Le bouddhisme est la religion largement majoritaire en Mongolie | © Jason Lindley/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0
Dossier

Dialogue avec le bouddhisme: un défi pour le pape en Mongolie

5

Du 31 août au 4 septembre 2023, le pape François se rend en Mongolie, pays où le bouddhisme est la religion de près de la moitié de la population. Le pontife aura à cœur d’encourager le dialogue entre chrétiens et bouddhistes, même si la tâche pourrait s’avérer délicate, comme le montrent les tensions existantes entre l’Église et certaines réalités du bouddhisme en Asie.

En mai 2022, le préfet apostolique d’Oulan-Bator (la capitale de la Mongolie), Mgr Giorgio Marengo, avait rendu visite au pape François au Vatican à l’occasion des 30 ans de l’arrivée des premiers missionnaires chrétiens en Mongolie en 1992. Pour convier le pape à se rendre dans son pays, il était venu à Rome accompagné d’un des plus hauts dignitaires bouddhistes de Mongolie.

C’est en présence de cet invité qu’il avait appris que le pape avait décidé de le créer cardinal. «Il est […] significatif que nous nous soyons réjouis ensemble de cette nouvelle, et cela dit combien l’Église en Mongolie est une réalité globale, qui cherche à marcher avec toutes les personnes de bonne volonté et qui est engagée dans le dialogue», avait alors confié l’Italien.

«Nos relations avec les bouddhistes sont très bonnes», assure à l’agence I.MEDIA sœur Lieve Stragier, missionnaire belge de la congrégation De Jagt qui a vécu pendant quinze ans sur place. La venue du pape, estime-t-elle, pourrait renforcer cette bonne entente, notamment en aidant à distinguer les catholiques des mouvements protestants ou évangéliques qui sont perçus comme très prosélytes – et se montrent «agressifs» envers les bouddhistes tout comme les catholiques.

Dialoguer avec le «monde bouddhiste»

Une rencontre interreligieuse entre le pape François et les autorités bouddhistes mongoles est d’ailleurs prévue le 3 septembre prochain. Le pontife devrait probablement avoir à cœur, comme il le fait habituellement, de jeter des ponts entre les deux religions et de plaider en faveur de la «fraternité humaine» qui les unit.

Depuis le début de son pontificat, le pape argentin s’est rendu à cinq reprises dans des pays de tradition bouddhiste: la Corée du Sud, le Sri Lanka, la Birmanie, la Thaïlande et le Japon. Un chiffre notable quand on sait que dans nombre de ces pays – comme en Mongolie – la population catholique est très faible, souvent sous les 1% de la population.

Dans son dialogue avec le bouddhisme, François marche dans les pas de son prédécesseur Jean Paul II, le premier à nouer de véritables relations avec des dignitaires bouddhistes, notamment lors de ses voyages au Japon en 1981 puis en Corée et en Thaïlande en 1984. Pour le pontife polonais, les deux religions pouvaient trouver un terrain d’entente fécond de par leur convergence concernant le refus du «matérialisme» occidental et la défense du spirituel et des valeurs familiales.

Le dilemme du Dalaï Lama

Pendant son pontificat, Jean Paul II était devenu très proche de la personnalité la plus célèbre du bouddhisme, le Dalaï Lama. Il l’avait notamment convié à plusieurs reprises aux rencontres d’Assise. Cependant, les relations avec le leader spirituel ont beaucoup souffert ces dernières années. Opposant politique à Pékin dont il dénonce les persécutions au Tibet, le dignitaire bouddhiste est une victime collatérale de la diplomatie de l’évolution des relations avec la Chine sous les pontificats de Benoît XVI et de François.

En 2007, alors qu’une visite était prévue, la Chine avait menacé Benoît XVI de graves «répercussions» s’il venait à accueillir le Dalaï Lama, et le pontife allemand avait finalement renoncé à l’entretien. Il avait reçu le chef bouddhiste un an auparavant en audience privée, à l’issue de laquelle ce dernier avait déclaré militer pour une «autonomie digne de ce nom» du Tibet, et avoir évoqué le sujet avec le pontife.

