon. Car aux yeux de Dieu et de Saint Matthieu, collecteur d’impôts converti et évangéliste, la véritable TVA, la Taxe sur la Valeur Ajoutée, c’est le pardon divin. »
Pour avoir la réponse, frères et sœurs, vous n’aurez pas besoin d’attendre un mois mais seulement quelques minutes. J’espère cependant que votre attente maintiendra votre cœur en alerte au moins jusqu’à la fin de l’homélie, peut-être même au-delà et aiguisera votre désir, jusqu’à s’épanouir en espérance théologale.
Le Maître de la parabole ne semble avoir comme unique préoccupation que l’embauche des ouvriers. On peut avoir l’impression du reste qu’il a une journée bien décousue. Il interrompt son sommeil tôt le matin pour appeler au travail les premiers ouvriers. Il revient à 9h00, à midi, à 15 heures et finalement à 17h00 pour faire de même. Dans une période de chômage, c’est peut-être sympathique. Mais avouons-le, ce patron-semble-t-il- n’a rien à faire de ses journées, sinon d’appeler !
Aux premiers, il fixe un salaire d’un denier pour la journée. Aux suivants, il dit simplement : « Je vous donnerai ce qui est juste. » Et aux derniers, il propose de travailler mais il ne leur promet rien ; ces derniers sont réduits à faire confiance au maître.
La manière dont il organise la remise du salaire est encore une fois surprenante. S’il avait voulu susciter de la jalousie entre les ouvriers, il ne s’y serait pas pris autrement. De fait, si nous nous mettons dans la peau des ouvriers de la première heure, nous ressentons assez spontanément une réaction de révolte : « Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur ! » Mais il est aussi vrai que si nous nous mettons dans la peau des ouvriers de la dernière heure, nous nous réjouirions de recevoir le salaire qui correspond à une journée de de travail.
Garder le cœur ouvert aux surprises de Dieu
Dans notre expectative, nous nous tournerons peut-être vers cette parole sortie de la bouche de Dieu : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins. » Nous garderons notre cœur ouvert aux surprises de Dieu, même si nous ne comprenons pas sa logique et que nous gardons notre perplexité.
N’est-ce pas aussi cet étonnement qui a saisi le Pape Benoît XVI au moment de son élection comme successeur de Pierre ? Il s’attendait enfin à avoir un peu de répit après une vie de service déjà bien remplie. Il s’apprêtait à finir sa vie dans la contemplation du mystère de Dieu. Et voilà qu’il est appelé par l’Esprit Saint à cette fonction suprême. Or, avant sa première bénédiction solennelle « Urbi et Orbi », il ne dit pas : « Seigneur, ça suffit ! J’ai donné ! J’ai assez travaillé ! Laisse-moi tranquille ! Donne-moi maintenant mon salaire ! Je veux, je réclame et j’exige mon salaire ! » Non, il prononce, devant la foule rassemblée sous le soleil de la place Saint-Pierre ces paroles d’humble confiance désormais célèbres: « Chers frères et sœurs, après le grand Pape Jean-Paul II, les cardinaux m’ont élu moi, un humble et simple ouvrier de la Vigne du Seigneur. Je suis réconforté de savoir que le Seigneur sait œuvrer et agit aussi avec des instruments insuffisants. Et avant tout, je m’en remets à vos prières. Dans la joie du Seigneur ressuscité, confiants dans son aide permanente, nous devons aller de l’avant. Le Seigneur nous aidera et Marie sa Mère sera avec nous. Merci. »
Travailler de bon cœur pour le Seigneur
Le Pape Benoît XVI, en jouant les prolongations bien au-delà de l’âge de la retraite, et ne voyez là aucune consigne de vote pour ce dimanche, devient un exemple qui nous dit que nous avons à travailler pour le Seigneur de bon cœur jusqu’au bout de notre vie. N’ayons aucune amertume quand nous servons le Seigneur, même si nous devions travailler 1000 ans et attendre jusqu’à la fin des temps avant de recevoir notre salaire. Mais soyons dans la joie d’avoir été appelés à cette dignité de Le servir avec beaucoup d’amour.
