Homélie du 9 décembre 2018 (Lc 3, 1-6)

Didier Berret, Diacre – Eglise St-Jean-Baptiste, Montfaucon

Tandis que trônent les grands de ce monde en l’an 15 de l’empereur Tibère, un homme se lève, quitte Jérusalem et se met en route. Il ne part pas n’importe où. Jean le Baptiste parcourt la région du Jourdain, la longue frontière à l’est du pays.

Ce n’est pas très peuplé, mais c’est un haut lieu de l’histoire du peuple d’Israël. C’est là que jadis, après 40 ans d’exode les tribus sont entrées en Terre Promise. C’est par là que le peuple d’Israël a été expulsé de cette même terre par les armées de Nabuchodonosor au moment de son exil forcé à Babylone. C’est par là encore que 50 ans plus tard les rescapés de cet exil et leurs descendants sont rentrés à la maison. Le Jourdain est la porte d’entrée de la Maison d’Israël, le seuil de la Terre Promise.

Tout ce qui éloigne de Dieu est un exil

Jean Baptiste se déplace donc au lieu où se tient en quelque sorte le maître de maison, là où se trouve aussi le père prodigue de la parabole. L’un et l’autre scrutent l’horizon, ils attendent que le fils, que le peuple reviennent à la maison. Le veau gras des noces mijote ! Jean le Baptiste part à la frontière comme pour rappeler à ses contemporains – qui habitent le pays – ! qu’il y a d’autres formes d’exil : tout ce qui éloigne l’homme de Dieu, et le conduit loin de lui-même.

Lève-toi, mets-toi en route

La parole de Jean n’invente pas mais situe. Il reprend la parole de ses prédécesseurs les prophètes Baruc dont nous avons lu un extrait et Isaïe qu’il cite. Il ne le cite pas pour faire du genre ou exhiber sa culture biblique. En le citant il convoque les auditeurs au même endroit : c’est comme au temps d’Isaïe au moment du retour d’exil, vous vous souvenez ? Il s’agit aujourd’hui de se préparer de la même manière… autrement dit se convertir signifie se préparer pour les retrouvailles : Lève-toi, mets-toi en route, comme le fils prodigue, reviens vers ton Père et porte ton regard sur celui qui t’espère.

Regardez plus loin, plus haut

Abaissez les montagnes, comblez les ravins, construisez des chemins, demandaient Baruc et Isaïe… Autrement dit : enlevez ce qui vous borne la vue, ce qui vous bouche l’horizon, sortez des ravins qui vous enferment, des trous qui isolent, regardez plus loin, plus haut.

Un ami m’a partagé il n’y a pas longtemps qu’il avait découvert à 50 ans un truc pour aller mieux : lorsqu’il marche au lieu de regarder en bas, il s’applique à relever la tête et à regarder au loin !

Se convertir résonne alors comme un appel à regarder plus loin, à contempler et espérer celui qui nous attend. La partie du livre d’Isaïe citée par Jean-Baptiste s’appelle le livre de la consolation. Consolez, consolez mon peuple, dites-lui que c’est bon, que je ne lui en veux pas, dites-lui de revenir… Se convertir consiste d’abord à redécouvrir à quel point Dieu veut nous consoler, nous rétablir, nous remettre debout.

Une forme de contrainte, de menace ?

Peut-être à la première écoute de l’évangile d’aujourd’hui ou de manière générale dans notre monde lorsque l’on parle de conversion, peut-être qu’il y a quelque chose qui résiste un peu, quelque chose qui apparaît comme une forme de contrainte ou de menace. Peut-être voyez-vous comme moi surgir devant vous le prophète Philippulus. Vous vous souvenez dans l’Etoile mystérieuse de Tintin de ce vieux fou qui vient, lugubre avec son tambourin casser les oreilles des foules et que personne n’écoute ?! L’appel à la conversion de ce genre de faux prophètes ne résonne qu’en termes de peur et de catastrophe.

Se convertir = préparer les noces

Jean-Baptiste en disant exactement la même chose tient un tout autre langage. A cause des lieux où il se trouve : le Jourdain et le désert. Le Jourdain comme le lieu du retour, le désert comme le lieu des fiançailles. Se convertir ressemble alors à se réjouir de la rencontre qui s’annonce. Se convertir consiste à préparer les noces. Convertissez-vous ! Mettez dans vos cœurs le désir de rencontrer Celui qui vient, faites-vous beaux pour l’accueillir. Comme on rend la maison propre et belle pour ceux qu’on aime, comme on prend du temps et du soin pour préparer la chambre du nouveau-né…

Quitte ta robe de tristesse, drape-toi du manteau de droiture qui t’arrive de Dieu, mets sur ta tête une couronne de roi. Baruc, le béni, clame de cette magnifique manière l’appel à la conversion.

L’exil, le péché, est ce qui fait oublier la dignité des fils de Dieu… Certaines voix du monde nous mettent en exil de la beauté que Dieu dépose en nous… Elles nous font croire qu’il faut avoir toujours plus, elles nous racontent que nous ne sommes pas rentables, elles nous jettent du bling bling et de la poudre aux yeux, elles crient qu’on ne sert à rien, que la vie n’a pas de sens, qu’on perd sa dignité dès que l’on perd son indépendance… Ces voix exilent la joie de la Présence !

Lève-toi ! Reviens. L’ami de l’époux, Jean-Baptiste t’appelle à venir préparer les noces et à rendre belle une place pour qu’y demeure le Christ Sauveur.


