Renata Asal Steger, présidente de la RKZ, est signatrice (avec Urs Brosi, secrétaire général) de la lettre de revendications du 1er octobre 2023 | © Barbara Ludwig
Dossier

La RKZ demande des changements culturels et structurels dans l’Eglise

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Dans le cadre de la crise liée aux abus sexuels dans l’Eglise en Suisse, la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) émet quatre «revendications» pour des «mesures structurelles». La demande de création d’un tribunal interdiocésain est à nouveau présentée.

Les revendications de la RKZ sont énoncées dans un communiqué publié le 1er octobre 2023, signé par la présidence de l’organe, à savoir Renata Asal Steger (présidente) et Urs Brosi (secrétaire général). Nombre d’éléments de ces demandes ont déjà été évoqués dans la presse par les deux responsables.

Avec le communiqué, la présidence de la RKZ donne donc une dimension officielle à ses requêtes. L’instance rappelle qu’elle a, aux côtés de la Conférence des évêques suisses (CES) et de la Conférence des Unions des ordres et des autres communautés de vie consacrée en Suisse (KOVOS), commandité l’étude pilote de l’Université de Zurich sur les abus sexuels dans un contexte ecclésial. Le premier rapport des chercheurs indépendants, publié le 12 septembre 2023, faisant état notamment de plus de 1000 cas dans les septante dernières années, a provoqué une grande indignation dans l’opinion publique. Une émotion renforcée par la révélation parallèle d’autres cas de dissimulations ou d’abus.

Ne pas attendre Rome

La RKZ explique ainsi ses revendications par la constatation que «le changement de culture dans les ordinariats n’a pas suffisamment réussi», et que «la confiance d’aboutir en temps utile à une amélioration significative de la situation a été ébranlée.» Les revendications portent non seulement sur un «changement de culture», mais «aussi sur des changements structurels», note l’organe de l’Eglise. «Il s’agit de contrôler et de limiter le pouvoir», explique-t-il, tout en admettant que, «dans une certaine mesure, ces revendications éraflent le système du droit canon en place». Mais, pour la RKZ, «la crise ne peut pas être résolue si tout le monde attend, conformément au système, que ‘Rome’ modifie le droit canon. Pour avancer sur le plan suisse, toutefois, les revendications laissent de côté les points (malheureusement) non négociables pour l’Eglise universelle.»

Une aide pour Mgr Bonnemain

La première revendication de la faîtière concerne l’engagement d’un expert ou d’une experte externe pour soutenir Mgr Joseph Bonnemain, évêque de Coire, dans son enquête préliminaire. La démarche en question n’a pas de rapport direct avec les résultats de l’étude pilote de l’Université de Zurich. Mais la simultanéité de sa révélation (le 10 septembre 2023) a créé une certaine confusion dans le public et les médias. Mgr Bonnemain a été chargé par le Vatican dès le printemps 2023 de déterminer la plausibilité d’accusations envoyées à Rome par le prêtre Nicolas Betticher sur de prétendues dissimulations d’abus de la part de trois évêques en exercice et d’abus de la part d’un autre membre de la CES.

Urs Brosi est secrétaire général de la RKZ depuis 2022 | © Grégory Roth

La désignation d’un évêque du pays pour effectuer une telle tâche est conforme au droit canonique. Mais le choix du ‘directeur d’enquête’ a provoqué une grande perplexité dans la presse et le public. «Le fait qu’un évêque soit chargé d’enquêter sur ses confrères pose un problème de crédibilité en ce qui concerne la partialité et la séparation des pouvoirs», note la présidence de la RKZ. Elle propose que Mgr Bonnemain soit épaulé par une personne indépendante spécialisée dans les enquêtes liées à des procédures pénales. «La ou le spécialiste externe ne fournira aucun renseignement au public sur les résultats de l’enquête, mais expliquera dans un rapport à l’attention de la RKZ si la collaboration avec l’évêque Joseph s’est bien déroulée et si le rapport final de ce dernier reflète fidèlement les résultats de l’enquête.»

«La mesure ne peut pas garantir la transparence publique de la procédure, souligne la faîtière des Eglises cantonales. Une fois sa décision prise, il appartient au dicastère pour les Evêques d’expliquer, sous une forme au moins sommaire, quels membres de la CES sont considérés comme coupables ou innocents, et pour quelles raisons.»

Plus de pouvoir pour la cellule de signalement

La seconde revendication de la RKZ consiste en une extension des prérogatives d’un service de signalement des abus. Un tel organe a déjà été requis par la CES, la RKZ et la KOVOS. Mais la présidence de la Conférence centrale souhaite que ce service ne se contente pas de réceptionner et de transférer les annonces. Pour la RKZ, elle doit aussi exercer une fonction de contrôle sur la suite de la procédure.