Maintenant, j’aimerais vous proposer deux exemples dans l’évangile. Une ouvrière qui a commencé son travail au premier instant de sa vie et un ouvrier qui a commencé le sien presque au dernier instant de la sienne.
Marie continue à s’occuper de nous
Il s’agit tout d’abord de la Vierge Marie. Dès sa conception, Marie est l’Immaculée. Cette grâce la place, certes après Jésus, mais bien devant Saint Pierre, la première de tous les ouvriers et ouvrières de la vigne du Seigneur, toutes catégories confondues. Nous savons aussi qu’elle a travaillé sans relâche toute sa vie sans décrocher un seul instant et sans jamais rouspéter devant l’énorme tâche qui était la sienne. Nous savons même qu’elle continue sans interruption, non plus dans les larmes et les fatigues, mais dans une paix éternelle à travailler pour que le Règne de son Fils arrive. Et c’est pour nous tous, ses enfants, un profond réconfort de savoir que notre Mère du Ciel veille sur nous, mieux s’occupe toujours de nous.
Le bon larron, ouvrier de la dernière minute
L’autre ouvrier, celui de la dernière minute, c’est celui que la Tradition a appelé le bon larron. Il n’était cependant pas si bon. Parlant de la crucifixion qu’il est en train de subir, il dit à son ami de forfaiture : « Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. » (Luc 23, 41.) Cet homme a donc commencé par chercher à détruire le Royaume de Jésus. Il a employé son temps et son énergie à faire le mal. Il a commis des injustices et probablement tué des innocents, pour qu’il puisse penser qu’un supplice aussi atroce que la crucifixion lui était dû. Il n’y a pas beaucoup de condamnés à la chaise électrique qui affirment que leur peine est juste et pourtant mourir avec des clous plantés dans sa chair est bien plus douloureux qu’une décharge électrique. Or, après avoir reconnu l’innocence absolue de Jésus, il se tourne vers lui et lui dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Et sur le champ, Jésus lui déclare : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » (Luc 23, 42-43.) Cet homme semble bien recevoir son salaire immédiatement.
Marie a été témoin de cet échange bouleversant. Pouvons-nous imaginer sa réaction ? A-t-elle dit : « Jésus, tu ne vas tout de même pas offrir ton Royaume à ce criminel ! Pense à moi qui ai tant souffert pour toi ! Mes moindres pensées, paroles et actions, je les ai accomplies avec une fidélité de tous les instants ! Donner ta grâce à ce brigand, l’introduire dans la gloire avec toi et cela avant moi serait trop injuste ! » Ou au contraire, n’a-t-elle pas plutôt dit à Jésus: « Quelle joie pour mon cœur de Mère de voir cet homme, qui semblait avoir pris le chemin de la perdition et pour lequel tu as versé ton sang précieux, être sauvé ! Quel réconfort pour moi de voir immédiatement les fruits merveilleux de la Rédemption pénétrer dans ce cœur meurtri par ses nombreux péchés être pleinement restauré et vivre ses derniers instants dans l’Amour de Dieu et du prochain ! Merci Jésus pour ton immense bonté. » Ces dernières paroles de la Vierge ne sont-elles pas un encouragement pour nous pécheurs ? Ne sont-elles pas un appel à la conversion bien plus puissant que toutes les condamnations motivées par la haine destructrice de la jalousie ? Marie ne sait faire qu’une chose : s’unir aux intentions de son Fils. Et Jésus ne vise qu’un objectif : accomplir la volonté de son Père qui est de sauver tous les hommes, même les pires.
