L'Eglise suisse sous pression après la publication du rapport sur les abus | © Unsplash
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Un éclairage cru sur des manquements graves: Mgr Koch mis en cause

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La dizaine d’études de cas contenue dans le rapport livre un éclairage cru sur les manquements graves des responsables de l’Eglise dans le traitement des prêtres s’étant rendu coupables d’abus sexuels et ceci encore après les années 2000. Notamment Mgr Kurt Koch, alors évêque de Bâle et aujourd’hui cardinal à Rome.

Absence de signalement et d’enquête canonique

Pour échapper à l’autorité de leur évêque ou de leur supérieur religieux, certains prêtres abuseurs ont multiplié les changements d’affections. Mgr Kurt Koch, alors évêque de Bâle et aujourd’hui cardinal, a été mêlé à une des ces affaires. Il n’aurait alors pas agi conformément aux directives de la Conférence des évêques suisses (CES).

Mgr Kurt Koch, alors président de la Conférence des évêques suisses en 2009 | KEYSTONE/Peter Schneider

K. S. est né en 1945 dans une famille germanophone de Roumanie. Il a été ordonné prêtre pour un diocèse roumain en 1967. Son chemin l’a conduit ensuite en Allemagne puis en Suisse en passant par l’Autriche. En 1985, il est incardiné dans le diocèse de Bâle et est nommé en 1988 curé dans une paroisse du canton de Berne où il restera vingt ans. En 2005 il demande «pour des raisons personnelles» de se faire réincardiner dans un diocèse roumain. Ce qu’il obtient, tout en continuant à vivre en Suisse.

En 2003, un signalement d’abus est fait au diocèse de Bâle qui convoque le prêtre. Celui-ci minimise les faits et signe une déclaration indiquant qu’il n’avait jamais eu de contacts sexuels sous quelque forme que ce soit avec des enfants ou des adolescents. Le diocèse de Bâle a alors considéré que l’affaire était réglée et aucune conséquence n’apparaît dans les dossiers.

Cela au mépris des directives de la CES qui exigent depuis 2002 de transmettre les faits reprochés au ministère public. De plus l’évêque, Mgr Kurt Koch, aurait dû ordonner une enquête canonique préliminaire.

Après 2005, d’autres signalements viendront étoffer les accusations contre le prêtre. Mais son transfert de diocèse en Roumanie a compliqué la sanction de tels comportements. Le diocèse de Bâle n’a plus d’autorité directe sur lui. Le vicaire épiscopal tente de l’éloigner de la Suisse. Il transmet les accusations portées contre lui à son évêque de Roumanie en le priant de le rappeler dans son pays. L’évêque roumain répond que comme le prêtre a désormais atteint l’âge de la retraite, il ne peut pas lui imposer un domicile… Il ne semble pas non plus avoir transmis les faits aux autorités civiles et ecclésiastiques.

Finalement, le diocèse de Bâle exige du prêtre qu’il se dénonce lui-même. La question de savoir si cela a été fait n’est documentée ni dans le dossier du prêtre, ni dans les archives de l’Etat. Avant cela, le prêtre avait reconnu les actes et demandé pardon aux victimes. (Le prêtre est finalement décédé en 2019 NDLR)

K.S. a étudié et travaillé successivement dans plusieurs pays et le flux d’informations entre les diocèses où il a été actif semble avoir été très limité, ce qui lui a permis de se soustraire encore davantage au devoir de surveillance d’évêques négligents.

Condamné pénalement deux fois pour pédophilie, il conserve son ministère

La tactique du déplacement des prêtres coupables d’abus sexuels est illustrée dans le rapport de manière particulièrement frappante dans un cas du diocèse de Coire remontant aux années 1950.

Dès son premier poste dans le canton de Zurich, le prêtre en question a des comportements coupables avec des enfants, comme il l’écrira lui même plus tard: «un commissaire épiscopal a appris par un père que j’étais allé trop loin avec des enfants et m’a transféré le plus vite possible.[…] Cela s’est produit après trois ans et demi d’activité.»

Le chapitre de la cathédrale de Coire doit élire l’évêque (Photo: Bernard Bovigny /2014)

En 1954 le prêtre est nommé vicaire dans une paroisse de Suisse centrale. L’évêque de l’époque, Mgr Christian Caminada (1941-1962), était au courant de sa ‘faiblesse’ mais manifestement la question n’a pas été discutée et aucune mesure n’a été prise. Ce qui laissait libre cours aux déviances du prêtre. Selon un témoin, le prêtre invitait les enfants dans sa bibliothèque où il en profitait pour les ‘tripoter’.

Après seulement quelques mois en Suisse centrale, il est dénoncé à la police et une procédure pénale est ouverte au terme de laquelle il est condamné à un an de prison avec sursis et une période probatoire de cinq ans. Il quitte la paroisse, officiellement pour raison de santé.

Il est d’abord placé dans un foyer pour prêtres du canton des Grisons, mais il peut continuer à exercer son ministère. Les responsables du diocèse de Coire tentent de lui donner un nouveau poste, mais ils n’en trouvent pas parce sa réputation le précède. En juin 1961, l’évêque lui écrit: «La seule chose à faire est de chercher un poste en dehors du diocèse».

