Mgr Adalberto Martinez Flores est le premier Paraguayen à devenir cardinal | capture d'écran Youtube
Dossier

Adalberto Martínez Flores, l'entrée du Paraguay au Sacré Collège

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Mgr Adalberto Martínez Flores, quelques mois seulement après sa nomination comme archevêque d’Asunción, le 17 février 2022, deviendra le 27 août le premier cardinal de l’histoire du Paraguay, un pays enclavé entre le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, et qui avait reçu une visite du pape François en 2015.

Cet évêque de 71 ans, très expérimenté, qui administre actuellement son cinquième diocèse, est un proche du cardinal O’Malley, l’actuel archevêque de Boston, qui a accompagné sa vocation depuis les années 1970.

Né dans la capitale paraguayenne en 1951, Adalberto Martínez Flores n’a pas effectué le cursus classique du petit et du grand séminaire, mais s’est orienté vers le sacerdoce en vocation tardive. Après avoir été scolarisé dans un lycée professionnel tourné vers le commerce, il étudie l’économie au début des années 1970 à l’université nationale d’Asunción, puis part à Washington pour des études d’anglais et de philosophie.

Il s’investit alors dans la pastorale des migrants latino-américains, en lien avec le père Sean Patrick O’Malley, alors jeune frère capucin, ordonné prêtre en 1970 après une expérience missionnaire sur l’île de Pâques, territoire chilien isolé dans l’Océan Pacifique. Le religieux américain, qui fonde le Centro Católico Hispano en 1973 alors qu’il n’a que 28 ans, reçoit l’aide de l’étudiant paraguayen pour prêter assistance aux réfugiés et immigrés venus chercher refuge dans la capitale fédérale américaine, dans le contexte des dictatures et des guerres qui frappent alors de nombreux pays du continent. 

Adalberto Martínez Flores s’oriente ensuite vers le sacerdoce en intégrant, à partir de 1977, l’École internationale sacerdotale du mouvement des Focolari à Frascati, en Italie tout en suivant un cursus théologique à l’Université du Latran. Au début des années 1980, le séminariste s’investit dans l’organisation de plusieurs congrès sur les vocations, à Rome et à Buenos Aires.

Le début de sacerdoce du futur cardinal paraguayen se situe dans la filiation de son ami américain. En 1985, Sean Patrick O’Malley devient évêque du diocèse de saint Thomas, dans les Îles Vierges américaines. Le jeune évêque américain, qui n’a alors que 41 ans, se déplace à Asunción le 24 août 1985 pour ordonner prêtre Adalberto Martínez Flores, qu’il intégrera dans le clergé de son diocèse insulaire. Cet archipel caribbéen peuplé d’environ 100’000 habitants est administré par les États-Unis depuis 1917, année du rachat de ce territoire qui était jusqu’alors une colonie danoise.

Retour au Paraguay après la dictature

Après neuf ans de service en paroisse à Sainte-Croix et à Saint-Thomas, le prêtre paraguayen quitte les Îles Vierges américaines deux ans après Mgr O’Malley, devenu entre temps évêque de Fall River, dans le Massachusetts.

En 1994, le Père Adalberto Martínez Flores revient dans son diocèse natal, à Asunción, où il devient curé de paroisse et responsable de la pastorale des jeunes. Il est aussi le secrétaire du premier synode diocésain organisé dans ce pays enclavé, qui venait alors de sortir de la longue dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989), dont le parti Colorado continuait à contrôler les maillages de l’État. 

Jean-Paul II le nomme évêque auxiliaire d’Asunción en 1997. Il devient ensuite le premier évêque du diocèse de San Lorenzo lors de sa fondation en l’an 2000, puis il est transféré en 2007 à San Pedro, où il s’investira notamment dans le développement de ce territoire en lien avec les entreprises et associations locales. Son prédécesseur dans ce diocèse rural et très pauvre est Fernando Lugo, évêque laïcisé en raison d’une reconnaissance de paternité, qui deviendra président de la République un an plus tard à la tête d’une coalition de gauche. 

C’est en présence du président Lugo – peu avant son renversement -, que Mgr Martínez Flores est installé comme évêque aux Armées, en 2012. Dans ce pays fragile, l’armée est une institution essentielle pour garantir une certaine continuité de la puissance publique, et l’évêque parvient à assurer son service dans un contexte de grave instabilité politique, alors que trois présidents se succèdent à la tête du pays. Reconnu comme proche des pauvres, il s’investit également dans le domaine sanitaire et social avec la présidence de l’organisation sociale San Roque González de Santa Cruz, une fondation qui vient notamment en aide aux personnes atteintes de maladies rénales.

En 2018, il devient évêque de Villarrica del Espíritu Santo, une charge qu’il cumule avec la présidence de la conférence épiscopale. Confronté là encore à l’instabilité politique, aggravée par la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, il parvient à faire de l’épiscopat une instance incontournable pour retisser le lien entre la société civile et les institutions. Selon la presse paraguayenne, il montre l’image d’une Église proche des pauvres, attentive aux droits des paysans et des indigènes.

