Charles Journet reçoit la barrette cardinalice des mains de Paul VI lors du Consistoire du 25 février 1965 | © Fondation cardinal Journet
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Le cardinal Journet et Paul VI: une amitié au cœur du Concile: 3/3

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Parmi les grandes amitiés qu’entretint Charles Journet avec ses contemporains, celle qui le lia à Paul VI fut certainement l’une des plus marquantes de la vie du cardinal, selon Guy Boissard*, son biographe. Proche du pontife italien alors qu’il était encore Mgr Giovanni Montini, l’abbé suisse a toujours témoigné d’une grande estime pour celui qui clôturera le concile Vatican II.

«Votre cardinal, c’est un saint!», lançait devant Charles Journet le pape Paul VI à un proche. «Notre pape est un saint!», répondait aussitôt le cardinal suisse, le 9 février 1974. Ce jour-là, les deux hommes se voyaient pour la dernière fois. Retour sur une amitié de trente ans.

L’abbé Journet et Mgr Montini

30 septembre 1945. Le jour où l’abbé Journet fait la connaissance de Mgr Giovanni Montini, le futur Paul VI, ce dernier occupe alors le poste de substitut de la Secrétairerie d’État du Vatican. À l’occasion d’une audience avec le pape Pie XII, Jacques Maritain introduit son ami Journet auprès du futur pape. D’emblée, commente Boissard, leur estime est réciproque. Quand le substitut lui confie ses réflexions sur l’unité de l’Église, l’abbé suisse lui parle de son livre, L’Église du Verbe incarné, dont le premier tome a été publié quelques années plus tôt.

Mgr Montini le lit et lui fait un devoir de continuer. Par la suite, le haut prélat n’ignora aucun des écrits du théologien suisse: celui-ci ne manque pas de les lui envoyer personnellement et le prélat romain lui en accuse régulièrement réception, mentionnant l’intérêt avec lequel il découvre et consulte ses ouvrages. L’ecclésiologie du futur Paul VI s’inspirera explicitement, ajoute Guy Boissard, de L’Église du Verbe incarné.

À partir de 1946, les deux hommes sont amenés à se fréquenter régulièrement. En juin 1952, Mgr Montini exprime sa confiance en Journet lorsqu’il le propose pour remplacer Maritain qui devait donner une conférence dans le cadre du Congrès de Florence. Le pro-secrétaire d’État Montini cite souvent le théologien suisse, dans son exposé sur l’Année mariale et le dogme de l’Immaculée Conception par exemple, en 1954, où il le présente comme «l’un des plus illustres théologiens contemporains». 

Créé cardinal par Jean XXIII quelques jours après son élection, en novembre 1958, Montini intercède auprès de Journet au sujet du doctorat honoris causa de Maritain, qui rencontre certaines oppositions imprévues à Rome. Le 21 juin 1963, en plein Concile, le cardinal Montini succède à Jean XXIII et devient le pape Paul VI. Deux ans plus tard, à sa grande surprise, l’abbé Journet est créé cardinal par le pontife.

Le cardinal suisse et Paul VI

L’annonce de sa nomination comme cardinal en janvier 1965 bouleverse l’abbé Journet, qui est persuadé que le Souverain pontife se trompe sur son compte. Maritain le convainc d’accepter, ce qu’il finit par faire, par pitié pour son ami Paul VI que Journet trouve «terriblement seul: à son entrée à Saint-Pierre, à la clôture de la 3e session, personne n’a applaudi!» 

Le Concile est l’illustration parfaite de la confiance mutuelle des deux hommes. Journet devient le relais principal de la parole du pape dans les discussions conciliaires. Dans une intervention remarquée, Mgr Zoghby, vicaire patriarcal de Maximos IV, se réfère à l’Église d’Orient pour permettre au conjoint divorcé innocent de se remarier. Inquiet, Paul VI charge le cardinal Journet de défendre la position traditionnelle de l’Église sur le sujet, ce qu’il fait le lendemain, 30 septembre. Lors des prises de parole du pape en matière d’ecclésiologie, les Pères conciliaires tel Mgr Arrighi remarquent par ailleurs «en filigrane l’influence de Journet».

Au lendemain de Vatican II, Journet monte au créneau à plusieurs reprises pour défendre certaines positions du Concile ou décisions du pape. Il met entre les mains de ce dernier un schéma de la «profession de foi» écrit par Maritain et qui sera prononcée par Paul VI, presque telle quelle, le 30 juin 1968, à la clôture de l’Année de la Foi.

Jamais le cardinal suisse ne manquera une occasion pour soutenir le pape, notamment lors de la publication de Humanæ Vitæ la même année, encyclique sur la régulation des naissances, et qui reçut un accueil très mitigé dans l’Église. Sur ordre de Paul VI, Journet publie un article dans l’Osservatore Romano intitulé «La ligne de partage des eaux» où il évoque, à propos du texte controversé, «une parole inspirée d’une lumière supérieure au monde».

Les deux prélats resteront d’intimes amis jusqu’à leurs dernières rencontres, notamment celle du 19 novembre 1970 où Paul VI, malgré les douze audiences qu’il doit assurer dans la même matinée, reçoit le cardinal Journet pendant une heure. Ce dernier considérera ce moment comme «une des grandes heures de [sa] pauvre vie».

*Charles Journet, 1891-1975, Guy Boissard, Éditions Salvator, 2008, 606 p., 29,90 euros.

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