Homélie du 6 janvier 2019 (Mt 2,1-12)

Mgr Jean Scarcella – Basilique de Saint-Maurice

Mes sœurs, mes frères,

Ils sont trois à s’être levés, venant de tous les horizons, et avec eux un peuple entier se lève : « Debout, Jérusalem, resplendis ». Resplendis comme cette étoile qui annonce la lumière qui vient dans le monde pour dissiper les ténèbres, resplendis comme cette étoile qui provoque la joie chez ceux qui se réjouissent, resplendis comme la clarté de l’aurore qui vient de naître pour l’éternité. Resplendis Jérusalem ! Resplendis peuple de Dieu, il est venu ton roi ; sur toi « se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît ». Lève-toi, Jérusalem, relève-toi peuple de Dieu, ton Dieu se lève, sa gloire te met debout ! ». Saint Irénée, évêque de Lyon au IIème siècle le dira : « La gloire de Dieu, c’est l’homme debout ».

« L’homme debout »

Oui, les mages les premiers se sont levés, prémices de tous ceux qui se mettront debout à l’appel de cette gloire de Dieu. Les mages reconnaissent ce que saint Jean écrivait dans le Prologue de son Évangile : « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité ». (Jn 1, 14)

Jésus apporte la gloire du Père

Mais le premier qui se mettra debout, frères et sœurs, c’est Celui que les mages contemplent dans son berceau en forme de mangeoire, et fait du même bois que la croix. Cet enfant est couché dans la paille, mais un jour il s’étendra sur la croix. La gloire qui rayonne et incendie l’étoile de Bethléem, c’est la gloire du Père que le Fils apporte aux hommes. Petit, emmailloté dans sa crèche, il se mettra debout, parce que sa gloire est celle de son Père qui le précède.

Une anticipation de la vision béatifique

C’est la vision d’Étienne à l’heure de sa lapidation, que saint Luc rapporte dans le Livre des Actes des Apôtres : « Mais lui, rempli de l’Esprit Saint, fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu. » (Ac 7, 55-56) « Alors tu verras, écrivait à l’instant le prophète Isaïe que nous venons de lire, tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera », tu verras Jérusalem, peuple de Dieu, parce que ton Dieu se révèle à toi. Tu verras celui qui se révèle à toi, comme les mages aujourd’hui voient l’enfant qui étend ses bras pour les accueillir, pour accueillir le peuple entier, pour le salut du monde. Maintenant, explique saint Paul aux Éphésiens, le mystère « a été révélé, dans l’Esprit ». Ce que les mages vivent, frères et sœurs, est comme une anticipation de la vision béatifique, là où la gloire de Dieu met l’Homme debout, le Fils de l’homme et toute l’humanité dans un face à face d’amour échangé, éternel.

Voilà le mystère de l’Épiphanie où Dieu se révèle à l’homme en lui donnant à voir un visage d’enfant, pour qu’avec lui, il parvienne à sa stature définitive. Et cette stature, c’est ”l’homme debout”, c’est-à-dire l’homme sauvé, la stature du Christ qui nous a été promise et que saint Paul exprimait si bien à l’instant : « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile ».

« Nous sommes fils dans le Fils »

Révélation, promesse, héritage ne sont pas des mots lancés au hasard des vents, non bien sûr, mais ce sont des mots qui doivent signifier une réalité et, pour la signifier, ils doivent s’incarner. Le mystère de Noël c’est l’incarnation du Fils de Dieu en notre chair, et le mystère de l’Épiphanie c’est l’incarnation de l’Église dans le Corps du Christ. C’est ce qui fit dire à saint Irénée, à la suite de saint Paul, que « nous sommes fils dans le Fils », c’est-à-dire fils et filles de Dieu en Jésus le Fils unique, puisque – toujours selon saint Paul – nous sommes adoptés par Dieu le Père par notre incorporation au Christ, lui qui est la tête de ce Corps qu’est l’Église.

Quand nous lisions dans Isaïe tout à l’heure : « Les nations marcheront vers la lumière, […] regarde : tous ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche », nous comprenons qu’il s’agit du peuple qui se rassemble. Et le peuple rassemblé, vous le savez frères et sœurs, n’est autre que l‘Église, ce peuple qui ensemble fait corps, qui donne une présence humaine continuée du Christ sur cette terre, et qu’on appelle le Corps mystique du Christ : l’Église ! Oui, l’Église, frères et sœurs, l’Église mystère de la révélation de Dieu au monde.