«Cela signifie que les responsables du personnel des ordinariats, des paroisses et des communes ecclésiastiques doivent leur communiquer s’ils ont porté plainte auprès de la police et quelles mesures ils ont prises. Si le service de signalement ne reçoit aucune information ou s’il a de sérieux doutes quant au bon fonctionnement de la procédure, il dispose d’un droit d’intervention auprès des instances compétentes et peut, en cas d’urgence, s’adresser au Conseil de coopération CES|RKZ.»

Eviter que des prêtres jugent des prêtres

Troisièmement, la Conférence centrale demande l’institution d’un tribunal pénal ecclésiastique auquel elle participerait. La mise en place d’un tribunal pénal ecclésiastique a été annoncée le 23 septembre par les trois mandants de l’étude pilote (RKZ, CES, KOVOS), sans toutefois détailler le projet.

La RKZ rappelle que la France et l’Allemagne tentent actuellement une solution consistant à créer de tels tribunaux pénaux ecclésiastiques interdiocésains (selon canon 1423 CIC). «Ainsi, d’une part, la procédure se déroule à distance de l’évêque compétent, ce qui permet une certaine séparation des pouvoirs, et d’autre part, il est possible de développer plus de compétence professionnelle dans le domaine des enquêtes, du droit pénal et du droit de procédure pénale dans ces tribunaux pénaux spécialisés», remarque la RKZ dans son communiqué.

«(…) la morale sexuelle rigide et homophobe est l’une des causes systémiques pour les abus sexuels au sein de l’Eglise catholique»

présidence de la RKZ

Ce tribunal devrait être placé sous la responsabilité commune de la CES et de la Conférence centrale, de sorte que la RKZ soit impliquée dans l’élection et l’attribution des mandats aux juges. «La Conférence centrale veut éviter que seuls des prêtres enquêtent sur des prêtres et les jugent». L’instance demande en outre que des femmes et des personnes vivant en famille, mais aussi des spécialistes en psychologie et en droit soient impliqués dans les enquêtes et dans l’application du droit. Il faudrait aussi, selon la RKZ, que des victimes puissent participer au procès en tant que demandeuses au civil.

Pas de discrimination en rapport à l’état civil

La quatrième revendication de la présidence de la RKZ s’intitule «la vie de couple est une affaire privée».

Rappelant qu’il est désormais possible en Suisse de se marier avec une personne de même sexe, l’instance affirme que «depuis plusieurs décennies, la morale sexuelle catholique n’est plus déterminante socialement». «Pourtant, la direction de l’Eglise tente encore d’imposer à son personnel chargé de l’annonce de l’Evangile de vivre sous une forme reconnue par le droit canonique, c.-à-d. célibataire, marié à l’Eglise ou veuf,» relève la RKZ.

En revanche, les personnes divorcées et remariées, vivant en partenariat hors mariage ou homosexuel, ne reçoivent pas officiellement de mandat épiscopal. Dans certains cas, un mode de vie non autorisé par l’Eglise conduit à un licenciement, mais généralement plutôt à une vie de couple cachée. «Un changement serait essentiel d’une part pour les aumônières et les aumôniers concernés et d’autre part dans le contexte de la prévention, car la morale sexuelle rigide et homophobe est l’une des causes systémiques pour les abus sexuels au sein de l’Eglise catholique», assure la présidence de la RKZ.

En conséquence, la Conférence centrale souhaite la reconnaissance par les évêques suisses que la vie de couple – à l’exception des personnes astreintes au célibat – n’ait aucune incidence sur l’engagement ou le licenciement.

«Début décembre (2023), l’assemblée plénière de la Conférence centrale devra décider si elle soutient les revendications sous cette forme ou sous une forme modifiée, indique le communiqué. «Elle devra également s’interroger si la Conférence centrale doit faire intervenir son levier financier et revoir son soutien pécuniaire à la Conférence des évêques au cas où les discussions avec les évêques se soldent par un échec», avertissent les auteurs du communiqué. (cath.ch/com/arch/rz)

Sabine Stalder | © RKZ

Sabine Stalder (51 ans) occupera le nouveau poste de secrétaire générale adjointe de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) à partir du 1er février 2024, note également la RKZ le 1er octobre 2023.
Sabine Stalder a étudié l’architecture à Augsburg et travaille depuis 20 ans comme conseillère aux maîtres d’ouvrage dans un grand bureau d’ingénieurs suisse. Parallèlement à son métier et à son rôle de mère de cinq enfants, elle a étudié la théologie à l’Institut de formation en théologie pastorale à Zurich (TBI) pendant quatre ans. Elle est engagée à titre bénévole dans l’Eglise depuis de nombreuses années; elle a lancé et organisé des manifestations paroissiales et participé à la mise en place d’une fraternité laïque dominicaine à Zurich.
Grâce à son expérience dans l’économie privée, elle dispose de compétences dans les domaines de la direction de projet, de la responsabilité des coûts et de la diplomatie.

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Renata Asal Steger, présidente de la RKZ, est signatrice (avec Urs Brosi, secrétaire général) de la lettre de revendications du 1er octobre 2023 | © Barbara Ludwig
2 octobre 2023 | 14:56
par Raphaël Zbinden

Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.

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