L’intégralité de notre salaire : Dieu lui-même
Frères et sœurs, ce denier mystérieux, devinez-vous enfin de quoi il s’agit ? S’agit-il d’une pièce de monnaie sonnante et trébuchante ? Bien évidemment non. Cependant, ce denier est le symbole du salaire juste, du salaire qui permet de vivre. Or, Dieu seul est le Juste ; Dieu seul est la Vie. Par conséquent, ce denier représente Dieu Lui-même qui est absolument juste et nécessaire à notre vie. Ce denier est la Trinité Sainte, la Vie éternelle. Dieu ne peut pas nous donner plus que Lui-même. Dès le baptême, même avant de commencer à travailler, sans attendre, et pour Marie dès le premier instant de sa vie, la générosité de Dieu nous donne l’intégralité de notre salaire puisqu’Il se donne Lui-même en faisant de nous sa demeure. Mais nous en prenons possession avec de plus en plus de fermeté au fur et à mesure que nous travaillons à sa vigne et progressons dans la fidélité à l’Amour. Si le péché peut nous faire perdre ce salaire, le pardon de Dieu nous le fait retrouver, parce qu’il nous ouvre à la communion au Christ présent dans son Eucharistie et ultimement il nous ouvre son Royaume, d’où mon invitation de départ à expérimenter la miséricorde du Père en allant nous confesser. Mais cette possession de Dieu sera pleine d’une sécurité absolue lors de notre entrée dans le Paradis. Récriminer en qualifiant ce salaire d’insuffisant est le comble de l’ingratitude. Le reconnaître pour ce qu’il est réellement, c’est être dans la lumière de la Vérité. Le recevoir, c’est le bonheur suprême. Le vouloir pour soi et pour tous les hommes, c’est la charité. Et plus la charité est intense au jour de notre mort, plus ce bonheur de Dieu envahira notre cœur et le comblera.
Alors, demandons d’entendre l’appel du Seigneur à travailler à sa vigne. Réjouissons-nous de pouvoir commencer tôt notre travail à son service. Remercions-Le de pouvoir y travailler longtemps. Et désirons que beaucoup nous rejoignent dans ce travail exaltant et même à la dernière minute, car nous les aurons tous comme compagnons de Béatitude. Amen.
25e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – Année A
Lectures bibliques : Isaïe 55, 6-9 ; Psaume 144, 2-3, 8-9, 17-18 ; Philippiens 1, 20c-24.27a ; Matthieu 20, 1-16.
Homélies TV du 24 septembre 2017
Pasteur Gottfried Locher et cardinal Kurt Koch à l’église de Sachseln (OW) – Célébration œcuménique
Prédication I : Pasteur Gottfried Locher, président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS)
«Mon Seigneur et mon Dieu, éloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»
Telle est la prière de Nicolas de Flue. Elle a 500 ans mais elle reste actuelle pour le monde d’aujourd’hui.
«Eloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»: c’est quelque chose que nous connaissons aussi: tout ce que nous traînons avec nous sans en avoir vraiment besoin. Année après année, nous achetons toujours plus de vêtements, toujours plus de meubles, toujours plus de livres, la maison est pleine depuis longtemps et elle continue à se remplir, alors que nous n’utilisons réellement qu’une infime partie de tout cela. Et le jour où nous déménageons, nous nous tenons devant la pile de cartons à bananes, nous secouons la tête et nous nous demandons comment nous avons pu en arriver là.
«Eloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»: Frère Nicolas ne pense pas seulement aux choses matérielles. Il pense aussi à tout ce que nous accumulons au cours des années: du prestige, par exemple, de la considération, une position dirigeante dans notre métier ou encore un réseau influent, un titre universitaire devant lequel tous se figent de respect ou peut-être la célébrité, qui sait. Il existe une infinité de choses que nous pensons être enviables.
Et le sont-elles? A chacun de décider pour lui-même. Le bien-être n’est pas mauvais en soi et les biens immatériels font partie de la vie. Mais la question demeure : lesquelles de toutes ces choses qui font envie font-elles vraiment du bien?
Frère Nicolas exprime ce que nous sentons aussi: il y a beaucoup trop de «trucs» dans notre vie qui nous freinent, nous paralysent, nous oppressent. Nous avons, pour ainsi dire, librement aliéné notre liberté avec tous ces biens, matériels et immatériels.
Et telle est notre vie actuelle, avec trop de tout et dans une cage dorée. Et le pire est que nous nous en débarrasserons difficilement tout seuls. Nous y avons investi trop de travail, trop de passion pour nous en séparer.
«Eloigne de moi», dit Frère Nicolas. Et, ce disant, il dit ce que nous savons: c’est à un autre de nous enlever tout ce qui ne nous fait pas du bien. Nous n’y réussissons pas seuls. Frère Nicolas a raison.