En 2014, le pape François a lui aussi refusé de rencontrer le Dalaï Lama lors d’un sommet pour la paix organisé à Rome. Il ne l’a pas convié lorsqu’il a organisé un sommet interreligieux pour le climat en 2022 ou avec des prix Nobel de la paix en 2023. La tradition de bouddhisme à laquelle ce leader spirituel appartient, la branche «vajrayana» – le bouddhisme dit «tantrique» -, est la même que celle pratiquée en Mongolie. Son implication dans les affaires religieuses mongoles – il s’est rendu de nombreuses fois dans le pays – est ainsi source de tensions avec la Chine.

Pas de rencontre avec la réincarnation du sage bouddhiste

En 2016, le Dalaï-Lama avait annoncé avoir découvert en Mongolie le nouveau «Jebtsundamba Khutughtu», appelé aussi «Bogd Gegeen», soit la 10e réincarnation d’un sage du bouddhisme considéré comme le leader religieux le plus important du pays et le troisième plus importants de la famille du bouddhisme tibétain. En protestation, la Chine avait à l’époque fermé les routes d’accès à la Mongolie.

Selon une source diplomatique, l’abbé de Gandan, qui dirige un des plus importants monastères du pays à Oulan-Bator, aurait demandé l’organisation d’une rencontre entre le pape François et le 10e Bogd à l’occasion du sommet interreligieux du 3 septembre. La demande aurait été refusée poliment par le Saint-Siège. L’enfant choisi en 2016 par le Dalaï-Lama pour être le Bogd est aujourd’hui âgé de 8 ans, fait partie de la très haute bourgeoisie mongole et possède un passeport américain.

Ce refus aurait créé une certaine tension avec le monastère de Gandan, dont les représentants sont néanmoins invités à participer à la rencontre. Ce monastère fait partie des institutions bouddhistes mongoles qui ont toujours refusé de dialoguer avec l’Église catholique locale, a appris I.MEDIA de plusieurs sources.

Des bonnes relations dans de nombreux pays bouddhistes

Le bouddhisme tibétain «vajrayana» ne représente cependant qu’une seule branche du bouddhisme, et est implanté principalement dans les contreforts indiens de l’Himalaya, au Népal, au Tibet chinois et au Bhoutan, régions avec lesquelles le Saint-Siège n’entretient presque aucun rapport. En cela, la visite du pape en Mongolie est particulièrement importante, en ce qu’elle constitue la première visite officielle d’un pontife dans un pays appartenant à cette tradition spirituelle.

A contrario, le pape François a récemment visité plusieurs pays importants du bouddhisme Mahayana et Theravada. Il a notamment rencontré des représentants bouddhistes Mahayana au Japon et en Corée du Sud, et Theravada au Sri Lanka, en Birmanie et en Thaïlande. Contrairement au bouddhisme tibétain, où la réincarnation de Bouddha en Dalaï-Lama place la figure de ce dernier en leader supranational – à la manière d’un pape – de sa branche du bouddhisme, les branches du bouddhisme Mahayana et Theravada sont fondées sur des hiérarchies plus locales, voire nationales.

Les relations de l’Église avec ces courants bouddhistes dépendent donc souvent du contexte national. Elles peuvent être très bonnes – par exemple en Thaïlande, au Japon et en Corée du Sud. Au Sri Lanka, les leaders religieux locaux ont pu récemment marcher main dans la main pour dénoncer les fautes du gouvernement.

La Chine bouddhiste, la grande absente

La situation peut parfois être plus tendue, comme lors de la rencontre du pape avec les leaders bouddhistes de Birmanie en 2017. À l’époque, le pontife avait été forcé de ne pas évoquer les exactions et persécutions perpétrées dans ce pays contre les minorités Rohingyas ou encore les Karen, ethnie qui compte beaucoup de catholiques. Nombre de leaders bouddhistes du pays soutiennent ouvertement ces politiques de la junte.

Le Saint-Siège peine enfin à atteindre la plus grande communauté bouddhiste du monde, celle de Chine, où les enseignements de Bouddha, après avoir failli disparaître sous la férule de la Révolution culturelle, ont été réintégrés au patrimoine national. Mais le bouddhisme est aussi devenu un puissant allié du gouvernement chinois, et ne semble pas jouer de rôle dans les tentatives de rapprochement initiées par le Saint-Siège depuis quelques années. (cath.ch/imedia/cd/rz)

Suite