Jacques Nuoffer, co-fondateur du groupe SAPEC, critique le manque de transparence et les lenteurs dans l'Eglise | © Bernard Hallet
Dossier

Jacques Nuoffer fait encore confiance à Mgr Morerod

22

«Tant que je n’aurai pas la preuve qu’il n’a pas respecté les lois et prescriptions en toute connaissance de cause, je lui ferai confiance», a affirmé Jacques Nuoffer à propos de Mgr Charles Morerod, dans Le Courrier. A l’instar d’autres personnalités, le président du groupe SAPEC critique cependant la lenteur et le manque de transparence face aux abus, dans l’Eglise.

«Le choix de Mgr Bonnemain respecte le règlement en la matière, mais c’est une aberration comme la triste réalité que les évêques ont toujours tous les pouvoirs au sein de leur diocèse», note Jacques Nuoffer dans le journal Le Courrier du 18 septembre 2023. Le président du groupe SAPEC (soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse), lui-même victime d’un prêtre, faisait référence à l’enquête préliminaire lancée par Rome suite aux dénonciations de l’abbé Nicolas Betticher. Mgr Bonnemain en a été nommé par Rome directeur, ce qui a provoqué des critiques en rapport à l’indépendance de la démarche.

Ces accusations, transmises en mai 2023 au dicastère pour la Doctrine de la foi concernent de présumées dissimulations d’abus contre plusieurs évêques suisses, dont Mgr Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). La lettre de l’abbé officiant dans le canton de Berne dénonçait également un abus sexuel présumé de la part de Mgr Jean Scarcella, Père Abbé de St-Maurice (VS), qui a suspendu sa charge le 13 septembre.

Lenteurs et opacités

Le fait que Mgr Felix Gmür, président de la Conférence épiscopale, n’ait pas porté les cas devant la justice dès qu’il en a eu connaissance (au printemps 2023), comme l’a révélé le journal alémanique Sonntagsblick, a aussi soulevé une polémique. L’évêque de Bâle n’aurait déposé des plaintes pénales que le 8 septembre, soit deux jours avant que le même média n’évente les accusations. Une procrastination qui a fait dire à beaucoup que les évêques n’agissent finalement que sous la pression médiatique.

Dans Le Courrier, Jacques Nuoffer estime de manière générale que la transparence manque, dans l’Eglise en Suisse, et que les processus sont trop lents. Il critique également certains freins aux recherches, comme le fait que Mgr Martin Krebs, nonce apostolique, refuse l’accès aux archives. «Durant des décennies, les autorités de l’Eglise catholique ont étouffé leurs crimes, soutenu les agresseurs, protégé la réputation de leur institution au détriment des victimes réduites au silence. Aujourd’hui le pape et les cardinaux prétendent vouloir faire la lumière, mais continuent à refuser l’accès aux archives de la nonciature et du Vatican. Ils nous manipulent!», s’énerve le président du groupe SAPEC.

Vision nuancée

Malgré tout, les personnes impliquées n’ont pas forcément une vision unilatérale des choses. Jacques Nuoffer conserve ainsi une opinion plutôt positive de Mgr Morerod et de son action. «Dans le cadre du groupe SAPEC, nous collaborons depuis près de dix ans avec lui», rappelle le président de l’association de victimes. «Il s’est toujours montré disponible pour répondre aux demandes des victimes et collaborer avec la société civile et avec la police. Mais il a un côté naïf qui nous fait croire qu’il a été manipulé.»

Marie-Jo Aeby, vice-présidente du groupe SAPEC | © Bernard Hallet

A l’inverse, le dénonciateur Nicolas Betticher n’a pas réellement bonne presse auprès des associations de victimes. «Je pense que s’il y a en un qui n’a pas fait le job il y a quelques années, c’est bien lui! (…) Pour moi, c’est un grand manipulateur», accuse la vice-présidente du groupe Marie-Jo Aeby, dans l’émission de la RTS Mise au Point du 17 septembre 2023. Selon elle, Nicolas Betticher se présente «comme le chevalier blanc», car «c’est une manière de sauver sa peau». «Pour les victimes qui le connaissent, je peux vous dire que c’est ignoble!»

L’ombre de «l’affaire Frochaux»

Marie-Jo Aeby fait particulièrement référence à «l’affaire Frochaux», pour laquelle Mgr Morerod est mis en cause. Ce dernier affirme ne pas avoir su avant les révélations de 2020 que Paul Frochaux, alors curé de la cathédrale de Fribourg, avait commis un abus sur un jeune homme de 17 ans, dans les années 1990 en Valais. Des affirmations de l’évêque de LGF corroborées par deux enquêtes dont l’une indépendante sur ce cas, rendue publique en juillet 2020. Nicolas Betticher assure, de son côté, qu’il a informé Mgr Morerod des véritables agissements de Paul Frochaux en 2011.

Comme Mise au Point le rappelle, une confrontation avait eu lieu en 2001 entre la victime de l’ancien curé de la cathédrale et ce dernier, à l’évêché de Fribourg. Deux autres personnes ont assisté à la séance: Mgr Rémy Berchier, à l’époque vicaire général, et Nicolas Betticher en tant que secrétaire.

Nicolas Betticher hypocrite?

Le jeune homme victime de Paul Frochaux était venu accompagné d’une amie dénommée Adrienne Cuany. Elle témoigne également dans l’émission de la RTS, s’insurgeant contre Nicolas Betticher: «C’est au-delà de la conception de ce qu’on puisse imaginer de mauvaise foi, de manipulation, de tricherie». Dans un courrier que la RTS s’est procurée, Adrienne Cuany ajoute: «Vous étiez là, monsieur Betticher (…) Vous avez été aussi celui qui n’a pas voulu donner son nom, ni appuyer officiellement nos dires. J’ai ressenti comme une trahison votre recul au moment où votre nom (…) aurait pu avoir du poids», écrit-elle. «Aujourd’hui vous avouez des erreurs et vous demandez aux responsables de l’Eglise au Vatican de faire le ménage (…) N’est-il pas un peu tard Monsieur Betticher?», interroge finalement Adrienne Cuany.

Interpellé sur ces critiques par la RTS, Nicolas Betticher reconnaît effectivement avoir commis des erreurs. «On aurait dû creuser davantage (…) À l’époque, on gérait ça à la bonne franquette», admet-il. «Moi j’étais profondément choqué. Je n’avais jamais été confronté à un cas d’abus, c’était le premier et c’est pour ça qu’il m’avait terriblement marqué», explique-t-il. «Mais comme je n’ai pas dit un mot durant cette séance, parce que le secrétaire se tait, évidemment qu’elle peut avoir l’impression que j’aurais pu être plus courageux. Elle a certainement raison.» (cath.ch/courrier/rts/arch/rz)

Suite
Jacques Nuoffer, co-fondateur du groupe SAPEC, critique le manque de transparence et les lenteurs dans l'Eglise | © Bernard Hallet
18 septembre 2023 | 11:39
par Raphaël Zbinden

Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.

Articles