Mgr Paul Desfarges, ici en 2018, lors de la béatification des martyrs d'Algérie à la mosquée d'Oran, vit depuis 50 ans en Algérie | © Bernard Hallet
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Mgr Desfarges: «Fratelli tutti» «redonne sa conscience à l’humanité»

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Par Camille Dalmas/I.Media

I.Media a demandé à Mgr Paul Desfarges, archevêque d’Alger, quel regard il portait sur l’encyclique Fratelli tutti, publiée le 4 octobre 2020. Bien que nommé archevêque d’Alger par le pape François en 2016, Mgr Desfarges vit depuis 50 ans en Algérie, un pays majoritairement musulman où la communauté catholique est presque intégralement exogène. Ce jésuite vit donc au quotidien une expérience de dialogue interreligieux.

La dernière encyclique du pape François donne la part belle au dialogue interreligieux et plus spécifiquement au dialogue avec l’Islam. Comment recevez-vous ce texte?
Mgr Paul Desfarges: Ce texte nous rejoint très fortement et nous parle d’une façon tout à fait particulière, dans la mesure où il fait référence très clairement à l’opportunité d’un dialogue avec les musulmans. Il s’inscrit clairement comme une étape supplémentaire après le document sur la fraternité universelle, signé à Abou Dabi en 2019, et à l’autre signataire du document, le grand imam de l’université d’Al-Ahzar, Ahmed el-Tayeb. Par cinq fois il est directement fait mention de cette relation de profonde fraternité qui unit les deux hommes. Il affirme même clairement qu’il a été encouragé à écrire ce texte par le Grand Imam. C’est un engagement commun qui s’exprime une nouvelle fois. Le pape François porte haut la conviction qu’avec les croyants des autres religions et avec ceux de l’Islam, on peut se mettre au service d’une fraternité universelle.

Ce texte est-il pour vous une source d’espérance?
Oui, c’est un texte qui redonne sa conscience à l’humanité. C’est très important qu’un texte si important pour l’Eglise fasse à ce point référence à un musulman, c’est une des premières fois que cela arrive, mais c’est aussi le signe de la poursuite d’un chemin de fraternité. La fin de l’encyclique, qui insiste tout particulièrement sur l’importance du dialogue fraternel des religions, reprend d’ailleurs la belle prière du Document sur la fraternité: «Au nom de Dieu, qui a créé tous les êtres humains; ils sont égaux en droits, en devoirs et en dignité; et il les a appelés à vivre comme des frères et des sœurs entre eux afin de construire la terre et d’y répandre les valeurs de bonté et d’amour.»

«Le pape François porte haut la conviction qu’avec les croyants des autres religions et avec ceux de l’Islam, on peut se mettre au service d’une fraternité universelle.»

Comment ce texte résonne-t-il au regard de votre expérience particulière, vous qui êtes en permanence au contact de vos frères musulmans?
Il nous renvoie à notre quotidien, à notre vocation, à notre mission, et lui donne son sens. Il s’agit pour nous de maintenir l’existence d’une Eglise en relation, présente, et si possible, d’une Eglise fraternelle, avec nos frères et sœurs musulmans. Ce que nous dit le pape, c’est que l’Eglise n’est pas là pour elle-même, mais qu’elle est là pour faire fraternité, pour «aller vers». En ce sens là, la parabole du Bon Samaritain, utilisée par le pape François dans son encyclique, nous rejoint aussi pleinement. Il faut s’ouvrir au mystère du musulman, à ce qu’il porte en lui. Le texte nous dit que nous vivons comme croyants en un Dieu qui a une bienveillance pour ses créatures. Nous sommes frères et nous pouvons vivre comme tels. Cette fraternité n’a pas de limite pour nous.

La toute fin de l’encyclique insiste sur l’inspiration centrale qu’a joué le bienheureux Charles de Foucauld – qui doit être bientôt canonisé – un homme qui a laissé un souvenir fort en Algérie…
Charles de Foucauld a vécu pendant toute la fin de sa vie cette réalité de la fraternité, se forçant à vivre de la même façon que les autres pour qu’ils puissent le considérer comme un frère, tentant de former une grande famille pour la Maison commune. Pour essayer d’aller vers l’autre, il a étudié sa langue, sa culture. Ses livres sur les touaregs et leur langue, le tamahak, font toujours référence. C’est une inspiration importante, car la relation à l’autre, intense et pleine, qu’il a expérimentée jusqu’au bout est ce qui fait vivre la fraternité et fait vivre plus largement notre Eglise.

Voyez-vous déjà des effets de cette volonté de bâtir un pont fraternel, initié par le pape François et le grand imam Ahmed el-Tayeb?
Je ne peux pas dire encore que l’encyclique a fait son chemin et il est trop tôt de même pour le Document. Je connais beaucoup de proches amis musulmans qui veulent vivre cette fraternité avec nous chrétiens. Cependant on ne peut pas nier qu’il y a un courant qui n’est pas du tout sur cette ligne là. Un Islam plus radical, plus politique, pour lesquelles la relation avec les chrétiens passe par plus d’opposition s’est développé ces dernières années. C’est pour ça que le geste d’un imam de cette envergure [le grand imam Ahmed el-Tayeb], de la prestigieuse université Al-Azhar, un cœur intellectuel et spirituel de l’Islam sunnite, qui s’engage de cette façon avec le pape François est très fort. Évidemment cela n’engage pas tous les musulmans, comme le pape engage tous les catholiques, car l’Islam est multiple et divisé. Mais ça me touche beaucoup de voir des prises de positions aussi fortes contre la violence terroriste notamment. Par exemple quand il dit que «Dieu se défend tout seul»: voilà des affirmations qui ont besoin d’être rappelées aujourd’hui. Et beaucoup de musulmans souhaitent ça, un Islam de convivialité, de dialogue. (cath.ch/imedia/cd/bh)

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Mgr Paul Desfarges, ici en 2018, lors de la béatification des martyrs d'Algérie à la mosquée d'Oran, vit depuis 50 ans en Algérie | © Bernard Hallet
11 octobre 2020 | 11:40
par I.MEDIA

La fraternité universelle «qui s’étend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons 'l’amitié sociale’», déclare le pape François dans son encyclique Fratelli tutti – tous frères, en italien – signée à Assise le 3 octobre 2020 et publiée le 4 octobre. Selon lui, c’est en articulant cet «amour universel» et la reconnaissance de «chaque être humain comme un frère ou une sœur» qu’il est «possible d’accepter le défi de rêver et de penser à une autre humanité».

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