C’est ainsi que le prêtre est transféré dans le diocèse de Bâle, dans une petite paroisse du canton de Soleure. L’évêché de Bâle est au courant de sa condamnation. Dès son arrivée, les abus sur les enfants recommencent. Après deux ans, le prêtre est transféré à nouveau dans une autre paroisse.

Après de nouvelles dénonciations, s’ouvre un second procès où il est question d’abus sur une quarantaine d’enfants, filles et garçons. Il est condamné à deux ans de prison ferme. «Conformément au droit canonique, votre cas devrait être rapporté à Rome. Nous ne le faisons habituellement pas, afin que le prêtre puisse être plus facilement réintégré après avoir purgé sa peine», lui écrit le chanoine responsable pour le personnel du diocèse de Bâle. On lui retire uniquement le droit de célébrer la messe.

Aucune situation d’abus n’a été documentée par la suite. Le prêtre a travaillé alors trois ans en Allemagne, comme aumônier d’hôpital, avant de revenir en Suisse et d’occuper, jusque dans les années 1970, divers postes dans les cantons de Zurich et des Grisons puis au Liechtenstein.

Mgr Ivo Fürer n’a pas voulu sévir

Un troisième cas d’étude démontre que la création des commissions d’experts, dans les années 2000, n’a pas automatiquement entraîné une gestion plus judicieuse des cas d’abus sexuels. L’affaire concerne le diocèse de St-Gall et son ancien évêque, Mgr Ivo Fürer, décédé en 2022.

En 2002, une femme a signalé à la commission d’experts des abus commis par un prêtre dans son enfance et à l’âge adulte. Des bruits couraient également sur le comportement de ce prêtre dans un foyer pour enfants où il se rendait régulièrement.

Mgr Ivo Fürer (1930-2022) a été évêque de St-Gall de 1995 à 2006 | © BistumSG/Regina Kühne

La commission transmet les faits à l’évêque qui se contente d’interdire au prêtre soupçonné, qui fait partie de ses proches, de se rendre au foyer.

Dans un premier temps, après un entretien de la commission avec le prêtre, les accusations semblent devoir être atténuées. Mais quelques semaines plus tard, d’autres signalements parviennent à la commission qui rendent les comportements abusifs beaucoup plus concrets.

La commission adresse alors une demande à l’évêque avec des requêtes précises: la démission du prêtre de sa fonction dans le diocèse, le contrôle de son cadre de vie et de travail, une communication écrite de l’évêque informant sur les mesures engagées et enfin une attestation de prise en charge thérapeutique.

Confronté aux allégations de la commission, le prêtre les réfute et conteste en outre la compétence de la commission à se prononcer de la sorte.

L’évêque répond à la commission en lui demandant de vérifier plus profondément le détail des accusations contre le prêtre. La commission d’experts rétorque qu’elle n’est pas une commission d’enquête et qu’elle n’a pas les moyens d’effectuer ce travail en se substituant à une enquête canonique. Elle indique qu’elle ne prendra pas d’autres mesures.

Mgr Fürer se tourne alors vers la commission d’experts de la CES pour lui demander la marche à suivre. La commission répond de manière claire: les accusations sont concrètes et les faits décrits vont clairement au delà de ce qui est tolérable; elles proviennent de sources différentes et les dénégations du mis en cause font plutôt pencher pour leur véracité. En conséquence la commission de la CES recommande de signaler le cas à Rome, de mener une enquête préliminaire et d’inviter les éventuelles victimes à se manifester. Mgr Fürer ne prend aucune de ces mesures.

Six mois plus tard, la commission diocésaine demande des nouvelles sur l’évolution de l’affaire. Trois mois plus tard elle reçoit un nouveau témoignage. Mais aucune sanction n’est prononcée. Le prêtre n’a certes plus rendu visite au foyer pour enfants mais a été maintenu dans ses autres charges jusqu’en 2009 où il a démissionné pour raison de santé.

En 2010, l’affaire refait surface à partir de deux éléments. En avril, une victime fait part de sa consternation d’avoir vu le prêtre concélébrer au côté du nouvel évêque Mgr Markus Büchel. Quelques temps plus tard, la commission traite d’une affaire d’abus remontant à la fin des années 1970 dans laquelle le prêtre est impliqué. La commission entre à nouveau en jeu. Huit ans après les premiers signalements d’abus elle obtient l’accès au dossier du prêtre dans lequel se trouve une lettre de l’intéressé datant de 1977 où il avoue à l’évêque ses fantasmes et demande de l’aide.

En mai 2010, la commission adresse un rapport au nouvel évêque, Mgr Markus Büchel, constatant que le diocèse n’a pris aucune des mesures recommandées. Durant plusieurs mois, les divergences perdurent avec l’évêque concernant le rôle et les compétences de la commission, ainsi que l’accès aux archives secrètes. En 2012 enfin, le prêtre en question a été transféré dans un couvent où il vit toujours. (cath.ch/mp)

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L'Eglise suisse sous pression après la publication du rapport sur les abus | © Unsplash
12 septembre 2023 | 09:30
par Maurice Page

Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.

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