Les mages à Bethléem ont préfiguré, réunis par l’enfant au berceau, le peuple de Dieu, l’Église naissante accomplie par le Fils à la croix, mais toujours en devenir. Et cette Église, frères et sœurs, c’est nous. Nous sommes porteurs de cette réalité parce que nous l’incarnons et que, oui je le redis, nous sommes l’Église.

Nous le savons, c’est par le baptême que nous avons revêtu le Christ, que nous sommes incorporés au Christ, que nous recevons la grâce d’être fils adoptifs du Père et héritiers du Fils. Le mystère de notre filiation divine par le baptême s’apparente à celui de la révélation à l’Épiphanie, et saint Paul nous l’a bien expliqué quand il dit par rapport à ce mystère – et je cite Paul à nouveau ici – : « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps ». C’est pourquoi comme les rois, contemplons cet enfant qui nous tend les bras, comme il les a écartés sur la croix pour nous ouvrir le passage qui nous conduit dans les bras du Père.
Ainsi soit-il


Fête de l’Épiphanie du Seigneur – Année C
Lectures bibliques : Isaïe 60,1-6; Psaume 71; Éphésiens 3,2-3a.5-6; Matthieu 2,1-12


 

Homélie du 30 décembre 2018 (Lc 2, 41-52 )

Abbé Christophe Godel – Basilique Notre-Dame, Lausanne

EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE AMORIS LAETITIA DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS
AUX ÉVÊQUES, AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES. AUX PERSONNES CONSACRÉES
AUX ÉPOUX CHRÉTIENS  ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS
SUR L’AMOUR DANS LA FAMILLE

[…]

QUATRIÈME CHAPITRE

L’AMOUR DANS LE MARIAGE

 

  1. Dans ce qu’on appelle l’hymne à la charité écrit par saint Paul, nous trouvons certaines caractéristiques de l’amour véritable :

« L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. » (1Co 13, 4-7).

Cela se vit et se cultive dans la vie que partagent tous les jours les époux, entre eux et avec leurs enfants. C’est pourquoi il est utile de s’arrêter pour préciser le sens des expressions de ce texte, pour tenter de l’appliquer à l’existence concrète de chaque famille.

 

L’amour est patient (91-92)

C’est une expression qui traduit la patience de Dieu lorsqu’il laisse la chance à la conversion, lorsqu’il fait preuve de miséricorde. […] Le problème survient lorsque nous exigeons que les relations soient idylliques ou que les personnes soient parfaites, ou bien quand nous nous mettons au centre et espérons que notre seule volonté s’accomplisse. Alors, tout nous impatiente, tout nous porte à réagir avec agressivité. […] Cette patience se renforce quand je reconnais que l’autre aussi a le droit de vivre sur cette terre près de moi, tel qu’il est. Peu importe qu’il soit pour moi un fardeau, qu’il contrarie mes plans, qu’il me dérange par sa manière d’être ou par ses idées, qu’il ne soit pas tout ce que j’espérais. L’amour a toujours un sens de profonde compassion qui porte à accepter l’autre comme une partie de ce monde, même quand il agit autrement que je l’aurais désiré.

  

L’amour est aimable (99-100)

« L’amour ne fait rien d’inconvenant » : Cette expression veut indiquer que l’amour n’œuvre pas avec rudesse, il n’agit pas de manière discourtoise, il n’est pas dur dans les relations. Ses manières, ses mots, ses gestes sont agréables et non pas rugueux ni rigides […]. La courtoisie « est une école de délicatesse et de gratuité » qui exige « qu’on cultive son esprit et ses sens, qu’on apprenne à sentir, qu’on parle, qu’on se taise à certains moments ». Être aimable n’est pas un style que le chrétien peut choisir ou rejeter : cela fait partie des exigences indispensables de l’amour ; par conséquent « l’homme est tenu à rendre agréables ses relations avec les autres ». Chaque jour « entrer dans la vie de l’autre, même quand il fait partie de notre vie, demande la délicatesse d’une attitude qui n’est pas envahissante, qui renouvelle la confiance et le respect. […] Celui qui aime est capable de dire des mots d’encouragement qui réconfortent, qui fortifient, qui consolent, qui stimulent […] pas des paroles qui humilient, qui attristent, qui irritent, qui dénigrent. En famille il faut apprendre ce langage aimable de Jésus. « L’amour est aimable »