Et il nous rappelle aussi le texte biblique: «Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous des trésors dans le ciel, là où il n’y a pas de mites, ni de vers qui dévorent, pas de voleurs qui percent les murs pour voler. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.»
Et c’est de cela qu’il s’agit: là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.
Les voitures?
Ainsi donc, laissez-moi vous poser la question: où donc se trouve votre trésor? Dites-moi, est-il, par exemple, fait de tôle, une tôle belle, chère et rapide, avec beaucoup de chevaux sous le capot? Brille-t-il encore, votre trésor ou rouille-t-il déjà ?
Les vêtements?
Dites-moi, est-il peut-être en étoffe, votre trésor, en étoffe précieuse, par exemple de Chanel ou Dior ou Louis Vuitton? Êtes-vous encore pleinement à la mode ou déjà mités?
Ce n’est qu’une question de temps. Les voitures, les vêtements, rien ne dure.
Ah! vous n’accordez guère d’importance aux choses matérielles, dites-vous? Il existe des trésors terrestres qui sont immatériels comme nous l’avons vu: exercer de l’influence; pouvoir commander; être important. Ou la célébrité. Avoir bonne réputation. Être admiré. Être aimé. Tout cela d’ailleurs est aussi périssable, sans rouille ni mites.
D’où cette question dérangeante: Où est votre trésor? La réponse révèle quelque chose de vous. Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.
Trésor dans le ciel
Sœurs et frères, si seulement Jésus était un peu plus flexible en la matière, un peu moins noir ou blanc! Mais non: il est limpide. Ne placez pas votre cœur dans des trésors terrestres – toi non plus, chère Église. Ne vous mettez pas en quatre pour de l’argent, le pouvoir, la louange, les applaudissements. Vous n’êtes pas au monde pour les trésors terrestres. Faites-en usage, protégez-les, mais ne leur offrez jamais votre cœur. Votre cœur doit aller ailleurs.
Chers fidèles, il y a beaucoup de bonnes prières. Celle de Frère Nicolas fait partie des rares qu’il est facile d’apprendre par cœur.
Apprenez-la par cœur! Celui qui garde toujours ces mots dans son cœur s’en souviendra au quotidien. Aussi, au moment où il faudra ne pas vouloir encore plus mais, pour une fois, abandonner quelque chose, se détacher, peut-être de son plein gré, peut-être pas. «Éloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»
Voilà des paroles sages. Depuis 600 ans.
Prédication II : Cardinal Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens
Dieu offre au jeune roi Salomon d’exaucer une prière lors de son accession au trône. Salomon ne demande ni succès, ni richesse, ni longue vie ni même l’anéantissement de ses ennemis. Sa seule prière est celle-ci: «Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal» (1 Rois 3,9). Cette demande d’un cœur attentif rejoint tout à fait la prière de saint Nicolas de Flue.
Le président Gottfried Locher nous a expliqué la première strophe de la prière de Frère Nicolas et montré ce qui doit nous être enlevé pour ne pas nous éloigner de Dieu. C’est seulement lorsque notre cœur est vide de tout ce qui l’encombre qu’il peut s’emplir de l’essentiel et abriter le vrai trésor. Frère Nicolas montre, dans la deuxième strophe, que nous devons aussi recevoir beaucoup de choses qui nous rapprochent de Dieu. «Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche de Toi.»
Frère Nicolas prie aussi, en premier lieu, pour avoir un cœur attentif à Dieu. Il s’est retiré dans un ermitage au fond des gorges de la Melchaa pour être dans le silence et entendre Dieu qui nous parle à voix basse.
Cette prière est d’une actualité particulière à notre époque, où nous sommes partiellement voire totalement sourds à Dieu. Nous avons tellement de fréquences différentes dans l’oreille, nous avons même fermé nos oreilles, si bien que nous n’entendons plus guère Dieu. Frère Nicolas a fait du silence sa maison pour entendre le murmure de Dieu. Il est ainsi devenu au plus profond de lui-même un ami de Dieu.