L’histoire contemporaine de l’Église au Paraguay a été marquée par de graves fractures au sein de l’épiscopat, notamment en 2014 lors de l’éviction de l’évêque de Ciudad del Este, Mgr Rogelio Rivieres Plano, mis en cause pour la gestion de son séminaire et pour la protection accordée à son vicaire général, un transfuge des lefebvristes, reconnu coupable d’abus. La situation est aujourd’hui plus apaisée et l’épiscopat paraguayen est parvenu à se montrer uni face aux soubresauts de la vie politique et sociale du pays.

L’affection du pape argentin pour le Paraguay

Après son transfert récent dans le diocèse d’Asunción, la création comme cardinal de Mgr Martínez Flores apparaît donc comme un nouveau signe d’attention aux périphéries de la part du pape venu d’Argentine, pays dont les relations avec le Paraguay furent souvent belliqueuses. 

La Guerre de la Triple Alliance, entre 1865 et 1870, fut un véritable génocide durant lequel la quasi-totalité des hommes paraguayens adultes furent tués par une puissante coalition rassemblant l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay. Aucun processus de pardon et de reconnaissance n’a jamais été amorcé après cette guerre et les relations du Paraguay avec ses voisins demeurent marquées par cette profonde blessure.

Le racisme anti-paraguayen est par ailleurs profondément enraciné en Argentine. Le choix du pape François de visiter le Paraguay en 2015, alors qu’il n’a toujours pas effectué de voyage apostolique dans son Argentine natale, fut une décision choquante pour de nombreux Argentins. Mais le pape a souvent exprimé son affection pour le Paraguay, pays de «périphérie» avec lequel il avait de nombreux contacts lorsqu’il était provincial des jésuites d’Argentine.

Plusieurs siècles d’attente pour le premier cardinal paraguayen

Le diocèse de la capitale paraguayenne aura attendu précisément 475 ans pour devenir un siège cardinalice. C’est en effet dès 1547, par la bulle du pape Paul III Episcopatum Paraguensis, que fut érigé le diocèse d’Asunción, plus de 70 ans avant celui de Buenos Aires, qui ne sera fondé qu’en 1620. L’histoire du christianisme dans ces terres enclavées a été très marquée par l’aventure des «réductions» jésuites, des villages communautaires dans lesquels les missionnaires de la Compagnie de Jésus formaient les indigènes Guaranis à des techniques très avancées dans l’artisanat, l’agriculture mais aussi l’art, la musique, la liturgie. 

Au XVIIIe siècle, l’autonomie politique prise par ces villages entre en contradiction avec les intérêts des puissances coloniales de l’époque, l’Espagne et le Portugal. La dissolution violente des réductions jésuites, racontée dans le film Mission, palme d’or au Festival de Cannes en 1986, est restée un élément central dans la mémoire paraguayenne et dans son rapport au catholicisme, longtemps associé à la domination européenne. 

Le Synode sur l’Amazonie de 2019 a contribué à renouveler le regard sur la sensibilité historique des populations indigènes et à redonner à l’Église sa crédibilité comme institution porteuse de sens, de respect du sacré et du lien entre les générations, des thèmes porteurs pour les populations autochtones. C’est aussi à la lumière de cette évolution et de cette nouvelle maturité du catholicisme latino-américain que peut s’interpréter cette entrée d’un représentant du Paraguay au sein du Sacré Collège.

Le Paraguay, un pays fragile mais porteur de nouvelles dynamiques 

Détail étonnant : si le cardinal désigné Adalberto Martínez Flores sera le premier représentant direct du Paraguay au sein du Sacré Collège, il n’en sera pas le seul ressortissant. Le cardinal Cristobal Lopez Romero, archevêque de Rabat au Maroc, dispose en effet de la double nationalité espagnole et paraguayenne, car il a obtenu un passeport du pays d’Amérique latine lorsqu’il y fut missionnaire entre 1984 et 2002.

Ce salésien s’y est enraciné au point de devenir président de la Conférence nationale des religieux et d’y fonder l’association des journalistes catholiques, avant de rejoindre le Maroc dans les années 2000. En cas de conclave, avec deux ressortissants, il y aurait donc autant de Paraguayens que d’Argentins – les cardinaux Poli et Sandri. 

Longtemps sous-représenté, le Paraguay devient ainsi, paradoxalement, un pays sur-représenté en proportion de sa modeste population de sept millions d’habitants : avec deux cardinaux électeurs, le Paraguay compte donc plus de ressortissants au sein du Sacré Collège que des terres de chrétienté européenne plus peuplées comme la Belgique, l’Autriche, la Suisse ou la Hongrie, qui ne comptent chacune qu’un seul cardinal électeur. 

La création du premier cardinal paraguayen, qui fut lui-même missionnaire aux États-Unis, constitue donc un signe supplémentaire du basculement vers le Sud des pôles de dynamisme du catholicisme. Le parcours original du futur cardinal Adalberto Martínez Flores montre que le témoignage missionnaire ne se vit plus seulement du Nord vers le Sud, mais désormais aussi du Sud vers le Nord, où les communautés migrantes peuvent réveiller des Églises en perte de vitesse. (cath.ch/imedia/mp)

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