2e DIMANCHE DE L’AVENT, année C
Lectures bibliques : Baruc 5, 1-9; Psaume 125; Philippiens 1, 4-6.8-11; Luc 3, 1-6


 

Homélie du 2 décembre 2018 ( Lc 21, 25-28.34-36)

Didier Berret, diacre – Église St-Jean-Baptiste, Montfaucon

Qu’elle est drôle cette annonce de fin des temps au début de la période de l’Avent, au moment même où nous nous préparons à Noël ! Spontanément on aurait plutôt attendu un texte comme l’Annonciation de l’ange à Marie ou quelque chose qui nous mette dans l’ambiance de l’heureux événement qui approche ! Un texte d’évangile qui sonnerait comme un faire-part ou une annonce facebook : « dites !  Vous savez déjà ? Marie est enceinte, c’est pour bientôt ! On se réjouit ! » 

Le doigt pointé sur un monde fragile

Au lieu de cela, nous sommes projetés à l’autre bout de l’évangile, juste avant les récits de la passion, avec cet arrière-goût amer de souffrance, de trahisons, de tension, d’incertitudes de toutes sortes qui provoquent la peur parce qu’elles pointent le doigt sur un monde fragile, bien déstabilisé et dont les repères sont en chahut !

Il n’y a pas besoin de faire de grands efforts d’adaptation et d’exégèse, on a l’impression que toutes ces phrases au futur  – il y aura des signes, les hommes mourront de peur, les puissances seront ébranlées… ! décrivent tout à coup le présent ! Pas la peine d’imaginer bien loin la fin du monde, on s’y retrouve bel et bien dans ce monde-là, c’est le nôtre !

Les certitudes s’émiettent

Comme s’y sont retrouvé, hélas, tant de générations avant nous ! Constatant les limites accablantes de tant de rois-soleil, désespérants de jours meilleurs dans la misère ambiante, déçus de fausses justices, inquiets pour l’avenir de leurs enfants, trompés par des systèmes ou plus sobrement et de manière plus actuelle, découvrant l’éphémère vanité de la gloire des puissants ou des stars de toutes sortes : les étoiles tombent, le climat se dégrade, les certitudes s’émiettent au point qu’il devient souvent compliqué de savoir à qui on peut véritablement faire confiance !

« Relevez la tête, votre salut est proche ! »

Et voilà que dans ce contexte, à cet endroit précis, la réponse du Christ vient nous dire : « Relevez la tête, votre salut est proche ! »

On pourrait être tentés, comme le sont les personnes désabusées, de dire, oui, oui, peut-être, mais en attendant… !

On pourrait être tentés, un peu à la manière de Noé, de nous construire une arche, un vaisseau spatial ou une forteresse, pour nous sauver de ce monde en déroute en nous réservant une place sur Mars ou alors de fuir dans le désert par rejet et désolidarisation d’une société trop compliquée, trop corrompue…

Le point d’ancrage du Royaume : ce monde-ci

On pourrait être tentés encore de tout projeter sur l’au-delà : « qu’importe cette vie et ses souffrances, tout ira mieux quand nous mourrons ! » Certes, c’est une partie de notre foi… mais une partie seulement parce que ce serait oublier que cet au-delà qui nous attend, – le Royaume de Dieu ! – a son point d’ancrage dans ce monde-ci et pas dans un autre. Ce monde que Dieu nous donne, qui est son chef d’œuvre, est celui qu’il choisit pour installer le berceau de son fils et se manifester aux hommes. Ce monde que nous malmenons est le monde de Dieu.

Ouvrez les yeux

Et dans ce monde sa voix résonne : « relevez la tête », comme s’il voulait nous dire : ne vous voilez pas la face, ouvrez les yeux avec lucidité et espérance, sans vous laisser aveuglés par toutes les autres lumières, gardez le cap vers celui qui est maître de ce monde ! Il veut votre salut. Jérémie le prophète l’annonçait déjà : il vient et il vous adresse des paroles de bonheur…

Alors lève-toi ! Relève la tête !

Ce n’est pas la première fois que cette parole retentit dans l’Ecriture. Elle est même très ancienne puisque c’est l’invitation que Dieu lui-même fait à Caïn au moment où il s’apprête à tuer son frère : Caïn, tu es déçu ? Tu ne comprends pas ? Tu es fâché, irrité, jaloux ?  Le monde te semble injuste ? OK ! Mais ne baisse pas la tête ! Si tu baisses la tête tu vas t’enfermer, tu ne pourras plus vivre. Relève la tête et accueille ce qui vient, fais confiance à Dieu ! Relève-toi, Caïn, ne reste pas empêtré dans ce qui te détruit ! Relever la tête comme Dieu le demande à Caïn, comme Jésus nous invite, c’est donc choisir la vie, résister, persister à choisir le bien dans un monde de mal.

 

Soleil, lune, étoiles, puissances vont tomber ? Ne le saviez-vous pas ? Jésus rappelle avant sa mort – et l’Eglise nous le rappelle avant de célébrer sa naissance – que le seul appui solide que nous n’ayons jamais eu, que nous avons aujourd’hui  et que le monde n’aura jamais jusqu’à la fin des temps s’appelle Jésus-Christ, l’enfant-Dieu, Sauveur du monde. Celui qui vient. Celui qui vient maintenant. Il vient dans l’intimité et le silence d’une demeure tout simple. Dieu dépose son Fils en nous comme un germe divin qui n’attend qu’à grandir. O que le bruit du monde et ses tempêtes ne vous empêche pas de contempler la beauté de la vie que Dieu dépose en vous. Il vient. C’est l’heure. Il ne demande qu’à croître. Viens Seigneur Jésus ! Lève-toi ! Élève-nous !

 


1er dimanche d’Avent – Année  C

Lectures bibliques : Jérémie 33, 14-16; Psaume 24; 1 Thessaloniciens 3, 12–4, 2; Luc 21, 25-28.34-36