Frère Nicolas a aussi demandé un cœur attentif aux autres. Lorsqu’il a quitté sa famille et son activité publique et qu’il s’est retiré dans la solitude, il n’a aucunement pris congé du monde et il ne s’est pas détourné des humains. Il les a plutôt emportés avec lui dans son cœur.
Il est devenu véritablement réceptif aux soucis et aux souhaits des gens. Et il est devenu un conseiller sage même en politique en s’engageant pour la paix dans la Confédération. Mais le miracle politique de Stans, sa médiation de paix en 1481, n’est pas pensable sans le miracle religieux de son amitié avec Dieu au Ranft.
Les deux choses sont indissociables chez lui: il est entré si profondément dans le mystère divin qu’il a toujours eu un cœur attentif aux hommes qui ont cherché son conseil. En tant qu’ami de Dieu, il a aussi été grandement un ami des hommes.
Celui qui plonge en Dieu, réapparaît chez ses contemporains et s’engage surtout pour la réconciliation et la paix entre les hommes et entre les peuples. Car la paix véritable ne peut être cherchée qu’auprès de Dieu et c’est à lui seul qu’on peut la demander. La première paix et la plus importante, c’est la paix de l’homme qui porte Dieu dans son cœur. Elle est la paix véritable et toutes les autres formes de paix sont des reflets de cette paix élémentaire de Dieu. La paix du monde commence en réalité dans son propre cœur avec la paix que seul Dieu peut donner.
Le cœur attentif à Dieu et aux humains de Frère Nicolas s’exprime de la plus belle façon, sans aucun doute, dans son image de méditation. Celle-ci montre les différents mystères de l’histoire du salut et en même temps les œuvres physiques de la charité dont nous sommes chargés envers les humains en réponse au cadeau de l’amour de Dieu. Les deux choses, les mystères de la foi et les œuvres de charité sont vues comme une seule. Et nous pouvons ainsi entrevoir le cœur du mystère de la vie de Frère Nicolas: il se révèle être un témoin crédible de la foi parce qu’il réunissait ce qui ne se laisse pas séparer dans l’écologie du christianisme: Dieu et le monde, le service à Dieu et le service aux hommes, la piété et la responsabilité publique.
Les deux sont ensemble dans la tête couronnée au milieu de son image de méditation.
C’est en ceci que je vois le grand héritage spirituel et le défi permanent que nous laisse le saint des gorges de la Melchaa à nous, les chrétiens d’aujourd’hui. Nous ne pouvons relever ce défi de manière crédible qu’en communauté œcuménique. Le Réformateur Ulrich Zwingli n’était pas, en son temps, impressionné uniquement par l’action politique de Frère Nicolas mais aussi par la force du rayonnement de sa foi. Frère Nicolas ne nous sépare pas, nous chrétiens, mais nous réunit, surtout aujourd’hui. Pouvoir fêter son 600e anniversaire pendant les célébrations des 500 ans de la Réforme avec un service œcuménique est une belle rencontre qui fait réfléchir.
Demandons, nous aussi, dans l’esprit de Frère Nicolas, de recevoir un cœur attentif. Car seul un tel cœur peut nous rapprocher de Dieu. Frère Nicolas a demandé un cœur attentif à Dieu et aux humains. Et il a encore prié pour plus que cela, il a même demandé que la prière lui soit donnée. Car il savait que la prière n’est pas notre mérite mais qu’elle est l’œuvre de Dieu en nous comme Saint Paul l’a déjà dit: «Nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables» (Rom. 8,26). Dans ce sens, ce n’est donc pas nous, les humains, qui prions.
C’est l’Esprit Saint qui prie en nous. C’est pourquoi la prière fait partie des grands dons de l’amour de Dieu envers nous, humains. La prière, elle aussi, doit nous être donnée pour qu’elle nous rapproche de Dieu. Et c’est ainsi que, comme Frère Nicolas et avec lui, nous pouvons résumer nos demandes en une seule prière: celle de devenir toujours plus des priants : « Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche de Toi.» Oui, donne-moi surtout un cœur attentif à Toi et aux humains et fais-moi le don de la prière.
Amen.