 

L’amour excuse tout (111-113)

  1. Cette expression veut signifier ‘‘garder le silence’’ sur le mal qu’il peut y avoir dans une autre personne. […] la Parole de Dieu nous demande : « Ne médisez pas les uns des autres » (Jc4, 11). Éviter de porter atteinte à l’image de l’autre est une manière de renforcer la sienne propre, de se vider des rancœurs et des envies sans tenir compte de l’importance du dommage que nous causons. […] Les époux, qui s’aiment et s’appartiennent, parlent en bien l’un de l’autre, ils essayent de montrer le bon côté du conjoint au-delà de ses faiblesses et de ses erreurs. En tout cas, ils gardent le silence pour ne pas nuire à son image. Cependant ce n’est pas seulement un geste extérieur, mais cela provient d’une attitude intérieure. Ce n’est pas non plus la naïveté de celui qui prétend ne pas voir les difficultés et les points faibles de l’autre, mais la perspicacité de celui qui replace ces faiblesses et ces erreurs dans leur contexte. Il se rappelle que ces défauts ne sont qu’une partie, non la totalité, de l’être de l’autre. Un fait désagréable dans la relation n’est pas la totalité de cette relation. Par conséquent, on peut admettre avec simplicité que nous sommes tous un mélange complexe de lumières et d’ombres. L’autre n’est pas seulement ce qui me dérange. Il est beaucoup plus que cela. Pour la même raison, je n’exige pas que son amour soit parfait pour l’apprécier. Il m’aime comme il est et comme il peut, avec ses limites, mais que son amour soit imparfait ne signifie pas qu’il est faux ou qu’il n’est pas réel. Il est réel, mais limité et terrestre. C’est pourquoi, si je lui en demande trop, il me le fera savoir d’une manière ou d’une autre, puisqu’il ne pourra accepter ni de jouer le rôle d’un être divin, ni d’être au service de toutes mes nécessités. L’amour cohabite avec l’imperfection, il l’excuse, et il sait garder le silence devant les limites de l’être aimé.

 

L’amour fait confiance (114-115)

Panta pisteuei : [l’amour] ‘‘croit tout’’. En raison du contexte, on ne doit pas comprendre cette ‘‘foi’’ dans le sens théologique, mais dans le sens courant de ‘‘confiance’’. […] Cette confiance permet une relation de liberté. Il n’est pas nécessaire de contrôler l’autre, de suivre minutieusement ses pas pour éviter qu’il nous échappe. L’amour fait confiance, il préserve la liberté, il renonce à tout contrôler, à posséder, à dominer. Cette liberté qui rend possibles des espaces d’autonomie, d’ouverture au monde et de nouvelles expériences, permet que la relation s’enrichisse […].

Ainsi les personnes qui s’aiment, en se retrouvant, peuvent vivre la joie de partager ce qu’ils ont reçu et appris hors du cercle familial. En même temps, cela favorise la sincérité et la transparence, car lorsque quelqu’un sait que les autres ont confiance en lui et valorisent la bonté fondamentale de son être, il se montre alors tel qu’il est, sans rien cacher. Celui qui sait qu’on se méfie toujours de lui, qu’on le juge sans compassion, qu’on ne l’aime pas de manière inconditionnelle, préférera garder ses secrets, cacher ses chutes et ses faiblesses, feindre ce qu’il n’est pas. En revanche, une famille où règne fondamentalement une confiance affectueuse, et où on se refait toujours confiance malgré tout, permet le jaillissement de la véritable identité de ses membres et fait que, spontanément, on rejette la tromperie, la fausseté ou le mensonge.


Fête de la Sainte Famille – Année B

Lectures bibliques :  1 Samuel 1, 20-22.24-28; Psaume 83; 1 Jean 3, 1-2.21-24; Luc 2, 41-52